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Livre VIII.
Livre Huitième

 
Le Chardonneret et le Cyprès
Le Perroquet de retour au Brésil
L'amitié de l'Ours et du Loup
La Grenouille et les Oiseaux
Le Corbeau sur l'aire ou dans la grange
Les Fourmis et l'Alouette
Le Papillon et les deux Scorpions
Le Chardon
L'Homme et le Renard
L'Éléphant et les autres Animaux
La Fortune et le Mendiant
Le Chêne et les Animaux des bois
La Sensitive et la Violette
La Vérité
Le Rossignol et les Oiseaux de nuit
Le Renard et le Lion
Le Philosophe et le Prince

 

I.
Le Chardonneret et le Cyprès

Un chardonneret né dans la belle saison,
Vit arriver le froid, les frimats, la gelée
              Et les tourmens de l'aquilon;
              Plus d'asyle sous la feuillée;
              Les rameaux nuds étaient glacés;
       Les arbrisseaux n'étaient plus décorés
              Ni des fleurs ni de la verdure,
Qui pendant les beaux jours font leur riche parure.
              Cet oiseau, transi, chancellant,
Voit un cyprès qui seul conservait l'avantage
              D'être paré d'un verd feuillage,
Au milieu des glaçons d'être à l'abri du vent.
Il vole avec langueur et joint cet arbre antique,
Lui demande un asyle et l'hospitalité.
Le cyprès, complaisant autant que magnifique,
Répond avec douceur qu'il peut en liberté
       Sur ses rameaux prendre son domicile.
Notre chardonneret y goûte un sort tranquille;
        Contre l'orage il est en sûreté:
        Sans crainte il voit se former la tempête;
Il l'entend, sans frémir, qui gronde sur sa tête.
              Dans son transport reconnaissant,
Il s'exprimait ainsi, par le plus doux accent:
              O mon bienfaiteur! ô mon père!
              Jouissez d'un bonheur prospère.
Le sort ne m'a donné que le brûlant desir
D'offrir pour vous mes voeux jusqu'au dernier soupir.
Recevez le serment de l'amour bien sincère
              Qu'un tendre fils doit à son père.
              Tout passe: l'hiver rigoureux
              Fit place à des jours plus heureux.
Le printems ramena les fleurs et la verdure;
La campagne reprit sa riante figure.
              Notre aimable chardonneret
              Entendit bientôt le ramage
              Du joli gosier clair et net
       De ses amis, dans le prochain bocage.
Faisant au bon cyprès de très-faibles adieux,
       D'un vol léger il joint la troupe ailée,
Près d'elle s'établit sous la verte feuillée.
       Tous ces oiseaux, par leur chant gracieux,
Célébraient le retour de la saison nouvelle.
              Tandis qu'il goûtait le bonheur,
              Il oubliait son bienfaiteur
       Et le secours qu'il devait à son zèle,
              Et sa promesse et le serment
              De lui rester toujours fidèle.
Que les jours fortunés passent rapidement!
                Le printems, l'été, l'automne,
           Tout disparaît; l'hiver affreux
      Suivit de près les faveurs de Pomone:
Borée et l'Aquilon, d'un souffle impétueux,
Ramènent les frimats, le froid et la gelée:
        Une poussière humide et condensée
Couvre tous les guérets de sa fade blancheur,
Et le chardonneret vit la fin du bonheur.
              Dans son chagrin, dans sa misère,
       Il eut recours à son ancien ami,
              Le cyprès, son hôte chéri;
              Mais celui-ci, plein de colère,
              Lui répondit avec fierté:
              Ingrat! as-tu bien mérité
Une seconde fois mes bontés, mon asyle?
Tu m'oubliais dans la saison tranquille;
Le malheur te rappelle, aujourd'hui j'ai mon tour:
       Eloigne-toi, fuis loin de mon séjour.
Combien de cet oiseau blâment l'ingratitude,
Qui de ce vice affreux conservent l'habitude!

II.
Le Perroquet de retour au Brésil

L'Europe est le pays des arts et des talens:
              De tous les climats différens,
              On y vient puiser la science;
Même les animaux en font l'expérience;
              Témoin un certain perroquet,
Apporté du Brésil pour former son caquet.
Il parlait, il chantait, il sifflait à merveille.
L'amour de la patrie en son cœur se réveille;
Il obtint de son maître, homme fort complaisant,
Le retour au pays, son vœu le plus constant.
Il se flattait beaucoup dans ce nouvel asyle
De charmer ses pareils, par son chant et son style.
Il arrive au Brésil; ses chants sont méprisés,
              Tous ses beaux discours sont  hués;
Ses talens, supérieurs sont traités de folie.
Mécontent, il renonce à l'ingrate patrie,
Et retourne bien vite au pays des Français,
Où les arts, les talens, trouvent un doux accès.
              Une funeste expérience,
              Dans tous les lieux, dans tous les tems,
              Nous apprit bien que l'ignorance
              Hait et méprise la science,
              L'esprit, les arts et les talens.

