zurück
 

Livre Cinquième
Livre V.
 
Le Phœnix et le Hibou
Le Festin du Lion
Le Renard Prédicateur
Le Chien et le Chat
Homere et le Sourd
La Vertu, le Talent, et la Reputation
Les Graces
Le Renard et le Lion
La Baleine et l'Ameriquain
Les Abeilles
Le Rat tenant Table
L'Enfant sans sexe
L'Horoscope du Lion
Le Présent et l'Avenir
Le Berger et les Echos
Les Poissons et le feu d'Artifice
Le Valet et l'Ecolier
Le Chasseur et les Elephans
La Rave
Le Bonnet

 

I.
Le Phœnix et le Hibou
A la reine de Prusse

      J'ai commencé mon Livre par mon Roi;
      Une autre Majesté couronnera l'ouvrage.
      Reine, agrée ici mon hommage;
Ce tribut étranger n'en vaut que mieux pour toi.
L'encens de tes sujets ressent la dépendance;
      Tous leurs hommages te sont dûs.
      Ils sont sujets de ta puissance;
    Je ne le suis, moi, que de tes vertus,
      J'ai consulté la Renommée
      Sur ton cœur et sur ton esprit 
      La bonne courriere charmée
    En dit merveille, et jamais ne tarit.
      Le Ciel dans ton ame, dit-elle,
      A versé ses plus grands trésors;
La noble Verité, la Justice fidelle
      En sont les sublimes ressorts.
Ce que de sages loix à tes peuples commandent,
      Tu sçais l'inspirer par tes mœurs;
      Et ta vertu soûmet des cœurs
Qui rebelles aux loix, à l'exemple se rendent.
      Plus d'une Princesse sous toi
Apprend à soûtenir ton sacré caractere,
S'instruit à faire un jour, à l'envi de sa mere,
Les delices d'un peuple, et le bonheur d'un Roi.
La Deesse, en passant, m'a dit que ton suffrage
Ne se refusoit pas à mes heureux écrits:
Sans doute la vertu dont j'y trace l'image,
      Y met à tes yeux quelque prix.
      Mes Fables à peine encor nées
      Aspirent aux mêmes honneurs.
      De mes Odes reçois les sœurs;
      Que ces cadettes fortuées
Trouvent auprès de toi le sort de leurs aînées:
Elles te font leur cour, tout au moins par les mœurs.
Puisse ton jeune fils, qui sous de sages guides
      Va s'instruire à donner la loi,
      Partager les leçons solides
      Que j'ose donner à mon Roi.
* * * *
Phœnix, premier du nom, Roi des champs d'Arabie,
      Grand adorateur du Soleil,
Avoit, comme un vrai Saint, passé sa longue vie:
    Le peuple aislé n'eut jamais son pareil.
L'oiseau religieux, après plus de cent lustres,
      A son terme étoit parvenu.
L'ordre enfin veut qu'il meurt; à peine il l'a connu,
    Que sans regret à ses destins illustres,
      Sans se plaindre, sans s'allarmer,
Il travaille au bucher qui doit le consumer.
Un Hibou près de là, caché dans un trou d'arbre,
      Miserable, vieux, mal en point,
      Souffrant et glacé comme un marbre,
Maudissoit le Soleil qui ne l'échauffoit point.
Mon frere, dit le Saint, à quoi bon ce blasphême?
Prends patience, et meurs mieux que tu n'as vécu;
La mort n'est point un mal; crois-le. Crois-le toi-même,
    Dit le Hibou; moi je suis convaincu
      Que c'en est un; je veux m'en plaindre.
Quand je me portois bien, j'ai fait comme il m'a plû;
      Je meurs encor sans me contraindre,
      Et ton Sermon est superflu.
      D'illeurs, tu parles bien à l'aise,
Toi, qui seul de ton ordre avec le monde es né;
Ton Dieu, le Soleil même, à peine est ton aîné:
      Est-il étonnant qu'il te plaise
      De mourir? tu dois être sou
      Et du monde et de son allure:
Si j'avois eu de jours aussi pleine mesure,
      Je regretterois moins mon trou.
Qu'aurois-tu vû de plus? dit l'Arabique Apôtre;
C'est toûjours même chose; un jour ressemble à l'autre.
      Mourant tous deux au même instant,
      Nous aurons vêcu tout autant.
Adore le Soleil de qui tu tiens la vie;
      Et repens toi de l'avoir fui.
Quel bien t'est revenu de cette fuite impie,
      Que remords, que chagrin, qu'ennui?
      Mais je finis ; le temps se passe ;
      Et je suis pressé de mourir.
      Serviteur, et grand bien te fasse,
    Dit le Hibou; pour moi je veux guerir.
      Le Phœnix alors suit son zele;
D'Aromates, de bois acheve son bucher;
Aux raions du soleil l'allume de son aile;
      Et soûmis, il s'y va coucher.
      Les feux emportez par Zephire
      Prennent au logis du Hibou:
      Sur son bucher le Saint expire;
      L'impie expire dans son trou.
Mais l'un meurt pour toûjours, et l'autre de sa cendre
      Renaît avec tout son éclat.
A l'immortalité le juste doit s'attendre;
    La mort et pis, est pour le scelerat.
      Mais c'est dommage, ce me semble,
D'avoir encor à dire une autre vérité.
Le Phœnix est unique; et pour la rareté,
      Le juste à peu près lui ressemble.

