Fable I.
Le Berger et le Rossignol
A.M. l'Abbé Delille
O Toi dont la tôucliante et sublime harmonie
Charme toujours l'oreille en attachant le cœur,
Digne rival, souvent vainqueuir,
Du chantre fameux d'Ausonie,
Delille, ne crains rien; sur mes légers pipeaux
Je ne viens point ici célébrer tes travaux,
Ni dans de faibles vers parler de poésie.
Je sais que l'immortalité,
Qui t'est déjà promise au temple de Mémoire,
T'est moins chère que ta gaîté;
Je sais que, méritant tes succès sans y croire,
Content par caractère et non par vanité,
Tu te fais pardonner ta gloire
À force d'amabilité:
C'est ton secret, aussi je finis ce prologue.
Mais du moins lis mon apologue;
Et si quelque envieux, quelque esprit de travers,
Outrageant un jour tes beaux vers,
Te donne assez d'humeur pour t'empècher d'écrire,
Je te demande alors de vouloir le relire.
Dans une belle nuit du charmant mois de maî
Un berger contemplait, du haut d'une colline,
La lune promenant sa lumière argentine
Au milieu d'un ciel pur d'étoiles parsemé,
Le tilleul odorant, le lilas, l'aubépine,
Au gré du doux zéphyr balançant leurs rameaux,
Et les ruisseaux dans les prairies
Brisant sur des rives fleuries
Le cristal de leurs claires eaux.
Un rossignol, dans le bocage,
Mêlait ses doux accens à ce calme enchanteur:
L'écho les répétait, et notre heureux pasteur,
Transporté de plaisir, écoutait son ramage.
Mais tout à coup l'oiseau finit ses tendres sons.
En vain le berger le supplie
De continuer ses chansons;
Non, dit le rossignol, c'en est fait pour la vie;
Je ne troublerai plus ces paisibles forêts.
N'entends-tu pas dans ce marais
Mille grenouilles coassantes
Qui, par des cris affreux, insultent à mes chants?
Je cède, et reconnais que mes faibles accens
Ne peuvent l'emporter sur leurs voix glapissantes.
Ami, dit le berger, tu vas combler leurs voeux;
Te taire est le moyen qu'on les écoute mieux:
Je ne les entends plus aussitôt que tu chantes.
Fable II.
Les deux Lions
Oun les bords africains, aux lieux inhabités
Où le char du soleil roule en brûlant la terre,
Deux énormes lions, de la soif tourmentés,
Arrivèrent au pied d'un désert solitaire.
Un filet d'eau coulait, faible et dernier effort
De quelque naïade expirante.
Les deux lions courent d'abord
Au bruit de cette eau murmurante.
Ils pouvaient boire ensemble; et la fraternité,
Le besoin, leur donnaient ce conseil salutaire,
Mais l'orgueil disait le contraire,
Et l'orgueil fut seul écouté.
Chacun veut boire seul: d'un oeil plein de colère
L'un l'autre ils vont se mesurans,
Hérissent de leur cou l'ondoyante crinière;
De leur terrible queue ils se frappent les flancs,
Et s'attaquent avec de tels rugissemens,
Qu'à ce bruit, dans le fond de leur sombre tanière,
Les tigres d'alentour vont se cacher tremblans.
Égaux en vigueur, en courage,
Ce combat fut plus long qu'aucun de ces combats
Qui d'Achille ou d'Hector signalèrent la rage,
Car les dieux ne s'en mêlaient pas.
Après une heure ou deux d'efforts et de morsures,
Nos héros fatigués, déchirés, haletans,
S'arrêtèrent en même temps.
Couverts de sang et de blessures,
N'en pouvant plus, morts à demi,
Se traînant sur le sable, à la source ils vont boire;
Mais, pendant le combat, la source avait tari.
Ils expirent auprès.
Vous lisez votre histoire,
Malheureux insensés, dont les divisions,
L'orgueil, les fureurs, la folie,
Consument en douleurs le moment de la vie:
Hommes, vous êtes ces lions;
Vos jours, c'est l'eau qui s'est tarie.
Fable III.
Le Procès des deux
Renards
Que je hais cet art de pédant,
Cette logique captieuse,
Qui d'une chose claire en fait une douteuse,
D'un principe erroné tire subtilement
Une conséquence trompeuse,
Et raisonne en déraisonnant!
Les Grecs ont inventé cette belle manière:
Ils ont fait plus de mal qu'ils ne croyaient en faire.
Que Dieu leur donne paix! Il s'agit d'un renard,
Grand argumentateur, célèbre babillard,
Et qui montrait la rhétorique.
Il tenait école publique,
Avait des écoliers qui payaient en poulets.