III.
L'amitié de l'Ours et du Loup

Des bergers confiaient un bercail, un troupeau,
      A deux mâtins courageux et fidèles:
Ils comptaient sur leur force autant que sur leur zèle.
Un gros loup se flattait, par quelque tour nouveau,
De prendre une brebis, tout au moins un agneau:
Mais voyant les deux chiens, il jugea la partie
Trop forte de moitié; que ce serait folie
       De livrer seul un combat inégal
       Qui sûrement lui deviendrait fatal.
Il court dans la forêt chercber une autre bête,
Qui pût s'unir à lui pour tenter la conquête.
Des complices du crime on en trouve aisément;
                 Aussi, dans un seul moment,
              D'un ours le loup fit la rencontre,
              En peu de mots il lui démontre
              La facilité du projet
              Que le corsaire méditait.
              L'ours très-charmé de l'entreprise,
              Se joint au loup, fait le serment
              Du plus fidèle attachement.
Les autres animaux voyaient avec surprise
Une amitié si tendre, un sentiment si beau,
Entre ces deux brigands un accord si nouveau.
Cependant ils attendent avec impatience,
       Que la nuit sombre étendit son manteau
Sur l'astre qui souvent lui prête son flambeau.
       L'obscurité remplit leur espérance:
Cette douce clarté qui surprend les forfaits,
S'enfuit: Peurs et le loup sortent de leur repaire,
       Avec courage ils vont livrer la guerre,
Se flattent que la nuit comblera leurs souhaits.
       Tout doucement au bercail ils se rendent;
              Mais les gardes, l'oreille au guet,
        Des ennemis éventent le projet:
            Fièrement contr'eux ils s'élancent.
              Un combat cruel s'engagea:
La victoire incertaine un moment balança,
Alors que par leurs cris les bergers s'éveillèrent.
A ce danger pressant, ils s'arment, se hâtèrent
De venir au secours des braves défenseurs.
Des féroces brigands arrêtant les fureurs,
L'un et l'autre s'enfuit, et trèsevîte détale,
Voyant que la partie était trop inégale.
              Cependant le loup plus adroit,
       Tout en fuyant, d'un bel agneau s'empare.
Le malheureuxpleurait, et priait, et bêlait:
On ne peut émouvoir la pitié d'un barbare:
              Dès qu'il se vit en sûreté,
              Il l'étrangle, et soudain s'apprête
              D'assouvir sa voracité.
L'ours arrive, et voulant prendre part à la fête,
Reclame tous ses droits, le serment, le traité.
Un brigand affamé n'a point d'yeux ni d'oreille;
              Ce loup le prouvait à merveille;
              Enfin il voulait tout garder:
       Mais son rival n'entend point raillerie.
Voyant que c'est en vain qu'il menace et qu'il prie,
Et que l'injuste loup ne veut rien accorder,
              Il prétend user de la force.
Un agneau pour un ours, quelle puissante amorce!
      Alors se livre un combat furieux:
      Ils se déchirent, et d'horribles morsures
Font ruisseler le sang, par de larges blessures;
       Ils sont bientôt dans un état affreux.
Les animaux témoins de ce combat terrible,
Et frappés de l'excès où mène la fureur,
Demeurent confondus, sont saisis de frayeur.
              Ils disaient: serait-il possible
Que ces deux bons amis aient pû dans un moment
Se livrer avec rage à ce combat sanglant?
       Toute amitié dont la base est le crime,
Doit finir par la haine, en est bientôt victime.

