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Livre Cinquième
 
Le Jardinier et la Plante
La Queue du Renard
Le Zéphyr et la Rose
Les Vitres gelées
Le Lion esclave
Le Loup et les Moutons
La Conteuse
Le Pommier du Cimetière
L'Aune et le Drap
Le Père, l'Enfant et le petit Chat
Les Feuilles
L'Innocence virginale
Les Fiancés et le Ver
Le Barbeau et les Épis
Le Lilas et le Poète
La Conversion forcée
Les Nids

 
Le Dindon, les Oisillons et le Levraut
La Valise
Le Chien pendu
Les Baisers et le Soufflet
L'Ivrogne et l'Ane
Le Perroquet indépendant
Le Vieillard et le Jouvenceau
Suzon et la Poule

 

Fable I.
Le Jardinier et la Plante

— Vous qui me souriiez, qui me soigniez naguère,
C'est vous qui m'arrachez, me jetez en un coin!
Disait en gémissant une plante à Gros-Pierre.
Celui-ci ne s'en émeut point,
Et va, sans lui répondre, expédier plus loin
Quelqu'autre fille du parterre.
La réponse qu'il eût pu faire,
Je la trouve à la fin d'un couplet peu connu,
Mais que goûtait fort ma grand'mère,
Qu'elle chantait souvent et que j'ai retenu:

— Quand la femme qui n'est que belle,
Au cerveau vide, à l'esprit faux,
Touche à l'âge fatal pour elle,
Où l'on ne vôit que ses défauts;
D'elle le monde se détache
Et la rejette avec humeur,
Comme ces plantes qu'on arrache,
Lorsqu'elles ont donné leur fleur.

ENVOI
A Madame la Comtesse LE CHARRON, née de THURY.

Toi chez qui le savoir s'allie avec les grâces,
Qui, dans l'âge des fleurs, te pares de ses fruits,
Quand le temps sur ton front imprimera ses traces,
Tu perdras ta beauté, sans perdre de ton prix.

Fable II.
La Queue du Renard

On sait quelle triste figure
Fit un certain renard que le piège écourta:*
On sait aussi qu'il se hâta
De fuir les lieux témoins de sa mésaventure.
Mais, ce que jusqu'ici le lecteur ignore,
C'est qu'à deux ou trois jours de là,
Dans une touffe d'herbe, au pied d'une masure,
Un geai trouva sa queue et la lui rapporta;
Ou plutôt (car ceci demande un mot de glose)
Du haut des airs au nez la lui jeta,
Se gardant bien d'en descendre, pour cause.
Le changement de ciel avait de l'amputé
Fortifié le coeur et calmé la blessure,
Lorsque, par cette brusque injure,
A sa philosophie un défi fut porté.
Tel soutient un revels avec fermeté d'ame,
Que bouleverse et tue une lâche épigramme.
De ce calibre, hélas! était notre écourté.
Et le constant guignon de sa défunte queue,
Qui tantôt à la guerre attrape un large accroc,
Tantôt reste en un piège où gisait un vieux coq.
Tantôt, au bec d'un geai, fait en l'air une lieue;
Et le rire impuni de l'oiseau goguenard
Qui, planant à vingt pieds au-dessus de sa tête,
Se délectait, maligne bête,
A lui remémorer le fatal traquenard,
En un tel accès de furie
Jetèrent le pauvre renard,
Qu'il creva sur la place, atteint d'apoplexie.

*
Voyez la Fable de La Fontaine intitulée: Le Renard ayant la
queue coupée, livre V, fable V
.

Fable III.
Le Zéphyr et la Rose

Dès qu'un bouton de rose, en un riant bocage,
Fixe les regards du Zéphir,
Il accourt, et le dieu volage,
Bientôt, d'un amoureux soupir,
Le fait épanouir.
Zéphir est tendre, hélas! tant que la fleur est belle;
Mais voit-il pâlir ses couleurs,
L'ingrat l'effeuille d'un coup d'aile
Et cherche le plaisir ailleurs.

D'une jeune beauté ce bouton est l'emblème;
L'Amour lui ravit sa fraîcheur,
Et les mépris du dieu lui-même
Aggravent bientôt son malheur.