Un d'eux, qu'on destinait à plaider au palais,
Devait passer son maître à la première causa
Qu'il gagnerait; ainsi la chose
Avait été réglée et d'une et d'autre part.
Son cours étant fini, mon écolier renard
Intente un procès à son maître,
Disant qu'il ne doit rien. Devant le léopard
Tous les deux s'en vont comparaître.
Monseigneur, disait l'écolier,
Si je gagne, c'est clair, je ne dois rien payer;
Si je perds, nulle est sa créance;
Car il convient que l'échéance
N'en devait arriver qu'après
Le gain de mon premier procès:
Or, ce procès perdu, je suis quitte, je pense:
Mon dilemme est certain. Nenni,
Répondait aussitôt le maître,
Si vous perdez, payez; la loi l'ordonne ainsi.
Si vous gagnez, sans plus remettre,
Payez; car vous avez signé
Promesse de payer au premier plaid gagné:
Vous y voilà. Je crois l'argument sans réponse.
Chacun attend alors que le juge prononce,
Et l'auditoire s'étonnait
Qu'il n'y jetât pas son bonnet.
Le léopard rêveur prit enfin la parole:
Hors de cour, leur dit-il; défense à l'écolier
De continuer son métier,
Au maître de tenir école.
Fable IV.
La Colombe et son
Nourrisson
Une colombe gémissait
De ne pouvoir devenir mère:
Elle avait fait cent fois tout ce qu'il fallait faire
Pour en venir à bout, rien ne réussissait.
Un jour, se promenant dans un bois solitaire,
Elle rencontre en un vieux nid
Un œuf abandonné, point trop gros, point petit,
Semblable aux oeufs de tourterelle.
Ah! quel bonheur! s'écria-t-elle:
Je pourrai donc enfin couver,
Et puis nourrir, puis élever,
Un enfant qui fera le charme de ma vie!
Tous les soins qu'il me coûtera,
Les tourmens qu'il me causera,
Seront encor des biens pour mon amc ravie:
Quel plaisir vaut ces soucis-là?
Cela dit, dans le nid la colombe établie
Se met à couver l'œuf, et le couve si bien,
Qu'elle ne le quitte pour rien,
Pas même pour manger; l'amour nourrit les mères.
Après vingt et un jours elle voit naître enfin
Celui dont elle attend son bonheur, son destin,
Et ses délices les plus chères.
De joie elle est prête à mourir,
Auprès de son petit nuit et jour elle veille,
L'écoute respirer, le regarde dormir,
S'épuise pour le mieux nourrir.
L'enfant chéri vient à merveille,
Son corps grossit en peu de temps:
Mais son bec, ses jeux et ses ailes
Diffèrent fort des tourterelles;
La mère les voit ressemblans.
À bien élever sa jeunesse
Elle met tous ses soins, lui prêche la sagesse,
Et surtout l'amitié, lui dit à chaque instant:
Pour être heureux, mon cher enfant,
Il ne faut que deux points, la paix avec soi-même,
Puis quelques bons amis dignes de nous chérir.
La vertu de la paix nous fait seule jouir;
Et le secret pour qu'on nous aime,
C'est d'aimer les premiers, facile et doux plaisir.
Ainsi parlait la tourterelle,
Quand, au milieu de sa leçon,
Un malheureux petit pinson,
Échappé de son nid, vient s'abattre auprès d'elle.
Le jeune nourrisson à peine l'aperçoit,
Qu'il court à lui: sa mère croit
Que c'est pour le traiter comme ami, comme frère,
Et pour offrir au voyageur
Une retraite hospitalière.
Elle applaudit déjà: mais quelle est sa douleur,
Lorsqu'elle voit son fils, ce fils dont la jeunesse
N'entendit que leçons de vertu, de sagesse,
Saisir le faible oiseau, le plumer, le manger,
Et garder, au milieu de l'horrible carnage,
Ce tranquille sang-froid, assuré témoignage
Que le cœur désormais ne peut se corriger!
Elle en mourut, la pauvre mère.
Quel triste prix des soins donnés à cet enfant!
Mais c'était le fils d'un milan:
Rien ne change le caractère.
Fable V.
L'Ane et la Flûte
Les sots sont un peuple nombreux,
Trouvant toutes choses faciles:
Il faut le leur passer, souvent ils sont heureux;
Grand motif de se croire habiles.
Un âne, en broutant ses chardons,
Regardait un pasteur jouant, sous le feuillage,
D'une flûte dont les doux sons
Attiraient et charmaient les bergers du bocage.
Cet âne mécontent disait: Ce monde est fou!
Les voilà tous, bouche béante,
Admirant un grand sot qui sue et se tourmente
À souffler dans un petit trou.
