Fable I.
Le Cigne, l'Hirondelle et le Coq
Dans Aquilopolis, résidence royale
De l'aigle et des oiseaux antique capitale,
On ne voyait, comme à Paris,
Que talents sans emploi, qu'artistes incompris.
Voulant donc procurer aux oiseaux de génie
Des débouchés, une exportation,
On prit la résolution
De fonder une colonie.
C'était, je crois (je n'ose affirmer ce point-là),
Près de la Vera-Paz, dans le Guatemala;
On devait la nommer, dit-on, l'Aquilenie.
Trois députés, dans le conseil choisis,
Furent chargés d'explorer le pays.
Pour cet emploi d'abord fut désigné le cigne;
D'un pareil choix était bien digne
Cet habile navigateur,
Dont la forme aux vaisseaux a servi de modèle,
Si l'on en croit plus d'un auteur.
Ensuite, on nomma l'hirondelle,
Architecte de son métier;
Enfin le coq, vaillant guerrier.
Certains serins savants, par des bouts de ficelle,
Joignent, en forme de radeau,
Quelques bâtons flottants sur l'eau,
Et nos députés intrépides
Voguent bientôt sur les plaines liquides.
Si l'on eût consulté la raison seulement,
C'est le cigne, certainement,
Qui de ce frêle esquif eût été le pilote.
Mais, malheureusement, chacun a sa marotte:
Le coq voulait briller sur l'humide élément;
Il prit donc le commandement:
»— Donnons-leur,« disait-il, »la preuve sans réplique
De mes talents dans l'art nautique.«
Le cigne avec plaisir céda le gouvernail,
Préférant, à l'écart, s'occuper d'un travail,
Relatif à l'architecture.
Voilà donc le radeau flottant à l'aventure;
Notre grand amiral ne sut pas l'empêcher
De se briser sur un rocher.
De Castor et Pollux c'est la faveur suprême
Qui les tira vivants de ce péril extrême.
Un cigne, comme on sait, fut l'auteur de leurs jours:
Le nôtre, en ce danger, implora le secours
De ces divinités, aux matelots propices.
Nos voyageurs, sur une île jetés,
Ne découvrent, de tous côtés,
Que rochers sourcilleux et qu'affreux précipices,
Qui paraissent inhabités.
L'hirondelle, la bâtisseuse,
Sans doute, en ce pressant besoin,
De construire un logis devait prendre le soin;
Le cigne se propose:« — Ah! je suis trop heureuse
»De vous céder,« dit-elle, »une tâche ennuyeuse;
Travaillez donc avec ardeur.
Pour moi, depuis que je suis née,
De semblables travaux je vis environnée,
Et du mortier la seule odeur,
Je dois le confesser, me soulève le coeur.«
En moins d'un jour la demeure, construite,
En moins de temps encor fut par le vent détruite;
Tant ce somptueux monument
Fut par notre amateur bâti solidement.
Pour comble de malheur, des habitants de l'île,
Sorte d'oiseaux de proie, en Europe inconnus,
Attaquent les nouveaux venus.
La résistance aurait été facile,
Si notre coq, issu de guerriers valeureux,
Dans les travaux de Mars instruit, formé par eux,
Avait dirigé la défense.
Mais Jupiter permit qu'en cette circonstance
L'hirondelle, écoulant un aveugle transport,
Fondit sur l'ennemi: »La victoire ou la mort!«
Criait-elle; »laissez-moi faire,
Suivez-moi seulement, vous allez voir l'effet
D'un plan d'attaque que j'ai fait.«
Notre architecte aimait l'art militaire,
Et, dans ses moments de loisir,
S'en occupait, pour son plaisir.
L'effet fut désastreux; l'hirondelle inhabile
De ses deux compagnons se laisse séparer,
Et dès lors, l'ennemi pouvant les entourer,
La valeur devint inutile:
Vaincus, poursuivis, déchirés,
Ne pouvant fuir de ces déserts sauvages,
Tous trois périrent, dévorés
Par ces cruels ornithophages.*
Que doit nous enseigner ce triste résultat?
C'est qu'on n'aime point son état,
Qu'à toute autre affaire on s'applique;
C'est que tout ira bien pour la chose publique
Lorsque le magistrat, l'artiste, le guerrier,
Auront pris pour devise: A chacun son métier.
*Ornithopliages,
mangeurs d'oiseaux.
Fable II.
Le Rat et la Marmotte
Il s'éleva jadis un violent débat
Entre Ronge-Maille le rat
Et la Marmotte sa cousine.
C'était, dit-on, à propos d'une noix,
Sur laquelle tous deux voulaient avoir des droits;
»Qu'attendre d'une baladine?«
Disait le rat, »madame, tous les jours,
Dans la rue, en public, danse et fait mille tours,
Marche avec un bâton et puis mainte autre chose;
Et, comme ces ébats veulent qu'on se repose,
Madame y met le temps, et, couchée une fois,
Madame dort pendant six mois.
Paresseuse!...« Par là, le rat à la marmotte
Croyait bien porter une botte
Difficile à parer. Celle-ci répondit:
»Qui, je danse ou je dors, comme vous l'avez dit;
Je serai la franchise même:
En été, dès le grand matin,
Je me donne une peine extrême
Pour divertir les gens et procurer du pain
A mon jeune maître que j'aime;
Mais, quand vient la froide saison,
Et qu'il gagne aisément sa vie
Au foyer de chaque maison,*
De dormir tout mon soûl je me passe l'envie.
Que ne faites-vous comme moi?