IV.
La Grenouille et les Oiseaux

        Une grenouille était fort ennuyée
D'habiter un étang triste et marécageux.
              Se flattant d'un sort plus heureux,
              Ou peut-être sa destinée
       La fit sortir de ce marais fangeux,
              Pour s'emparer d'une fontaine,
              Dans un séjour très-gracieux.
Un limpide ruisseau serpentait dans la plaine;
              Sur ses bords, de petits oiseaux
              Se perchaient sur des arbrisseaux,
              Faisaient entendre leur ramage.
Notre grenouille aussi voulut avoir son tour:
Dans le tems qu'elle était dans son premier séjour,
      Elle croyait que son triste langage
              Amusait beaucoup les troupeaux
              Qui paissaient dans le voisinage.
Le silence constant de tous ces animaux,
Lui prouvait le plaisir qu'ils prenaient à l'entendre;
       Dans cette idée, elle veut entreprendre
De charmer ses voisins, les aimables oiseaux,
              Par des croassemens nouveaux;
              Mais sitôt que cette insolente
Eut fait retentir l'air de sa voix discordante,
Tous saisis de frayeur s'enfuirent promptement.
              Un rossignol, cependant,
           Outré de rage et de colère,
              Lui dit: méchante sorcière,
Quel démon t'inspira de quitter ton désert,
Pour venir en ce lieu troubler notre concert?
              Apprends, indigne cantatrice,
Que ton chant pour l'oreille est le plus grand supplice:
              Jamais nous ne verrons ces lieux
Tant qu'ils seront frappés de tes sons ennuyeux.
L'aquatique se cache: elle n'osait répondre;
Un si dur traitement venait de la confondre.
      Celui qui croit qu'un silence trompeur
Lui prouve le plaisir que l'on prend à l'entendre,
Ressemble à la grenouille; il ne saurait comprendre
Que l'amour-propre, hélas, séduit souvent l'auteur.

V.
Le Corbeau sur l'aire ou dans la grange

              Certain corbeau, sans doute issu
De ce présomptueux, jadis si bien connu
              Dans la charmante fable
              A amais mémorable,
              Auquel le fin renard,
              Qui passait par hasard,
           Sut dérober un fromage.
Ce corbeau, dis-je, un jour, voyant un laboureur
           De son bled faire le partage,
Puis en gerbes lier le fruit de son labeur,
           Pensait qu'avec un peu d'adresse
Il pourrait attraper sa part de ce butin,
En faire un magasin pour les temps de détresse.
           Tandis qu'il formait ce dessein,
           Le paysan battait son grain.
Le corbeau le remarque et disait en lui-même:
       Je suis content de cet homme, je l'aime;
              Il fait très-bien de séparer
              Le bled d'une paille inutile;
              Il me sera bien plus facile
              Après cela de l'enlever.
              Attendons avec patience
              La fin de l'opération;
              La plus ample provision
                 Remplira mon espérance.
En raisonnant ainsi, l'imbécille corbeau
              Attendit plus d'une journée;
Pendant ce temps, le fruit de l'abondante année
              Fut réduit en un seul monceau,
Et puis dans le grenier la récolte fut mise.
Au retour de l'oiseau, quelle fut sa surprise!
              Il ne restait pas un seul grain
              Dont il pût faire son larcin.
              Il s'en alla plein de tristesse
              D'avoir manqué tant de richesse.
              Le sage doit sans balancer
Accepter les faveurs que donne la fortune.
              Sa visite n'est pas commune;
Et qui veut trop avoir, laisse tout échapper.

VI.
Les Fourmis et l'Alouette

              Sur la fin d'un été fertile,
Des fourmis avaient fait ample provision
De bled pour se nourrir dans la morte saison:
      La prévoyance est vertu fort utile.
On divisa le tout en deux beaux magasins;
      L'un fut laissé près d'une aire voisine;
L'autre, d'un mur rompu l'on remplit les recoins.
La retraite d'hiver recelait la rapine.
              Le mois de novembre arriva:
Son aspect menaçant leur annonçait déja
D'être suivi de près de neige, de gelée,
De frimats, de glaçons, des rigueurs de Borée.
              Un beau matin, à leur réveil,
              Les fourmis tinrent un conseil
       Très-nécessaire en cette conjoncture,
              Dans lequel il fut résolu
       De transporter dans la retraite obscure,
              Et joindre au bled deja rendu,
La portion de l'aire exposée à l'injure,