C'est par de tels efforts qu'on parvient à leur plaire,
Tandis que moi... Suffit... Allons-nous-en d'ici,
Car je me sens trop en colère.
Notre âne, en raisonnant ainsi,
Avance quelques pas, lorsque, sur la fougère,
Une flûte, oubliée en ces champêtres lieux
Par quelque pasteur amoureux,
Se trouve sous ses pieds. Notre âne se redresse,
Sur elle de côté fixe ses deux gros yeux;
Une oreille en avant, lentement il se baisse,
Applique son naseau sur le pauvre instrument,
Et souffle tant qu'il peut. O hasard incroyable!
Il en sort un son agréable.
L'âne se croit un grand talent,
Et, tout joyeux, s'écrie, en faisant la culbute:
Eh! je joue aussi de la flûte.
Fable VI.
Le Paysan et la Rivière
Je veux me corriger, je veux changer de vie,
Me disait un ami: dans des liens honteux
Mon ame s'est trop avilie;
J'ai cherché le plaisir; guide par la folie,
Et mon coeur n'a trouvé que le remords affreux.
C'en est fait, je renonce à l'indigne maîtresse
Que j'adorai toujours sans jamais l'estimer;
Tu connais pour le jeu ma coupable faiblesse,
Eh bien! je vais la réprimer;
Je vais me retirer du monde;
Et, calme désormais, libre de tous soucis,
Dans une retraite profonde,
Vivre pour la sagesse et pour mes seuls amis.
Que de fois vous l'avez promis!
Toujours en vain, lui répondis-je.
Çà, quand commencez vous? — Dans huit jours, sûrement.
— Pourquoi pas aujourd'hui? Ce long retard m'afflige.
— Oh! je ne puis dans un moment
Briser une si forte chaîne:
Il me faut un prétexte; il viendra, j'en réponds.
Causant ainsi, nous arrivons
Jusque sur les bords de la Seine;
Et j'aperçois un paysan
Assis sur une large pierre;
Regardant l'eau couler d'un air impatient.
— L'ami, que fais-tu là? — Monsieur, pour une affaire
Au village prochain je suis contraint d'aller:
Je ne vois point de pont pour passer la rivière,
Et j'attends que cette eau cesse enfin de couler.
Mon ami, vous voilà, cet homme est votre image:
Vous perdez en projets les plus beaux de vos jours:
Si vous voulez passer, jetez-vous à la nage;
Car cette eau coulera toujours.
Fable VII.
Jupiter et Minos
Mon fils, disait un jour Jupiter à Minos,
Toi qui juges la race humaine,
Explique-moi pourquoi l'enfer suffit à peine
Aux nombreux criminels que t'envoie Atropos.
Quel est de la vertu le fatal adversaire
Qui corrompt à ce point la faible humanité?
C'est, je crois, l'intérêt. — L'intérêt? Non, mon père.
— Et qu'est-ce donc? — L'oisiveté.
Fable VIII.
Le petit Chien
La vanité nous rend aussi dupes que sots.
Je me souviens, à ce propos,
Qu'au temps jadis, après une sanglante guerre
Où, malgré les plus beaux exploits,
Maint lion fut couché par terre,
L'éléphant régna dans les bois.
Le vainqueur, politique habile,
Voulant prévenir désormais
Jusqu'au moindre sujet de discorde civile,
De ses vastes États exila pour jamais
La race des lions, son ancienne ennemie.
L'édit fut proclamé. Les lions affaiblis.
Se soumettant au sort qui les avait trahis,
Abandonnent tous leur patrie.
Ils ne se plaignent pas, ils gardent dans leur cœur
Et leur courage et leur douleur.
Un bon vieux petit chien, de la charmante espèce
De ceux qui vont portant, jusqu'au milieu du dos,
Une toison tombante à flots,
Exhalait ainsi sa tristesse:
Il faut donc vous quitter, ô pénates chéris!
Un barbare, à l'âge où je suis,
M'oblige à renoncer aux lieux qui m'ont vu naître.
Sans appui, sans secours, dans un pays nouveau,
Je vais, les yeux en pleurs, demander un tombeau
Qu'on me refusera peut-être.
O tyran, tu le veux! allons, il faut partir.
Un barbet l'entendit: touché de sa misère,
Quel motif, lui dit-il, peut t'obliger à fuir?
— Ce qui m'y force? ô ciel! Et cet édit sévère
Qui nous chasse à jamais de cet heureux canton?. .
- Nous? - Non pas vous, mais -moi. -Comment! toi, mon cher
frère?
Qu'as-tu donc de commun? ... Plaisante question!
Eh! ne suis-je pas un lion?
Fable IX.
Le Leopard et
l'Écureuil
Un écureuil sautant, gambadant sur un chêne,
Manqua sa branche, et vint, par un triste hasard,
Tomber sur un vieux léopard
Qui faisait sa méridienne.