Fable IV.
Les Vitres gelées

— Vois, disait à son fils le pieux Philémon,
Vois ces légers filets de glace,
Ces délicates fleurs que trace
Sur le frêle vitrage un nocturne aquilon:
Le soleil les efface en moins d'une seconde.....
Ainsi, dans les biens de ce monde,
Ce qui séduit le plus nos yeux,
N'est, mon fils, qu'une image vaine
Que fait évanouir sans peine
De la religion le flambeau lumineux.

Fable V.
Le Lion esclave

On raconte que, l'an dernier,
Dans un piège, à dessein tendu sur son passage,
Un lion fut fait prisonnier,
Et conduit à Tunis, terme de son voyage.
On musela si bien Sa Majesté sauvage,
On sut si bien la façonner
Au joug du plus humble esclavage,
Qu’au bout d'un mois d'apprentissage,
Avec un simple geste, on lui faisait donner,
Comme au moindre roquet, la patte.
Du monarque des bois ce trait peut étonner;
Mais jetez les yeux sur la date:
Les rois sont, depuis quelque temps,
Devenus si soumis, si doux, si bonnes gens!
Pour achever du personnage
La fâcheuse histoire en deux mots,
Ce sultan des forêts, ce roi des animaux,
A tel point oublia l'usage
De ses ongles de fer, l'effroi de ses vassaux,
Qu'en dépit de sa noble face,
Où scintillait encor l'œil ardent d'un héros,
On en fit un niais, qui va, de place en place,
Portant sur son robuste dos
Un singe, à l'ignoble grimace.
Notez que ce dernier, le plus vil des magots,
Sûr d'égayer la populace,
Gens sans égard et sans pitié
Pour toute majesté qu'un grand revers terrasse,
Notez, dis-je, que ce plat pié,
Pour plastron quotidien prend le royal esclave.
Bertrand gravit sa queue, ou bondit sur ses flancs,
Bertrand lui fait la moue ou lui montre les dents...
Que ne montre-t-il pas au roi déchu qu'il brave!

Fable VI.
Le Loup et les Moutons

Qu'un loup, chassé du bois par la faim qui le presse
A des moutons apparaisse,
Les voyez-vous d'ici courir et se ranger
Sous la protection du chien et du berger,
Bien que l'un trop souvent les harasse, les morde,
Bien que l'autre les tonde, et, sans miséricorde,
Finisse par les manger?
Mais quoi! c'est le danger qui paraît le plus proche
Qu'il faut conjurer avant tout:
Dans le lointain encor le troupeau voit la broche,
A deux pas la gueule du loup.

Fable VII.
La Conteuse

Dans ma jeunesse, à Montargis,
Il était une femme à conter toujours prête.
Qu'elle fût en voyage ou gardât le logis,
Qu'on la vît dans le monde ou bien en tête-à-tête,
Elle contait toujours, toujours elle narrait.
Encor, si de bien dire elle eût eu le secret!
Mais point, elle était bègue et bête.
Aussi, dans certains jours de frairie et de fête.
Comme il souffrait, grands dieux, comme il faisait pitié,
Alors qu'elle entamait une insipide histoire,
Le mortel qu'à son char l'hymen avait lié!
Hélas! du pauvre époux l'air triste, humilié,
Les supplians regards, compris de l'auditoire,
Rien ne déconcertait, ne touchait sa moitié,
Qui, par un lourd récit longuement bégayé,
Croyait toujours avoir su plaire
Au cercle qu'à l'excès elle avait ennuyé.

Que de gens, au palais, à la tribune, en chaire,
De pareille croyance auraient à se défaire!

Fable VIII.
Le Pommier du Cimetière

Dans ce triste et lugubre enclos
Où chacun tour-à-tour vient déposer ses os,
Si de ce vieux pommier les branches refleuries
Exhalent de jeunes parfums;

S'il a par sa vigueur, sa grosseur inouïes,
A la célébrité des titres peu communs:
Vivans, vous le savez, c'est que, grâce aux défunts,
Ses racines sont bien nourries.

La gloire qui rayonne au front d'un conquérant,
A-t-elle, que je sache, un autre fondement?

Fable IX.
L'Aune et le Drap

Observez l'aune du marchand:
Ne va-t-elle pas mesurant,
Avec la même exactitude,
Et la soie et le bouracan,
Et le riche et moëlleux sédan,
Et la bure indigente et rude?
Voilà votre régulateur!
Crié-je aux magistrats qu'à leur tour j'apostrophe:
Rendre justice à tous est pour vous de rigueur;
Or, voulez-vous remplir ce poste avec honneur?
Ne regardez point à l'étoffe
Qui couvre le solliciteur.