Avant que le chemin pût être intercepté.
              On se prépare avec courage
              A ce projet bien médité.
Avant de s'occuper de ce pénible ouvrage,
              Elles pensaient, avec raison,
              Que l'ancienne provision
              Qui resterait dans leur asyle,
Serait pour les voleurs un butin très facile,
Pendant tout le travail de ce transport nouveau,
       Si le manoir s'abandonnait sans garde.
Tandis qu'on raisonnait sur un dessein si beau,
Une alouette part, s'élève, on la regarde:
On écoutait ses chants qui paraissaient joyeux;
              Cependant elle était plongée
Dans le chagrin, craignant d'un hiver rigoureux
La misère et la faim, la suite infortunée.
       Qui le croirait? mesdames les fourmis
Choisirent cet oiseau pour garder le logis.
       Dès qu'on le vit descendre sur l'herbette,
On députe vers lui: l'ambassade interprète
              Le vœu de la société,
              Qui, comptant sur sa probité,
              Le prie avec beaucoup d'instance
De garder un trésor d'une grande importance.
Lalouette rusée entendait son profit:
      Modestement d'abord elle feignit
              De montrer quelque répugnance;
Mais bientôt se rendit, le tout par complaisance.
       Alors, la troupe indiscrète entreprend
Le voyage fameux dont le salut dépend.
Après tout ce trajet et ce travail rustique,
En voiturant le grain à la retraite antique,
Quelle douleur amère attendait au retour!
On atteignit le gîte avant la fin du jour;
Mais tout a disparu à la perfide alouette,
       Que l'on croyait une garde parfaite,
              Partageait avec ses amis
              Le trésor des pauvres fourmis.
Des fripons la rencontre, hélas! est si commune,
              Que pour peu que l'on soit prudent,
              On ne doit pas légèrement
A quelqu'un d'inconnu confier sa fortune.

VII.
Le Papillon et les deux Scorpions

       Un papillon, errant à l'aventure
              Autour d'un jardin, entendit
La conversation, qui d'abord le surprit,
Entre deux animaux cachés sous la verdure.
Au pied d'un basilic, d'un ton très-arrogant,
Ils accusaient les dieux, ils blâmaient la nature
              De prodiguer la nourriture
A l'insecte inutile, à l'être malfaisant,
      Comme le ver, méprisable et rampant,
La fourmi, la chenille, et puis la sauterelle,
Voraces destructeurs des fruits délicieux,
              Et les moucherons ennuyeux,
Le papillon volage et toujours infidèle:
              Tant d'autres classes d'animaux
Qui surchargent la terre et qui sont ses fléaux.
Comment donc Jupiter, qui dirige la foudre,
Ne les a-t-il d'un mot écrasés, mis en poudre?
              Le papillon, très-étonné,
Ne pouvait concevoir quelle espèccinsolente
              Tenait ce propos erroné:
              Dans son ardeur impatiente,
Il cherche à découvrir quel est l'individu
Qui se croit supérieur en mérite, en vertu,
Pour faire effrontément des autres la satyre:
       Le voltigeur pensa crêver de rire
Sitôt qu'il apperçut que les deux champions
              N'étaient que de vils scorpions.
Le plus hardi frondeur que tant de fiel anime,
Est celui qui souvent est plongé dans le crime.

VIII.
Le Chardon

              Jadis l'épine de la rose
              Blessa la mère de l'Amour.
              Vénus fit alors sans retour
              La charmante métamorphose;
              De blanche qu’était cette fleur,
De son sang répandu lui donna la couleur.
              Chaque fleur des prés d’Amathonte
Sentit la jalousie, le dépit et la honte;
Disait: pourquoi le ciel, avare de ses dons,
Ne m'a-t-il pas donné cette armure piquante?
Vénus m'eût fait présent de sa couleur brillante.
Dans ces prés on trouvait aussi quelques chardons:
              L'un d'eux entendit cette plainte.
              Fier de sa tête à mille pointe,
Il croyait que sa fleur, le mépris du canton,
              Allait bientôt être parée
                 D'un très-joli vermillon.
Comme il se délectait dans sa folle pensée,
Un jeune amour arrive et cueillit un jasmin,
Près du chardon brutal, qui lui perça la main.
       Il pleure, il court, va demander vengeance;
Et Vénus, de son isle, aussitôt exila
              L'auteur d'une telle insolence.
              Les autres fleurs voyant cela,
              Craignant, de Vénus en colère,
       Le châtiment du chardon téméraire,
              Se repentent de tous leurs vœux,
Et ne demandent plus ces piquans dangereux.
La fortune est aveugle, et souvent récompense
              Une méchante action.
          Heureux celui qui se dispense
De suivre dans le mal toute contagion,
S'il ne veut éprouver le sort de ce chardon!