Vous jugez s'il eut peur! En sursaut s'éveillant,
L'animal irrité se dresse;
Et l'écureuil, s'agenouillant.
Tremble et se fait petit aux pieds de son altesse.
Après l'avoir considéré,
Le léopard lui dit: Je te donne la vie,
Mais à condition que de toi je saurai
Pourquoi cette gaîté, ce bonheur que j'envie,
Embellissent tes jours, ne te quittent jamais,
Tandis que moi, roi des forêts,
Je suis si triste et je m'ennuie.
Sire, lui répond l'écureuil,
Je dois à votre bon accueil
La vérité: mais, pour la dire,
Sur cet arbre un peu haut je voudrais être assis.
— Soit, j'y consens: monte. — J'y suis.
À présent je peux vous instruire.
Mon grand secret pour être heureux
C'est de vivre dans l'innocence:
L'ignorance du mal fait toute ma science;
Mon cœur est toujours pur, cela rend bien joyeux.
Vous ne connaissez pas la volupté suprême
De dormir sans remords; vous mangez les chevreuils,
Tandis que je partage à tous les écureuils
Mes feuilles et mes fruits; vous haïssez, et j'aime:
Tout est dans ces deux mots. Soyez bien convaincu
De cette vérité que je tiens de mon père:
Lorsque notre bonheur nous vient de la vertu,
La gaîté vient bientôt de notre caractère.
Fable X.
Le Prêtre de Jupiter
Un prêtre de Jupiter,
Père de deux grandes filles,
Toutes deux assez gentilles,
De bien les marier fit son soin le plus cher.
Les prêtres de ce temps vivaient de sacrifices,
Et n'avaient point de bénéfices:
La dot était fort mince. Un jeune jardinier
Se présenta pour gendre; on lui donna l'aînée.
Bientôt après cet hyménée
La cadette devint la femme d'un potier.
A quelques jours de là, chaque épouse établie
Chez son époux, le père va les voir.
Bon jour, dit-il: je viens savoir
Si le choix que j'ai fait rend heureuse ta vie,
S'il ne te manque rien, si je peux y pourvoir.
Jamais, répond la jardinière,
Vous ne fîtes meilleure affaire:
La paix et le bonheur habitent ma maison;
Je tâche d'être bonne, et mon époux est bon;
Il sait m'aimer sans jalousie,
Je l'aime sans coquetterie:
Ainsi tout est plaisir, tout jusqu'à nos travaux;
Nous ne désirons rien, sinon qu'un peu de pluie
Fasse pousser nos artichauts.
— C'est-là tout? — Oui vraiment. — Tu seras satisfaite,
Dit le vieillard: demain je célèbre la fête
De Jupiter; je lui dirai deux mots.
Adieu, ma fille. — Adieu, mon père.
Le prêtre de ce pas s'en va chez la potière
L'interroger, comme sa sœur,
Sur son mari, sur son honheur.
Oh! répond celle-ci, dans mon petit ménage,
Le travail, l'amour, la santé,
Tout va fort bien, en vérité;
Nous ne pouvons suaire à la vente, à l'ouvrage:
Notre unique désir serait que le soleil
Nous montrât plus souvent son visage vermeil
Pour sécher notre poterie.
Vous, pontife du dieu de l'air,
Obtenez-nous cela, mon père, je vous prie;
Parlez pour nous à Jupiter.
— Très-volontiers, ma chère amie:
Mais je ne sais comment accorder mes enfans:
Tu me demandes du beau temps,
Et ta sœur a besoin de pluie.
Ma foi, je me tairai de peur d'être en défaut.
Jupiter, mieux que nous, sait bien ce qu'il nous faut!
Prétendre le guider serait folie extrême.
Sachons prendre le temps comme il veut l'envoyer.
L'homme est plus cher aux dieux qu'il ne l'est à lui-même;
Se soumettre, c'est les prier.
Fable XI.
Le Crocodile et
l'Esturgeon
Sur la rive du Nil un jour deux beaux enfans
S'amusaient à faire sur l'onde,
Avec des cailloux plats, ronds, légers et tranchans,
Les plus beaux ricochets du monde.
Un crocodile affreux arrive entre deux eaux,
S'élance tout à coup, happe l'un des marmots,
Qui crie, et disparaît dans sa gueule profonde.
L'autre fuit, en pleurant son pauvre compagnon.
Un honnête et digne esturgeon,
Témoin de cette tragédie,
S'éloigne avec horreur, se cache au fond des flots;
Mais bientôt il entend le coupable amphibie
Gémir et pousser des sanglots:
Le monstre a des remords, dit-il: ô providence!