II.
Le Festin du Lion

Le Lion, en bon Roi, voulut traiter sa cour;
Il n'étoit pas comme ces Rois de l'Inde,
      Qu'on ne voit point, qui craignent le grand jour,
Et dont la majesté sur la terreur se guinde:
Assuré de la crainte, il vouloit de l'amour.
On s'assemble à son antre, où la table est servie;
      Ses cuisiniers avoient mis là leur art;
Chevres, bonne volaille, et moutons gras à lard;
Bref, du côté des mets, odeur qui fait envie,
      Grand appetit de l'autre part.
      Sire Lion prend donc sa place;
Princes Tigres après  puis Milords Sangliers,
      Et les Ours à l'informe masse;
Un Cerf et quelques Loups se placent les derniers:
    Bien entendu que de chacune espece
      Les Dames se mêlent entr'eux;
      Car pour les ris et pour les jeux,
Que servent bonne chere et bon vin sans maitresse?
    Je dis bon vin, puisqu'il n'y manquoit pas.
Le Singe les servoit, Echanson du repas.
      Ce fut lui qui les mit en joie,
     Comme Vulcain y mit jadis les Dieux.
A son maintien boufon, bonne humeur se deploie;
      Chacun de rire à qui mieux mieux.
      Après l'aimable raillerie,
      De libertez en libertez,
      On poussa la plaisanterie
      A d'offençantes veritez.
      Comme au plus foible (c'est le stile)
Tous s'adressent au Cerf. O le compere agile!
Disoit-on. Quel Heros, s'il ne craignoit le cor!
      Il a les pieds legers d'Achile,
      Et sçait fuir comme un autre Hector.
Tout beau, reprit le Gerf chaud de vin et de bile;
Serois-je ici, Messieurs, si je n'avois du cœur?
Je l'avouerai pourtant, le bruit du cor me blesse:
Mais, comme vous sçavez, chacun à sa foiblesse;
Demandez même au Roi; la flâme lui fait peur.
Le Lion à ces mots demeure comme un terme;
    Et reprimant son couroux cette fois,
Il ouvre seulement la grife, et la referme:
      Clemence est le don des grands Rois.
    Pour un moment la joie interrompue
   Revient bien-tôt; on boit sur nouveaux frais.
      Dès que la crainte est disparue,
Voilà tout de nouveau les Satiriques traits.
      Entre la poire et le fromage,
      Le Cerf crut avoir bien trouvé
De dire à l'Ours: Mon Dieu le joli personnage!
      Qu'il seroit beau! que c'est dommage
Qu'on ne l'ait pas tout à fait achevé!
      L'Ours n'entend guere raillerie;
    Sur le railleur il se jette en furie,
      Et vous l'étrangle bel et bien.
D'imiter le Lion l'Ours n'eût pas le courage;
Le Cerf par son danger ne devint pas plus sage;
      Les sots ne profitent de rien.

III.
Le Renard Prédicateur

La morale sans doute est l'ame de la Fable;
C'est une fleur qui doit donner son fruit:
Vous voulez seulement lire un conte agreable;
      Sans le vouloir, vous allez être instruit.
On badine; il paroît qu'on ne songe qu'à plaire;
    Et le jeu se tourne en leçon.
L'homme n'eût point voulu d'un precepte severe;
Pour le prendre, il falloit trouver cet hameçon.
Ainsi ce Phrigien que l'univers renomme,
      Fut Precepteur du genre humain.
      Qu'un Lecteur est bien sous sa main!
Il l'amuse en enfant; mais pour en faire un homme.
Cultivons ce bel art. Qu'à l'envi du premier
      S'élevent de nouveaux Esopes,
Censeurs rejoüissans, et qui loin de crier
      Comme de chagrins Misantropes,
En nous reprimandant se font remercier.
      Mais, faisons-nous des regles sûres,
Que le conte soit fait pour la moralité;
      Prenons si juste nos mesures,
Que nous allions tout droit à notre vérité.
      Que le trait soit vif, et qu'il frappe.
N'allez pas vous répandre en de trop longs propos.
Plus le sens est précis, et moins il nous échappe.
Gagnez-vous la memoire en menageant les mots.
D'elle-même parfois la Fable est évidente;
      Le sens en saute aux yeux, et l'art
      Défend alors qu'on le commente.
    J'observe ici cette regle prudente.
      Qui n'entendra pas mon Renard?
* * * *
Un Renard, grand Docteur; mais déja chargé d'âge,
      Ne pouvant plus comme autrefois,
Assieger les oiseaux, ni chercher loin ses droits,
      De la ruse essaia l'usage.
      Il se mit à prêcher, dit-on,
Contre la guerre injuste et l'appetit glouton.
      Outre une morale si belle,
Il avoit forte voix, geste libre et bon ton,
      L'air humble et grand dehors de zele:
    Pere Renard se fit bien-tôt un nom.
On dit que le Lion eut desir de l'entendre;
    Pere Renard refusa cet honneur.
Il avoit ses raisons, et qu'il sçut faire prendre
      Pour crainte de s'enfler le cœur.
      Outardes, Poules, et mainte Oie
      S'en venoient en foule au Sermon;
On n'apprehendoit point de devenir sa proie;
Son texte rassuroit tout l'auditoire oison.
Malheur, s'écrioit-il, à l'animal vorace!
      Quoi, sans tuer ne peut-on se nourrir?
Nous avons tant de biens que le Ciel de sa grace,
      Dans les campagnes fait fleurir,
      Et sur les rameaux fait meurir;
Vivons d'herbe et de fruits; que faut-il autre chose?
Tout ce qui vit, Messieurs, doit être respecté.
      Nous en dirons plus d'une cause:
Injustice primo; secundo cruauté;
      Mais cruauté qui nous expose
A manger nos parens; oui, nos parens, Messieurs:
    Car apprenez que par metempsicose,
       (Ecoutez bien chers Auditeurs)
Après que dans un corps l'ame a fait quelque pause,
Elle passe en un autre, et là ne se repose
      Que pour passer encor ailleurs.
    Vous voiez bien que le Loup sanguinaire
En mangeant un Mouton, peut bien manger son pere;
      Que moi Renard, si j'allois escroquer
      Quelque Poule ou bien quelque Outarde,
      Je m'exposerois à croquer
      Ma pauvre mere la Renarde.
Plûtôt mourir cent fois! Ah! Que le Ciel m'en garde.
    C'est ainsi que s'estomaquoit
      Le Pithagore à longue queue:
Ses exclamations s'entendoient d'une lieue,
      Et son zele le suffoquoit.
Le Sermon achevé, tout l'Auditoire en joie
      En le louant se retiroit:
Mais pour le consulter, quelque poule ou quelque Oie
      Avec le cafard demeuroit.
Pour sa colation il vous croquoit la proie;
      Bienheureuse qui s'en tiroit!

