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Livre Troisième
 

La vengeance de la Brebis
Le soleil d'artifice
Le Loir et la Loire
Les deux vases
La Calomnie et l'Honnêteté
Les quatre instruments
La Force
Le Raisin blanc et le Raisin noir
La vieille Épingle
La Chasse aux demoiselles
Le Moyen de se défaire d'un ennemi
Les Sœurs siamoises
Les Étoffes et les Vertus d'apparat
La Violette demandée en mariage
Le Ciron
L'Aiglon et les Dindons
L'Album d'un Prince
 

I.
La vengeance de la Brebis

Une pauvre Brebis, douce, sensible, bonne,
      Enfin, la meilleure personne
De Brebis qu'on pût voir, de tous les animaux
Recevait chaque jour quelques affronts nouveaux.
Le moindre était encor de lui prendre sa laine;
C'était à qui, je crois, lui ferait plus de peine
      Et lui causerait plus de maux.
    Par l'un mordue et l'autre égratignée,
Longtemps elle souffrit soumise et résignée.
A qui dans ses chagrins aurait-elle eu recours?
Elle avait vu mourir le Bélier ses amours,
      Et n'avait ni père ni frère.
Ses enfants cependant, consolaient sa misère:
    En être aimée était son seul plaisir,
      Les rendre bons, son seul désir.
      Y travailler, sa seule affaire
Quand un jour, jour, hélas! de douleur et de deuil,
De son asile à peine elle a franchi le seuil,
      Qu'un animal rempli de rage,
Une affreuse Tigresse y sème le carnage.
Tous furent égorgés!... tous!.. Ce monstre odieux
A des pleurs éternels a condamné ses yeux.
Combien en versa-t-elle à ce spectacle affreux!
Ses fils! ses chers agneaux! l'espoir de son vieil âge!

Elle ne pensa point à ce coup, toutefois,
      Que ce fût assez que des larmes.
Elevant vers le ciel une plaintive voix,
Au monarque des dieux, pour la première fois,
      Elle osa demander des armes.

Il l'écoute. — Morphée assoupit sa douleur.
Quand elle se réveille, ô surprise! ô bonheur!
Sur son front ont poussé des cornes menaçantes;
A ses pattes ont crû des griffes déchirantes:
      Dans sa gueule des dents tranchantes;
Tout son corps s'est rempli d'audace et de vigueur.
      Enfin, ce n'est point une erreur,
Elle est changée en un monstre terrible.
      L'hôte des bois le plus horrible,
      Le plus redoutable animal
      N'est maintenant que son égal.

      »Courons, dit-elle, à la vengeance;
      Grâce aux dieux je puis l'assouvir!
La Tigresse et les siens aujourd'hui vont périr
      De plaisir j'en frémis d'avance!
Mais ce n'est point assez: aux mânes de mes fils
      Il faut une riche hécatombe!
      Du sang de tous mes ennemis
      Je veux ce soir laver leur tombe!«

Ces mots dits, elle part; et les premiers objets
Qui s'offrent à ses yeux, ce sont quelques filets
      Que l'on plaça sous un érable,
Et dans l'un, un Corbeau que de nombreux méfaits,
      Envers elle firent coupable.
      »Je pourrais bien certainement,
De celui-ci d'abord, dit-elle, me défaire;
Mais ce serait aussi par trop facilement:
Pour lui j'ai du mépris et non de la colère;
    Il ne vaut pas ce dernier sentiment.
      Epargnons ce voleur infâme.«
En même temps sa dent du filet rompt la trame
      Et délivre le prisonnier,
Qui s'envole aussitôt, sans la remercier.
Ensuite elle aperçoit, couché sur la fougère,
      Un Dogue que pendant long-temps
      Elle crut son ami, son frère;
      Ingrat dont les cruelles dents
      Lui firent trop voir le contraire!
A sa vue il se trouble, il frissonne d'effroi.
Elle le considère, et se dit à part soi:
»Que je l'attaquerais s'il n'était point malade!
Mais il l'est, car jamais je ne le vis trembler;
      Ce signe me le persuade.
      Est-ce l'instant de l'accabler
      Et de lui déclarer la guerre?
Non; je sais pour la fièvre une herbe salutaire,
Qui ranime le corps le plus endolori:
      Elle croît dans ce lieu champêtre;
      Je vais la lui faire connaître,
Et puis, nous nous battrons quand il sera guéri.«

Ce soin pris, elle trouve, en poursuivant sa route,
Un Taureau qui cent fois tenta de l'écraser.
      Elle va pour lui proposer
Le combat; mais d'abord qu'il la voit, qu'il l'écoute,
Oubliant tout honneur et toute dignité,
A travers champs il fuit par la peur emporté.
»Le poltron!je devrais, dit-elle, le poursuivre;
      Mais où je vais, j'arriverai
      Plus tard du temps que j'y perdrai.
      Un jour de plus laissons-le vivre,
      Demain, je le retrouverai.«

A quelques pas plus loin se pavane sur l'herbe
      Une Jument fière et superbe,
      Qui lui donna vingt coups de pié.
      Elle est pour elle sans pitié:
    Mais la Cavale est encore nourrice;
Faut-il de ses péchés que son poulain pâtisse?
      Elle va bientôt le sevrer.
Ne vaut-il donc pas mieux jusque-là différer?

      Plus loin encor, la voilà face à face
Avec un Loup méchant plus qu'aucun de sa race,
A sa perte acharné, des loups le plus cruel,
Après le monstre affreux, objet de sa colère,
      Son ennemi le plus mortel:
Mais c'est le seul appui d'une si vieille mère!...

Enfin, près d'arriver, elle trouve un mulet
Qui, non content contre elle en tous lieux d'aller braire,
De plaintes en tout temps lui donna maint sujet:
Mulet très-bien portant et très-célibataire.
      Je ne puis plus me souvenir
Quelles raisons elle eut pour ne le point punir;
      Mais elle en eut, la chose est sûre,
      Et d'excellentes, je vous jure.

Cependant elle approche, et le but souhaité
      Déjà se découvre à sa vue.
Elle y touche: voici le repaire habité
Par l'assassin cruel... O fortune imprévue!
    Auprès du roc, sous un buisson blottis,
Seuls, les Tigreaux sont ensemble endormis.
    Qu'à son tour la Tigresse pleure!
Sans défense le sort les livre à son courroux.
Rien désormais ne peut les soustraire à ses coups:
    Des représailles voilà l'heure!