Fable X.
Le Père, l'Enfant et le petit Chat

— Par son air de candeur, ce minet au nez rose,
Ce chat au coeur de tigre, ô mon fils, t'en impose.
Il joue avec toi tous les jours,
Fort bien; mais joûra-t-il toujours?
Sans te mordre les doigts si sa gueule s'y pose,
Si sa patte qu'il tend te paraît tout velours,
C'est qu'à sa jeune armure il manque quelque chose,
Que sa griffe est à peine éclose,
Que ses crocs sont encor bien courts.
Des armes qu'il attend n'attends pas qu'il jouisse:
Romps avec lui, mon fils, romps avant qu'il grandisse.

Aux avis paternels le fils eut-il égard?
Hélas! selon l'usage, il n'y crut que bien tard.....
Après mainte écorchure et mainte cicatrice.

Fable XI.
Les Feuilles

Quand fuyait l'hirondelle aux premiers froids en butte,
La feuille de l'ormeau dit à celle du houx:
— Voyez! de pourpre et d'or, comme moi, brillez-vous?
— Fi d'un éclat, ma sœur, qui présage une chute!

Fable XII.
L'Innocence virginale

Quand, loin des prés de la Sicile,
Le char du noir Pluton emportait pour jamais
La chaste fille de Cérès,
Sa couronne de fleurs et sa plainte inutile;
Enchaînée aux bras ravisseurs,
Comme au bec d'un oiseau l'est une jeune abeille,
Surprise sur le lis ou la rose vermeille,
La vierge, hélas! fondait en pleurs;
Non que, de l'attentat qui menaçait ses charmes,
L'affreux pressentiment eût provoqué ses larmes:
Qui ne sait qu'il est des horreurs
Que l'innocence ignore et jamais ne soupçonne?....
Mais elle pleurait pour les fleurs
Qui s'échappaient de sa couronne.

Fable XIII.
Les Fiancés et le Ver

— Elle est à moi! disait, au sortir des fiançailles,
L'homme heureux à qui Laure avait donné sa foi.
Hélas! le jour d'après on vit des funérailles,
Et le ver des tombeaux disait: — Elle est à moi!

Fable XIV.
Le Barbeau et les Épis

Parmi de blonds épis se carrait un barbeau,
Tout fier d'avoir accès dans leur noble famille.
Hélas! il ne vit pas long-temps son poste en beau,
Étant bientôt, comme eux, tombé sous la faucille.

Fable XV.
Le Lilas et le Poète

Un lilas, long-temps cher à Flore,
Depuis quatre printemps, sur ses rameaux flétris.
Voyait mourir ses fleurs, même avant que d'éclore.
Un poète, aux cheveux blanchis,
Pour ne la plus reprendre, y suspendit sa lyre,
Et sur l'écorce on pouvait lire
Ce prudent avis aux rimeurs:
Point d'auteur, s'il n'est fou, qui vieillisse et produise;
Point de lilas qui ne s'épuise
lit ne le prouve par ses fleurs.

Fable XVI.
La Conversion forcée

Par sa laideur et par son âge,
Voyant qu'elle fait fuir l'Amour.
Céphise a, dit-on, l'autre jour,
Juré d'être dévote et sage.
Hélas! cela me surprend peu;
Car, dans ce siècle trop coupable,
C'est quand elle fait peur au diable
Qu'une femme veut plaire à Dieu.

Fable XVII.
Les Nids

Un écolier, à pas comptés,
Suivant, un jour d'hiver, le sentier d'un bocage,
S'écriait, dit-on: — Quel dommage!
Au printemps, quand les nids étaient tous habités,
Des feuilles les cachaient à mes regards avides;
Aujourd'hui je les vois, mais, hélas! ils sont vides.
Ah! si.... — L'enfant n'acheva pas:
La cloche qui s'ébranle aux heures de l'école,
En résonnant dans l'air, lui coupa la parole,
Et le fit partir à grands pas.
Mais quoi! vous devinez, je gage.
Ce qu'avec du loisir il aurait ajouté:
Eh! qui ne s'écrie à tout âge:
— Si j'avais pu prévoir! si je m'étais douté !