Tu venges souvent l'innocence;
Pourquoi ne la sauves-tu pas?
Ce scélérat du moins pleure ses attentats;
L'instant est propice, je pense,
Pour lui prêcher la pénitence:
Je m'en vais lui parler. Plein de compassion,
Notre saint homme d'esturgeon
Vers le crocodile s'avance:
Pleurez, lui cria-t-il, pleurez votre forfait;
Livrez votre ame impitoyable
Au remords, qui des dieux est le dernier bienfait;
Le seul médiateur entre eux et le coupable.
Malheureux, manger un enfant!
Mon cœur en a frémi; j'entends gémir le votre. . .
Oui, répond l'assassin, je pleure en ce moment
De regret d'avoir manqué l'autre.
Tel est le remords du méchant.
Fable XII.
La Chenille
Un jour, causant entre eux, différons animaux
Louaient beaucoup le ver à soie:
Quel talent, disaient-ils, cet insecte déploie
En composant ces fils si doux, si fins, si beaux,
Qui de l'homme font la richesse!
Tous vantaient son travail, exaltaient son adresse.
Une chenille seule y trouvait des défauts,
Aux animaux surpris en faisait la critique;
Disait des mais et puis des si.
Un renard s'écria: Messieurs, cela s'explique:
C'est que madame file aussi.
Fable XIII.
La Tourterelle et
la Fauvette
Une fauvette, jeune et belle,
S'amusait à chanter tant que durait le jour,
Sa voisine la tourterelle
Ne voulait, ne savait rien faire que l'amour.
Je plains bien votre erreur, dit-elle à la fauvette;
Vous perdez vos plus beaux momens:
Il n'est qu'un seul plaisir, c'est d'avoir des amans.
Dites-moi, s'il vous plaît, quelle est la chansonnette
Oui peut valoir un doux baiser?
Je me garderais bien d'oser
Les comparer, répondit la chanteuse:
Mais je ne suis point malheureuse,
J'ai mis mon bonheur dans mes chants,
À ce discours, la tourterelle,
En se moquant, s'éloigna d'elle.
Sans se revoir elles furent dix ans.
Apres ce long espace, un beau jour de printemps,
Dans la même forêt elles se rencontrèrent.
L'âge avait bien un peu dérangé leurs attraits;
Long-temps elles se regardèrent
Avant que de pouvoir se remettre leurs traits.
Enfin la fauvette polie
S'avance la première: Eh! bonjour, mon amie,
Comment vous portez-vous? Comment vont les amans?
— Ah! ne m'en parlez pas, ma chère:
J'ai tout perdu, plaisirs, amis, beaux ans:
Tout a passé comme une ombre légère.
J'ai cru que le bonheur était d'aimer, de plaire...
O souvenir cruel! ô regrets superflus!
J'aime encore, on ne m'aime plus.
J'ai moins perdu que vous, répondit la chanteuse:
Cependant je suis vieille et je n'ai plus de voix;
Mais j'aime la musique, et suis encore heureuse
Lorsque le rossignol fait retentir ces bois.
La beauté, ce présent céleste.
Ne peut, sans les talens, échapper à l'ennui:
La beauté passe, un talent reste;
On en jouit même en autrui.
Fable XIV.
Le Charlatan
Sun le Pont-neuf, entouré de badauds,
Un charlatan criait à pleine tête:
Venez, messieurs, accourez faire emplette
Du grand remède à tous les maux;
C'est une poudre admirable
Qui donne de l'esprit aux sots,
De l'honneur aux fripons, l'innocence aux coupables,
Aux vieilles femmes des amans,
Au vieillard amoureux une jeune maîtresse,
Aux fous le prjx de la sagesse,
Et la science aux ignorans.
Avec ma poudre, il n'est rien dans la vie
Dont bientôt on ne vienneà bout;
Par elle on obtient tout, on sait tout, on fait tout;
C'est la grande encyclopédie.
Vite je m'approchai pour voir ce beau trésor. . . . .
C'était un peu de poudre d'or.
Fable XV.
La Sauterelle
C'en est fait, je quitte le monde;
Je veux fuir pour jamais le spectacle odieux
Des crimes, des horreurs, dont sont blessés mes yeux.
Dans une retraite profonde,
Loin des vices, loin des abus,
Je passerai mes jours doucement à maudire
Les méchans de moi trop connus.
Seule ici bas j'ai des vertus:
Aussi pour ennemi j'ai tout ce qui respire,
Tout l'univers m'en veut; homme, enfans, animaux,
Jusqu'au plus petit des oiseaux,
Tous sont occupés de me nuire.
Eh! qu'ai-je fait pourtant?... Que du bien. Les ingrats!
Ils me regretteront, mais après mon trépas.