Ainsi le pense-t-elle, et d'un bond menaçant,
Prête à les immoler, contre eux elle s'avance;
Et s'étonne.... et s'arrête.. .et les considérant,
Immobile demeure... et garde un long silence.
Puis tout à coup: »Allons, les moments sont pressants..
    Hélas! les pauvres innocents,
    Que m'ont-ils?. Dieu! qu'osé-je dire?
De la pitié pour eux j'éprouverais l'empire!..
    Non, non: ni grâce, ni quartier.
C'est un service à rendre au monde entier
    Qu'exterminer cette engeance cruelle.
Exécutons du ciel un trop juste décret.
Quoi! je ne puis... comment! ce n'est pas déjà fait?..
    Ah! je suis lâche, se dit-elle.
    Au même instant, de la forêt
    Une Hyène sort comme un trait,
    Et fond de toute sa vitesse
    Sur les enfants de laTigresse.
    Plus rapide encor, la Brebis
    Sur la Hyène aussitôt s'élance;
    Entre elles un combat commence
    Dont le succès flotte indécis,
    Où l'avantage se balance.
Long-temps sur toutes deux vole et plane la mort,
Les couvrant tour à tour de son aile sanglante.
Enfin, un dernier coup décide de leur sort:
La Hyène tombe et meurt sous la Brebis mourante.

La Tigresse survient. — A peine elle paraît,
Qu'un mot de ses enfants de tout la met au fait.
O prodige! Son cœur s'anime, se révèle:
Il éclot au soleil de l'amour maternelle!

A la pauvre Brebis près d'expirer courant,
Et tâchant de rugir quelque peu doucement:
»Vous, mourir!vous!... poureux!... O ciel! est-il possible!...
Ah! croyez qu'à vos maux vous me voyez sensible!
      Mais, du moins, par aucun secours
      Si l'on ne peut sauver vos jours,
Peut-être vous avez, en quittant l'existence,
Un désir, un vouloir, qu'il est en ma puissance
D'exaucer?... Parlez-moi: pour vous que puis-je? — Rien...
Je ne vous prîrai pas de faire un peu de bien;
Barbare! l'espérer, ce serait du délire.
      Mais pour vos enfants quand j'expire,
Si ma voix défaillante a sur vous quelque empire,
      Cruelle! cessez désormais
      Le cours affreux de vos forfaits!
Vous mangeâtes mes fils, n'en dévorez point d'autres.
Je vais où sont les miens.... vivez avec les vôtres!«

      Et d'elle la pauvre Brebis,
Détournant aussitôt ses regards affaiblis
      »O Jupiter! tu m'as donné, dit-elle,
Mais tu m'as donné vainement
Ce qu'il faut pour être cruelle!
Ce n'est point mon tempérament.
Je ne saurais être nuisible,
Faire le mal m'est impossible.
Pour que je puisse me venger,
C'est mon cœur qu'il faudrait changer!«

II.
Le soleil d'artifice

Pour voir un Soleil d'artifice,
De toute part on accourait;
C'était à qui se placerait
Le plus près de l'astre factice.
Celui-ci, naturellement
Flatté de ce concours immense,
En conclut de son importance.

»Il faut, se dit-il à part soi,
Que je sois bien considérable,
Puisque cette foule innombrable
Tient tant à s'approcher de moi!«

Il paraît — et chacun s'écrie:
»Qu'il est beau! qu'il est radieux!«
Dès qu'il jette ses premiers feux,
On applaudit, on s'extasie.
Il suit son cours. — La frénésie
En arrive au trépignement.
On crie au miracle, au prodige;
C'est un transport, c'est un vertige,
Un délire, un enivrement.
De bravos semblable tempête
Assaillirait l'Humilité,
Que je crois bien, en vérité,
Qu'elle en pourrait perdre la tête.
Ainsi fut, comme de raison.
Du pauvre morceau de carton.
Au lieu de se dire en lui-même
Que ce culte, que cette cour,
Ne convenaient qu'au Dieu du jour,
Il dit dans sa folie extrême:

»Oui, mon éclat est sans pareil,
Oui, ma puissance est sans seconde;
Devant moi tout s'éclipse au monde,
Devant moi pâlit le soleil.«

L'imprudent. il parlait encore,
Et déjà décroît sa splendeur;
Plus tôt que la plus faible fleur
Il s'éteint, il se décolore.
Voici qu'il n'est qu'une lueur;
Bientôt finit son existence.
Son trépas encor fait grand bruit:
Mais ensuite c'est le silence;
Puis après.... l'éternelle nuit.

Qu'en reste-t-il? Une carcasse
A laquelle la populace,
Attachant de moqueurs regards,
Insulte par mille brocards.

Jusques à quand donc le vulgaire,
Epris du superficiel,
Rendra-t-il aux rois de la terre,
Ce qui n'est dû qu'au roi du ciel?

III.
Le Loir et la Loire

      A certaine solennité,
C'est de quelque congrès qu'il s'agissait, je pense,
      L'Océan avait invité
      Les fleuves de haute importance.
      Aussitôt vers lui dl'accourir
      La moindre majesté moussue;
      Et plus d'une, sans réfléchir
      A l'immensurable étendue
      Qu'avait son onde à parcourir.

En chemin on voyait le Volga gigantesque,
Le Gange révéré, le Tage romanesque.
Le Danube imposant, le Tigre impétueux,
      Le fleuve Bleu, le fleuve Jaune,
Et l'Euphrate infidèle, et le Jourdain pieux,
Et la Tamise, et l'Elbe, et le Rhin, et le Rhône,
Et la Seine riante, et l'amoureux Adour,
Et le Mississipi, qui n'aurait sur sa route
      A nul cédé le pas sans doute,
S'il eût su qui devait le chanter quelque jour
Et mille autres encor, qui soudain tout quittèrent,
Et qui, pour la plupart, en route demeurèrent;
Plusieurs à la moitié, plusieurs à peine au quart,
Et quelques-uns aussi, presque au point de départ.

Majestueusement roulant ses flots limpides,
Qui d'un beau ciel réfléchissaient l'azur,
      La Loire, le front calme et pur,
S'avançait modérant ses ondes trop rapides;
      Et, sur ses poétiques bords,
Ses Naïades allaient de son cristal fluide,
      En des nappes d'argent liquide,
      Versant les précieux trésors.

      Près d'elle, une étroite rivière,
      Non loin des lieux qu'embellit Tours,
      Passe, et précipitant son cours,
      Lui dit: »De votre part, ma chère,
      Quels compliments lui dois-je faire?

      — A qui? — Quoi! vous ne voyez pas
Que c'est à l'Océan que je cours de ce pas?
      — Certes, je ne m'en doutais guère.
      — Je vous entends.... sa circulaire...
N'importe: j'y prétends arriver dès ce soir.
      Ne me nomme-t-on pas le Loir?
      Ne suis-je pas votre seigneur et maître?
      Où vous allez, je puis aller peut-être.