Fable XVIII.
Le Dindon, les Oisillons et le Levraut

Aux nombreux oisillons qui, d'une aile légère,
Fendaient un ciel d'azur et s'y donnaient carrière,
Voulant faire admirer les airs de son pays,
Ceux qu'on chante à Dindopolis,
Un des plus gros butors de la gent dindonnière,
Pour se rapprocher d'eux dans un orme grimpa.
Vu son lourd embonpoint, Dieu sait s'il haleta!
Sur la cime arrivé, bien, las de l'escalade,
De sa grotesque voix il s'escrimaitdéjà,
Lorsqu'au milieu d'une roulade,
Il perdit l'équilibre et de l'arbre tomba.
Rassurez-vous, lecteur, bénigne fut la chute;
Car pour le recevoir un bourbier était là.
Vous devinez sans peine à quels traits fut en butte
Un tel chant couronné d'une telle culbute:
Le peuple aérien en masse le siffla.
Toutautre qu'un dindon de honte eût pris la fuite
Et couru dans un coin se blottir au plus vite.
Une fois dépêtré, l'oiseau noir secoua
Son plumage couvert de boue,
Puis fièrement se redressa,
Puis se mit à faire la roue.
De son gîte, en riant, observait un levraut,
Qui ne put s'abstenir de dire aussi son mot:
— Triomphe, ami dindon, sois content de toi-même;
Mais apprends, en dépit de ton orgueil extrême,
Que tu ne contentes qu'un sot.

Fable XIX.
La Valise

Un homme prévoyant, c'est le seigneur Rifflard.
De Vervins, son endroit, doit-il se rendre à Guise?*
Il fait, un mois d'avance, et ferme sa valise,
Pour n'être pas surpris par l'heure du départ.

Vous riez, cher lecteur; mais, dans ce trait bizarre,
N'est-il pas un côté sérieux et moral?
Heureux qui se réglant sur cet original,
Prévoit le grand voyage et de loin s'y prépare!

*
Petite ville à cinq lieues de Vervins.

Fable XX.
Le Chien pendu

Un chien, pour vol d'un aloyau,
Pour moins peut-être encor, fut pendu bien et beau.
Et, dans cette étrange posture,
Par un loup qui passait aperçu d'aventure.
Le loup de ses deux yeux se défia d'abord;
Mais, ayant de plus près observé l'encolure,
Les traits, la peau, les dents du mort:
— C'est bien lui, dit-il, c'est Médor!
Et c'est ainsi qu'on expédie
Celui qui vingt fois dans sa vie
Osa se mesurer et lutter avec nous,
Qui passait en valeur tous les chiens qu'on renomme!...
Si pour ami nous avions l'homme,
Travaillerait-il mieux dans l'intérêt des loups?

Fable XXI.
Les Baisers et le Soufflet

Au gros baiser que Mathurin,
L'autre jour à la danse, appliqua sur sa joue,
Lise avait répondu soudain
Par une belle et bonne moue.
— Elle n'est pas fâchée, elle en fait seulement
Le semblant,
Se dit-il; et voilà mon lourdaud qui dépose
Encore un gros baiser sur deux lèvres de rose.
Cette fois, sur sa face un soufflet résonnant
L'avertit très distinctement
Qu'un pareil badinage est pour Lise une offense.

Dans le monde, il est des plaisans
Qu'en s'armant d'une grave et froide contenance,
On essaîrait en vain d'obliger au silence,
Rieurs mal avisés, railleurs impertinents,
De qui la dure intelligence
Ne cède, en plus d'une occurrence,
Qu'à des avis équivalents
A celui dont mon rustre a fait l'expérience.

Fable XXII.
L'Ivrogne et l'Ane

Hier, sur son âne monté,
Qu'il était ivre, Alain, mon voisin et le vôtre!
Le relevait-on d'un côté,
Soudain il retombait de l'autre.
De s'occuper de lui quand les gens furent las,
A faire la culbute Alain ne tarda pas.
Libre alors du fardeau, l'âne, en dressant l'oreille.
Courut incontinent vers un champ de chardon,
Où, ce matin, à l'heure où tout s'éveille,
Il s'éveilla frais et luron.
— Eh bien! s'écria-t-il, que devient le patron!
Sans doute, peu contrit des excès de la veille,
En des flots de liqueur vermeille.
Il va noyer encore aujourd'hui sa raison,
Tandis que moi, morbleu, qu'il appelle une bête,
Qui n'ai qu'un faible instinct, dit-il, pour gouvernail,
Je règle ma mâchoire et borne son travail,
En animal sensé, qui ne perd point la tête.
Si le ciel était juste, Alain serait moins fat;
Je tiendrais le bâton, il porterait le bât.