IV.
Le Chien et le Chat

Ragotin, chien picard et sentant le terroir,
Fidele et bien la meilleure ame
      Que dans son espece on pût voir,
Hôte d'une maison, ne s'y faisoit valoir
Que par ses soins zelez pour Monsieur, pour Madame,
      Pour enfans, valets, tout le train:
      Jamais chien ne fut plus humain.
    Vous l'eussiez vû caresser sa maîtresse,
      Faire cent tours pour l'éguaier;
    Prendre sa part de joie ou de tristesse,
Selon qu'il la voioit ou rire ou larmoier;
      D'une lieue annoncer son maître;
    Pour le servir appeller tous ses gens;
Caresser ses amis, de loin les reconnoître;
      Patte flateuse et point de dents.
      Quelquefois dans un petit coche
De traîner les enfans il faisoit son devoir;
Il escortoit Catos quand elle alloit le soir;
Pour le cuisinier même il étoit tournebroche;
    Il étoit tout: aussi dans le logis
      Ne comptoit-il que des amis:
J'en excepte un Matou dont il tira l'oreille
      Un jour en disputant un os.
      Tu peux t'attendre à pis qu'à la pareille,
Lui dit alors le Chat, l'œil en feu, le cœur gros.
      Le Chien ne prend garde au propos,
Ni n'en gruge moins bien, ni moins bien n'en sommeille.
      Mais cependant le traître de Matou
      Meditant jour et nuit par où
      Il pourroit en tirer vengeance,
    Le trouve enfin: tout vient quand on y pense.
      La maîtresse avoit un Serin,
      Qui la charmoit de son ramage;
      Le scelerat un beau matin
    Incognito s'en va rompre la cage;
      Etrangle le musicien,
Et tout rongé le porte à la loge du Chien.
    Or, je vous laisse à juger le vacarme
Que la maîtresse fit se trouvant sans Serin.
      Tout le logis est en allarme;
      On court, on cherche; on trouve enfin
Le vrai corps du delit auprès de Ragotin.
      Ah! le perfide! Il faut qu'il meure;
      Point de pardon pour cet ingrat.
Vîte, qu'on me l'assomme. On obéït sur l'heure;
      En le frappant chacun le pleure:
Mais l'amitié n'alla qu'à soupçonner le Chat,
      Et pas plus loin: du Chien nul ne prit la defence;
Et pour toute reconnoissance,
C'est dommage, dit-on; mais qu'y faire? Il est mort.
Un ennemi nuit plus que cent amis ne servent;
      Qu'à jamais les Dieux m'en preservent.
    La Haine veille, et l#Amitié s'endort.

V.
Homere et le Sourd
A Monseigneur le duc de Noailles

Noailles, toi, qui fais le métier de Heros,
      Comme on le sçavoit faire à Rome et dans l'Attique;
      Qui connois l'usage Heroïque
      De l'action et du repos;
Moderne Scipion, propre à faire un Terence,
      Qui même dans les champs de Mars,
      Entretenois intelligence
      Avec les nourriçons des Arts;
      Couvert des lauriers dont Bellone
      T'a couronné plus d'une fois,
      Juge de ceux que je moissonne
      Par mes poëtiques exploits.
Un arbitre éclairé mal-aisément se trouve;
Tout lecteur ne m'est pas un juge competent.
Dans ce siecle hardi (quelquefois je l'éprouve)
      Soit que l'on blâme ou qu'on approuve,
      On decide plus qu'on n'entend.
* * * *
      Le Chantre d'Achile et des Rats,
Guindé sur des tréteaux dans une grande place,
      Recitoit à la populace
Les sotises des Dieux, et les sanglans combats.
    Il avoit là son tableau, sa baguette;
Montroit tous ses Heros, les nommoit par leur nom:
Celui-ci, c'est Ajax; cet autre Agamemnon;
Puis il chantoit leurs faits; la Scene étoit complete,
    Tout en étoit jusques au violon.
    Le peuple oisif autour de lui s'empresse;
De ses mots composez admire le beau son;
Chacun faisoit voler le mouchoir et la piece;
Le Chantre renvoioit et mouchoir et chanson.
On sonne là-dessus le marché du poisson.
      Tout deserte; il reste un seul homme.
      Homere court à lui, le nomme
    Favori d'Apollon; l'embrasse tendrement.
Au poisson, lui dit-il, tout court avidement;
L'heure du marché sonne; au diable qui demeure!
L'auditeur étoit sourd: que dites-vous de l'heure?
Le marché sonne en vain, dit le Chantre criant,
Il sonne? Adieu, dit l'autre; en vous remerciant.
      Du grand effet de nos ouvrages
      Nous nous applaudissons toûjours.
    De tels et tels nous vantons les suffrages;
      Et souvent tels et tels sont sourds.

VI.
La Vertu, le Talent, et la Reputation

      Vertu, Talent et Reputation
          Alloient faire ensemble un voiage.
Ils étoient bons amis, et l'étroit parentage
      N'alteroit point leur union.
      Quoique nous fassions même route,
      Dit Talent, il peut arriver
      Qu'on s'égare. On le peut sans doute,
Dit Vertu; dans ce cas comment nous retrouver?
Reputation dit: il faut donc que d'avance
      Vous me donniez des signes assûrés,
Qui, si je vous perdois, me donnent connoissance,
A peu près pour le moins, des lieux où vous serez.
      Soit, dit Talent. Partout où vous verrez
Du progrès dans les arts, du goût dans les ouvrages,
      Prose ou Vers marquez au bon coin,
Tableaux rianzs, Sculpture enlevant les suffrages,
    Cherchez-moi là; je ne serai pas loin.
Moi, dit Vertu, je serai moins facile
      A retrouver, si l'on me perd.
Il ne faudra pas trop me chercher à la Ville;
Je serai bien plûtôt cachée en un desert.
    Mais cependant, où vous verrez paroître
Des riches bienfaisans par le pauvre attendris,
Des amis empressez faisant gloire de l'être
    Pour les amis que le sort a proscripts;
De fideles époux; des juges équitables;
Des Ministres zelez; des vainqueurs raisonnables,
Aimant le bien public et n'aimant que cela,
      Demandez-moi moi; je serai là.
      Fort bien; je ne puis m'y méprendre,
      Répartit Reputation:
A mon égard, il n'est qu'une précaution
      Que je vous conseille de prendre.
    Gardez-moi bien; aiez attention
      A ne me point perdre de vue
      Pour peu que vous m'eussiez perdue,
      Tous signes seroient superflus:
Qui me perd une fois, ne me retrouve plus.