— De vous en empêcher par un long entretien,
      Je me garderai, dit la Loire,
      Allez: mais souvenez-vous bien,
      Que de votre nom et du mien,
      Un seulement rime à la gloire.
Sachez, vous qui croyez arriver aujourd'hui
A l'Océan, qu'au grand livre des destinées
Il est écrit: de moi, que je dois jusqu'à lui
      Porter mes ondes fortunées;
De vous, qu'après avoir encor quelques instants
      Dans un petit coin de ce monde
Obscurément coulé, votre nom et votre onde,
      Dans la Sarthe un peu plus profonde
      Iront se perdre vers le Mans;
      Et que du Sort l'arrêt suprême,
      Est que la Sarthe quelque jour,
      Ainsi que vous, vienne à son tour
Dans mes illustres flots s'abîmer elle-même.
Pour arrêter mon cours mille de vos pareils
      En vain formeraient mille ligues.
Les hommes contre moi construiraient mille digues,
Que je renverserais tous ces vains appareils.

Je vois vos petits flots bouillonner de colère.
Adieu, dépêchez-vous, précipitez vos eaux;
Il m'importe fort peu de rester en arrière.
      Rappelez-vous mes derners mots:
Le sexe n'est pour rien du tout dans cette affaire.
Je sais ce que le ciel a fait chacun de nous.
Monsieur le Loir: la Loire estungrandfleuve, et vous...
      Vous... vous n'êtes qu'une rivière!«

      Qu'inférez-vous de ceci?
Moi?
Que la Loire savait l'histoire d'Angleterre,
Et qu'une Élisabeth en fut le plus grand roi.
      Peut-être pourrait-on induire,
En tournant ce récit de quelque autre côté,
Quelque autre chose encor; mais toute vérité
      N'est, comme on sait, pas bonne à dire.

IV.
Les deux vases

      Un Vase brillant et fragile
      D'un boudoir faisait l'ornement,
      Vase inutile, mais charmant.
      Un autre, de commune terre,
      Dans la cuisine se trouvait,
      Vase grossier, mais nécessaire;
      Le Pot-à-Soupe il se nommait.

      Un jour, les portes entr'ouvertes,
      Leur permettant de s'entrevoir,
      Le Pot-au-Feu, tout gras, tout noir,
      Osa (bien hardi fut-il, certes)
      Saluer le Pot du boudoir.
      Celui-ci, plein de suffisance,
      Ainsi que l'on le pense bien,
      Ne fit pas mine d'en voir rien;
      Et ni du goulot ni de l'anse,
      Il ne rendit la révérence.

      Le soir (le sort fait de ces coups)
      Au château, des deux la patrie,
      Éclate un affreux incendie
      Qui met tout sens dessus dessous.
      Pêle-mêle chacun transporte
      Vite partout le mobilier,
      Et le hasard fait que l'on porte
      Nos pots dans le même grenier;
      Trop heureux, à cette aventure,
      D'avoir échappé sans fêlure!
      Côte à côte dans ce taudis,
      lls se regardent ébahis:
      Et le doré qui se désole
      De n'être plus sur sa console,
      Vers son voisin pousse un soupir;
      Et plein d'une douleur amère,
      En gémissant lui dit: »Mon frère,
      Hélas! qu'allons-nous devenir?«

Cela, c'est notre histoire à tous tant que nous sommes.
      Il est fort peu d'exceptions.
      Le malheur rapprochant les hommes,
      Nivelle les conditions.

V.
La Calomnie et l'Honnêteté

Un matin la Calomnie,
Voyageant avec l'Envie,
Rencontra l'Honnêteté.
Par pure méchanceté,
Elle la couvrit d'ordure;
Mais la noble créature.
N'en reçut point de souillure,
Et sa robe, par bonheur,
Garda toute sa blancheur.
La fange coula sur elle
Sans qu'il en restât parcelle.
Dame Réputation,
Femme de précaution,
De ses mains l'ayant lustrée,
Ainsi que toile cirée,
Rien ne s'y put attacher.
On dit même que sur celle
De la maligne femelle
Qui cherchait à la tacher
D'une façon si cruelle,
Il en retomba beaucoup,
Sans doute par contre-coup.

VI.
Les quatre instruments

Un jour, par le destin, aux quatre âges divers,
      Quatre instruments furent offerts.
   L'Enfance prit le Kaléïdoscope;
Du Prisme s'empara la jeunesse aussitôt;
L'Age mûr sagement fit choix du Télescope.
      A la vieillesse, pour son lot,
      Il demeura le Microscope.

VII.
La Force

Pourquoi, charmant insecte aux brillantes couleurs
A t'alarmer si prompt te cacher sous les fleurs?
Pourquoi, timide oiseau, d'une aile si rapide,
Au plus épais du bois, demander une égide?
Et toi,gentil poisson, au fond de l'eau pourquoi
Si vite t'enfoncer, tout palpitant d'effroi?
Quel danger si pressant tous à fuir vous invite?
— C'est l'approche de l'homme. — Au seul bruit de ses pas,
Innocents animaux, suspendant vos ébats,
      Vous vous êtes sauvés bien vite!

Étres inoffensifs, si doux, si gracieux,
Qui ne semblez créés que pour charmer les yeux;
Qui vous a donc appris, qui donc a pu vous dire
Que pour vous il serait cruel et sans pitié?
Qu'il fallait redouter son tyrannique empire,
Étre sourds à sa voix dont le miel vous attire,
      Craindre sa main, craindre son pié?

— Qu'en savez-vous? — C'est une erreur peut-être...
Peut-être ne veut-il qu'assister à vos jeux,
      Qu'entendre vos concerts joyeux,
Que suivre dans les flots vos bonds capricieux,
      Que jouir d'un tableau champêtre.
Si quelque obstacle eût barré ton chemin,
Sans doute, frêle scarabée,
Pour l'aplanir, son obligeante main
      Diligemment se fût courbée.
      Sans doute, ce n'est point pour te faire captif;
      Ce n'est, Rossignol trop craintif,
   Que pour poser un baiser sur ton aile,
   Qu'en ce moment il te flatte et t'appelle.
Viens aussi près de lui, viens, accours promptement:
      Sans doute, perchette argentée,
Prévenant ton besoin, son cœur compatissant,
Veut t'offrir de son pain une part émiettée.

»Venez, n'ayez point peur.« — N'ayez point peur.... hélas!
Du Mentor des humains tel serait le langage.
Que vous êtes heureux de ne l'entendre pas!
Dans la vase blottis, cachés sous le feuillage,
Vous restez à l'abri des fers ou du trépas.
La Raison vous dirait que la Force protége;
Elle vous tromperait: vous tomberiez au piége
      Où vous conduirait sa lueur.
Mais un guide plus sûr vous gare du malheur.
»Fuyez,« dit-il: »qui veut n'être esclave ni proie,
Qu'il se hâte de fuir!... la Force opprime ou broie.«
      — Ah! votre instinct n'est pas trompeur!