Ainsi se lamentait certaine sauterelle,
Hypocondre et n'estimant qu'elle.
Où prenez-vous cela, ma sœur?
Lui dit une de ses compagnes:
Quoi! vous ne pouvez pas vivre dans ces campagnes
En broutant de ces prés la douce et tendre fleur,
Sans vous embarrasser des affaires du monde?
Je sais qu'en travers il abonde;
Il fut ainsi toujours, et toujours il sera;
Ce que vous en direz grand'chose n'y fera.
D'ailleurs, où vit-on mieux? Quant à votre colère
Contre ces ennemis qui n'en veulent qu'à vous,
Je pense, ma soeur, entre nous,
Que c'est peut-être une chimère,
Et que l'orgueil souvent donne ces visions.
Dédaignant de répondre à ces sottes raisons,
La sauterelle part, et sort de la prairie,
Sa patrie.
Elle sauta deux jours pour faire deux cents pas.
Alors elle se croit au bout de l'hémisphère,
Chez un peuple inconnu, dans de nouveaux États;
Elle admire ces beaux climats,
Salue avec respect cette rive étrangère.
Près de là, des épis nombreux
Sur de longs chalumeaux, à six pieds de la terre,
Ondoyans et pressés se balançaient entre eux.
Ah! que voilà bien mon affaire!
Dit-elle avec transport: dans ces sombres taillis
Je trouverai sans doute un désert solitaire,
C'est un asile sûr contre mes ennemis.
La voilà dans le bled. Mais, dès l'aube suivante,
Voici venir les moissonneurs.
Leur troupe nombreuse et bruyante
S'étend en demi-cercle; et, parmi les clameurs,
Les ris, les chants des jeunes filles,
Les épis entassés tombent sous les faucilles,
La terre se découvre, et les blés abattus
Laissent voir les sillons tout nus.
Pour le coup, s'écriait la triste sauterelle,
Voilà qui prouve bien la haine universelle
Qui partout me poursuit: à peine en ce pays
A-t-on su que j'étais, qu'un peuple d'ennemis
S'en vient pour chercher sa victime.
Dans la fureur qui les anime,
Employant contre moi les plus affreux moyens,
De peur que je n'échappe, ils ravagent leurs biens:
Ils y mettraient le feu, s'il était nécessaire.
Eh! messieurs, me voilà, dit-elle en se montrant;
Finissez un travail si grand,
Je me livre à votre colère.
Un moissonneur, dans ce moment,
Par hasard la distingue: il se baisse, la prend,
Et dit, en la jetant dans une herbe fleurie:
Va manger, ma petite amie.
Fable XVI.
La Guêpe et l'Abeille
Dans le calice d'une fleur
La guêpe un jour voyant l'abeille,
S'approche en l'appelant sa sœur.
Ce nom sonne mal à l'oreille
De l'insecte plein de fierté,
Qui lui répond: Nous soeurs! ma mie,
Depuis quand cette parenté?
Mats c'est depuis toute la vie,
Lui dit la guêpe avec courroux:
Considérez-moi, je vous prie,
J'ai des ailes tout comme vous,
Même taille, même corsage;
Et, s'il vous en faut davantage,
Nos dards sont aussi ressemblans.
Il est vrai, répliqua l'abeille,
Nous avons une arme pareille,
Mais pour des emplois différens.
La vôtre sert votre insolence,
La mienne repousse l'offense;
Vous provoquez, je me défends.
Fable XVII.
Le Hérisson et les
Lapins
Il est certains esprits d'un naturel hargneux
Qui toujours ont besoin de guerre;
Ils aiment à piquer, se plaisent à déplaire,
Et montrent pour cela des talens merveilleux.
Quant à moi, je les fuis sans cesse,
Eussent-ils tous les dons et tous les attributs;
J'y veux de l'indulgence ou de la politesse;
C'est la parure des vertus.
Un hérisson, qu'une tracasserie
Avait forcé de quitter sa patrie,
Dans un grand terrier de lapins
Vint porter sa misanthropie.
Il leur conta ses longs chagrins,
Contre ses ennemis exhala bien sa bile,
Et finit par prier les hôtes souterrains
De vouloir lui donner asile.
Volontiers, lui dit le doyen:
Nous sommes bonnes gens, nous vivons comme frères,
Et nous ne connaissons ni le tien ni le mien;
Tout est commun ici: nos plus grandes affaires
Sont d'aller, dès l'aube du jour,
Brouter le serpolet, jouer sur l'herbe tendre:
Chacun pendant ce temps, sentinelle à son tour,
Veille sur le chasseur qui voudrait nous surprendre;
S'il l'aperçoit, il frappe, et nous voilà blottis.