Au lieu de consacrer tout votre temps à nuire,
A tout ronger, à tout détruire;
C'est votre seul talent, c'est votre unique emploi,
Et le jour et la nuit; car vous ne dormez guère.
Vous êtes de ces gens de qui l'activité
Est un fléau pour la société;
Il vaut mieux dormir que mal faire.«
*En
France, et dans une partie de l'Europe, les petits Savoyards
sont exclusivement chargés de ramoner les cheminées.
L'été, ils montrent la marmotte en vie.
Fable III.
Le Peintre de portraits
Un peintre vainement luttait contre le sort,
Et pourtant ses pinceaux fidèles
Retraçaient si bien ses modèles,
Qu'on les reconnaissait d'abord.
Il rendait d'une main si sûre,
Leur port et leur air et leurs traits,
Qu'on croyait voir respirer ses portraits,
Et qu'ils semblaient sortir des mains de la nature.
Il n'avilissait point son art
A flatter la coquetterie,
A métamorphoser en jeune homme un vieillard,
A rajeunir le teint d'une beauté flétrie.
A chaque muscle il laissait sa vigueur,
Au nez, comme au menton, conservait sa longueur.
Sans doute il avait tort; car, de cette manière,
Notre artiste perdit ses clients peu nombreux,
Et chez lui ses portraits, tout couverts de poussière,
Restèrent en monceaux poudreux:
»Il faut sacrifier, je le vois, à la mode,«
Se dit-il. »Pour vous contenter,
Mesdames et messieurs, il faut savoir flatter;
Flattons donc, et changeons, dès ce jour, de méthode.«
Il fait porter dans le salon
Qui lui sert d'atelier, et mettre en évidence,
Le Buste de Vénus et celui d'Apollon.
Qu'un personnage d'importance
A son art ait recours: le portrait, esquissé,
D'après son Apollon est aussitôt tracé;
Il a du Dieu du jour et l'air et la tournure.
Changeant quelque peu, seulement,
A la couleur des yeux, ou de la chevelure,
Parfois le blond Phébus devient un brun charmant.
Cependant qu'il copie, il parle avec adresse
Et de Rome moderne et de l'antique Grèce,
Du coloris du Titien,
Ou des airs de tète du Guide;
Causant beaucoup et causant bien.
Puis, d'une assurance intrépide:
»J'ai cru, d'honneur,« dit-il, »à la difficulté
Succomber, monseigneur; car comment reproduire
Tout l'esprit de votre sourire,
Joint à ce grand air de bonté!
Et ce regard de feu, se peut-il qu'on le rende!
Pourtant j'ai réussi, jugez-en.« Monseigneur
Examine et répond: »J'ai la bouche plus grande;
Mon nez a, ce me semble, aussi plus de longueur;
Enfin, si je sais m'y connaître,
Vous m'avez quelque peu rajeuni, mon cher maître.«
»— Non, monseigneur, pardonnez-moi,
Je vous ai peint ainsi que je vous voi;
Et ce portrait, chacun vous le dira de même,
Est d'une ressemblance extrême.«
Monseigneur examine encor
Et trouve, cette fois, la peinture à sa guise:
»Oui, je conviens,« dit-il, »de ma méprise;
C'est bien cela, vraiment, et je tombe d'accord
Qu'auprès de ce portrait mon miroir même a tort.«
Une coquette se présente:
Le peintre retrace Vénus.
La dame, souriant, est à peu près contente,
Et dans ces traits charmants a les siens reconnus.
Cependant, l'amant de la belle
Vante avec feu le portrait et l'auteur:
»On ne peut mieux,« dit-il, »retracer son modèle,
Et, sur cette toile fidèle,
Je retrouve vos traits, comme ils sont dans mon cœur.«
L'artiste, devenu flatteur,
A toute la ville sut plaire.
Chacun parla, dans la riche cité,
De sa supériorité,
Et vanta son talent, ainsi que sa manière.
Bientôt de ses portraits le prix fut augmente.
Et sa fortune crût avec sa renommée.
Si, fidèle à la vérité,
Il eût peint, jusqu'au bout, avec sincérité,
Sa perte eût été consommée.
Quand la louange irait jusqu'à l'absurdité,
Elle est toujours sûre de plaire.
L'encens le plus grossier s'accepte sans colère;
Plus les termes sont forts, et mieux ils sont reçus.
L'amour-propre est tout prêt à croire, sur parole,
La plus ridicule hyperbole;
Car, si haut qu'on le place, il se croit au-dessus.
Fable IV.
La Mélomanie
L'aigle, de son pouvoir ayant changé la forme,
Et fait dans ses États une sage réforme,
Le gouvernement personnel
Devint constitutionnel.
Dans l'intérêt de la chose publique,
Sa charte fut mise en musique.
L'oiseau de Jupiter fit de cet art charmant
La base du gouvernement.
Cet aigle était instruit, il avait lu Molière,
Et, raisonnant à la manière
Du maître de monsieur Jourdain,
Qui raisonnait bien, ce me semble,
Il voyait dans cet art le seul moyen certain
D'accorder ses sujets ensemble.
Son cabinet, choisi d'après ce sentiment,
Le secondait parfaitement;
Tenant en grand honneur la musique vocale,
Il prisait moins l'instrumentale,
Et les oiseaux chanteurs avaient part seulement
Aux faveurs, aux emplois de ce gouvernement.