VIII.
Le Raisin blanc et le Raisin noir

Le Raisin blanc au noir disait avec hauteur:
»Votre forme à la mienne a quelque ressemblance...
      Mais entre nous deux la couleur
      A mis un intervalle immense.
      Quoi donc peut vous rendre si vain,
Et vous donner cette arrogance extrême.
D'oser vous croire du Raisin?
— C'est, répliqua le Raisin noir soudain,
Que je donne d'aussi bon vin,
Quand on me cultive de même.«

IX.
La vieille Épingle

Hortense, un soir, en s'habillant,
Par une Épingle étant piquée,
Loin d'elle la jette à l'instant.

La pauvre Épingle, fort choquée,
A terre lui dit humblement:
»Excusez-moi, mademoiselle:
Je prenais bien garde pourtant;
Mais je suis si torse à présent,
Que j'ai coulé sous la dentelle.
Autrefois c'était différent;
Hélas! j'étais bien plus adroite!
C'est qu'alors j'étais toute droite.
Alors on vous nommait Fanfan;
Vous sembliez un petit ange.
C'est moi, sur votre premier lange,
Que mit votre pauvre maman.
En ce saint jour où, sous un voile,
Votre front, ainsi qu'une étoile,
Rayonnait d'un éclat divin;
Où, plus charmante que l'aurore,
Vous aviez d'un vrai séraphin
L'air et les traits; c'est elle encore,
La chère dame! dont la main
M'avait sur ce voile attachée.
Entre deux plis j'étais cachée
Dans un beau ruban satiné
Qui nouait votre tresse blonde;
Et là, je n'aurais pas donné
Ma place pour tout l'or du monde
Qui m'eût dit qu'au jour solennel
Où vous marcherez à l'autel
De vous je serais oubliée,
Et qu'un autre aurait le bonheur
De fixer près de votre cœur
Votre bouquet de mariée!...
Vous me donniez un petit nom
        Si mignon
    Pendant votre enfance!
Vous l'avez oublié, je pense;
Mais moi je vivrais cent mille ans,
Et, s'il se pouvait, plus long-temps,
Que j'en garderais souvenance
J'étais votre attachette, alors!
Ce mot venait sans cesse aux bords
De votre bouche purpurine,
Et plus doux pour mon âme était
Que pour aucune fleur ne l'est
En été l'onde cristalline.
Si de vous je n'ai mon pardon,
Que voulez-vous que je devienne?
Je n'ai plus votre affection,
Mais vous avez toujours la mienne!
De moi prenez quelque pitié.
C'est bien vrai que je suis crochue;
Mais les ans ainsi m'ont rendue,
Et pour vous j'ai tant d'amitié!«

Que répondit la belle Hortense?
Hortense ne répondit rien.
Elle allait au bal... On sent bien
Qu'on a, dans cette circonstance,
Autre chose à penser vraiment.
Hortense n'entendit pas même.
De roses sur son front charmant
Elle essayait un diadème;
De perles entourait ses bras...
Elle allait au bal!... La coquette
Écoutait son miroir, hélas!
Bien plus que sa vieille attachette!

La pauvre Épingle, dès le soir,
Parmi les bourriers, dans la rue
Fut jetée. — On n'a pu savoir
Jamais, ce qu'elle est devenue...

Écoutez-moi, jeunes lecteurs:
Je m'adresse à vos jeunes cœurs.
Long-temps en butte à vos caprices,
Par de bons et loyaux services,
S'il est quelque vieux serviteur
Qui vous ait témoigné son zèle,
Ne le chassez point par humeur.
Donnez à cet ami fidèle,
En échange de tout son cœur,
Quelque petite part du vôtre:
Son amour en vaut bien un autre!
Ayez égard à ses efforts;
Et fût-il même un peu bizarre,
Croyez-m'en, excusez ses torts.
Etre aimé pour soi, c'est si rare!

X.
La Chasse aux demoiselles*

Nous étions ce jour-là quatre petits garçons.
Oh! c'était un beau jour de toutes les façons!
D'abord, c'était congé; partant un jour de fête...
      Puis après, monsieur le soleil
Nous regardait avec son visage vermeil
A bien en profiter chacun de nous s'apprête.

*
Cette fable et plusieurs autres de ce recueil ont été composées
pour l'académie royale de la jeunesse, et récitées par des enfants
aux séances de cette académie
.

Nous étions tous d'accord pour nous bien divertir;
Mais chacun pour cela proposait son plaisir.
Nous disputions au lieu de partir à la fraîche.

      Gustave en était pour la pêche;
      Jean pour la chasse aux hannetons;
      Louis pour celle aux oisillons;
Moi, je dis: Non, faisons la chasse aux demoiselles.
Certes, c'est un joli gibier que celui-là!
Je veux avant ce soir, en dépit de leurs ailes,
      En prendre dix et par delà.

Ma proposition de tous est accueillie,
Et vite nous partons, non pas pour la Syrie,
   Mais pour un lieu propre à notre projet.
On l'eût dit fait exprès; il était à souhait:
      Précisément sur la lisière
D'un charmant petit bois, au bord d'une rivière;
Et puis un ciel si bleu! et puis des prés si verds!
      Et des marguerites si blanches!
Et des frênes, si haut s'élançant dans les airs!
Et des saules, si bas dansl'eau traînant leurs branches!
Oh! la nature avait sa robe des dimanches!!!

      Nous déjeunons sur le gazon,
Et bientôt le gibier nous arrive à foison.

Moi, je cours!... je cours tant!...— Dans mon filet de gaze,
   Crac!... en voilà trois dans un tour de main.
Vous pensez si j'étais content de mon butin!
Ce n'est pas dire assez: — j'en étais dans l'extase!
      Mais aussi j'étais las, bien las;
Et, le reste du jour, je ne pus faire un pas.

      Tranchant du vainqueur superbe
      Qui s'endort sur ses lauriers,
Dans une boîte, après avoir mis mes gibiers,
Sans plus m'en occuper je m'étendis sur l'herbe.

      De là, vous l'imaginez bien,
   Je regardais mes petits camarades,
Et je me moquais d'eux; car ils ne prenaient rien.

De Gustave, d'abord, les sauts et les gambades
      Étaient un fort mauvais moyen.
Ses bonds effarouchaient toutes les demoiselles
Qui, dès qu'il paraissait, fuyaient à tire d'ailes.