VII.
Les Graces

Les Graces, bonnes sœurs, goûtoient les sentimens
      De l'amitié la plus unie.
      L'émulation d'agremens
Entr'elles un beau jour sema la zizanie.
Chacune prétendit qu'elle plaisoit le plus;
      Qu'à ses yeux seuls les cœurs rendoient les armes,
      Et que pour lui prêter des charmes,
      Elle suffisoit à Venus.
      Je n'en veux d'autre Juge qu'elle,
Dit alors Euphrosine avec un ris jaloux.
Soûmettons-lui nos droits; qu'elle nomme entre nous
      La plus aimable et la plus belle:
Mais promettez, mes sœurs, de souscrire à l'Arrêt.
    Souscrivez-y vous-même, s'il vous plaît,
    Lui répondit Thalie effarouchée
De la voir trop compter sur le gain du procès:
      J'en vois d'ici la plus fâchée.
Allons, dit Aglaé; voions-en le succès.
On avertit Venus de ce nouveau caprice.
La Deesse s'assit en son lit de justice,
S'embellissant encor du plaisir de songer
      Qu'autrefois en même querelle
      Elle s'étoit fait ajuger
      La pomme due à la plus belle.
Les Graces paroissant devant ce Tribunal,
      S'inquietent du soin de plaire:
      Mais ce soin gâta leur affaire;
      Tout leur art leur tournoit à mal.
L'une fait la grimace en resserrant sa bouche;
L'autre altere ses traits en faisant voir ses dents;
    L'autre tournoit ses yeux de tant de sens
      Qu'elle en devenoit presque louche.
Qu'est-ceci, dit Venus? Où sont donc vos appas?
    Est-ce donc vous qui marchiez sur mes traces?
    Allez, allez; finissez vos debats,
    Si vous voulez redevenir les Graces;
      Et pour plaire, n'y songez pas.
N'y point songer? C'est trop. Eh bien, n'y songez guere.
      Je soûtiens sans exception,
      Qu'on déplaît, dès qu'on veut trop plaire.
Nul Agrément n'est né de l'Affectation.

VIII.
Le Renard et le Lion

L'homme, sans doute, envers l'homme son frere,
      Est tenu de sincérité:
      Mais il faut souvent, pour bien faire,
      Assaisonner la vérité.
      Si le vrai prend dans notre bouche
Le ton imperieux, l'air hautain de leçon;
    L'amour propre s'en effarouche,
Il faut l'apprivoiser par un peu de façon.
      Il faut par un humble artifice,
    L'aider lui-même à se persuader.
    Si vous voulez faire aimer la Justice,
Inspirez là plûtôt que de la commander.
    Les Rois surtout veulent qu'on les menage;
On doit les manier avec dexterité.
      Sans cet art, l'avis le plus sage
Leur paroît une atteinte à leur autorité.
      Fade flateur, pedant severe
      Le meilleur des deux ne vaut rien.
      Qui sçait corriger sans déplaire
      Est au but; qu'il s'y tienne bien.
Ces égards nous sont dûs à tous tant que nous sommes;
      Car tout amour propre a ses droits.
      Il faut menager tous les hommes:
En fait d'orgueil tous les hommes sont Rois.
* * * *
Un Renard poursuivi, faute d'un autre azile,
      S'étoit sauvé dans l'antre d'un Lion,
Le Chasseur l'y laissa sans plus d'ambition;
Violer la franchise eût été difficile.
      Mais le Renard épouvanté
Ne compta guere alors sur l'hospitalité.
      Çà, dit le Monarque farouche,
Sois le bien arrivé; tu seras pour ma bouche.
    A quelle sausse es-tu meilleur? dis-moi.
    Je n'en sçais rien, dit le Renard au Roi;
Mais, Sire, ce discours et ce regard severe
      Me rappellent mon pauvre pere.
    J'en pleure encor quand je pense à sa fin.
Un Lapin fugitif lui demandoit azile;
Mais mon pere trouva la priere incivile;
Et poussé par le Diable, il mangea le Lapin.
Le Lapin en mourant, reclama la colere
      De Jupiter Hospitalier;
      Et sur le champ mon pauvre pere
      Fut enfumé dans son terrier.
Le Lion s'en émût: et soit crainte, soit honte,
Soit pitié du Renard, sa faim se ralentit.
      Va t'en, dit-il, avec ton conte,
      Tu m'as fait passer l'appetit.

IX.
La Baleine et l'Ameriquain

      Sa Majesté Dame Baleine
      Sous son ample épaisseur faisant trembler les mers,
      Croisoit la côte Ameriquaine;
Elle occupe un arpent de la liquide plaine,
Et ses cris mugissans épouvantent les airs.
      Quelle est ma grandeur, disoit-elle!
Les habitans des mers me sont assujettis.
Soit crainte, soit amour, mon peuple m'est fidele;
Je le mange à mon choix, sans trouver un rebele;
      Je vais de pair avec Thetis.
      Contentez-vous, Messieurs les hommes,
D'oser porter la guerre aux autres animaux.
Si vous êtes leurs Rois, apprenez que nous sommes
      Vos Souverains, vous, nos Vassaux.
Dame Baleine ainsi, de bravade en bravade,
      Continuoit sa promenade.
      Un Celadon Ameriquain
Sur le rivage alors poursuivoit son Astrée;
Il vouloit l'attendrir; hélas! c'étoit en vain;
La belle pour tout prix de s'en voir adorée,
    Ne lui rendoit que froideur, que dedain.
      Quoi! dit-il; toûjours insensible!
      A quel prix donc vous mettez-vous?
      Parlez; je ferai l'impossible.
      Soit, lui dit-elle; engageons-nous;
Mais à condition, pour vous prendre à la lettre,
    Qu’à mes pieds vous allez remettre
    Ce monstre qui nous brave tous.
L'Amant reve, medite avant que de promettre;
      Puis trouvant ce qu'il a cherché,
A la clause, dit-il, il faut bien se soûmettre;
Allons, c'est vous avoir encor à grand marché.
      Il se munit de sa massue,
De deux tampons de bois; et voilà l'homme à l'eau.
      Conduit par son espoir nouveau,
Des ses deux bras nerveux il fend la mer émue,
Aborde la Baleine, et sans civilité
    Grimpe au dos de sa Majesté.
De ses mugissemens elle fait trembler l'Onde,
Non pas l'Amant: en vain de ses nazeaux,
Comme rapides traits elle lance les eaux;
      Il prend son temps le mieux du monde :
    De sa massuë il enfonce un tampon
Dans un nazeau, puis l'autre; il vous la coule à fond:
      Elle étouffe, et sur le rivage
      Nôtre nouveau Bellerophon
      Revient triomphant à la nage.
      Les flots secondant son ardeur,
Poussent le monstre mort sur les pas du vainqueur.
C'est ainsi que perit la premiere Baleine;
      Sa rodomontade fut vaine.
Le plus fort a son foible. Encore un autre point.
Les passions font tout en tous tant que nous sommes;
Reglons-les seulement; ne les étouffons point;
      Elles ont tout appris aux hommes.