Qu'un guerrier, rempli de vaillance,
Sollicitât, comme la récompense
De quelque service éclatant,
Certain poste élevé, le ministre, à l'instant,
Répondait: »Général, chantez-vous, je vous prie?«
»— Non, mais avec honneur j'ai servi ma patrie.«
»— J'en suis fâché pour vous, mais il nous faut des voix,
Et nous ferons un autre choix.«
Qu'un sujet distingué dans la diplomatie,
Dont la science a fait l'étude de sa vie,
Demandât, comme un droit, non comme une faveur,
La qualité d'ambassadeur,
Unique objet de son envie;
Le ministre disait: »Vous chantez sûrement?«
»— Non, je n'ai pas de voix.« — »Pas du tout?« —
»Nullement.«
»- Comment, sans ce talent, voulez-vous qu'on vous place?
Aucun autre ne le remplace,
Et vous sollicitez très-inutilement.«
Tous les choix étaient faits d'après cette méthode,
Et c'était tellement la mode
Qu'un oiseau, seulement parce qu'il chantait fort,
Fut nommé ministre à Francfort.
Aussi quel doux concert! quelle heureuse harmonie!
Lorsque toutes ces voix, prenant un même ton,
Chantaient en choeur: Le ministère est bon.
Un fin merle trouva de la monotonie
Dans ce touchant accord, et les siffla si bien,
Qu'un jour, ces mêmes voix chantèrent, au contraire:
Le ministère ne vaut rien,
Il se retira de colère.
Comment cela se put-il faire?
Ces chanteurs de profession
Chantent tout ce qu'on veut, selon l'occasion;
Il ne s'agit que du salaire.
Gagner les électeurs, corrompre les élus;
A tout prix, en un mot, rester au ministère,
Des hommes au pouvoir c'est là l'unique affaire.
Rien ne marche, tout souffre, on n'administre plus;
Un ministre a, ma foi, bien autre chose à faire!
Ainsi que chez mon aigle, il songe peu, je crois,
Aux titres, aux talents, mais il lui faut des voix.
Fable V.
Bouvreuil et le Pinson
Sur le compte d'une fauvette,
Jeune, belle, mais fort coquette,
Un pinson, l'autre jour, s'exprimait en ces mots:
»Combien je suis heureux d'avoir brisé ma chaîne!
Autant que je l'aimai je hais cette inhumaine,
Et près d'elle, à présent, mon cœur est en repos.
Sans lâcheté l'on ne peut aimer celle
Qui n'aime rien, ou plutôt n'aime qu'elle;
Maintenant que je la connais,
Je la méprise, je la hais.«
»— Puisque tu la hais tant,« dit un bouvreuil, »je pense
Que bientôt à ses pieds tu seras de retour.
Veux-tu savoir quel est l'opposé de l'amour?«
»— La haine.« — »Non, l'indifférence.«
Fable VI.
Le Dervis et le
Courtisan
J'ai lu, je crois, dans Gulistan*
Qu'un dervis, réclamant une aumône légère
D'un des favoris du sultan,
Celui-ci, sans égard pour son humble prière,
Le refusa fort durement,
Poussant même l'emportement
*Gulistan
ou les Roses, ouvrage persan composé par le célèbre Saadi.
Jusqu'à lui jeter une pierre.
Le religieux outragé
N'adresse au courtisan ni plainte, ni murmure:
»Le Ciel est juste, et je serai vengé
Tôt ou tard,« se dit-il, »d'une si lâche injure.
Homme dur et cruel! de cette pierre un jour
Puissé-je t'atteindre à mon tour!«
Il ramasse à ces mots le caillou qu'il emporte.
Six mois après, quelqu'un frappe à sa porte
Et dit: »Ce favori, ce seigneur envié,
Qui vous fît cette insulte, il est disgracié.
Venez le voir, là-bas, en ce moment il passe;
Par ordre du sultan, sur un âne monté,
Par la plus vile populace
Cet orgueilleux est insulté.«
Notre dervis d'abord courut prendre sa pierre,
Vous devinez à quelle intention.
Mais ce mouvement de colère
Cédant bientôt à la réflexion,
Il la jeta dans la rivière.
»Allah peut le punir,« dit-il; »à se venger,
L'homme, je le vois trop, ne doit jamais songer.
Tant que notre ennemi conserve la puissance,
C'est folie et témérité;
Et, quand il est tombé, c'est une lâcheté
Que de penser encor à la vengeance.«
Fable VII.
La Fontaine et le
Ruisseau
Au centre du parc d'un château,
Cité pour sa magnificence,
Une riche fontaine, en un bassin immense,
Versait, avec orgueil, le cristal de son eau.
Non loin de là, dans un bois sombre,
Entouré de mystère et d'ombre,
Serpentait un humble ruisseau.
Il épanchait une onde pure,
Sous l'herbe, à travers les cailloux,
Et ne se révélait que par son doux murmure.
La fontaine lui dit: »Comment donc osez-vous
Paraître dans ces lieux, qu'embellit ma présence?
Mon cher, vous n'êtes pas de votre honneur jaloux.
Tandis que dans les airs en gerbe je m'élance,
Vous rampez dansla fange.« —»Ayez moins d'arrogance,«
Repartit le ruisseau. »Je coule en liberté,
Au travers de l'herbe fleurie;
Heureuse et modeste est ma vie.
Tout cet éclat me cause, en vérité,
Bien plus de pitié que d'envie;
Votre onde ne le doit qu'à sa captivité.«
Messieurs les gens de cour, je vous tiens ce langage.
Quand on a vu de près votre noble esclavage,
On trouve son éclat assez cher acheté.