Louis s'y prenait mieux, mais sans mieux réussir.
      En arrivait-il une verte,
      Après elle il courait alerte;
      Puis, au moment de la saisir,
      S'il en survenait une grise,
      La grise aussitôt devenait
      Le sujet de sa convoitise:
      C'était elle qu'il poursuivait
      Et, quand elle allait être prise,
      Qu'une jaune à ses yeux parût,
De sa course aussitôt la jaune était le but.
La dernière toujours lui semblait la plus belle.
— Regarde celle-là... rien de si joli qu'elle,
Me disait-il. — Ah Dieu! cette autre que voici!
Toute d'azur!... — Tiens, celle-ci!
Quel beau vert!-Édouard, vois donc cette nouvelle!
Elle me plaît bien plus encor. du vrai carmin!
— Oh! cette autre! de l'or! oui, de l'or sur son aile!!!
Courons, courons! — Il courut, mais en vain....
Le jour s'enfuit et vint la brune,
Avant qu'il en eût pris pas une.

      Pour Jean, d'en prendre où nous étions
Il avait essayé: le bruit que nous faisions
L'en ayant empêché, seul, sur une colline
   De la rivière et du bois près voisine,
Il s'était installé. Là, tout à son dessein,
   Il poursuivit la même sans relâche;
      En fit l'objet de tous ses voeux;
La guetta, l'épia, ne se donna pour tâche
D'attraper qu'elle, encor s'estimant trop heureux
      D'y parvenir; et déjà la journée
      Était à peu près terminée;
Il craignait d'avoir fait des efforts superflus,
   Quand, tout à coup, il mit la main dessus:
   Je dis la main, et ce n'est point sans cause,
      Car, notez bien une chose:
C'est que Jean, lui, n'avait pas d'échiquier;
Et même, le matin, nous voulions parier
Que faute d'instrument il ne pourrait rien prendre.

De retour au logis, maman voulut apprendre
      Ce que nous avions rapporté.
Moi je dis J'en ai trois.-C'est sûr? — En vérité.
Vous, Louis — J'ai manqué d'en prendre une douzaine,
Mais. — Vous, Gustave? — Oh! j'en aurais une centaine
Si... — Vous, Jean, quelle chance avez-vous eue, enfant?
      Il répondit modestement:
      Madame, je n'en ai pris qu'une,
Et même bien petite et d'espèce commune,
Et ce n'a pas été sans grande peine encor;
En même temps il montra son trésor.
      Et moi, j'allai chercher de suite
      Ma boîte, et l'ouvris fièrement.
      Jugez de mon étonnement:
      Plus rien.... tout avait pris la fuite,
      Je ne sais comment ni par où;
La boîte, apparemment, avait bien quelque trou.

Je me mis à pleurer et contai notre histoire,
Histoire dont, hélas! j'attendais plus de gloire!
Maman dit: »Chers petits, ces insectes charmants
      Sont une image des talents.
De posséder le moindre il est fort difficile.
N'en aura jamais un qui veut en avoir mille.«
Puis, nous mettant à tous un baiser sur le front:
»Allons, ne pleurez plus: les pleurs de rien n'y font.
Vous, soyez moins bruyant: vous, soyez moins volage;
      Vous, ce que dans cette autre cage
      Vous aurez mis de précieux,
      Tâchez de l'v renfermer mieux;
      Et que chacun, dans sa petite tête,
      Dès aujourd'hui s'occupe de graver
Ces mots, que la Raison avec moi vous répète:

A quoi sert-il de faire une conquête,
      Si l'on ne sait la conserver?«

XI.
Le Moyen de se défaire d'un ennemi

Un jeune Aiglon venait de ceindre la couronne.
      Il assemble ses familiers,
      Et leur dit: »Mes chers conseillers,
      Vous, l'appui, le soutien du trône,
En l'un de mes sujets je trouve un ennemi,
Et non pas de ceux-là qui le sont à demi,
Mais ardent, acharné, mortel. Que dois-je faire?
      — Sire, au plus tôt vous en défaire,
   Dit un Milan.-M'en défaire! et comment?
      — C'est, dit le Milan, bien facile:
Que Votre Majesté de ses États l'exile.«

Cet avis plaît au roi, qui le suit à l'instant.

      Un mois plus tard, le jeune prince
Une seconde fois réunit son conseil.
»Il n'est point de chagrin à mon chagrin pareil.
      Lui dit-il; dans cette province
Il a paru... De nos sacrés édits,
Des lois, de nous, l'insolent fait mépris.
      Cher Vautour, que devons-nous faire?
      — Sire, au plus tôt vous en défaire.
— Je le veux; mais comment? — Que pris et garrotté,
   Dans quelque fort, ce soir, il soit jeté.«
   Une heure après, dans une citadelle,
Le malheureux Faucon agite en vain son aile.
A quelque temps de là, pour la troisième fois,
      A ses favoris le monarque
      Se plaint du triste sort des rois.
»Que je suis malheureux! leur dit-il. Quoi! la parque
Ne me délivrera jamais de ce pervers!
   Non-seulement il a rompu ses fers,
      Mais l'infâme partout va dire
Que je suis un tyran. — Un tyran!vous! ah! Sire.
C'est une calomnie horrible, assurément,
      Et digne de tout châtiment!
      — Mais enfin que me faut-il faire?
      — Sire, au plus tôt vous en défaire,
Dirent-ils cette fois tous unanimement:
      C'est le plus court et le plus sage.
      — Il se peut; mais, encore un coup, comment?«
On se tut: c'était là parler fort clairement.
Toutefois, l'Aigle à ce langage
Ne comprit rien (on le comprend).

Un courtisan de bas étage
Se chargea d'expliquer la chose pour eux tous.
Or, l'Aiglon était dur, impérieux, jaloux,
      Mais non lâche ni sanguinaire.
Du Corbeau le discours excita sa colère.
»Quel conseil ose-t-on me donner aujourd'hui?
  S'écria-t-il; ce n'est que de moi-même
Que je veux désormais en prendre en mon ennui,
  Et je prétends aller à l'instant même
  Lui proposer le combat corps à corps.
Il faut qu'il ait mes jours ou me donne sa vie.
      — Sire, modérez ces transports,
      Dit le conseil; et la patrie!...
      Y songez-vous? d'un potentat
      La loi, c'est la raison d'État.«

      Le roi de son destin soupire:
   Il le maudit; en secret il désire
N'être qu'un simple oiseau. Dans ce moment ses yeux
      Si souvent tournés vers les cieux,
      S'abaissent sur une prairie.
Un Pigeon y dormait sur de l'herbe fleurie.
      Le prince appelle un Passereau:
»Va, dit-il, me chercher de suite cet oiseau.«

      Le Moineau part, fait son message,
Ramène le Pigeon. »Habitant du bocage,
      Lui dit le monarque; ton roi,
Sur un point important, veut un avis de toi.
D'un ennemi mortel, parle, que dois-je faire?
      — Sire, au plus tôt vous en défaire.«
Tout le conseil resta muet d'étonnement.
      »Mais, au Pigeon dit l'Aigle reprenant,
Les moyens?... Il en est beaucoup en apparence:
Je les ai tous tentés et tous ont été vains.
      De bons, et surtout de certains,
Il n'en existe point: j'en ai trop l'assurance!