IX.
L'Homme et le Renard

Un renard se croyait d'une grande importance;
L'amour-propre exaltait ses talens, sa science.
Les autres animaux en faisaient peu de cas.
Le renard les traitait d'ignorans et d'ingrats.
       Pour les punir de leur indifférence,
Il quitta la forêt, s'en alla promptement
              Aux hommes offrir son talent.
Il choisit un seigneur connu par l'opulence,
              Qui fut aussi l'admirateur
              De son esprit, de son génie.
Ce seigneur, du renard connaissait l'industrie;
Cette raison lui fit accepter le voleur.
Je te promets, dit-il, récompense assurée;
       La nourriture abondante et réglée:
              Tu peux compter sur mes bienfaits,
              Si tu veux remplir mes souhaits.
Je connais tes talens, ta ruse et ton audace;
Il faut que chaque jour, revenant de la chasse,
Tu fournisse ma table en gibiers délicats.
Le renard promit tout. Il disait en lui-même:
Tous ces hommes souvent ne sont que des ingrats;
Mais la nécessité devient ma loi suprême.
       Il s'en alla, d'un air indifférent,
              Parcourir chaque appartement;
              Examinant avec finesse
Quelles étaient les mœurs de son patron.
Sitôt qu'il fut dans la plus riche pièce,
Il y remarque avec attention,
              Dans une cage bien dorée,
              Un très-joli petit oiseau,
              Auquel un garçon jeune et beau
Préparait le grain, l'eau, l'herbe pour la journée.
Descendu dans les cours, dans un endroit obscur,
       Il apperçut gissante près d'un mur,
                 Une chouette enchaînée:
              Puisqu'elle est ainsi garrotée,
       Son crime est grand, se disait le renard.
L'animal se plaignait d'une voix lamentable.
Entendrons-nous toujours ton accent détestable?
Lui dit son pourvoyeur, qui passait par hasard;
              Cesse tes cris, ou je t'assomme.
              La pauvre bête se taisait,
              Craignant la fureur de cet homme,
                  Qui très-mal la nourrissait.
Tandis que le renard pensait à ce contraste,
La misère pour l'un, et pour l'autre le faste,
Il apperçut son maître, et lui dit humblement:
Peut-on vous demander, sans blesser la décence,
                  D'où provient la différence
                  Des soins et du traitement
              Du petit oiseau frétillant
              Dans une cage bien dorée,
        La nourriture abondante et sucrée,
       Tandis que l'autre est traité durement,
Enchaîné, mal nourri, logé mal-proprement?
--- Parce que le premier me ravit et m'enchante
              Par son ramage gracieux;
L'autre ne m'est qu'utile, et remplit mon attente;
A la chasse, ses cris plaintifs et ténébreux,
Attirent en mes filets gibier en abondance:
Ma table est bien servie, après je fais bombance.
Le renard entendant de semblables propos,
       Frémit: je vois, disait-il, la justice
       De ces humains; ils accablent de maux,
              L'animal qui leur rend service,
              Et sont prodigues de leurs dons
              A celui dont tout le mérite
Est de les divertir par de fades chansons;
Et c'est pour ces ingrats que j'ai quitté mon gite?
Adieu, méchans, adieu, j'y retourne bien vite.

X.
L'Éléphant et les autres Animaux

Des animaux divers, une troupe nombreuses
    Abandohnait ses déserts, ses forêts,
Pour aller chercher loin un pâturage frais
              Qui la rendit plus heureuse.
Avec eux se trouvait un superbe éléphant,
              Dont la taille colossale
              Surpassait comme un géant
              Toute l'espèce animale.
      De sa grandeur connaissant tout le prix,
      Cet être fier parlait avec mépris
De tous ses compagnons et de leur petitesse:
      Tâchait pourtant de voiler son orgueil
Par la feinte pitié, par un affable accueil.
Lorsqu'il appercevait lassitude ou faiblesse,
D'un air compâtissant il tenait ce propos:
      Oh! mes amis, la fâcheuse aventure!
      Je sais pourquoi vous souffrez tant de maux;
      C'est qu'envers vous cette ingrate nature
              Fut trop avare de ses dons,
      Ne vous donna qu'une faible existence.
              La troupe perdait patience,
N'osait dire tout haut ses imprécations
      Contre l'auteur d'une telle arrogance,
      Que sa grandeur rendait impertinent.
              Un vent orageux cependant
S’yélève; la nuée obscurcit la lumière;
Le tonnerre imposant retentit dans les airs;
Tout le ciel est en feu par d'horribles éclairs;
Chaque animal croit être à son heure dernière.
              On court, on cherche à se cacher;
Chacun fuit le danger qui menace sa tête,
              Dans cette affreuse tempête.
Les uns vont se tapir sous le creux d'un rocher;
            Les autres dans celui d'un chêne:
      Pour se sauver, on se met à la gêne.
La grêle avec éclat frappait très-rudement,
Et la pluie à son tour se changeait en torrent.
Le malheur n'a qu'un tems, et la tempête cesse;
              Aussitôt la troupe s'empresse
                De sortir de son réduit,
      Appercevant le bel astre qui luit;
              Mais quel objet frappe sa vue!
              C'était de l'énorme éléphant
                La triste déconvenue.
      Transi de froid, pénétré, tout tremblant,
              L'extrême grandeur de sa taille,
              Dont se targuaît sa vanité,
Ne lui permettait pas de trouver sûreté
Parmi ses compagnons, cette vile canaille.
La pauvreté sans cesse est l'objet du mépris.
La richesse n'est pas l'ambition du sage;
Dans son obscurité, sans crainte il voit l'orage;
La paix de l'ame en est l'inestimable prix.