X.
Les Abeilles

Il est bon d'user de clemence:
C'est le plus beau fleuron de la toute-puissance.
    Dieux de la terre, aimez à pardonner;
Et ne foudroyez pas, s'il suffit de tonner.
Mais que vôtre bonté jamais ne se permette
D'ôter à la malice un salutaire effroi;
Rarement convient-il que le prince se mette
      Entre le coupable et la Loi.
      Souvent la clemence indiscrete
Est le malheur du peuple et la honte du Roi.
    C'est par pitié qu'il faut être severe.
    Qui punit bien, a bien moins à punir.
    Pour le present humeur trop debonnaire
      Est cruauté pour l'avenir.
* * * *
      Muscan, Roi d'un peuple d'Abeilles,
      Surnommé Grand pour ses merveilles,
Fit dans tout son Etat publier un Edit.
      Maint motif élégamment dit
      Preparoit la défense expresse
      Qu'il faisoit à toute l'espéce
De toucher desormais aux fleurs de mauvais goût;
Attendu que le miel n'en valoit rien du tout.
Enjoint à ses portiers de refuser la porte
A tout contrevenant que l'odeur trahiroit.
      La defense est de droit étroit;
      Point de grace en aucune sorte.
      Fait en nôtre louvre emmiélé,
Tel an, tel jour depuis nôtre séance au Trône;
      Et du grand sceau de cire jaune
      Le tout scellé, contrescellé.
Le peuple ainsi lié par la Loi Souveraine,
Choisissoit bien ses mets; ne touchoit qu'au jasmin,
      A l'œillet, à la marjolaine;
Dinoit le plus souvent de roses et de thin.
Vous les eussiez vûs tous savourer les fleuretes
      Dont les jardins sont parfumez;
      Puis dans leurs utiles retraites
      Ils revenoient tout embaumez.
    Un jour pourtant une Abeille imprudente,
Favorite du Prince et presque en droit d'errer,
Aiant fait son repas d'une mauvaise plante,
Se presente à la ruche, et l'on vient la flairer.
Vous ne sentez pas bon. Qu'importe que je sente?
L'ordre n'est pas pour moi, dit la contrevenante.
Les portiers là-dessus la laisserent rentrer:
      Mais le Prince en faisant sa ronde,
Sentit l'odeur coupable; il appelle son monde,
Sur son Trône de cire il s'assied gravement;
Il interroge, il pese; et puis l'affaire instruite,
      Muscan condamne également
      Les portiers et la favorite.
Ah! Sire, s'écria le peuple d'une voix,
Pardonnez-leur du moins pour la premiere fois.
Non, je n'accorde point vôtre aveugle demande,
      Leur dit Muscan; sçachez qu'un Roi
      Doit être esclave de sa Loi;
Et qu'il doit obéïr à tout ce qu'il commande.
Ma rigueur est clemence, et de l'impunité
      Prévient les suites redoutables.
Combien aurois-je un jour à punir de coupables
Que je sauve aujourd'hui par ma sevérité!

XI.
Le Rat tenant Table

Il étoit un grenier vaste depositaire
         Des riches tresors de Cerès.
      Un Rat habitoit tout auprès,
      Qui s'en crut le proprietaire.
Il avoit fait un trou, d'où quand bon lui sembloit,
      Il entroit dans son héritage.
C'étoit peu d'y manger; le prodigue assembloit,
      Les Rats de tout le voisinage.
Il tenoit table ouverte en Seigneur,
      Où selon l'ordre, tout dîneur
      Paioit son écot de louange.
Est toûjours bien fêté celui chez qui l'on mange.
Le bon Rat comptoit donc ses amis par ses doigts,
Car il prenoit pour siens les amis de sa table;
      Chacun l'avoit juré cent fois;
Voudroient-ils lui mentir? Cela n'est pas croiable.
    Mais cependant l'autre maître du grain,
Voiant que ces Messieurs le menoient trop bon train,
    Se resolut de le changer de place.
Le Grenier fut vuidé du soir au lendemain.
      Voilà mon Rat à la besace.
Heureusement, dit-il, j'ai fait de bons amis.
Tout plein de cet espoir, chez eux il se transporte;
      Mais d'aucun il ne fut admis;
      Partout on lui ferma la porte.
Un seul Rat, bon voisin, qu'il ne connut qu'alors,
    Ouvrit la sienne, et le reçut en frere.
J'ai meprisé, dit-il, ton luxe et tes trésors;
      Mais je respecte ta misere.
Sois mon hôte; j'ai peu; ce peu nous suffira.
      Je m'en fie à ma tempérance:
      Mais insensé qui se fiera
    A tout ami qu'amene l'Abondance!
Il ne vient qu'avec elle; avec elle il fuira.

XII.
L'Enfant sans sexe

Il nâquit un enfant sans sexe ni demi,
          Contraire de l'hermaphrodite.
Beautés, à cela près, et des Graces parmi,
Pronostiquoient en lui le plus rare merite.
      Sur l'étonnante nouveauté
      Plus d'un Oracle est consulté:
    Le cas vaut bien qu'Apollon y réponde.
      Il dit donc que l'Enfant croîtroit
      Sans sexe et tel qu'il vint au monde;
      Mais qu'à vingt ans il choisiroit
D'être homme, ou femme, ou rien, enfin ce qu'il voudroit.
L'Enfant croît; il est grand; son esprit, sa prudence
    Lui font bien-tôt une foule d'amis.
    Tout sexe l'aime; à tous secrets admis,
      Dans son sein pleut la confidence.
Sur tout des tendres cœurs Avocat consultant,
      En juge neutre il les entend 
      Regle au plus juste chaque affaire 
      Conseille, accommode les gens;
      Et sans exiger d'Honoraire,
    Arbitre entr'eux les frais et les dépens.
Pendant son exercice, il ne reçoit que plaintes,
      Ne voit dans les cœurs des amans
      Que caprices, qu'emportemens,
Qu'impatiens transports et devorantes craintes;
      Les biens seulement en desirs;
    Chagrins réels sous l'ombre des plaisirs.
Le temps qui va son train amena la journée
      Où le consultant doit opter.
Il marche en pompe au Temple où doit s'executer
De l'infaillible Dieu la parole donnée.
      Les hommes pour leurs intérêts
      Le prioient de devenir femme;
    Il en avoit déja tous les attraits:
      A quelque bagatelle près
      Le Ciel l'avoit designé Dame.
      L'autre sexe de son côté
Le supplioit d'être homme; pourquoi? pour lui plaire;
    Et puis encor, de peur que sa beauté
Ne leur enlevât tout: chacun sçait son affaire.
L'Anonime entre au Temple, et le Peuple à l'entour
Prête au choix qu'il va faire une oreille perplexe.
Dieux, laissez-moi, dit-il, tel que je vins au jour.
L'amitié me suffit. En me donnant un sexe,
      Ne m'exposez point à l'amour.
Cette priere fut sage autant qu'imprévûë.
Les sexes sont sans doute établis à propos:
      Mais en cela la Nature eut en vûë
      Ses intérêts plus que nôtre repos.