— Grand roi, dit le Pigeon, excusez-moi: parmi
J'en sais un, un bien doux à toute ame sensible!
Fort simple: c'est le mien: Sire, il est infaillible.
— Quel est-il donc? — C'est d'en faire un ami.«

Du Ramier suivit-on le conseil?Je l'ignore:
Ce qu'il advint depuis je n'en sais rien encore;
   Mais le Faucon était fort courageux,
   L'Aigle fort brave: ils s estimaient tous deux,
      Tous deux avaient de la franchise,
      Et je ne serais pas surprise
Qu'ils eussent pu s'aimer, certain cas échéant.
De la haine à l'amour le passage est bien grand,
      La distance considérable;
Mais un cœur généreux la peut franchir un jour.
      Celle du mépris à l'amour
      Est à jamais infranchissable.

XII.
Les Sœurs siamoises

     Un jour il naquit deux jumelles:
     Le monde les trouva si belles,
     Qu'il voulut vivre sous leurs lois.
     Telles que ces deux Siamois
Que tout Paris a vus, ces deux sœurs étaient nées
Par un lien vivant l'une à l'autre enchaînées.
     Tant qu'on respecta ce lien
     Qui les joignait, tout alla bien:
Mais l'Imprudence un jour, d'une main téméraire,
    L'osa couper. Depuis lors, sur la terre,
La plus faible des sœurs ne fit que dépérir.
Elle pâlit, languit, et le monde en alarmes
Vit avec désespoir se flétrir tous ses charmes.
En vain eut-on recours au grand art de guérir:
Un sang décoloré circulait dans sa veine.
Pour tous, évidemment sa fin était prochaine,
   Quand à sa sœur, par sa première chaîne,
     On parvint à la réunir.
Aussitôt, la fraîcheur de sa naïve enfance,
De son âge viril la force et la beauté,
     Reviennent avec la santé:
     Elle renaît à l'existence.

Si de ces sœurs vous demandez le nom,
Celle dont quelque temps en danger fut la vie,
     Celle-là, c'est la Poésie;
     L'autre, c'est la Religion.

XIII.
Les Étoffes et les Vertus d'apparat

Sur l'un des comptoirs de Delisle,
Satins, Damas, Velours, Brocarts,
Éblouissaient tous les regards.
L'amateur le plus difficile,
Le plus froid, sitôt qu'il entrait,
D'abord devant s'extasiait.
Pour des emplettes amenées,
Arrive dans le magasin.
Par leur maîtresse accompagnées,
De jeunes filles un essaim.

»Que désirent ces demoiselles?
Dit un commis s'en approchant.
D'écharpes, de robes nouvelles.
Nous avons un choix ravissant.
— Ce serait, dit l'institutrice,
Non pas des choses de caprice,
Mais quelque tissu simple et bon,
Convenable en toute saison.
Cette marceline jaspée.... «
Par un cri d'admiration
Sa phrase demeura coupée.
Cinquante bouches à la fois
L'avaient jeté comme une voix;
Et, sur les étoffes splendides,
Dont ils dévoraient les beautés
Maintenant de cent yeux avides
Les regards brillaient arrêtés.

»Oh! combien je serais contente,
Si vous vouliez, ma bonne tante,
De ce beau Satin si brillant.
Me donner un habillement!
— Vous consultez peu notre bourse:
Y songez-vous, ma chère enfant?
Est-ce avec si faible ressource
Qu'on se vêtit si chèrement?
—  Moi, madame, j'ai de l'argent.
Permettez que je fasse emplette
D'une jupe de ce Damas.
— Moi, madame, que je m'achète
Une robe de ce Lampas.
— Moi, de ce Brocart, je vous prie.
— Moi, s'il vous plaît, de ce Velours.
— Chères belles, quelle folie!
Est-ce de tissus aussi lourds
Qu'il faut se parer à vos âges?
Vous auriez, dans ces grands ramages,
L'air des filles de Lilliput.
Croyez-moi: de votre jeunesse,
Tant d'éclat et tant de richesse
Ne sont point du tout l'attribut.
A vous ces robes de princesse!
A vous ces tissus brochés d'or!
Mais, je vous le répète encor,
Sous leur poids votre frêle taille
Plierait comme la faible paille.
Cette pièce couleur de feu,
Qui fait l'objet de votre envie,
A votre teint conviendrait peu,
Ma chère Adèle; et vous, Julie,
Cette autre d'un vif incarnat,
Qui dans ce moment vous enchante.
Et dont vous voulez faire achat,
Ne vous siérait point, ma charmante
Une nuance moins tranchante
A toutes les deux mieux ira.
Entre ce doux tissu de laine
Ou ce modeste taffetas
Que chaque jour on met sans gêne,
Qui ne cause point d'embarras,
A faire un choix je vous engage.
Et même, cet humble coton
Que vous estimez peu, je gage,
Dans la classe serait fort bon.
Quant à vos bals de jeune fille,
Comme tout s'y passe en famille,
Cette percale y suffira
Et plus que tout vous parera.

Dans le moment où cette scène
Se passait, vers le beau comptoir
S'avançant, une jeune femme
Demanda quelque objet à voir.
Tout; ces grands yeux remplis de flamme,
Cet air si doux, si peu commun,
Ce front et rêveur et pudique
Dont sa main aristocratique
Écartait un voile importun,
Et cette taille de princesse,
Et cette allure de déesse,
Tout, dis-je, montrait au regard
Que c'était là quelque être à part.

