Fable I.
Les Chevaux de Sertorius
Du jour où du public l'indulgente faveur
M'enhardit à glaner le fabuleux domaine
Que, d'Ésope et de Phèdre invincible vainqueur,
Moissonnait, en maître et seigneur,
L'inimitable La Fontaine,
Combien de fois, ami lecteur,
N'ai-je pas reculé devant un tel labeur?
Point ne voulais d'un trop rnince bagage,
Mais d'un présent qui fût digne de toi;
Et m'arrêtant souvent dans ce pénible ouvrage,
Je ne comptais pas sans effroi
Les gerbes qui manquaient encore à mon glanage.
Un trait ingénieux, naïvement conté
Par le vieux chroniqueur qui, dans leur nudité,
Nous peignit avec tant de grâce
Les héros de l'antiquité,
De ma muse vingt fois a ranimé l'audace.
Permets donc qu'à ce livre il serve de préface,
Tel qu'à Sertorius Plutarque l'a prêté.
Ce héros, de Sylla fuyant la tyrannie,
Suivi par Métellus dans les champs Lusitains,
Loin de marcher sur les Romains,
A fuir toute bataille épuisait son génie,
Content de piller leurs convois,
De miner par la faim leurs phalanges guerrières,
De harceler leurs flancs et leurs derrières,
De troubler leur repos, de les mettre aux abois.
Mais ses soldats, lassés eux-mêmes,
Traitant de lâcheté ses heureux stratagèmes,
Sertorius un jour rassemble les mutins;
Et, sans leur reprocher leur désobéissance,
Il ordonne qu'en leur présence
Soient amenés deux chevaux à tous crins.
L'un n'offrait qu'une peau sur un maigre squelette:
»Prends sa queue à deux mains, et vois à l'arracher,«
Dit-il au plus robuste archer
Qu'eût produit la terre de Crète.
L'archer jette son arc et son carquois à bas,
Etale avec orgueil les muscles de ses bras,
De la queue à ses poings enroule la crinière,
Se pose, s'affermit sur ses pieds et ses reins,
Et, ramenant son corps et sa tête en arrière,
Secoue et tire des deux mains.
Mais vainement il se démène et sue;
Sa force est impuissante et sa peine perdue.
Il y renonce, et confus et surpris,
Fuit de ses compagnons les brocards et les ris.
»A ton tour maintenant,« dit le grand capitaine
En poussant un soldat qui dépassait à peine
La hauteur de son bouclier;
Tu vas te mesurer contre l'autre coursier.«
Les ris à cet appel éclatent de plus belle.
Ce n'était plus contre une haridelle
Qu'allait lutter le malheureux;
Mais un fier andaloux, dont la croupe luisante,
Les vigoureux jarrets, l'encolure puissante
Présageaient au pygmée un échec plus honteux.
Il hésitait, comme vous pouvez croire;
Mais le héros poursuit: »Prends cette queue, allons!
Tire un crin après l'autre, et bientôt nous verrons
A qui restera la victoire.«
Elle reste en effet au nouveau champion.
La queue, en un moment de ses crins dépouillée,
N'offre plus qu'un triste moignon
A cette foule émerveillée;
Et cette fable en action
Ramenant au héros tous les cœurs de l'armée,
Le vieux Métellus, confondu,
Pièce à pièce eut bientôt perdu
Ses soldats et sa renommée.
Et moi, lecteur, de ce récit
Je tirais un autre profit,
Quand, mesurant la tâche à ma muse imposée,
Je sentais ma constance et ma veine épuisée,
Prêt à m'enfuir comme l'archer,
Je pensais au soldat, je reprenais haleine;
Et me remettant à marcher,
D'un apologue à l'autre entretenant ma veine,
J'avançais vers le but que je viens de toucher.
Ainsi, quelque projet qu'ait formé ta prudence,
Que t'impose la gloire ou la nécessité,
Si loin que soit le but, n'en sois pas rebuté.
Commence, marche, avance, avance;
Chaque jour, chaque pas rapproche la distance.
Ne quitte pas surtout, sans les avoir tous lus,
Les vers que ce livre recueille;
Imite jusqu'au bout, en prenant feuille à feuille,
Le soldat de Sertorius.
Fable II.
Le Désœuvré et le
Papillon
Les pieds sur les chenets et l'œil sur sa pendule,
Un vieillard de trente ans, usé par les plaisirs,
Languissait accablé du poids de ses loisirs.
»Le temps n'avance pas,« disait-il; »il recule.
Les heures n'ont jamais marché plus lentement.
Comme sur le cadran cette aiguille se traîne!
Pour en faire le tour, elle va sûrement
Employer toute une semaine.«
Tandis qu'ainsi contre l'oisiveté
Se débattait notre homme à tête vide,
Que, sous un joug de plomb, l'ennui, tyran stupide,
Sur son large fauteuil le tenait hébété,
Un papillon charmant, aux ailes azurées,
Entre la pendule et ses yeux,
Passe comme l'éclair sous la voûte des cieux;
Et, trompé par des fleurs que l'art a colorées,
Y repose un moment son vol capricieux.
Mon désœuvré s'arrache à sa triste indolence;
Il veut ce papillon; il se lève, il s'élance.
Il court à sa fenêtre, et la ferme à grand bruit.
Armé de son mouchoir, il l'agite, il le lance
A cet enfant de l'air, qui l'esquive et lè fuit.
De fauteuil en fauteuil, de retraite en retraite,
Du plafond à la vitre il le chasse, il le suit.