Une aisance modeste, et d'estime entourée,
Indépendante enfin, car c'est là le grand point,
A mes yeux vaut cent fois votre chaîne dorée.
Ce costume brillant, qui ne me séduit point,
N'est, après tout, qu'une riche livrée.
Fable VIII.
Les deux Chênes
Persévérez; pour croître il faut prendre racine.
Le vent porta deux glands, d'une même origine,
L'un, dans un terrain généreux,
Qu'une source limpide humectait de son onde;
Et l'autre, dans un sol ingrat et sablonneux.
Au retour du printemps ils poussèrent tous deux.
Le chêne qui croissait dans la terre féconde
Avait pour maître un théoricien
Horticulteur, de science profonde,
Perfectionnant tout, sans réussir à rien;
De ces gens que le Ciel semble avoir mis au monde
Pour prouver que le mieux est l'ennemi du bien.
»Aux chênes,« se dit-il, »dès le premier automne,
J'ai lu, qu'en les plantant, on coupe le pivot;
Poiteau* sur cet objet fort sagement raisonne.«
Il déplante l'arbuste et lui fait aussitôt
Cette opération qu'il juge nécessaire.
L'an d'après: »Ce côté,« dit-il, »de mon jardin
Me semble évidemment meilleur que son voisin.«
Et, de nouveau, le chêne, ôté dé terre,
Est mis de ce côté, pour que mieux il prospère.
Bref, tous les ans, notre arbre transplanté,
Taillé, raccourci, tourmenté,
Dépérit, en dépit du sol le plus fertile.
*Auteur,
justement renommé, du Bon Jardinier.
Son frère par le sort fut beaucoup mieux traité.
Dans un terrain presque stérile,
Tranquillement du moins il y passa ses jours.
Il y crût lentement, mais profitant toujours,
Il se couvre aujourd'hui du plus riche feuillage,
Et les bergers des alentours
Viennent danser sous son ombrage.
Voulez-vous réussir? craignez les changements.
Croyez-moi, l'inconstance à rien ne remédie;
Quatre ou cinq déménagements
Font plus de tort qu'un incendie.
Fable IX.
Le Furet, le
Renard et l'Oison
Le médecin Tant-mieux et le docteur Tant-pis
Jadis se querellaient au chevet des malades;
Mais, aujourd'hui, bons camarades,
Ils sont tous deux du même avis.
En consultation, si chez vous ils se rendent,
Ne redoutez entre eux ni haine, ni courroux;
Non, non, pour se moquer de vous,
Le mieux du monde, à présent, ils s'entendent.
Pour un gros rhume, un vieil oison manda
Le Furet, docteur broussaisiste;
Et le mal si fort empira,
Grâce aux remèdes qu'il donna,
Que le docteur Renard, savant anatomiste,
En consultation fut aussi demandé;
Deux médecins! l'oison est bien recommandé!
Or, après mainte révérence,
Le pouls tâté, l'on entre en conférence:
»Sans chercher quelle cause ainsi put l'enrhumer,
Je suis,« dit le Renard, »d'avis de le plumer.«
»— Eh quoi! pour un rhume?« — »Oui; de l'homoeopathie
Je suis grand partisan, malgré quelques abus:
Similia similibus.«
»— Pour cette nouveauté j'ai peu de sympathie,«
Dit le Furet, »saigner est bien plus de mon goût;
Mais je veux vous complaire en tout,
Et votre avis, docteur, sera le nôtre.«
»— Non, mon cher, décidez, c'est moi qui suis du vôtre.
A propos, je vous vis hier à l'Opéra;
Comme la sylphide dansa!
Et que sa mise était soignée!
Ainsi, vous êtes donc, mon cher, pour la saignée?«
»— Margot chanta son air dans la perfection,«
Reprend l'autre. »Tout rhume est inflammation;
Vous savez de Broussais que je suis la méthode.
J'ai vu votre équipage, il est fort à la mode;
Et vos coursiers....« — »Pardon, forcé de m'éloigner,
Résumons-nous: il faut le plumer, le saigner.
Ici nous nous verrons demain à la même heure.«
Et chaque médecin regagne sa demeure.
D'un pareil traitement quel est le résultat,
Dites-vous? de l'oison qu'est devenu l'état?
S'il est vivant, ou mort, mes amis, je vous jure
Qu'on ne me l'a point dit; mais, s'il guérit enfin,
Il doit payer le médecin....
Et remercier la nature.
Fable X.
Le
Coq de combat, l'Hirondelle et le Pigeon
Un vieux coq de combat, brave autant qu'on peut l'être,
Par cent exploits fameux jadis,
Et l'objet de nombreux paris,
Qui tous enrichirent son maître,
Etait criblé de coups reçus au champ d'honneur;
Et, comme un maréchal célèbre dans l'histoire,
Il n'avait conservé rien d'entier que le cœur.
Aussi, ne parlant que de gloire,
Que de lauriers et de victoire,
L'invalide guerrier regardait en pitié
Ses compagnons doux et tranquilles,
Ces pacifiques volatiles
Qui, brillants de santé, de jeunesse et d'amour,
Autour de lui s'ébattaient tout le jour.
Un beau matin, à sa jactance
Était en butte un modeste pigeon:
»L'ami,« lui disait-il, »va manger ta pitance
Un peu moins près de moi, là-haut, dans ton donjon.