Prompt à lui dérouler cent pièces
D'étoffes de toutes espèces:
»Madame, lui dit le marchand.
Avec vos traits, votre tournure,
Tout doit aller, c'est chose sûre;
Pour vous, rien n'est assurément,
Ni trop beau ni trop éclatant.
— Monsieur, cela vous plaît à dire,
Répondit-elle, accompagnant
Ces deux mots, d'un triste sourire;
Mais fût-il vrai, que cependant,
D'aimer mieux des robes moins belles
J'aurais encor quelques raisons.
Qui sait si d'en porter de telles
J'aurai jamais d'occasions?
Il en faut de si solennelles!...«

*

      Ainsi que de pompeux tissus,
      Que des étoffes fastueuses,
      Il est des qualités pompeuses,
      Et de fastueuses vertus.
Le Public Dévoûment, la Valeur éclatante,
La Magnanimité que justement on vante,
Voilà ce beau Satin dont les yeux sont ravis,
      Ce Damas d'un effet magique;
      Voilà ce Velours magnifique,
      Ce Brocart qui n'a point de prix.
Mais comme il est aussi des étoffes charmantes,
Accessibles à tous, à tous les teints seyantes.
      D'humbles et modestes tissus;
De même il est aussi de modestes vertus,
      Et des qualités moins brillantes
L'attrayante Bonté, l'angélique Douceur,
L'utile Bonne Foi, l'aimable Complaisance,
La simple Vérité, la céleste Candeur,
      Et la charitable Indulgence;
      Voilà ce Taffetas si frais,
      Cette charmante Mousseline,
      Cette moelleuse Marceline,
      Qu'on se procure à peu de frais,
      Que l'on met dès la matinée,
Qui ne demandent point d'autres pompeux atours,
Qui ne fatiguent pas, dont on n'est point gênée,
Et qui commodément se portent tous les jours.
      Et quant à la blanche Percale,
      C'est l'Innocence virginale,
      Ce tissu plus pur que les lis,
      Fait de la filasse argentine,
      Que sur sa quenouille divine,
      File Marie au paradis.

Ou des flots, ou d'un incendie,
S'il s'agissait de me tirer,
Tu saurais, dis-tu, pénétrer
Dans la flamme ou l'onde en furie:
Mon ami, je t'en remercie.
Mais pourtant tu me vois souvent.
Et jamais tes yeux ni ta bouche.
Du mot ni du regard qui touche,
Ne consolent mon coeur souffrant.
Dans une étreinte fraternelle,
Jamais ta main cherchant ma main,
A ce triste coeur ne révèle
Ta sympathie à son chagrin.
Cela serait bien moins pénible;
Et doux tu me ferais trouver
Ces jours qu'il serait fort possible
Qu'on n'eût jamais à me sauver.

XIV.
La Violette demandée en mariage par le Laurier

»Où Zéphire va-t-il, que si tôt il nous quitte?
      Demandait la Pensée un jour.
— Peut-être bien porter un message d'amour.«
      Lui répondit la Marguerite.
C'était bien deviner: il paraît sur ce point,
              Que fleurettes,
            Comme fillettes.
      De lumières ne manquent point.
Zéphire donc vola vers la coudrette,
      Et s'arrêtant sur un bosquet
      Habité par la Violette,
De la part du Laurier lui remit un billet.
      Sa tante, dame Paquerette,
Sans doute avait permis qu'elle lût le poulet.
(Honni soit qui croirait que ce fut en cachette!)
De la fille des bois en cette occasion,
Le cœur pur se gonfla d'une innocente joie.
A Zéphire elle dit: »Cette inclination,
Quand l'a prise pour moi celui qui vous envoie?
D'où lui vient le désir de se voir mon époux?
Comment me connaît-il, moi, qui de ce bois sombre
Ne suis jamais sortie et ne me plais qu'à l'ombre?«
Zéphire répondit: »Votre parfum si doux,
De son penchant pour vous est la cause en partie.«
      »Mais, reprit avec modestie
      La Violette; d'autres fleurs
      Ont de plus suaves odeurs:
      Une senteur délicieuse,
      C'est celle de la Tubéreuse.
      — Son parfum est trop enivrant.
— Et la Rose? — Le sien est sans doute agréable;
Mais, aussi délicat, le vôtre est plus piquant,
    Et le Laurier le trouve préférable.
Puis de ce sentiment si profond et si vif
Qui vous l'attache, il est un plus puissant motif:
L'autre jour, sous un toit qu'habite l'indigence,
Et que souvent, hélas! visite la souffrance,
Dans une potion qui calme la douleur,
Sa feuille s'est trouvée auprès de votre fleur.
Ce moment dans son cœur a gravé votre image.
»Cher Zéphire, partez, m'a-t-il dit ce matin;
Allez mettre à ses pieds mes voeux et mon hommage.
Que puisse Pan consacrer notre hymen!
Unis, nos sucs seront un plus exquis breuvage,
Confondus, nos parfums un encens plus divin.«

Aux hommes ce Laurier peut servir de modèle.
      Ce n'est point la fleur la plus belle,
      Celle placée au plus haut rang,
Qu'il veut pour son amie; un motif différent
      Détermine sa préférence.
      La compagne qu'il se choisit,
      Il l'aima pour sa bienfaisance;
      Elle lui plut pour son esprit,
      Et dans son cœur d'arbre il sentit
Que, dans une union qui doit durer la vie,
      Le solide, le vrai bonheur,
      Se fonde sur la sympathie
      De l'esprit et surtout du cœur.

XV.
Le Ciron

Trois insectes divers ensemble voyageaient:
Une Mouche, un Ciron, un Cloporte c'étaient.
Le soleil était vif, le chemin sans ombrage,
Et les trois pèlerins fort las et tout en nage.
Nul abri ne s'offrait: quand un arbre parut,
Je vous laisse à penser si chacun y courut.
    C'était un houx. La Mouche à l'étourdie
S'enfile dans ses dards; elle y laisse la vie.
Le Cloporte la suit, il grimpe prestement,
      Entre les feuilles il se glisse;
      Mais sur leur surface trop lisse
      Il coule dans le même instant:
Tombe au pied, de très-haut, sur une pierre aiguè,
      Et se blesse ou plutôt se tue.

      Le Ciron arrive après eux.
De ses amis le sort un moment l'intimide;
      Mais Phébus lançait de tels feux
Qu'à monter, à son tour pourtant il se décide.
Je ne vous dirai point comment et par quel art
      Il sut éviter chaque dard;
Toujours est-il qu'il n'eut pas une égratignure,
      Et sur la luisante verdure,
      Que dès le lendemain matin.
      Il avait le pied marin.
En peu de temps ce houx lui fut une cocagne:
      Tout insecte de la campagne,
      Qui dans ses piquants se prenait,
      Notre Ciron s'en nourrissait.
Nul ennemi n'osait lui déclarer la guerre,
      Tant chaque pointe meurtrière
      De son étrange pourvoyeur
      A tous inspirait de frayeur!
Bref, le houx lui rendit plus d'un utile office,
      Et ce porc-épic végétal,
      Autant qu'aux deux autres fatal
      A notre acarus fut propice.
Riche, heureux et eontent y vécut mon héros.

Ce Ciron avait plus d'esprit qu'il n'était gros!

Puisons dans ce récit deux vérités utiles:
      Vivre avec les gens épineux
      Est un point des plus difficiles;
      Mais il n'appartient qu'aux habiles
      De savoir tirer parti d'eux.
Or, pour y parvenir, quoi de plus nécessaire
      Que l'étude du caractère?