Le papillon jamais n'arrête;
Et dispute longtemps sa vie et sa défaite.
L'espace n'est pas grand, mais ils font plus d'un tour
Et quand on va d'une façon si leste,
Dans le salon le plus modeste,
On peut faire en tournant bien des postes par jour.
Mais dans son vol enfin il se laissa surprendre.
D'un coup de mouchoir étourdi,
Le pauvret au vainqueur fut forcé de se rendre;
Et la pendule alors ayant sonné midi,
»Quoi!« s'écria mon homme, »elle rêve, ou je meure
Tu m'as donc fait courir une grande heure?
Comment diable a-t-elle fini?«
» — Comme finiront tes journées,
Quand tu sauras les employer,«
Lui répondit son petit prisonnier;
»Et l'ennui, ce fléau de tes belles années,
Ne viendra plus s'asseoir à ton foyer.
Le travail le fait fuir, l'oisiveté l'attire;
J'étais venu pour te le dire.«
Fable III.
La Critique et le
Barbet
»Paix!« disait un critique à son barbet grogneur,
Qui, de ses aboîments et de sa dent aiguë,
Pressait un écrivain de louanges quêteur;
»Paix! qu'a fait ce monsieur pour te mettre en fureur
Et le poursuivre dans la rue?
— C'est qu'il m'est inconnu,« répondit le barbet;
»Et mes mœurs dans ce cas se règlent sur les vôtres.
Vous louez vos amis et vous mordez les autres.
Si j'ai tort, vous avez mal fait.«
Le critique sourit à ce trait de satire,
Reconnut son élève et ne sut trop que dire.
Mais le maître et le chien ne suivaient que les
Du monde et de ses coteries.
On prostitue à ses élus
Les louanges, les flatteries,
Et l'on aboie aux inconnus.
Fable IV.
Le Pommier trop chargé
Un pommier vigoureux, mais trop chargé de fruits,
Faisait de sa richesse un pompeux étalage,
Et narguait ses voisins, dont le pauvre feuillage
Présageait au fermier de plus minces produits.
Les voisins à son arrogance
Opposaient des conseils que dictait la prudence.
»Es-tu sûr,« disaient-ils, »qu'à l'automne prochain
Tu porteras ces fruits qui te rendent si vain?
As-tu bien consulté ta force et ta puissance?«
Les branches craignent à leur tour
De périr sous le poids de leur vaine richesse.
Et le fardeau qui les affaisse
Grossit et croit de jour en jour.
Les pommes ont aussi hasardé leurs murmures.
»Nous tomberons avant que d'être mûres;
Nous serons le rebut des vers et des pourceaux;
Et flétris, séchés avant terme,
Nos pépins, sans sève et sans germe,
« Ne produiront jamais ni feuilles ni rameaux.«
Et l'arbre se riait de leurs plaintes amères;
Aux ardeurs du lion il avait résisté;
Et toujours fier de sa prospérité,
Traitait leurs craintes de chimères.
Un coup de vent, helas! leur donna trop raison.
Le pommier de ses fruits ne vit pas la saison;
Sous leur fardeau trop lourd ses branches éclatèrent.
Cet arbre si superbe, effeuillé, déchiré,
Ne fut en un moment qu'un tronc défiguré,
Que la hache et les coins à l'envi dépecèrent.
Dépouilles comme lui, mutilés par le fer,
Dans le bûcher commun ses rameaux le suivirent;
Et ses fruits, que la pluie et le soleil flétrirent,
Furent le vain jouet des vents et de l'hiver.
Telle est des potentats la vanité commune.
Leur égoïsme aventureux
Ne songe point aux malheureux
Que l'honneur ou le zèle attache à leur fortune,
Qu'ils peuvent dans l'anime entraîner avec eux.
Il est pourtant besoin qu'on les serve et les aime;
L'intérêt du pays le veut;
Mais en les servant bien, il faut, quand on le peut,
Ne dépendre que de soi-même.
Fable V.
Le Voleur et la Machine
électrique
Un homme possédait deux grandes qualités:
Il était à la fois philanthrope et bon père.
On fait, avec ce caractère,
Des projets de réforme et des enfants gâtés.
Le sort des prisonniers révoltait sa nature;
Et, pour les criminels tout pétri de pardons,
Il voulait tapisser, parqueter les prisons,
Les pourvoir de pain blanc, de bonne nourriture,
Si bien qu'un pauvre laboureur
Pour y passer l'hiver se serait fait voleur,
Loin de mourir chez lui de faim et de froidure.
Mais l'intérêt de la société,
Ses dangers ne le touchaient guères.
La peine de mort, les galères
Étaient des attentats contre l'humanité.
Un jour qu'il donnait audience
A l'un de ces vauriens qu'avait en liberté,
Pour la troisième fois, remis son assistance,
Pendant que, d'un oeil attendri,
Il écoutait du nouveau repenti
Les serments de résipiscence,
Il fut distrait par un grand cri.
C'était son jeune fils, vrai fléau domestique,
Qui, pour jouer à sa façon,
Ayant cassé trois meubles du salon,
Sur une machine électrique
Avait voulu frapper de son bâton.
L'étincelle, en partant, l'avait frappé lui-même.
Les bras de mon espiègle en étaient engourdis,
Tous ses membres endoloris;
Et son front trahissait une frayeur extrême.
»Il n'y touchera plus;« dit l'honnête larron
Au père dont les yeux observaient en silence
L'attitude de son garçon.
»La machinea, Monsieur, plus d'espritqu'on ne pense.
On ne corrige pas toujours par l'indulgence.