Fable XXIII.
Le Perroquet indépendant

Dévoré du désir de sortir d'esclavage,
De parcourir les bois, les monts, les prés fleuris,
Jacquot, jeune perroquet gris,
Par un jour de printemps, par un jour sans nuage,
Sur l'aile des zéphirs s'enfuit loin de Paris,
Et de son maître et de sa cage.
Certain singe, son compagnon,
Vieux routier, passé maître en fait d'escamotage,
Avait, en dérobant la clef de sa prison,
Su de celle des champs lui procurer l'usage.
Voilà donc Jacquot en voyage,
Heureux, gai comme pinson,
Imprévoyant surtout comme on l'est au bel âge.
Dans une immense plaine il s'abattit enfin,
A l'heure où le soleil s'allait coucher dans l'onde.
L'occident était pur, et, pour le lendemain,
Donnait à l'heureux pèlerin
L'espoir du plus beau temps du monde.
La nuit, hélas! l'eut bientôt détrompé;
A peine de son ombre eut-elle enveloppé
De ces agrestes lieux la vaste solitude,
Une bise souflla, siffla,
De moment en moment plus piquante et plus rude,
Et nul abri ne s'offrait là.
Sur l'unique rameau d'un chêne séculaire,
Arbre mourant, le seul que portât cette terre,
L'oiseau frileux perché, n'eut que le ciel pour toit.
Que n'était-il alors sous celui de son maître!
Jacquot l'indépendant eut peu de temps à l'être:
Dès la naissante aurore, il tomba mort de froid.
De mon oiseau le peuple est l'image fidèle:
La liberté le charme, il l'aime avec transport;
Liberté! c'est son cri, son vœu, son droit.... D'accord:
Mais son tempérament est-il bien fait pour elle?

Fable XXIV.
Le Vieillard et le Jouvenceau

— Ve pourrais-je, à mon tour, devenir un grand homme,
Disait à son aïeul certain jeune garçon,
Un de ces grands auteurs que partout on renomme,
Un Corneille, un Cervante, un Tasse, un Fénélon?
— Pourquoi pas? lui réplique à l'instant le barbon:
Ces hommes, mon cher fils, comme toi débutèrent;
Ils promettaient beaucoup: des maîtres les guidèrent,
Semèrent à l'envi l'exemple et la leçon,
Et dans un champ docile ainsi développèrent
Les germes précurseurs d'une riche moisson.
Vois-tu ce chêne altier dont le front fend la nue,
Qui couvre un quart d'arpent de son ombre touffue?
Je le tins dans ma main lorsque j'étais enfant;
Il n'était rien alors, il n'était rien qu'un gland.
Bientôt, fils adoptif d'une féconde terre,
De ses vigoureux jets il étonna sa mère,
Les soumit à l'acier d'un émondeur prudent,
Et même d'un tuteur subit le joug sévère;
Aujourd'hui de nos bois ce chêne est le géant.

Fable XXV.
Suzon et la Poule

— Souvenez-vous, Suzon, de ma poule huppée,
Dont l'aigretta au plus tôt devrait être coupée.
Lui jetez-vous du grain, elle ne le voit pas,
Elle ne voit point à deux pas.
De votre négligence elle sera la dupe.
Le renard, ce voisin de si grand appétit,
Qui de mon poulailler si fréquemment s'occupe,
Quelque jour à son croc la portera sans bruit.
Pour qu'elle se garât de ce rusé bandit,
Il faudrait que sa belle huppé
D'un bon pouce sur l'oeil moins bas lui descendit.
La paire de ciseaux qui pend à votre jupe
De ce voile pompeux bientôt l'afiranchira
Ou, bientôt, sous la dent de la bête affamée
La pauvre aveugle périra.—
Et Suzon s'est émue, et Suzon s'est armée.

Couronne de saphirs et de rubis semée,
Au prince qui la ceint laisse-t-elle voir mieux?
Hélas! bandeau royal elle fut bien nommée:
Souvent ce bandeau glisse et tombe sur les yeux.