XVI.
L'Aiglon et les Dindons

      Un Aiglon aimait une Aiglonne.
      En honnête et sage personne
      Il va trouver, certain matin,
Le père de la belle et demande sa main.

»Je voudrais à vos voeux l'accorder, dit le père;
Votre mérite est grand; je n'y contredis point;
Mais vous n'avez rien... c'est un point
      Qui rend impossible l'affaire.

L'Aiglon se retira fort triste et fort confus.

      Le lendemain de ce refus,
Aux serres d'un Vautour tombe, par aventure,
      Un intéressant Dindonneau.
      Aux yeux de la Dinde sa mère,
      Comme à ceux du Dindon son père,
    Il n'était pas un plus aimable oiseau.
      Rien de si joli, de si beau,
Ne s'était vu jamais sur la machine ronde.
      Jugez de leur douleur profonde!

Pauvre Coq-d'Inde! hélas! lui si gros, lui si gras!...
Qui tous les jours faisait une si belle roue!...
A qui jamais le sort n'avait fait une moue!...
De si bon appétit qui prenait ses repas!...

      Que résoudre en cette disgrâce?
Pour la première fois l'air humble, l'aile basse,
Il va trouver l'Aiglon, implore sa pitié,
De son malheur lui fait la tragique peinture,
Et termine en disant: »Sauvez ma géniture!
Sauvez-la!... de mes biens vous aurez la moitié.«

Après lui, négligeant ce jour-là tous ses charmes,
La Dinde ébouriffée arrive tout en larmes;
Exprimant, exhalant bruyamment sa douleur,
                Elle gouglote,
                Elle sanglote,
C'est à déchirer l'âme,à pourfendre le cœur.
»Rendez-moi mon Dindon, hélas! de la patrie
      C'est tout l'espoir, monsieur l'Aiglon!
      Rendez-le-moi, je vous en prie!
J'embrasse vos ergots, je tombe à vos genoux!
Sauvez-le!... la moitié de mes biens est à vous.«

A peine elle est dehors, qu'une Cannepetière,
      Propre tante du Dindonneau,
De sa douleur aussi vient faire le tableau,
      Et même offre et même prière.

Ensuite c'est le tour de messieurs les cousins:
      Il en vint une compagnie,
Car la riche maison de la Dindonnerie.
      De rejetons a des essaims.

Puis après les parents, les amis arrivèrent;
Promirent à leur tour, à leur tour prièrent.

      Bref, récapitulation:
      D'amis ou parents du Dindon.
      Huit à l'Aiglon firent promesses,
                Expresses,
      Que s'il tirait, lui, dit Aiglon.
      Dudit danger ledit Dindon,
Il aurait la moitié de toutes leurs richesses.

    A tous nos gens sitôt qu'il eut rendu
    De bien manger le pouvoir suspendu:
Dès qu'il eut vu parti le dernier de la bande,
      Le jeune Aigle, le cœur joyeux
      Vite retourne chez le vieux,
      Et renouvelle sa demande.

»Quoi! dit le père à ce pauvre amoureux.
Qui dans l'instant ne pesait pas une once:
Avez-vous donc oublié ma réponse?
Je me suis expliqué nettement ce matin:
      Vous n'avez aucune fortune...
      — Ce soir, que je n'en ai pas une;
      Mais j'en aurai quatre demain!!!!
                — Quatre!!!!
      — Oui, sans en rien rabattre.
J'ai leur parole à tous: Dindes, buses, hérons!

      — Eh bien! dit l'Aigle, nous verrons... »

Le lendemain, au sein de sa famille,
      De nouveau le Dindonneau brille.

      Comment l'Aiglon avait-il fait?
      Je n'en ai point de connaissance:
      Celui qui m'a conté le fait,
      Là-dessus garde le silence.
Des griffes d'un Vautour arracher un Dindon
Me paraît, comme à toi, fort incompréhensible,
Cher lecteur... le génie, aidé de Cupidon,
      Peut apparemment... l'impossible!
                Mais revenons
                A nos Dindons.
Voyons pour son sauveur ce que fit cette race
De fortunes, néant... ni moitiés ni quartiers...
      Mon pauvre Aiglon, on t'en fricasse...
Tiens-toi fort honoré de recevoir, en place,
      Huit beaux grands mercis tout entiers.

Malades et plaideurs comprendront-ils ma fable?
      Le fait n'est pas des plus certains;
      Mais, avocats et médecins,
      Je le tiens pour indubitable.

»Concluez clairement, dites-vous. — Je le veux:
      Promettre et tenir sont deux.«

XVII.
L'Album d'un Prince

      Un jeune Prince voyageait,
      Et des endroits qu'il parcourait
Comparant les climats, les mœurs, les habitudes,
      Achevait ainsi ses études.
Ce n'était point de ces princes bornés
Qui, par l'orgueil les regards fascinés,
      Pensent que ce n'est qu'en leurs villes
      Qu'il se rencontre des habiles.

»J'observe, disait-il, le mal pour l'éviter,
      Comme le bien pour l'imiter,
Et veux que mon pays puisse de mes voyages
      Retirer quelques avantages.«

Ce que le jour il apprenait de mieux
Était le soir, avec un soin extrême,
Sur son Album inscrit de sa main même.
      C'était un écrin précieux,
      Un petit livre curieux,
      Plein de vérités, de maximes
Excellentes toujours, et quelquefois sublimes.
Notre Prince voulait qu'à son prochain retour,
Il ne s'y trouvât pas la moindre place vide.
Or, du monde il avait presque fini le tour:
Une ligne de blanc restait. — Il se décide
A poursuivre sa route, et voilà qu'en un lieu
      Fertile et florissant naguère,
Il arrive un matin. — Quel spectacle, grand Dieu!
      De tous côtés jonchent la terre
Des cadavres nombreux l'un sur l'autre entassés;
    Des monuments les débris dispersés
      Gisent épars dans la poussière.
      Les arbres sont déracinés.
      Tout en ces lieux infortunés,
      Dans l'âme portant l'épouvante,
      Dit bien qu'une horrible tourmente,
      Qu'un ouragan est là passé.
Mais quel?... Pour raconter ce désastre effroyable,
Pas un n'est demeuré... la mort impitoyable
      A tout détruit, tout renversé.
      Non, je me trompe: à la tempête
Une hutte échappa: c'est l'obscure retraite
      D'un humble ermite en cheveux blancs.
Il en sort, s'agenouille, et ses voeux suppliants,
      De ces lieux dont il fut l'exemple,
      S'élèvent au ciel qu'il contemple.
Dès qu'il s'est relevé, le Prince à lui courant:
»Ah! mon père, dit-il, quel si terrible vent
      A bouleverser cette plage
      De la sorte a pu parvenir?

      — Mon fils, lui répondit le sage:
      D'un opprimé c'est un soupir.«