Un rude châtiment a quelquefois du bon... «
Et là-dessus il fit sa révérence.
Mais, un moment après, mon homme s'avisa
Que sa bourse n'était plus là.
»Il m'a volé,« se dit-il; »et le traître
En raillant mon système avait raison peut-être;
Car enfin si du bagne il n'était pas sorti,
Mon argent avec lui ne serait point parti...
Si mes meubles frappaient l'enfant qui les lutine,
Le lutin n'y reviendrait pas.«
Et tout en combinant ces faits et sa doctrine,
Mon utopiste en vient a se dire tout bas,
Qu'un philanthrope, en pareil cas,
N'en sait pas tant qu'une machine.
Fable VI.
Les deux Saules
Un saule se plaignait que l'injuste nature
D'une main trop avare eut réglé sa stature.
Il s'indignait contre les peupliers,
Aeacias et marronniers,
Qui, touchant de plus près à la voûte céleste,
Insultaient, disait-il, à sa taille modeste,
Du soleil fécondant lui volaient la chaleur.
Et l'écrasaient de leur hauteur.
Fatigué de ses doléances,
Un saule pleureur, son voisin.
Lui répondit: »Mon cher cousin,
Je ne puis plaindre tes souffrances;
Car je suis plus petit, et, bien loin d'en gémir,
Je suis prêt à m'en applaudir.
Sais-tu pourquoi je sais me plaire
Dans ce modeste rang qui t'a mis en émoi?
C'est que mon front est penché vers la terre,
Et regarde au-dessous de moi;
Tandis que vers les lieux où gronde le tonnerre
Tes rameaux sont toujours, tendus,
Et ne regardent qu'au-dessus,
L'aspect de qui te passe arme ta jalousie.
Tu n'y vois que d'heureux rivaux
Dont la grandeur te blesse et t'humilie.
Je ne vois que des arbrisseaux;
Je me mesure à leurs rameaux,
Et jouis de mon sort sans connaître l'envie.
Fais comme moi, si tu le peux.
Ami; le secret d'être heureux
Est dans cette philosophie.«
Fable VII.
Le Marchand et les
Singes
Aux jours de notre enfance, hélas! trop passagère,
Quand finissaient pour nous le soleil et le jeu,
Par des contes plaisants, ma bonne et tendre mère,
En tricotant au coin du feu,
D'une longue veillée aimait à nous distraire;
Et vers cet heureux temps par mon cœur ramené,
Pour en consacrer la mémoire,
D'un marchand africain par des singes berné,
Je vous raconterai l'histoire,
De bonnets tures ambulant colporteur,
Ce marchand pour Tunis s'étant mis en voyage,
Vers l'heure de la sieste, accablé de chaleur,
S'arrêta sous le vaste ombrage
D'un chêne, dont la brise agitait le feuillage;
Et dans l'air embrasé répandant sa fraîcheur,
Le souffle de la mer mollement balancée,
Dans un sommeil réparateur
Plongea du pauvre voyageur
Les yeux, le corps et la pensée.
Mais sur sa boutique d'osier,
Sa seule et modeste fortune,
Vint fondre en gambadant une troupe importune
De notre peuple grimacier.
Toute la pacotille à l'instant fut pillée.
Chaque singe à l'envi se coiffa d'un bonnet;
S'élança sur le chêne, et du tronc au sommet,
Nonchalamment couchés sous la verte feuillée,
Prenant leur main pour oreiller,
A l'exemple du maitre ils semblaient sommeiller.
Celui-ci se réveille, ouvre l'œil et s'effraie
De voir ces étranges chalands,
Qui, sans façon coiffés à ses dépens,
Lui faisaient pressentir une mauvaise paie.
Il se lève, et soudain, d'un même mouvement,
Sur leur siége pele les singes se replacent.
Il leur montre les poings, tous les poings le menacent.
On aurait pris ce peuple imitateur
Pour un détachement d'école mutuelle,
S'exerçant, au signal d'un grave moniteur,
Dans la gymnastique nouvelle.
Notre homme se, dépite, et dans son désespoir
Il saisit à deux mains sa calotte, et la jette.
O bonheur! chaque singe a décoiffé sa téte;
Et tous les bonnets viennent choir
Aux pieds du malheureux, qui n'eût osé prévoir
Le retour de pareille féte.
Aussi de quelle ardeur on le voit se hâter
A ramasser sa pacotille!
Il s'y prend à deux mains, l'entasse sans compter,
La couvre de ses yeux où le plaisir pétille;
A ses voleurs enfin fait un salut joyeux;
Et de l'homme des bois la burlesque famille
Par des ricanements répond à ses adieux.
Je m'amusais aussi de ce conte pour rire,
Sans y voir rien de plus, comme tous les enfants.
Mais j'ai vu pendant cinquante ans
Un peuple, dont le nom est inutile à dire,
Changer neuf ou dix fois de rôle et de bonnet,
A la voix de qui le menait;
Et je dis que ma bonne mère,
Sans le savoir prophétisait déjà
Les sottises qu'il allait faire,
Sans compter celles qu'il fera.
Fable VIII.
Le Blaireau et le
Renard
Un pacifique et patient blaireau,
A force de soin et de peine,
S'était creusé, dans les flancs d'un coteau,
Une demeure souterraine.
Il y vivait en paix à l'abri des frimas,
Content de son destin, chose rare ici-bas;
Et ne quittant son terrier solitaire
Que pour chercher à paître et nourrir ses petits,
Il pensait leur léguer son paisible logis,
D'un long travail digne et juste salaire.