Souviens-toi qu'entre nous il est quelque distance;
Te faut-il rappeler qu'un guerrier tel que moi
N'est pas le commensal d'un pékin comme toi?«
Du haut d'un toit du voisinage
Une vieille hirondelle, entendant ses propos,
Se chargea de répondre au prétendu héros:
Cessez de prodiguer l'outrage
A qui vaut mieux que vous cent fois,«
Dit-elle; »aimable amant, époux tendre et fidèle,
Bon père, ce pigeon peut servir de modèle
Aux oiseaux de nos champs, comme à ceux de nos bois.
Chaque jour l'industrie a recours à son zèle;
Que d'utiles secrets confiés à son aile!
A ce vol rapide et léger
Qui des humains en fait le messager! . . .
»— Est-ce tout?« dit le coq. »Vous devriez, ma mie,
Qui donnez votre avis, sans que l'on vous en prie,
Apprendre qu'à la gloire on doit plus de respect.
Ne le voyez-vous pas, rien qu'à mon seul aspect?
Je suis un brave, moi, la chose est manifeste;
N'apercevez-vous pas ces blessures?« — »Si fait,
Vous êtes boiteux, borgne et laid;
Vraiment, cela se voit de reste.
Mais, qui vous a réduit à cet état funeste?
De l'attaque des ennemis
Avez-vous défendu vos foyers, vos amis?
Du sang des autres coqs on ne vous vit avide
Que pour flatter la vanité,
Pour amuser l'oisiveté
D'un maître orgueilleux et cupide.
Nous ne tirons nul fruit de vos sanglants travaux;
De donner le trépas vous fîtes votre étude,
La bravoure est chez vous l'effet de l'habitude;
Vous êtes un bretteur, et non pas un héros.«
A ces mots, ne pouvant atteindre l'hirondelle,
Le coq sur le pigeon s'élance furieux.
Mais lui, prenant l'essor, s'éloigne à tire d'aile,
Portant au haut des airs son vol audacieux;
Et, tandis que son adversaire
Peut s'élever à peine à quelques pieds de terre,
Il semble planer dans les cieux.
C'est ainsi que l'intelligence,
Dans les plus hautes régions,
Plane au-dessus de l'ignorance,
De la brutale violence,
Et des grossières passions.
Fable XI.
La Pie et l'Hirondelle
Margot la pie et Progné l'hirondelle
Devisaient dans un pré, par un jour de printemps.
Dame Margot s'étonnait, disait-elle,
Que l'autre ainsi s'éloignât tous les ans.
»Comment peut-on quitter, sans une peine amère,
Les lieux où l'on reçut le jour?
Où notre cœur brûla des premiers feux d'amour?
Où l'on devint épouse et mère?
A tous les coeurs bien nés que la patrie est chère!«
Cette heureuse citation
Termina dignement ce morceau d'éloquence,
Que notre voyageuse écoutait en silence,
Et qui sur son esprit fit quelqu'impression.
»Chacun,« répondit-elle, »a sa vocation,
Et le Ciel mit en moi cette ardeur vagabonde.
Si vous pouviez, ainsi que moi, juger
Du plaisir que l'on goûte à parcourir le monde,
Peut-être on vous verrait vous-même voyager.«
Puis, elle raconta mille faits incroyables
Dont elle avait été témoin;
Des peuples inconnus, des sites admirables.
A beau mentir qui vient de loin;
Le voyageur ailé le sait comme le nôtre.
Bref, lorsque l'on se sépara,
Chacune à son avis avait ramené l'autre.
A dater de ce jour, dame Margot chanta:
Ah! quel plaisir d'être en voyage!
Et l'hirondelle répéta,
Croyant prendre un parti plus sage:
Ma foi, voyage qui voudra.
Septembre arrive enfin, et le froid à sa suite;
Les oiseaux voyageurs prennent bientôt la fuite;
L'hirondelle demeure et Margot prend l'essor.
Dieu sait ce qu'il lui faut d'effort!
Avec son aile courte et son énorme queue,
Avec peine, par jour, elle fait une lieue.
Sur le bord de la mer l'oiseau parvient enfin.
Là, l'émigrante république
Vole au-dessus des flots, pour passer en Afrique;
Elle prend le même chemin.
Pauvre Margot! tu ne peux, d'une haleine,
Franchir cette onde; où vas-tu te poser,
T'abriter et te reposer?
Bientôt exténuée, et respirant à peine,
Un faible vent, du haut de l'air,
La précipite dans la mer,
Et, dans quelques instants, hélas! c'en est fait d'elle.
Le destin de notre hirondelle
Ne fut pas plus heureux. L'hiver et ses frimas
Régnaient alors sur nos climats.
Adieu l'insecte ailé qui fait sa nourriture;
La neige couvrait la nature;
Comment, dans ces tristes instants,
Nourrir et réchauffer ses petits grelottants!
Ils expirèrent tous, les enfants et la mère.
De faim, de froid et de misère.
Dieu ne nous donna pas la même mission,
Et chacun, ici-bas, a sa vocation.
L'un est né pour les arts, et l'autre, pour la guerre;
Pour la cour et l'éclat, pour l'ombre et le mystère;
Pour voyager au loin, ou garder la maison.
Quel que soit notre sort, subissons-le sans plainte;
Un vieux proverbe a dit, avec raison,
Que chacun n'est pas né pour aller à Corinthe.
Fable XII.
Le Renard et ses
Enfants
Un vieux renard touchait à son heure dernière,
Et, convoqués par ordre du mourant,
Ses enfants, accourus pour fermer sa paupière,
Entouraient leur père expirant.