Avec nos femmes, nos petits
Dans la gaîté, dans la concorde,
Nous passons les instans que le ciel nous accorde.
Souvent ils sont prompts à finir;
Les panneaux, les furets abrègent notre vie,
Raison de plus pour en jouir.
Du moins, par l'amitié, l'amour et le plaisir,
Autant qu'elle a duré, nous l'avons embellie:
Telle est notre philosophie.
Si cela vous convient, demeurez avec nous,
Et soyez de la colonie;
Sinon, faites l'honneur à notre compagnie
D'accepter à dîner, puis retournez chez vous.
À ce discours plein de sagesse,
Le hérisson repart qu'il sera trop beureux
De passer ses jours avec eux.
Alors chaque lapin s'empresse
D'imiter l'honnête doyen
Et de lui faire politesse.
Jusques au soir tout, alla bien.
Mais, lorsqu'après souper la troupe réunie
Se mit à deviser des a flaires du temps,
Le hérisson de ses piquans
Blesse un jeune lapin. Doucement, je vous prie,
Lui dit le père de l'enfant.
Le hérisson, se retournant,
En pique deux, puis trois, et puis un quatrième.
On murmure, on se fâche, on l'entoure en grondant.
Messieurs, s'écriait il, mon regret est extrême;
Il faut me le passer, je suis ainsi bâti,
Et je ne puis pas me refondre.
Ma foi, dit le doyen, en ce cas, mon ami,
Tu peux aller te faire tondre.
Fable XVIII.
Le Milan et le Pigeon
Un milan plumait un pigeon,
Et lui disait: méchante bete,
Je te connais, je sais l'aversion
Qu'ont pour moi tes pareils; te voilà ma conquête!
Il est des dieux vengeurs. Hélas! je le voudrais,
Répondit le pigeon. O comble des forfaits!
S'écria le milan, quoi! ton audace impie
Ose douter qu'il soit des dieux?
J'allais te pardonner; mais, pour ce doute affreux,
Scélérat, je te sacrifie.
Fable XIX.
Le Chien coupable
Mon frère, sais-tu la nouvelle?
Mouflar, le bon Mouflar, de nos chiens le modèle,
Si redouté des loups, si soumis au berger,
Mouflar vient, dit-on, de manger
Le petit agneau noir, puis la brebis sa mère;
Et puis sur le berger s'est jeté furieux.
— Serait-il vrai? — Très-vrai, mon frère.
— À qui donc se fier? grands dieux!
C'est ainsi que parlaient deux moutons dans la plaine;
Et la nouvelle était certaine.
Mouflar, sur le fait même pris,
N'attendait plus que le supplice;
Et le fermier voulait qu'une prompte justice
Effrayât les eniens du pays.
La procédure en un jour est finie.
Mille témoins pour un déposent l'attentat:
Bécolés, confrontés, aucun d'eux ne varie;
Mouflar est convaincu du triple assassinat:
Mouflar recevra donc deux balles dans la tête
Sur le lieu même du délit.
À son supplice qui s'apprête
Toute la ferme se rendit.
Les agneaux de Mouflar demandèrent la grâce;
Elle fut refusée. On leur fit prendre place:
Les chiens se rangèrent près d'eux,
Tristes, humiliés, mornes, l'oreille basse,
Plaignant, sans l'excuser, leur frère malheureux.
Tout le monde attendait dans un profond silence.
Mouflar paraît bientôt, conduit par deux pasteurs:
Il arrive; et, levant au ciel ses yeux en pleurs,
Il harangue ainsi l'assistance:
O vous qu'en ce moment je n'ose et je ne puis
Nommer, comme autrefois, mes frères, mes amis,
Témoins de mon heure dernière,
Voyez où peut conduire un coupable désir!
De la vertu quinze ans j'ai suivi la carrière,
Un faux pas m'en a fait sortir.
Apprenez mes forfaits. Au lever de l'aurore,
Seul auprès du grand bois, je gardais le troupeau;
Un loup vient, emporte un agneau,
Et tout en fuyant le dévore.
Je cours, j'atteins le loup, qui, laissant son festin,
Vient m'attaquer: je le terrasse,
Et je l'étrangle sur la place.
C'était bien jusque là: mais, pressé par la faim,
De l'agneau dévoré je regarde le reste,
J'hésite, je balance... À la fin, cependant,
J'y porte une coupable dent:
Voilà de mes malheurs l'origine funeste.
La brebis vient dans cet instant,
Elle jette des cris de mère. . .
La tête m'a tourné, j'ai craint que la brebis
Ne m'accusât d'avoir assassiné son fils;
Et, pour la forcer à se taire,
Je l'egorge dans ma colère.
Le berger accourait armé de son bâton.