XIII.
L'Horoscope du Lion

      Les grands sont friands d'Horoscope;
      Ils pensent que leur sort est écrit dans les Cieux,
Et que rien de nouveau ne s'offre au telescope,
      Qu'ils ne s'en trouvent pis ou mieux.
      Soleil, etoiles et planetes,
Tout parle d'eux. Petits, n'allons pas nous troubler
      Du noir présage des cometes;
Les Princes ont l'orgueil d'en vouloir seuls trembler.
* * * *
      Un Lion Souverain d'Afrique
    Voulut un jour sçavoir son avenir.
      Sa Cour ne lui pouvoit fournir
      Aucun maître en cette rubrique.
De certain Astrologue un singe domestique
      Promet la chose, et part pour la tenir.
A tout hazard il vole un papier à son maître;
      C'est un Horoscope; il suffit.
Il l'apporte au Lion; on le prend, on le lit.
    Que croiez-vous que le Lion doive être?
      Esclave, et puis comedien.
L'auriez-vous deviné? Quoi, traître, oses-tu bien
M'anoncer ce destin, dit le Prince au Prophéte?
Tu n'es qu'un ignorant. Sire, je le souhaite,
      Dit le Singe tremblant. Mais toi,
      Sçais-tu ton sort, reprit le Roi?
Voions; dirois-tu bien ce qu'il te reste à vivre?
La griffe étoit ouverte, et le Singe à genoux.
Sire, dit-il, j'ai lû dans le celeste livre
Que je devois mourir au même instant que vous.
    Ce tour adroit repara l'imprudence.
      Le Lion superstitieux
    Ferma la griffe et retint sa vengeance.
      L'Amour propre fit encor mieux;
    Il baptisa sa crainte de clemence.
Nos actions parfois ont un air de vertus:
Qu'on les creuse; c'est un vice ou foiblesse, et rien plus.

      Que deviendra la Prophetie?
Ecoutez. Le Lion arrêté dans des rets
      Est pris, enchainé, puis après
Apprivoisé. Son maître en veut gagner sa vie.
Ils partent. Avec eux nôtre Singe devin
Part aussi bien instruit des tours de Fagotin.
      Par les foires on les promene;
Par tout nos deux Acteurs établissent leur Scene,
      L'un serieux, l'autre badin;
      C'est Lelio, c'est Arlequin:
      Un seul de ces deux en vaut quatre.
Le monde court en foule à ce nouveau theâtre;
Chacun les voulut voir. Or le jeu du Lion
      Etoit de ne le plus paroître,
D'être doux, complaisant et docile à son maître;
      Il jouoit la soumission.
      De sa queue il lui faisoit fête;
      De sa patte le caressoit;
Souffroit que dans sa gueule il enfonçât la tête;
      Le spectateur en frémissoit.
Le Singe d'autre part fait sur son camarade
      Cent jolis tours, mainte gambade;
Monte à cheval sur lui, le mene à son desir:
Le spectacle à la fois faisoit peur et plaisir.
Dom Bertrand applaudi, pour l'être davantage,
    S'avise un jour d'un tour de son métier;
Et pour imiter l'homme, osant trop se fier
A la docilité de l'animal sauvage,
      Va dans la gueule du Lion
    Fourer sa tête. Une telle action
      Surprend le Lion et l'irrite:
Il redevient feroce, et sans attention
      A sa mort autrefois prédite,
Il étrangla Bertrand pour l'indiscretion.
Mais punissant la faute, il en fit une extrême;
Du collier de Bertrand il s'étrangla lui-même.
      C'est ainsi qu'on vit s'achever
Le destin du Lion, prononcé pour un homme:
Jusqu'au tour dont le Singe usa pour se sauver,
      Tout s'accomplit, tout se consomme,
    Qu'après cela l'on prenne le parti
    D'un art aveugle et qui n'a point de guide:
    Maître Hazard s'est par fois diverti
A le justifier: Mais quoiqu'il en decide,
      L'Astrologue a toujours menti.

XIV.
Le Présent et l'Avenir

Autrefois deux Marchands de nouvelle fabrique,
    Seigneur Present et Seigneur Avenir,
Chez les Mortels vinrent ouvrir boutique.
      C'est une epoque à retenir.
      Ils se logent l'un près de l'autre;
      Present dans un lieu fort étroit,
Avenir en grand air. L'un naïf, l'autre adroit,
Crioient à tous passans: Messieurs, voiez du nôtre.
Present avoit beau dire: arrestez, alte-là;
      Regardez-moi bien; me voilà:
Oui je suis le Present; venez j'ai vôtre affaire;
      C'est ici qu'est votre vrai bien.
Mon voisin vous appelle. Helas! qu'iriez-vous faire?
Il promettra beaucoup; et ne donnera rien.
Avenir près de là, sur un Theâtre vaste,
      Où brilloit l'adresse et le faste,
      Icy, Messieurs, s'écrioit-il;
C'est moi qui de vos jours ai debrouillé le fil;
      Je prédis tout ce qui doit être,
     Et plus encor. J'ai de tout; desirez.
      Quel bien voulez-vous voir paroître;
      Vous n'avez qu'à dire: Montrez.
Je console d'un mal; je fais mieux, et d'avance
      A sa place je mets un bien.
      C'est moi seul qui vends l'esperance;
Que dis-je? je la vends: Je la donne pour rien
Prenez, Messieurs, voilà des trésors, de la gloire,
Des plaisirs purs; jamais les avez-vous goûtez?
      Non: patience; il faut m'en croire;
      Il vous en vient, et des mieux apprêtez.
Mais voulez-vous encor une preuve meilleure.
De mon habileté, de mes droits absolus?
Present vous étourdit de ses cris superflus:
      Vous l'allez voir disparoître sur l'heure;
Tenez: vous le voyez; vous ne le voyez plus.
Prodige! il disparut pour tous tant que nous sommes 
Et le fourbe Avenir amusa seul les hommes.