XI.
La Fortune et le Mendiant

              La Fortune, un jour, entendit
              La plainte mère que lui fit
Un mendiant, d'une voix gémissante.
              La déesse, pour un moment,
              Arrête sa roue inconstante,
              Lui tend la main, et l'enlevant
                 Dans un nuage brillant,
Le mène sur le bord d'une caverne obscure,
              Ensuite elle tint ce discours:
Je t'apprends un secret qui fut caché toujours:
Au fond de cette grotte, à l'abri de l'injure,
              Existe un trésor précieux.
       Ayant pitié de ta douleur profonde,
              Je t'ai transporté dans ces lieux,
       Et tu seras le plus heureux du monde,
              Si les trésors font des heureux.
              Entre, choisis, je t'abandonne
              Ce que tu voudras emporter;
              Mais je t'apprends, sans hésiter,
               (Le destin ainsi te l'ordonne)
              Que chargé d'or et de bijoux,
D'un fardeau qui d'abord te semblera bien doux,
Et sorti du séjour où je tiens ma richesse,
              Il ne te sera plus permis
De soulager ton poids, quelque soit ta faiblesse,
Que lorsque tu seras au lieu où je t'ai pris.
              Retiens, mon ami, ces deux clauses:
              Un seul instant si tu reposes,
Ou réduis ce fardeau qui serait trop pèsant,
              Tout s'évanouit à l'instant.
Le chemin que tu vois est très-long et pénible
              Pour arriver très-sûrement,
              Ne prends que ce qu'il est possible
              De transporter sans accident.
Aux yeux du mendiant disparut la déesse.
      Rempli d'ardeur, aussitôt il s'empresse

D'entrer dans la caverne où ses avides mains
Palpèrent ces trésors qui plaisent aux humains.
Il sortit emportant pour une somme immense
D'or et de diamans, de bijoux précieux.
Tout ce bien qu'il pensait devoir le rendre heureux,
Devenait trop pèsant, et bientôt il commence
              A sentir ses pas chancellans.
Il se repent trop tard d'un désir trop avide,
De s'être surchargé de ce métail perfide.
              Tous ses efforts sont impuissans;
              Il succombe, et couvre la terre
De ce riche trésor qu'il ne peut emporter.
Vainement de ses mains il voulut l'arrêter;
La cruelle fortune, inconstante et sévère,
        Voulut, hélas! ce qu'elle avait prédit,
              Tout à l'instant s'éanouit.
        Du mendiant la plainte plus amère
        S'exhale, et dans son injuste colère,
              Accuse la Fortune encor
              De lui ravir son cher trésor.
La déesse revient à ces clameurs nouvelles,
Elle dit: malheureux! en vain tu me rappelles:
        Ce n'est pas moi, trop coupables mortels,
              Qui fais naître vos maux cruels;
Si vous mettiez un frein à votre soif ardente,
              Quand je vous offre mes faveurs,
              Loin de gémir de mes rigueurs,
              Vous me verriez toujours constante.

XII.
Le Chêne et les Animaux des bois

Un chêne sentant bien que le froid rigoureux
Allait faire tomber son fruit en abondance,
Appelle autour de lui, par des sons vigoureux,
       Les animaux d'une forêt immense;
              Ensuite il leur dit: mes enfans,
       Sans balancer, recevez les présens
       Que je vous fais du meilleur de mon ame.
              Le plaisir de donner m'enflame,
              Rassasiez-vous de mon fruit.
              --- Nous vous entendons, il suffit.
On ne peut qu'admirer ce trait de bienfaisance,
              Répondant tous les animaux:
              Nous voyons que votre excellence
              Voudrait par ses flatteurs propos,
              Nous persuader qu'elle donne
Ce que bientôt il faut qu'elle nous abandonne.
              Ce n'est point un don que d'offrir
              Ce que l'on ne peut retenir.