Mais il avait compté sans un voisin fâcheux,
Un renard fort peu scrupuleux,
Qui n'avait point d'asile où braver la froidure;
Et les renards, de leur nature,
Du bien d'autrui sont assez désireux.
Du manoir qu'il trouve à sa guise,
Celui-ci veut faire le sien;
Et, soit violence ou surprise,
Pour en chasser le maître il ne ménage rien.
Le blaireau dans les champs veut-il se mettre en quête?
Le renard, qui, blotti dans un épais hallier,
Matin et soir est en vedette,
Se glisse à pas de loup dans le sombre terrier;
Et, contre un ennemi qui pensait la surprendre,
La pauvre mère est réduite à défendre
Et sa famille et son foyer.
Le blaireau revient-il à leurs cris de détresse?
Le renard se retourne, il l'attaque, il le mord;
Et si l'infortuné, qu'il tourmente sans cesse,
Demeure tapi dans son fort,
Il le bloque, il le brave, il l'accable d'injures,
Des cris de sa fureur fait glapir les échos,
Et l'infecte de ses ordures.
Le blaireau ne connaît ni sommeil ni repos.
Il se résigne, il cède au méchant qui le presse;
D'un séjour empesté s'éloigne avec douleur,
Et va creuser plus loin, par un nouveau labeur,
Un asile pour sa vieillesse;
Et son heureux persécuteur
Envahit sans remords le terrier qu'il délaisse.
Blaireaux, qui me lisez, retenez ma leçon.
Tous les renards ont la même recette.
Leurs querelles sans fin, leurs plaintes sans raison,
Jusqu'aux ordures qu'on vous jette,
Tout revient à ce vieux dicton:
Va-t'en de laque je m'y mette.
Fable IX.
L'Ara et le Chat
Un ara qui pour son plumage,
Pour son air noble et fier, n'avait point de rival,
Était d'un vieux garçon le plus cher commensal.
Il était vraiment beau; mais ses cris de sauvage
Faisaient un vacarme infernal
Que maudissait le voisinage.
Ce n'était rien encor. Son bec dur et crochu
Déchirait, mettait tout en pièces.
Meubles, linge, papiers, tout était confondu
N'importe, au lieu d'être battu,
Il recevait mille caresses.
Son maître remplaçait ce qu'il avait perdu;
Et, n'y voyant que gentillesses,
A tout propos, ù tout venant,
Parlait de son oiseau charmant.
Un vieux chat, qui jadis, en un temps plus propice,
Avait eu ses jours de faveur,
Et que, pour cet oiseau criard et ravageur,
Avait de son patron délaissé le caprice,
S'imagina que, pour le ramener,
Il n'avait qu'à le ruiner.
Le voilà donc qui se met à l'ouvrage,
Et qui, sur un fauteuil que l'ara bien-aimé
Avait déjà rudement entamé,
Des griffes et des dents commence son ravage.
Mais de grands coups de fouet et des cris de fureur
Lui font voir sa fatale erreur;
El les mots de pendard, de voleur, d'hypocrite,
Qui l'accompagnant dans sa fuite,
Les rudes coups qu'il a reçus,
Disent à sa douleur extrême
Qu'on souffre tout de ce qu'on aime,
Et rien de ce qu'on n'aime plus.
Fable X.
Les Loups au Butin
Quatre ou cinq loups, que la famine
Chassait de colline en colline,
Ax aient surpris un beau chevreau
Qu'avait, au fond d'une ravine,
Perdu le chef de son troupeau;
Et mes gloutons, hurlant de joie,
Allaient se jeter sur leur proie,
Quand apparut, de son côté,
Un berger, de chiens escorte.
C'étaient des chiens de haute taille,
Armés d'un bon collier de fer.
Le chevreau pouvait coûter cher.
»N'importe, il faut livrer bataille,«
Dirent entre eux messieurs les loups.
»Nous avons le nombre pour nous;
Et puis, la faim qui nous travaille
Ne permet pas d'être prudent.
Autant mourir d'un coup de dent.«
Ayant donc concerté l'affaire,
Chacun se dispose à charger,
A terrasser son adversaire.
Trois vont aux chiens, deux au berger.
La lutte est terrible et sanglante,
La victoire longtemps flottante.
Ce sont des cris et des fureurs
A faire trembler la contrée;
Mais c'est enfin aux agresseurs
Que la victoire est demeurée.
Le sort va parfois aux voleurs.
Chiens et bergers, mis en déroute,
De la ferme ont repris la route;
Et le chevreau reste aux vainqueurs.
Mais qui des cinq va s'en repaître?
Chacun veut seul s'en rendre maître.
Tous font valoir les mêmes droits.
»Je l'ai gagné par mon courage;
C'est à moi qu'est dû l'avantage;
Je veux tout, et point de partage,«
Ont-ils crié tous à la fois.
Là-dessus, nouvelle dispute.
On se repousse, on se culbute,
Loups contre loups, tous contre tous
Se portent de plus rudes coups
Qu'ils n'en portaient dans l'autre lutte.
Le sang ruisselle de leurs cous,
De leurs museaux, de leurs poitrines,
De leurs quartiers, de leurs échines;
Et le chevreau, pendant ce temps,
A prudemment gagné les champs,
Disant tout bas entre ses dents:
»Vivent les guerres intestines!«
»C'est très-bien, diront mes censeurs;
Mais choisissez d'autres acteurs.