XV.
Le Berger et les Echos

    On nous croiroit gens à reflexios:
    Mais nous disons beaucoup et nous ne pensons gueres:
    Bien rarement de nos decisions
      Sommes-nous les proprietaires.
    Nous repetons de bouche ou par écrit,
Ce que d'autres ont dit et souvent après d'autres.
   Pure Memoire erigée en esprit;
Jugemens étrangers que nous donnons pour nôtres.
Un seul homme a jugé: bien-tôt mille jaseurs
Adoptent son avis comme Loi souveraine;
      Et ce torrent de rediseurs
      Grossit si fort qu'il nous entraîne.
C'est trop s'abandonner à la pluralité,
      Race imbecille que nous sommes.
Ce n'est pas la que gît la vraie autorité.
      Pour garants de la verité,
      Comptons les raisons, non les hommes.
* * * *
Nommé par son hameau pour decider d'un prix,
Titire en un vallon bordé de mainte roche,
Rêvoit seul, meditoit un Arrest sans reproche.
      Ciel, daigne m'instruire, et me dis
Lequel chante le mieux de Silvandre ou d'Atis,
S'écrioit-il. L'Echo de proche en proche,
Cent fois repete, Atis. Atis chante le mieux!
Dit le berger surpris. Les Echos de redire,
Le mieux, le mieux, le mieux. C'est assez, dit Titire;
      Ce suffrage est victorieux.
Il retourne au hameau. Ça, dit-il, je puis rendre
Entre nos deux rivaux un jugement certain.
Atis chante mieux que Silvandre;
Tout le dit d'une voix dans le vallon prochain.
Nous decidons ainsi, credules que nous sommes.
Que d'Echos comptez pour des hommes!

XVI.
Les Poissons et le feu d'Artifice

Sur la riviere à la fin d'un beau jour,
      On tiroit un feu d'Artifice.
C'est en vain que la Nuit croit regner a son tour,
Du Soleil endormi Vulcain faisoit l'office;
Mille jeux de son art, malgré Phœbus absent,
      Firent voir le jour renaissant.
    Au bruit soudain, tout le peuple aquatique
      S'effraie au fonds de son manoir;
L'air tonnant, embtazé, trouble la republique;
      Ils n'osoient entendre ni voir.
      Malgré cette premiere transe,
      L'onde les rassuroit un peu;
      Car, où seroit la vraisemblance
Que le monde Poisson dût perir par le feu?
Ils-ne sont pas long-temps à le trouver possible.
La vraisemblance arrive; et mille serpenteaux,
Vrais foudres a leurs yeux, perçant le sein des eaux,
Leur porte de la mort la menace terrible.
Ah! S'écrierent-ils, le monde va finir;
    Chacun dé songe a sa consciénce;
Nous le meritons bien; le Ciel veut nous punir,
      Dit un Brochet: perfide engeance,
      Sans cesse ici nous nous mangeons;
      Moi, mes enfans; vous, les goujons;
      Et les goujons quelqu'autre espece.
Malheur aux plus petits! c'est le dîné des gros.
    J'en dis ma coulpe, et le remords m'en presse;
Nous avons allumé les celestes carreaux.
      Retire ta main vengeresse,
Jupiter; fai-nous grace, et nous te promettons
      De n'être plus inhumains ni gloutons.
      Le feu cessa pendant la repentance;
    La peur s'évanouït rt l'appetit revint.
      Chacun alors ne se souvint
      Que d'aller chercher sa pitance.
Leur vœu d'humanité souffrir bien du dechet.
Le Brochet penitent déjeuna d'un brochet.

XVII.
Le Valet et l'Ecolier

Martin servoit un Financier.
Un jeune étudiant étoit le fils du maître;
    Et le Valet et l'Ecolier
Etoient amis autant qu'on le peut être.
    Parfois ensemble ils raisonnoient:
    De quoi? des maîtres et des peres.
Sur le tapis sans cesse ils les tenoient.
    Les maîtres sont de vrais Corsaires,
Disoit Martin; jamais aucun égard pour nous;
Aucune humanité: pensent-ils que nous sommes
      Des chiens, et qu'eux seuls ils sont hommes?
Des travaux accablants, des menaces, des coups:
    Cela nous vient plus souvent que nos gages.
Quelle maudite engeance! eh! mon pauvre Martin,
      Les peres sont-ils moins sauvages?
Disoit l'Etudiant. Reprimandes sans fin,
Importune morale, ennuieux verbiages:
      Fous qu'ils ſont du ſoir au matin,
      Ils voudroient nous voir toûjours sages.
      Forçant nos inclinations,
Veut-on être d'épée? ils nous veulent de robe:
Quelque penchant qu'on ait, il faut qu'on s'y derobe,
      Pour ceder a leurs visions.
    Non, il n'est point d'espece plus mauvaise
Que l'espece de pere, inſiste l'Ecolier.
      Et Martin soûtenant sa these,
      Pourles maîtres veut parier.
Aussi long-temps qu'ensemble ils demeurerent,
      Ce fut leur unique entretien.
      Mais enfin, ils se separerent;
Chacun fit route à part. Martin acquit du bien,
      D'emplois en emplois fit si bien
      Qu'il devint Financier lui-même;
    Eut des maisons; que dis-je? eut des Palais;
      Table exquise et d'un luxe extrême,
    Grand équipage, et peuple de valets.
L'Ecolier d'autre part, herite de son pere;
Augmente encor ses biens; prend femme; a des enfans;
      Le temps coule; ils sont déja grands:
Martin devenu riche, il le fit son compere.
      Aussi bons amis qu'autrefois,
Ils raisonnoient encor. Quelle étoit leur matiere?
Les Valets, les Enfans. O la pesante Croix,
      Dit Monsieur de la Martiniere,
Car le nom de Martin étoit cru de trois doigts,
      Quel fardeau que des domestiques!
Paresseux, ne craignant ni menaces, ni coups,
Voleurs, traîtres, menteurs, et médisans iniques,
Ils mangent nôtre pain et se mocquent de nous.
      A! dit le Pere de famille,
Parlez-moi des enfans; voilà le vrai chagrin.
Ils ne valent tous rien, autant garçon que fille;
L'une est une coquete, et l'autre un libertin.
      Nul respect, nulle obéïssance;
Nous nous tuons pour eux; point de reconnoissance.
    Quand mourra-t-il? ils attendent l'instant;
Et se trouvent alors debarassez d'autant.
      Ces gens eussent mieux fait peut-être
De n'accuser que l'homme, et non point les Etats;
      Il n'est bon Valet ni bon Maître,
Bon pere, ni bon fils; mauvais dans tous les cas.
Il suit la passion, l'interêt, le caprice;
Ne laisse à la Raison aucune autorité:
Et semblable à lui-même en sa diversité,
      C'est toûjours égale injustice.