XIII.
La Sensitive et la Violette

La sensitive était dans un jardin
     Entre la rose et le jasmin.
      Elle n'a point l'éclat de la première,
      Ni le parfum d'une fleur printanière.
              Cette plante qu'un seul toucher
              Fait replier sur elle-même,
              Et parait ainsi s'abaisser,
      Etait pourtant d'une arrogance extrême;
     Et son excès de sensibilité,
              La rendant orgueilleuse et fière,
              Elle était toujours la première
A faire son éloge, au passant excité
                Par la curiosité.
Elle apperçut un jour un berger téméraire,
              Rallentir sa course légère,
                 Et tout près d'elle cueillir
              Des fleurs qui fixaient son desir.
Elle dit à l'instant aux plantes ses voisines:
              Réprimez vos humeurs badines,
              Et voyez l'exemple discret,
              Modeste et fier que je vous donne.
              Quand un profane s'abandonne
Au desir du toucher, voici tout mon secret:
              Je me retire avec vitesse,
                  Et méprisant la carresse,
                  Je laisse mon insolent
                  Tout confus d'étonnement.
     Les autres fleurs écoutaient avec peine
              Ce langage précieux.
La violette alors, d'un ton très-gracieux,
              Répondit: la nature enchaîne
                 Et soumet tout à ses lois.
              En vous donnant tout-à-la-fois
       La modestie, et cetattrait sensible,
             Qui flattentjvotre vanité;
       Ces vertus-là, dites la vérité,
             Ne sont pas vôtres: il est visible
       Que tout cela vient des attouchemens
             Que vous recevez des passans.
       Apprenez donc, ma chère sensitive,
        Qui ne sauriez prouver la négative,
             Cette éternelle vérité:
Il n'est point de vertu sans libre volonté.

XIV.
La Vérité

Lorsqu'astrée eut quitté le séjour de la terre,
Pour reprendre son rang auprès des immortels,
La Vérité s'enfuit: ellé était étrangère
Sur ce globe où le crime eut bientôt des autels;
Mais les maux qu'il causa furent si déplorables,
       Que les humains adressèrent leurs vœux
             Au souverain maître des dieux,
Afin qu'il répandit ses bienfaits secourables.
Jupiter écoutant leurs vœux avec bonté,
             Leur envoya la Vérité,
             D'un dieu, présent le plus sublime.
Tout le peuple enchanté de ce trait magnanime,
             Par des transports reconnaissans,
       Sur son autel répandit ses encens.
L'austère Vérité cependant voulut prendre
             Son ascendant sur l'univers;
Mais tout était changé chez des hommes pervers;
             Ils ne voulurent point l'entendre;
L'âge d'or n'était plus. Dans sa perversité,
Chacun disait pourtant: que la déesse est belle
             Mais toujours il parait en elle
             Certain air de sévérité
Qui déplaît au plaisir, et l'éloigne sans cesse:
Nul ne voulut chez soi recevoir la déesse.
Tous les vices chéris s'accueillent avec soin;
Hélas! la vérité ne plaît que de fort loin.

XV.
Le Rossignol et les Oiseaux de nuit

             Un rossignol tendre et fidèle,
             De la constance le modèle,
             Exprimait sur un arbrisseau,
             Pendant une nuit très-obscure,
Ses amours par son chant, son ramage si beau:
             Tout reposait dans la nature,
Ses amours par son chant, son ramage si beau:
             Tout reposait dans la nature,
Hormis quelques hibous et des chauves-souris,
             Qui gissaient dans le voisinage;
Et sortant tout-à-coup de leur antre sauvage,
Font entendre leurs voix et leurs lugubres cris.
      Avec colère ils se disaient encore:
      Souffrirons-nous que bien avant l'aurore,
      Cet insolent usurpe tous nos droits,
             Vienne troubler la nuit tranquille,
      Par ses accens, jusques dans notre asyle?
Que cet audacieux chante ailleurs ses exploits.
             Ainsi redoublant de rage,
             Tous ces oiseaux furieux,
Par des sifflemens rauques, un barbare langage,
Couvrent du rossignol les chants harmonieux.
      Alors, cédant à la force cruelle,
     L'infortuné s'enfuit à tire-d'aile.
             Sitôt qu'ils le virent partir,
             Ces malheureux, ivres de gloire,
             Chantent leur funeste victoire,
             Et répétaient avec plaisir:
             Dès que le présomptueux chantre
             A pu nous voir et nous entendre,
             Il s'est enfui honteusement,
             Ne pouvant très-certainement
             Mettre sa voix, qu'il croit si belle,
             Avec la nôtre en parallèle.
Ainsi, l'orgueilleux ignorant
Interprète à son avantage
             Le mépris du savant,
             Le silence du sage.