Ceux dont vous êtes le confrère,
Les Immortels ont, sur ce point,
Posé, dans leur Dictionnaire,
Que les loups ne se mangeaient point.«
Qui dit proverbes, dit sornettes.
J'en fais un pour les réfuter.
Buffon, qui connaissait les bêtes,
A dit en paroles très-nettes
Ce que je viens de vous conter.
Les loups, unis pour la victoire.
S'entr' égorgent pour le butin.
Et j'ai grand'peur que leur histoire
Ne soit celle de mon prochain.
Fable XI.
Le Dineur et sa
Levrette
Une levrette favorite
Voyait dîner son maître, et, de l'air patelin
Dont toute créature implore et sollicite,
Réclamait sa part du festin.
Le don ne tardait pas à suivre la requête.
Maint et maint osselet, mainte et mainte douceur
Passaient de la main du dineur
Dans la gueule de la levrette,
Qui lui payait chaque faveur
Par des transports d'amour et de bonheur.
Son museau, sa queue et sa patte
S'agitaient à la fois, le frôlaient, le flattaient.
Elle ne croyait pas, tant que les dons venaient,
Qu'il fût possible d'être ingrate.
Les cadeaux pourtant prirent fin;
Le maître fit le sourd, jugeant, dans sa pensée,
Que la solliciteuse était dûment pansée;
Mais la bête avait toujours faim.
Elle se mit d'abord à geindre,
A lui presser le bras, à gronder, à se plaindre;
Et puis haussa le ton de ses longs grognements,
Aboya même avec colère,
Et finit par montrer les dents
A qui n'écoutait plus sa nouvelle prière.
Des éternels coureurs de grâces et d'emplois
Telle est l'intraitable exigence;
Et, soit dit sans irrévérence,
C'est le péché des grands, et même un peu des rois.
Eussiez-vous a leurs voeux cédé vingt et vingt fois,
Si vous y manquez une, adieu la souvenance
Des services passés et des bienfaits rendus,
La rancune d'un seul refus
Etouffe la reconnaissance.
Fable XII.
Le Hibou et l'Olive
Un vieux hibou, paisible anachorète,
De la tour d'un clocher avait fait sa retraite.
Il y dormait le jour durant,
Chassait la nuit pour son usage;
Digérait et chantait, si l'on peut nommer chant
Un cri monotone et sauvage.
Mais point ne s'informait si ce cri caverneux
De terreur ou d'ennui frappait le voisinage.
Il était égoïste, et partant fort heureux.
Son péché le plus doux était la friandise.
L'huile offrait à son bec an ragoût sans égal;
Et quand, pour se gorger de ce divin régal,
Il avait mis à sec les lampes de l'église,
En digérant ce mets délicieux,
Mon ermite emplumé, fatiguait son génie
A deviner de quelle part des cieux
Coulait pour lui cette ambroisie.
Un jour enfin, sur un pale olivier
Par le soleil levant s 'étant laissé surprendre,
Il apprit par hasard ce qu'il brûlait d'apprendre,
En écoutant un valet de fermier.
Son aile en battit d'allégresse.
»Quoi! c'est l'olive qui produit
Ce breuvage onctueux qui me met dans l'ivresse
Si le jus est si bon, que doit être le fruit?
Et quel plaisir de pouvoir, jour et nuit,
M'en l'égaler sans mesure et sans cesse!«
Impatient d'assurer son bonheur,
Sur une oliv e alors son bec se précipite.
Fatale expérience! il jette un cri d'horreur,
Et d'une aile tremblante il regagne son gite.
Mais il fuit vainement. Sa curiosité
Par l'amer chicotin est à jamais punie.
Du fruit dont sou palais conservait l'àcreté,
L'arrière-goût avait gâté
Le plus doux plaisir de sa vie.
Ne cherchez pas le mieux quand vous tenez le bien,
Gens heureux ou qui croyez l'être.
Que vous fait le pourquoi, la cause, le moyen?
Craignez de découvrir, en voulant le connaître,
Que le plus grand bonheur ne tient souvent à rien.
Fable XIII.
Le Lion et les Vautours
Sur les rives de la Gambie,
Vers les pays où les Anglais
Exploitent à la fois, aux bravos des niais,
La traite et la philanthropie,
Régnait un vieux lion, dont l'unique désir
Etait d'atteindre en paix le terme de sa vie;
Et par goût ou par flatterie,
Vizirs et courtisans s'empressaient d'applaudir
A la royale fantaisie.
Un frondeur intraitable, un braillard de vautour
Troublait seul cette paix commune.
Il avait choisi pour tribune
Un baobab, un arbre aussi gros qu'une tour;
Et de l'aube à la fin du jour,
Sa criaillerie importune
Fatiguait sans pitié le monarque et sa cour.
Pour en finir les vizirs s'assemblèrent,
Et suivant l'usage introduit
Dans tous les corps qui délibèrent,
Avant de s'accorder on fit beaucoup de bruit.
Pour clore le bec au coupable,
Le tigre fut d'avis qu'il fallait l'égorger.
L'éléphant, d'humeur plus traitable,
Soutint qu'il valait mieux lui donner à manger,
Rappelant ce chien de la fable,
Qu'on empêchait de mordre et d'aboyer
En lui remplissant le gosier.
Cet avis fui celui du maître.
Des mets dont à l'instant venaient de se repaitre
Les vizirs et leur souverain,
Restait un quartier de gazelle,
Qu'un ours un peu bourru, mais serviteur fidèle,
Convoitait de ses yeux ou respirait la faim.