Il soulève, avec peine, une tête brûlante,
Et, d'une voix faible et tremblante:
»Mes enfants,« leur dit-il, »fuyez l'iniquité,
A ses derniers moments croyez-en votre père.
Les maux cruels dont je suis tourmenté,
Et que, dans peu, la mort va terminer, j'espère,
Sont moins cuisants que mes remords.
Je vois autour de moi les sanglantes victimes
Dont je peuplai les sombres bords;
Le fardeau le plus lourd est celui de mes crimes.
Soyez donc sobres, vertueux,
La vertu seule, ici-bas, rend heureux.
Mes prières du Ciel sont, j'espère, entendues;
A l'avenir, mes enfants, vous vivrez
Honnêtement, et vous rétablirez
Vos réputations perdues.«
»— De bon cœur, nous voudrions, tous,
Suivre vos avis salutaires,«
Répondit l'un des fils; »mais, hélas! comme nous,
Vous savez trop ce qu'ont été nos pères;
Voleurs, brigands, de père en fils,
Et du nom qu'ils nous ont transmis
Naît la nécessité de marcher sur leur trace;
Car, eussions-nous la douceur des brebis,
On soutiendrait toujours que nous chassons de race.
Malgré notre vertu, s'il manquait un chapon,
S'il disparaissait un dindon,
A peine la nouvelle en serait répandue,
Qu'on nous accuserait partout de leur trépas;
Quand une fois elle est perdue,
La réputation ne se retrouve pas.«
De ce renard je blâme le langage;
Porteur d'un nom flétri, sans doute il vaut bien mieux
Souffrir pour la vertu, lutter avec courage;
Mais c'est un immense avantage
Que d'être issu d'honorables aïeux;
Un nom sans tache est un bel héritage,
Dont on ne peut assez remercier les dieux.
Fable XIII.
L'Araignée et le Ver
à Soie
La fileuse araignée, un jour, tint ce langage
Au ver à soie: »Admirez cet ouvrage,
Que j'exécute sans compas;
De lignes, de carrés, étonnant assemblage!
A l'imiter, mon cher, vous ne parviendrez pas.«
Celui-ci répondit; »Avec vous je l'admire,
Et suis bien moins adroit que vous, je dois le dire.
Mais, comme mes fils précieux
Décorent les palais et les temples des dieux,
L'on me recherche, l'on m'attire.
Malgré votre talent, ma chère, comparez
De vos ronds et de vos carrés
La destinée, hélas! bien différente;
Ils ne sont bons à rien; aussi, gare les yeux
Et le balai de la servante!«
On me fait remarquer le fini merveilleux
De ce vase, formé d'un noyau de cerise;
Sur ce travail exquis chacun s'est récrié;
Vous vous taisez, dit-on: que veut-on que j'en dise?
Que c'est du temps mal employé.
Fable XIV.
La Girafe et le Singe
Dans une onde tranquille et pure
Dame Girafe se mirait,
Et, bien entendu, s'admirait.
»J'ai vraiment un grand air, une belle tournure,«
Disait-elle, »et sur moi nul ne peut l'emporter.
Peut-être, dans ma taille on pourrait souhaiter
Un peu plus de désinvolture;
Cela peut s'acquérir, et je vais commencer
Par prendre un bon maître à danser,
Pour joindre l'art aux dons que m'a faits la nature.«
La grande dame mande, en achevant ces mots,
Un singe renommé, Vestris des animaux,
Giles Bertrand; c'est de cet art futile
Le professeur le plus habile.
Le maître arrive donc, suivi de son prévôt,
Sa pochette à la main; l'on commence aussitôt.
La girafe d'abord veut que, par préférence,
On lui montre la révérence;
C'est la grâce, surtout, qu'elle veut obtenir.
Bertrand enseigne donc comment, en noble bête,
On doit marcher et se tenir;
Comment il faut porter la tête,
Avec grâce baisser le cou,
Et bien bas plier le genou.
Le maître à merveille s'explique;
Mais, de la théorie, on passe à la pratique,
Et, sans peine, vous concevez
Combien la chose fut comique;
Car, faite comme vous savez,
Tout, dans une girafe, à la grâce s'oppose.
Bref, après l'avoir fait vingt fois recommencer,
On fut forcé d'y renoncer.
L'affaire fit du bruit, cela fut même cause
Qu'on dénigra Bertrand; je suis son défenseur
Le plus habile professeur
Ne saurait enseigner la grâce.
Il peut bien combiner, montrer de jolis pas;
Mais, quoi qu'il dise, ou quoi qu'il fasse,
La grâce ne se donne pas.
Fable XV.
L'Aigle et le Milan
Sire Milan se trouvait las
De tous ces oisillons, sa pâture ordinaire.
»Eh bien! donc, que l'oiseau du maître du tonnerre
Serve lui-même à mes repas;
Et pourquoi,« disait-il »n'y servirait-il pas?
Je vais lui déclarer la guerre.«
Et le voilà qui vole à d'illustres combats.
Pauvre milan! trop téméraire engeance!
D'abord le roi des airs méprise un vil sujet,
Si peu digne de sa vengeance!
L'autre, plus confiant, s'applaudit en secret;
D'une nouvelle ardeur son courage s'allume,
Il revient, même à l'aigle il arrache une plume.
Quel trophée! il se croit tout de bon triomphant.
Il portait dans son bec cette dépouille opime,
Quand l'aigle fond sur sa victime,
Aussi rapide que le vent.