XVIII.
Le Chasseur et les Elephans

Parmi les animaux l'Eléphant est un sage.
      Il sçait philosopher, penser profondément.
En doute-t-on? Voici le témoignage
      De son profond raisonnement.
      Jadis certain Marchand d'yvoire,
Pour amasser de ces os précieux
      S'en alloit avant la nuit noire
      Se mettre à la fust dans les lieux
      Où les Elephans venoient boire.
La, d'un arbre élevé nôtre Chasseur lançoit
      Sans relâche fleche sur fleche:
      Quelqu'une entre autres faisoit breche,
      Et quelque Elephant trepassoit.
Quand le jour éloignoit la troupe Elephantine,
      L'homme heritoit des dents du mort.
    C'est sur ce gain que rouloit sa cuisine;
    Et chaque soir il tentoit même sort.
    Une fois donc qu'il attendoit sa proie;
Grand nombre d'Elephans de loin se firent voir.
      Cet objet fut d'abord sa joie;
      Bien-tôt ce fut son desespoir.
      Avec une clameur tonnante
Tout ce peuple Colosse accourut à l'Archer,
Environne son arbre, où saisi d'épouvante,
Il maudit mille fois ce qu'il venoit chercher.
Le chef des Elephans, d'un seul coup de sa trompe,
      Met l'arbre et le Chasseur à bas;
Prend l'homme sur son dos, le mene en grande pompe
Sur une am ple colline où l'yvoire est à tas.
Tiens, lui dit-il, c'est nôtre cimetiere;
Voilà des dents pour toi, pour tes voisins:
      Romps ta machine meurtriere,
      Et va remplir tes magazins.
      Tu ne cherchois qu'a nous détruire;
      Au lieu de te detruire aussi,
Nous t'ôtons seulement l'interêt de nous nuire.
Le sage doit tâcher de se vanger ainsi.

XIX.
La Rave

Un Jardinier trouvant une Rave fort grosse,
          Entre les raves vrai colosse,
      Dans sa surprise va songer
Qu'il en doit faire hommage au Roi de la Province.
      Le Phénomene potager.
      Sire, pardon de la licence;
Cette rave, dit-il, est crue en mon jardin;
Et j'avions de vous voir si grande impatience
Que j'ons pris, comme on dit, l'occasion au crin.
    Je sçavons bien que ce n'est pas grand chose;
Mais je sçavons aussi que vôtre majesté
      En revanche a de la bonté:
      Si je vous l'offrons, c'est à cause
Qu'elle vous appartient par droit de rareté:
Telle Rave, tel Roi. Dieu vous doint la santé.
    Du bon manant telle fut la Harangue.
      Le Roi prit plaisir à sa langue;
A son zele encore plus: il reçut le present.
    Mais c'étoit peu de l'accueil complaisant;
      La Roiale magnificence
      Prisa la Rave cent louïs;
    Et le manant, les yeux tout éblouïs,
Retourne a son village étaler sa chevance.
      Eh quoi! dit son Seigneur surpris,
      Paier cent louis une rave!
      Vertubleu, le Prince est un brave.
      Ma fortune est faite a ce prix.
Il vous monte a l'instant sur un coursier d'Espagne,
      Beau, bienfait, et qui sur les vents
      Prenoit quelquefois les devants.
Comme un rapide trait il franchit la campagne.
      On arrive au Palais du Roi
A qui le Seigneur court offrir son palefroi.
    Certes le don est superbe; il m'étonne,
      Lui dit alors sa majesté:
Mais je me picque un peu de generosité:
Qu'on m'apporte ma Rave. On l'apporte; il la donne.
    Tenez, dit-il; ainsi que le Cheval
      Dans son genre elle est des plus rares.
Il fit bien de punir le present deloial.
    Le monde est plein de ces donneurs avares.

XX.
Le Bonnet

C'est pour notre repos que les cœurs sont cachez.
      Jouïssons de nôtre ignorance.
      Nous serions tous bien empêchez,
      Si l'on nous parloir comme on pense.
* * * * *
Certaine Fée un jour étoit souris.
      C'étoit la fatale journée
      Où l'ordre de la destinée
      Lui faisoit prendre l'habit gris.
Un Chat qui la guétoit alloit croquer la Fée.
Certain homme le vit. Soit caprice ou pitié,
Il court après le chat,lui fait manquer sa proie.
      Au diable le Matou l'envoie;
Mais aussi la Souris le prit en amitié.
    Le lendemain elle apparut à l'homme,
    Non plus Souris, mais deesse; autant vaut.
Tu m'as sauvé le jour, commence-t-elle, il faut
Te paier du bienfait: le mieux, c'est le plûtôt.
De Doucette, car c'est ainsi que l'on me nomme,
      Cœur ingrat n'est point le défaut.
    Demande donc, et souhaite à ton aise;
      Je puis tout; tu n'as qu'à parler.
      Eh bien, dit l'homme, qu'il vous plaise
      M'ouvrir les cœurs, me reveler
      Tout ce que les gens ont dans l'ame.
      Soit, j'y consens, lui dit la Dame.
      Tu n'a qu'à prendre ce Bonnet;
Il est Fée, et tu vas voir les gens à souhait.
Ils ne te diront plus ce qu'ils croiront te dire;
      Mais bien tout ce qu'ils penseront.
      Tu les verras tels qu'ils seront.
    Grand bien te fasse; adieu, je me retire.
Voila bien-tôt nôtre Homme et son Bonnet
    Parlant aux gens. J'en aurai le cœur net,
    Se disoit-il; je verrai ce qu'on pense.
      C'est par sa femme qu'il commence.
      Le Bonnet de jouer son jeu.
Que je te hais, dit-elle, en embrassant le Sire!
(Contraste assez plaisant du faire avec le dire):
    Oui, je te hais, et non pas pour un peu;
      Sur tout depuis que j'aime Alcandre.
      Ah! que la mort tarde a me rendre
      Le service de t'emporter!
      Pour peu qu'elle me fasse attendre,
      Je n'y pourrai plus resister:
    Mon amant presse; il faudra bien se rendre:
Le tout en le flattant; c'est ce qu'il faut noter.
      La bonne épouse ainsi connuë,
      Le pere parle a ses enfans.
    En dépit d'eux leur bouche est ingenuë:
Ils attendent ses biens qu'il garde trop long-temps.
Ainsi l'Homme au bonnet s'en va de gens en gens
    Tirer des cœurs les secretes pensées;
Ne trouve en ses amis qu'ames interessées;
Ingrats et mauvais cœurs sous dehors obligeans.
      Va-t-il rendre quelque visite?
En lui serrant la main, on l'appelle importun.
      D'une parole qu'il a dite,
Quelqu'un veut le louer: ce quelqu'un hipocrite
      Dit qu'il n'a pas le sens commun.
A chaque instant mille degoûts pour un:
      Rien ne le flate; tout l'irrite:
Tant et tant, que notre homme excedé de chagrins
Jette enfin son bonnet par dessus les moulins.
Le cherche qui voudra. Quant à moi, je le quitte.