Sans égard pour de longs services,
Sous la gueule de l'ours prenant ce rogaton,
Au criard importun le monarque en fit don,
Sachant très-bien que ses caprices
Du zélé serviteur obtiendraient le pardon.
Le vautour se reput et se tint en silence;
Et le lion, tout fier de ce trait de clémence,
S'endormit comme un bienheureux.
Mais voilà les vautours de toute la contrée,
Qui viennent, alléchés par ce don généreux,
Faire autour du dormeur un bacchanal affreux,
Pour avoir part à la curée.
Qu'est cela? dit le roi brusquement réveillé.
— C'est l'effet du parti qu'on vous a conseillé,
Dit l'ours, et gardez-vous de vous laisser reprendre
Vous n'en finiriez pas. S'ils ne sont que frondeurs,
N'ayez pas l'air de les entendre.
S'ils font du mal, tâchez de leur en rendre;
Mais si vous achetez ainsi les clabaudeurs,
On clabaudera pour se vendre.«
Fable XIV.
La Grue et la Taupe
Une grue, arrivant des rochers de Thulé,
Avait dans nos climats suspendu son voyage;
Et, lasse de croquer des grains d'orge ou de blé,
Errait le long d'un marécage,
Fouillant de son bec effilé
Toutes les fentes du rivage.
Son regard, qui planait du haut de son long cou,
A quatre pas vit tout à coup paraître
Un ver, qui, par instinct ou par calcul peut-être,
Rentra bien vite dans son trou.
La grue en est friande: et son bec et sa serre
De l'insecte à l'envi détruisent la maison.
Elle déchire le gazon,
Disperse et fait jaillir la terre,
Et se démène tant, que son bec à la fin
Arrive au fond du souterrain.
Mais que l'espoir, le bonheur et la joie
Sont des biens décevants et prompts à s'envoler!
Au moment où la grue allait saisir sa proie,
Une taupe sans bruit venait de l'avaler.
Vous qui, dans vos désirs, vos projets et vos vues,
Marchez à ciel ouvert par des routes battues,
Hommes francs et loyaux, méfiez-vous toujours
Des gens qui vont sous terre et par d'obscurs détou
L'intrigant est la taupe, et vous êtes des grues.
Fable XV.
La Rose mousseuse
Sur un rosier mousseux, dont la tête élégante
Embaumait l'air du parfum de ses fleurs,
Se distinguait, parmi ses sœurs,
La rose la plus belle et la plus éclatante.
La Grèce en eût jadis, dans ses jours solennels,
De Vénus paré les autels.
»Les Grâces,« disait-on, »l'offriraient à leur mère.
Elle charme à la fois la vue et l'odorat.
Voyez quel réseau délicat,
Sur le calice qui l'enserre,
Forme cette mousse légère!
Quel relief elle donne à son vif incarnat!«
C'est ainsi qu'en passant on lui rendait hommage.
Mais cet éloge excitait le dépit
D'un chétif arbrisseau dont le tronc décrépit
Végétait dans le voisinage,
Et dont la mousse étouffait le feuillage.
»Voyez,« murmurait-il, »voyez l'iniquité!
C'est la mousse qui rend cette rose si belle;
Et l'on me jette à peine un regard de côté,
Moi qui suis tout couvert de ce qu'on vante en elle.«
Que répondre à cet arbrisseau?
Qu'il faut en tout de l'art, du goût, de la mesure.
Tout sied à la beauté, tout lui sert de parure;
Elle est de ses atours le plus riche joyau;
De son reflet se parent toutes choses;
Mais, fût-il tout brillant de rubis et de roses
Le laid ne sera jamais beau.
Fable XVI.
Le Torrent et la Digue
Un torrent, qui de ses ravages
Avait longtemps désolé ses rivages,
Se plaignait qu'une digue eût enchaîné ses flots,
Et l'apostrophait en ces mots:
»Pourquoi m'imposes-tu cette gêne inutile?
Si je fus autrefois dangereux, indocile,
Pour mes débordements justement détesté.
Je suis changé, tu vois; je suis doux et tranquille
Rends-moi toute ma liberté.«
» — Oui,« répondit la digue avec plus de franchise;
»Oui, je vois dans tes mœurs un changement parfait.
Ton onde même fertilise
Les vallons qu'elle ravageait;
Mais, dans cette métamorphose,
Ne suis-je pas pour quelque chose?«
L'argument était juste, et, pour le prouver mieux,
Sur les pas de l'hiver survint un gros orage;
La digue fut rompue, et, s'ouvrant un passage,
Le fier torrent reprit ses penchants furieux.
Les campagnes épouvantées,
Les arbres abattus, les terres emportées
Dirent au laboureur, dont les cris déchirants
Redemandaient aux flots ses moissons dévastées,
Qu'il faut des digues aux torrents.
Fable XVII.
Une Soirée chez la
Perruche
Daine perruche un soir recevait compagnie;
Le cercle était nombreux, quoique à ses visiteurs
Elle eût promis un concert d'amateurs,
Dont Dieu vous garde pour la vie!
Un beau chardonneret devait y déployer
Les merveilles de son gosier.
C'était un protégé de madame la pie,
Jeune provincial débarqué fraîchement,
Et que déjà la calomnie
A la vieille bavarde adjugeait pour amant.
Après un air chanté par la fauvette,
Et la romance du serin,
Le chardonneret vint enfin.
Ce n'était pas trop mal: une voix franche et nette,
De la méthode, un peu de goût;
Un amateur comme on en voit partout.
Dame perruche entonna la louange,
Et tout le cercle en jeta largement.
A madame la pie on en fit compliment.