Il vous le plume au même instant,
Et puis, prenant l'essor, sur un roc il le laisse,
Nu comme un ver, transi, presque mourant;
Il n'en meurt pas, mais il attend
Que son plumage pousse et sa force renaisse,
Pour punir, à son tour, un superbe ennemi
De ne l'avoir corrigé qu'à demi.
Enfin, l'instant de la vengeance arrive.
Un jour donc que d'un fleuve il parcourait la rive,
Il aperçoit un pont de bois,
Et dans l'un des piliers une étroite ouverture;
C'est l'ouvrage du temps, car tout, dans la nature,
Reconnaît et subit ses souveraines lois.
Notre milan y passe, avec un peu de gêne;
Puis, ensuite, plus aisément;
A la fin, il y passe et repasse, sans peine,
Même en volant,
Tout d'un élan.
Il pousse un cri de joie, et bientôt, dans la nue,
Voilà de Jupiter le royal messager;
D'un pôle à l'autre il semblait voyager;
Le milan frémit à sa vue,
Impatient de se venger.
Le signal est donné, l'aigle, plein de furie,
S'élance; à cette fougue opposant l'industrie,
Notre milan, d'abord, se dérobe à ses coups.
Comme il sonna la charge, il sonne la retraite;
L'embuscade était toute prête,
Il y sait d'un rival attirer le courroux.
L'aigle s'obstine à l'y poursuivre;
Il pense le tenir, quand lui-même se livre;
Malgré tous ses efforts, il y reste enlacé,
Et le milan, débarrassé,
Se met à le plumer, lui rendant la pareille:
»Sire, écoutez,« dit-il, »ce que je vous conseille,
C'est de vous souvenir que, des grands aux petits,
Tout peut se pardonner, excepté le mépris.«
Fable XVI.
L'Homme et la Puce
Parmi les habitants de la machine ronde,
Pétris tous d'un même limon,
Tout n'est que vanité, comme dit Salomon.
Parcourez l'air, la terre et l'onde,
Interrogez chaque espèce, à son tour,
Elle vous dira, sans détour,
Qu'elle est la première du monde.
Un sage méditait, le soir d'un jour d'été,
Et du soleil couchant admirait la beauté:
»Que l'homme est grand! dit-il,« le monde est son empire;
»Maître et seigneur de tout ce qui respire,
Dieu créa pour lui seul ce superbe univers;
Pour lui toutes ces fleurs, pour lui ces fruits divers;
Et de ce firmament la voûte magnifique!«
Notre homme, en cet instant, jette un cri de douleur;
Une puce, au menton, qui jusqu'au sang le pique,
Vient l'interrompre, par malheur:
»De ton orgueil, cette piqûre,
Dit-elle,« est la punition.
Tu te prétends le roi de la création;
Et que sera la puce? elle est, la chose est sûre,
La première ici-bas, l'homme ne vient qu'après,
Puisque Dieu l'a fait tout exprès
Pour nous servir de nourriture.«
Fable XVII.
La Lionne, le
Taureau et le Singe
De la reine Lionne on célébrait la fête;
Le programme annonçait, en l'honneur de ce jour,
Baise-main, ou plutôt baise-patte, à la cour.
On y vit accourir mainte notable bête;
Le tigre, l'éléphant, la panthère, étaient là,
Se pavanant en habits de gala.
Pour le peuple il fallait des plaisirs d'autre sorte;
Il dansa, s'enivra, se battit à la porte.
Mais laissons la canaille, et rentrons au château.
Presque au même moment, le singe et le taureau
Passaient au pied du trône où se tenait la reine;
D'un air froid et distrait, l'illustre souveraine
Reçut l'humble baiser de l'animal cornu.
Mais quand, près d'elle enfin le singe parvenu,
Avec grâce, à son tour, lui fit la révérence,
Sa Majesté sourit: »Soyez le bien venu,
Dom Bertrand,« lui dit-elle. A cette préférence,
Maint grand seigneur cacha son dépit envieux;
Et, moins bon courtisan, le taureau furieux
(Il est, quand il s'y met, assez mauvaise tête),
D'un long mugissement troubla toute la fêle:
»Eh quoi!« dit-il, »en toute occasion,
On nous préfère à tous un singe, un histrion!
On estime un danseur futile
Plus qu'un brave guerrier, plus qu'un ministre habile!
Pour le singe l'accueil plein de distinction;
Pour lui, la faveur éclatante;
Pour nous, la froideur insultante.«
»— Calmez,« répond la reine, »un injuste courroux;
J'honore, assurément, un guerrier tel que vous;
Mais, à mon singe aussi, je suis fort redevable;
Un ennemi terrible, chaque jour,
Est, par lui, chassé de ma cour;
Et cet ennemi redoutable,
Vaincu, mis en fuite par lui,
Faut-il vous le nommer encore? c'est l'ennui.«
Messieurs les hommes politiques,
Députés, pairs ou membres du sénat,
Laissez-là, croyez-moi, les affaires publiques
Et le pénible soin de gouverner l'État.
Apprenez à danser; c'est le mieux, ce me semble,
Que l'on puisse faire à présent;
Tel danseur renommé gagne plus en un an
Que tous nos ministres ensemble.
Fable XVIII.
Le Singe et le Chien
Bertrand le singe, un jour, prit un fusil,
Puis appelant Briffaut, limier de bonne race:
»Allons, mon chien, suis-moi,« dit-il
»Tu le vois, je pars pour la chasse.
Mon frère l'homme en use ainsi,
Il aime ce plaisir, je veux l'aimer aussi.