N'espérant plus aucun pardon,
Je me jette sur lui: mais bientôt on m'enchaîne,
Et me voici prêt à subir
De mes crimes la juste peine.
Apprenez tous du moins, en me voyant mourir,
Que la plus légère injustice
Aux forfaits les plus grands peut conduire d'abord;
Et que, dans le chemin du vice,
On est au fond du précipice,
Des qu'on met un pied sur le bord.
Fable XX.
L'Auteur et les Souris
Un auteur se plaignait que ses meilleurs écrits
Etaient rongés par les souris.
Il avait beau changer d'armoire,
Avoir tous les pièges à rats,
Et de bons chats;
Rien n'y faisait; prose, vers, drame, histoire,
Tout était entamé; les maudites souris
Ke respectaient pas plus un héros et sa gloire,
Ou le récit d'une victoire,
Qu'un petit bouquet à Chloris.
Notre homme au désespoir, et, l'on peut bien m'en croire,
Tour y mettre un auteur peu de chose suffit,
Jette un peu d'arsenic au fond de l'écritoire;
Puis dans sa colère il écrit.
Comme il le prévoyait, les souris grignotèrent,
Et crevèrent.
C'est bien fait, direz-vous, cet auteur eut raison.
Je suis loin de le croire: il n'est point de volume
Su'on n'ait mordu, mauvais ou bon;
Et l'on déshonore sa plume
En la trempant dans du poison.
Fable XXI.
L'Aigle et le Hibou
À Ducis
L'oseau qui porte le tonnerre
Disgracié, banni du céleste séjour,
Par une cabale de cour,
S'en vint habiter sur la terre:
Il errait dans les bois, songeant à son malheur,
Triste, dégoûté de la vie,
Malade de la maladie
Que laisse après soi la grandeur.
Un vieux hibou, du creux d'un hêtre,
L'entend gémir, se met à sa fenêtre,
Et lui prouve bientôt que la félicité
Consiste dans trois points: Travail, paix et santé.
L'aigle est touché de ce langage:
Mon frère, répond-il, (les aigles sont polis
Lorsqu'ils sont malheureux) que je vous trouve sage!
Combien votre raison, vos excellons avis,
M'inspirent le désir de vous voir davantage,
De vous imiter, si je puis!
Minerve, en vous plaçant sur sa tête divine,
Connaissait bien tout votre prix;
C'est avec elle, j'imagine,
Que vous en avez tant appris.
Non, répond le hibou, j'ai bien pende science;
Mais je sais me suffire, et j'aime le silence,
L'obscurité surtout. Quand je vois des oiseaux
Se disputer entr'eux la force, le courage,
Ou la beauté du ehant, ou celle du plumage,
Je ne me mêle point parmi tant de rivaux,
Et ine tiens dans mon ermitage.
Si malheureusement, le matin, dans le bois,
Quelque étourneau bavard, quelque méchante pie
M'aperçoit, aussitôt leurs glapissantes voix
Appellent de partout une troupe étourdie,
Qui me poursuit et m'injurie:
Je souffre, je me tais; et, dans ce chamaillis,
Seul, de sang-froid et sans colère,
M'esquivant doucement de taillis en taillis,
Je regagne à la fin ma retraite si chère.
Là, solitaire et libre, oubliant tous mes maux,
Je laisse les soucis, les craintes à la porte;
Voilà tout mon savoir: Je m'abstiens, je supporte;
La sagesse est dans ces deux mots.
Tu me l'as dit cent fois, cher Ducis, tes ouvrages,
Tes beaux vers, tes nombreux succès
Ne sont rien à tes yeux, auprès de cette paix
Que l'innocence donne aux sages.
Quand, de l'Eschyle anglais heureux imitateur,
Je te vois, d'une main hardie,
Porter sur la scène agrandie
Les crimes de Macbeth, de Léar le malheur,
La gloire est un besoin pour ton ame attendrie,
Mais elle est un fardeau pour ton sensible cœur.
Seul, au fond d'un désert, au bord d'une onde pure,
Tu ne veux que ta lyre, un saule et la nature:
Le vain désir d'être oublié
T'occupe et te charme sans cesse;
Ah! souffre au moins que l'amitié
Trompe en ce seul point ta sagesse.
Fable XXII.
Le Poisson volant
Certain poisson volant, mécontent de son sort,
Disait à sa vieille grand'mère:
Je ne sais comment je dois faire
Pour me préserver de la mort.
De nos aigles marins je redoute la serre
Quand je m'élève dans les airs;
Et les requins me font la guerre.
Quand je me plonge au fond des mers.
La vieille lui répond: mon enfant, dans ce monde,
Lorsqu'on n'est pas aigle ou requin,
Il faut tout doucement suivre un petit chemin,
En nageant près de l'air, et volant près de l'onde.
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