XVI.
Le Renard et le Lion

L'empire d'un lion se trouvait menacé
             D'un revers épouvantable.
Parmi les favoris, un renard empressé,
Connu par sa sagesse, et d'un zèle estimable,
       Sut prévenir le malheur très-certaîn,
              Par un conseil prudent et sage.
       Le fier lion parut reconnaissant;
      Tint au renard à-peu-près ce langage:
             Je te jure; au premier instant,
               De récompenser ton zèle;
             Un serviteur aussi fidèle
Mérite mes bienfaits et mon attachement.
             Tous mes vassaux dans ce moment
       Vont m'apporter le tribut de leur chasse;
Sur ces dons, à ton choix, je peux remplir tes vœux:
             Un roi doit être généreux.
             Je veux que ma bonté surpasse
             Tes souhaits, pour te rendre heureux.
Vers le soir, au palais, tous les chasseurs se rendent;
       D'un tôn soumis, respectueux, présentent
             A sa majesté le lion,
             Le plus beau gibier du canton.
       Sur ce tribut, riche et considérable,
A peine le grand roi daigne jetter les yeux.
Il s'adresse au renard, qui trouvait admirable
       Tant de trésors, de présens merreillenx,
             Lui dit: voilà ce qu'on m'apporte;
       Par l'amitié qui pour toi me transporte,
Tu vois que c'est trop peu pour te récompenser.
J'attends de nouveaux dons; alors ma bienfaisance
             Saura pour le moins égaler
                Ma juste reconnaissance.
      Reviens me voir, je çomblerai tes vœux.
Au renard, ce délai parut un peu fâcheux;
             Il se retire en silence.
     Le lendemain, sans perdre l'espérance,
             Il se rendit à la cour.
             Je suis charmé de ton retour,
      Lui dit le roi; mais rien n'est encor digne,
             Malgré tous mes ardens souhaits,
             De reconnaître tes bienfaits.
Demain, sans plus tarder, moucher, je me résigne
             A t'offrir de riches présens.
Le renard, tout confus, disait entre ses dents:
Je ne sais si je dois compter sur sa promesse;
             Déja deux fois son altesse
           M'a renvoyé très-mécontent.
              Le lendemain, cependant,
Il retourne à la cour et s'arme de constance,
       Ce fut en vain, le perfide lion
       Le fit chasser du palais, sans façon.
Chez les grands, comptez peu sur la reconnaissance.

XVII.
Le Philosophe et le Prince

        Un philosophe était peu fortuné:
              Souvent les talens, la science,
              Font divorce avec l'opulence.
Ce philosophe étant du sort abandonné
              Fut contraint d’offrir sa misère
              A la cour, aux yeux d'un grand roi.
Un philosophe en cour est d'un très-mince aloi.
              Cependant, contre l'ordinaire,
              On le choisit pour gouverneur
        Du fils du roi, sujet très-volontaire.
              Le sage, avec beaucoup d'ardeur,
              Voulut employer tout son zèle
A former son élève à l'amour des vertus,
A l'étude  au travail: hélas! soins superflus!
              Le jeune prince était rébèle
Au précepte, à l'exemple, à l'application;
N'aimait que le plaisir, la dissipation.
Voulait-on le contraindre? il courait à son père,
Ou bien s'allait jetter dans les bras de sa mère;
              Accusant de sévérité
       Son gouverneur. Le roi très en colère,
       Et par la faiblesse emporté,
Disait: ne vois-tu pas que ta folle science,
Tes pénibles travaux, peuvent mettre en danger
Les jours d'un fils, à peine à son adolescence?
Le maître se taisait et n'osait s'engager
A prouver la raison à qui ne veut l'entendre;
       Et par respect, il feignait de se rendre.
Un jour que le monarque, avec attention
              Voyait qu'un artisan habile
Entourait d'une épine, avec précaution,
Un jeune arbre: tu prends une peine inutile,
Dit notre philosophe à ce bon jardinier,
              Et tu connais mal ton métier:
        Ne vois-tu pas que cet arbre si tendre,
                 Par tes épines pressé,
        Sera bientôt mortellement blessé?
              Cesse donc, crois-moi, d'entreprendre
De garrotter ce plant, et le laisse en repos.
Le prince interrompit, entendant ce propos:
Ah! docteur, ta raison me semble pitoyable!
Ces épines ne peuvent l'offenser;
Elles sont sa défense et le font respecter.
Si je suis dans l'erreur, sire, elle est excusable,
Dit le sage; autrefois je pensais comme vous;
      Mais j'ai changé depuis que votre altesse
              Faisait éclater son courroux,
Quand je voulais former votre fils à l'étude,
       Et du travail lui donner l'habitudé.