»Charmant! divin!« s'écriait la mésange
En minaudant et coquetant
»Oui,« disait le pinson, »il chante comme un ange.
Son triomphe est certain; tout le monde en voudra.
S'il veut entrer à l'Opéra,
Au prix où sont les voix, je lui prédis d'avance
Qu'on le paira plus cher qu'un maréchal de France.«
Notre chardonneret, enivré, transporté,
Se prosterne en avant, s'incline de côté;
Et de peur d'éveiller l'envie,
Comprimant dans son cœur ses bonds de vanité,
Rassemble dans son œil, de plaisir humecté,
Tout ce qu'il a de modestie.
Il craint enfin d'étouffer de bonheur,
Prend congé de son auditoire,
S'échappe avec la pie; et savourant sa gloire,
Se pavane en triomphateur.
Mais que le pauvre sot aurait baissé la tête,
S'il avait entendu les brocards et les ris
Dont la perruche et ses amis
Avaient salué sa retraite!
»Quelle voix!« disait-on, »quel pitoyable accent!
Et cela se croit du talent!
Avez-vous vu sa bonhommie?
Comme il croyait à notre enchantement!
Oh! c'est un renfort excellent
Pour les orgues de Barbarie.«
Souvenez-vous dé mon chardonneret,
Poëtes de salon, et vous, grands virtuoses
Qui sur quelques bravos rêvez d'apothéoses.
Mais à cet accident quel homme n'est sujet?
Si de nous, devant nous, le monde dit merveille,
Pour bien savoir ce qu'il en est,
Il faudrait en sortant y laisser une oreille.
Fable XVIII.
Les Rosiers et
les Églantiers
Des rosiers taillés en buissons,
Fiers de leur vieille forme et de leur vieille race,
Depuis cent ans et plus, de drageons en drageons,
Fleurissaient à la même place.
Purs des insultes du greffoir,
Aucun d'eux n'eût osé prévoir
Que jamais aux rameaux d'une tige étrangère
Leur souche aurait transmis sa sève nourricière.
Mais le Temps en avant poussait tous les métiers,
Et le Progrès, ce dieu par qui l'on déraisonne,
Gagnant les serviteurs de Flore et de Pomone,
Il advint un beau jour qu'auprès de mes rosiers,
Dans ce jardin, où d'âge en âge,
Ils avaient régné sans partage,
On transplanta des églantiers.
Grande fut leur surprise et surtout leur colère.
»Des sauvageons dans un parterre!«
Se dirent-ils entre eux; »les rangs sont confondus.
Qu'ils restent dans les bois; sied-il à notre terre
De produire des gratte-culs?«
Le printemps répondit à cet amer langage.
Des arbustes qu'aux bois renvoyaient leurs dédains,
La greffe avait changé la nature sauvage.
Ils avaient des rosiers revêtu le feuillage,
Et des plus belles fleurs ils paraient nos jardins.
Il fallut bien alors y souffrir leur présence.
Le premier engoûment alla même plus loin.
On eut pour les nouveaux plus d'estime et de soin.
C'est ainsi qu'on en use en France;
Et fiers de cette préférence,
Plus d'un églantier parvenu
Déjà des vieux rosiers affectant l'importance,
Leur rendait le mépris qu'il en avait reçu.
Il avait tort, les autres l'avaient eu:
Pour un travers commun ayons de l'indulgence.
Voyons; avec l'orgueil ne pourrait-on traiter?
Les vieux rosiers encor donnent de belles roses;
Dans nos jardins ils ont droit de rester.
Les fleurs plus récemment écloses,
Maltresses du terrain, ne peuvent le quitter.
Vieilles souches, tiges nouvelles,
Églantiers et rosiers, soyez bien avertis
Que l'éclat de vos fleurs fait seul tout votre prix.
Le public aujourd'hui n'entend plus vos querelles.
Fleurissez à l'envi du mieux que vous pourrez;
Et ceux qui produiront les roses les plus belles
Seront les mieux reçus et les plus honorés.
Fable XIX.
L'Ormeau et les Ronces
Les vents dans unhallier portèrent une graine;
Il en naquit un jeune ormeau,
C'était d'abord un germe d'arbrisseau,
Qu'un regard d'aigle eût découvert à peine.
Des ronces, enlaçant leurs sarments épineux,
L'étouffaient à l'envi sous l'épaisse crinière,
Sous la voûte inhospitalière,
Que formaient en rampant leur feuillage et leurs nœuds;
Le pressaient de leurs dards; et leur ligue ennemie,
Au Dieu qui verse à tous la lumière et la vie,
Fermant du nouveau-né le ténébreux berceau,
Espérait, dans sa jalousie,
Qu'il y trouverait un tombeau.
Il en fut autrement. A travers cette voûte,
Le jeune ormeau se frayant une route,
Apparut enfin au grand jour,
Poussa, devint un arbre au vigoureux feuillage,
De ses rameaux, de son ombrage,
Fit admirer le spacieux contour,
Fut enfin l'honneur du bocage.
Alors, pour grandir avec lui,
Les ronces l'entouraient de leurs tiges grimpantes;
Et ces rivales suppliantes
Semblaient mendier son appui.
»Qu'est-ce donc, mes bonnes voisines?«
Leur dit l'ormeau devenu grand.
»Vous me caressez maintenant,
»N'ayant pu m'étouffer sous vos faisceaux d'épines.«
» — Nous! vous étouffer, monseigneur!«
Lui répondit la plus diserte.
»Nous! méditer, conjurer votre perte!