Ne ris pas; oui, vraiment, de l'homme je suis frère;
Ne fais-je pas tout ce qu'on lui voit faire?
Regarde plutôt, n'ai-je pas
Son port, son air, ses gestes et son pas?
Je sais en tout l'imiter.« — »Je le nie,«
Répond le chien; »sois moins ambitieux;
Pour ressembler à l'homme, as-tu donc son génie?
Le compas à la main, mesures-tu les cieux?
Et, méditant sur toute chose,
De chaque effet sais-tu trouver la cause?
L'imiter, toi! Cesse de t'en vanter;
Ainsi que moi, va, tu n'es qu'une bête,
Tu marches sur deux pieds, et tiens droite la tête;
Mais singer n'est pas imiter.«
Fable XIX.
Le Mur et la Table
Un jeune homme à seize ans bien rarement est sage;
Léon, vif et léger, comme on l'est à cet âge,
Avec son père, hier, causait,
Et voici ce qu'il lui disail:
»Mon père, en vérité, Paul est insupportable;
De mon avis, il n'est presque jamais;
Ce sont toujours des si, des car, des mais;
Est-ce donc là le fait d'un ami véritable?
Parlez-moi de Firmin, il est de mon avis,
Et mes moindres propos de bravos sont suivis;
Je le trouve bien plus aimable.«
Puis, par son bumeur emporté,
Gesticulant avec vivacité,
Léon perd l'équilibre; il saisit une table,
Mais elle offre à ses doigts un appui trop peu sûr,
Elle glisse; et sa chute était inévitable,
Si sa main, en tombant, n'eût rencontré le mur,
Appui certain, mais un peu dur,
Qui lui cause, un moment, une douleur légère.
»Mon fils,« reprend alors son père,
Cet incident, qui vient à mon secours,
»Sert de réponse à ton discours;
Écoute la leçon que le basard te donne:
Cette table, vois-tu, c'est un ami flatteur,
Qui, dans l'occasion, fuit et vous abandonne,
Et dont il faut haïr le langage imposteur.
Le mur est l'ami vrai, qui te soutient, t'assiste;
Si parfois son langage et te blesse et t'attriste,
Tu peux, du moins, te fier sur son cœur.
On ne peut s'appuyer que sur ce qui résiste.
Fable XX.
La Lune et sa
Couturière
Épilogue
La Fable, un jour, dit à la Vérité:
Croyez-le bien, ma soeur, trop de sincérité
Rebute l'homme et l'effarouche.
Vous l'abordez toujours le reproche à la bouche;
Il vous fuit, et jamais n'écoute jusqu'au bout
Vos discours, fort peu de son goût.
Vous savez quelle est ma méthode;
Veuillez permettre encor qu'une fois, à ma mode,
Je le corrige, en offrant à ses yeux,
Sous le plus bizarre costume,
Son portrait ressemblant. D'un regard curieux,
Il viendra, selon sa coutume,
Considérer ses traits, que des plumes d'oiseau,
Ou d'un quadrupède la peau,
Déguisent d'étrange manière;
Et, se reconnaissant, j'espère,
Il rougira de sa difformité.«
»— Eh quoi!« reprit la Vérité,
»N'avez-vous pas déjà fait ce portrait, ma chère,
Beaucoup mieux qu'aujourd'hui vous nepourriez le faire?
Jeune et jolie alors, c'était votre bon temps;
Vous avez peint l'homme d'après nature.
Un bon portrait suffit; à quoi bon, tous les ans,
Se remettre en frais de peinture?«
»— Pour être fidèle à mon nom,«
Dit la Fable, »je veux, par un court apologue,
Vous répondre; il pourra me servir d'épilogue:«
Dans sa coquette humeur, la lune, un jour, dit-on,
Fit venir une couturière:
»Je veux,« dit-elle à l'adroite ouvrière,
»Une robe du meilleur goût.
Songez qu'elle doit être en tout point convenable;
D'une couleur à mon teint favorable,
Et faite à ma taille surtout.«
»— Reine des nuits,« reprit l'artiste habile,
»La tâche est par trop difficile,
Je n'en saurais venir à bout.
Tantôt vermeille, tantôt pâle,
Et semblable au rubis, ou pareille à l'opale,
Vous nous charmez toujours également.
Mais, tour à tour, petite ou grande,
Svelte, grasse, échancrée, ou ronde entièrement,
Quelle couleur, je le demande,
Assortir à ce teint qui change chaque nuit?
Et, quel que soit mon zèle extrême,
Prendrai-je mesure, avec fruit,
Sur une taille, hélas! qui n'est jamais la même,
Et que le lendemain détruit?
Pour réussir,« ajouta-t-elle,
»Madame, il faut, chaque malin,
Prendre une autre mesure, et qu'on vous fasse, enfin,
Pour chaque nuit, une robe nouvelle.«
»J'en dis aulant de l'homme, et ses vices divers,
Ses ridicules, ses travers,
Selon le temps, le lieu, l'individu, varient,
Se transforment, se modifient.
Comment ne faire qu'un portrait,
Un dessin ressemblant, durable,
D'un sujet aussi variable!
Il y faut chaque jour retoucher quelque trait.
Cent esquisses déjà grossissent ce volume;
Que de sujets heureux encore j'entrevois!
Mais je vieillis, ma soeur; j'ai beau tailler ma plume,
Je n'écris plus comme autrefois;
L'esprit baisse, et, malgré ce qui me reste à dire,
Je serre mes pinceaux, et je suspends ma lyre.«
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