Quelle injustice! quelle erreur!
Du froid hiver pour vous nous craignions l'inclémence,
Nous craignions de l'été la mortelle chaleur;
Et notre ombrage protecteur
En a préservé votre enfance.«
Les hommes n'auraient pas mieux dit;
Il est dur avec eux d'être faible et petit.
Chacun vous froisse et vous opprime.
Grandissez, vous serez flatté
Par ceux qui, de leur lâcheté
N'auront pu vous rendre victime.
Fable XX.
Un Combat do Coqs
Dans un de ces tournois si chers à l'Angleterre,
Trois jeunes coqs, dont les ergots
Étalent armés de l'éperon de guerre
Pour trois grands parieurs combattaient en héros.
Déjà sur la sanglante arène,
L'un des trois champions mortellement blessé.
Était tombé sans force et presque sans haleine;
Et de son sein par l'acier traversé,
Présage d'une fin prochaine,
Sortait un son plaintif avec effort pousse.
Enflammés d'un même courage,
Par les cris des joueurs excités, enhardis,
Les deux autres luttaient; et nul des deux partis
Ne se flattait encor du plus faible avantage.
Leurs poitrails, sanglants, déchirés,
Se raidissaient, se heurtaient avec rage;
Et de leurs cous, sous leurs becs acérés,
Voltigeait l'éclatant plumage.
Bientôt l'un par l'autre embrassés,
De leurs ailerons enlacés,
Ils s'enveloppent, ils s'étreignent,
Dans les flancs l'un de l'autre en silence enfoncés,
D'un sang épais et noir leurs éperons se teignent;
Et dans leurs tranquilles fureurs,
Ils ne présentent plus à la foule inquiète
Qu'une masse de plume, immobile et muette,
Que d'un œil stupéfait contemplent les joueurs.
Le Destin enfin se déclare:
Cette masse se meut, tressaille, se sépare;
L'un des deux combattants retombe inanimé:
L'autre remue encor sa crête pantelante,
Se roule, bat le sol de son aile mourante,
Et les juges l'ont proclamé.
Il est vainqueur, mais il expire;
Et son maitre à l'instant s'emparant des enjeux,
Court, aux dépens des malheureux,
Avec ses compagnons boire, fumer et rire.
A ce sanglant spectacle assistaient trois vieillards.
L'un avait jusqu'au bout soutenu les Stuarts;
Un autre de Cromwell défendu la bannière;
Le dernier, vieux parlementaire,
Avait du roi Williams suivi les étendards.
»Ces trois coqs,« dirent-ils, »sont un peu notre image.
Divisés dès notre jeune âge,
Nous avons combattu pour trois maîtres divers;
Ils ont eu tour à tour des succès, des revers,
Et tour à tour régné sur la vieille Angleterre.
Que nous ont profité ces trente ans de combats?
Bien des nôtres sonl morts; on les a mis en terre
Sans que l'heureux du jour ait pleuré leur trépas,
Sans que rien de leur perte ait consolé leur mère.
Et nous, qui survivrons peut-être à nos partis,
Nos maîtres et leurs favoris
Ont-ils jamais su qui nous sommes?
Est bien fou, qui se bat pour des querelles d'hommes.
Battons-nous, s'il le faut, mais pour notre pays.«
Fable XXI.
Le Vaisseau en péril
Un vaisseau, tourmenté par de longs ouragans,
Contre les aquilons et les flots mugissants
Luttait sur une mer d'écueils environnée;
Et, plus fatale eneor que les flots et les vents,
La Discorde en son sein rugissait déchaînée
Son équipage mutiné
Ne reconnaissait plus la voix du capitaine.
Il ne pouvait régler la manoeuvre incertaine
Du malheureux navire aux vents abandonné.
Matelots, mousses et novices,
Tous veulent commander; nul ne veut obéir;
Chacun a son avis, son orgueil, ses caprices.
C'est un tapage à ne plus rien ouïr;
Et le vaisseau, dont l'ouragan se joue,
Au sud, au nord, au couchant, au levant,
Présentant tour à tour et la poupe et la proue,
Va tantôt en arrière et tantôt en avant.
De ce désordre innocentes victimes,
Les passagers en vain criaient aux disputeurs:
Manœuvrez, sauvez-nous, suspendez vos fureurs;
Ou cette mer terrible, en ses profonds abîmes,
Mettra bientôt d'accord et vaincus et vainqueurs.«
D'une frayeur trop juste inutile requête!
Livré sans gouvernail au choc des éléments,
Sur la pointe d'un roc le navire se jette,
Et d'effroyables craquements
Répondent aux mugissements
Des vagues et de la tempête.
Ce malheur éteint-il la rage des partis?
Non, non; de leur ruine ils s'accusent l'un l'autre:
La dispute redouble; on n'entend que ces cris:
»C'est ta faute. — Non, c'est la vôtre.
— C'est vous. — C'est foi qui nous perdis.«
» — C'est la faute de tous,« répond le capitaine,
Dont la voix, libre enfin, domine les clameurs.
»C'est votre vanité qui fit tous vos malheurs.
De vos divisions vous subissez la peine.«
Un dernier craquement retentit à ces mots.
Le pont s'était ouvert sous la vague en furie.
Un dernier cri sjélève, et l'abîme des flots
Se referme en grondant sur la nef engloutie.
Je ne sais point sous quels climats
Ni sous quel nom naviguait ce navire;
Mais, vous qui me lisez, vous pourriez me le dire,
Et, si vous m'en croyez, vous ne l'oublirez pas.
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