Livre Troisième
 

Livre Deuxième
 

Un Procès entre le Succès et la Gloire
La Fantaisie et la Simplicité
Les deux Montres
Le Lilas et le jeune Chêne
Le Diseur de bonne aventure
La leçon maternelle
Une réponse ingénue
Le Pinson et le Bouvreuil
L'Apprenti tisserand
Les Vertus et les Vices
L'Aiguille et les Ciseaux
Les têtes de puces mises à prix
La balance du Bon Sens
La Brebis, le Chat et la Pie
Les deux petits Pots
Jacques et Jean
Les deux Huitras
Le faux Louis

I.
Un Procès entre le Succès et la Gloire

      Dans un pays dont, pour l'instant,
      Le nom échappe à ma mémoire,
      Sans avoir fait de testament,
      Mourut un parent de la Gloire.
Elle hérite de lui, le Succès intervient:
      — Je suis, dit-il, son propre frère,
    Et, comme tel, la moitié m'appartient.
      Elle, soutenant au contraire
      Qu'il en impose effrontément,
      Au tribunal du Sentiment
      S'appela cette grande affaire.
      Pour avoué le Succès prit
L'Imagination; pour avocat, l'Esprit.
      La Gloire chargea de sa cause
      Le Jugement et le Bon Sens.
Ce procès fit du bruit, comme bien on suppose.
Et plaideurs et conseils étaient gens importants:
Aussi fut le public nombreux à l'audience.
On était curieux de savoir la sentence
      Et d'entendre les orateurs.

La parole est de droit d'abord aux demandeurs:
      L'Esprit donc ouvre la séance.

Jeune, léger, brillant, plein de charme et d'attrait,
Aussitôt qu'il se montre, à tout le monde il plaît.
Des murmures flatteurs l'accueillent. Il expose
De son client les droits, car c'est ainsi qu'il ose
      Appeler sa prétention.
      Quant à la filiation
      Il n'en dit rien, ou peu de chose;
      Sort souvent de la question;
Tantôt voltige autour, ne l'effleurant qu'à peine,
      Tantôt, dans sa course lointaine,
      Va cueillir d'exotiques fleurs;
      Mais partout, de ses auditeurs
      Il est suivi, car il entraîne.
De charme et d'agrément il sème ses discours,
Et s'il ne convainct pas, il enchante toujours.

Après lui, le Bon Sens, pour la défenderesse,
Se lève: chacun fait silence, et les regards
Sur lui sont aussitôt fixés de toutes parts.
Son air simple n'est pas dépourvu de noblesse;
Ses traits sont imposants, et rien que son aspect,
En commandant l'estime, inspire le respect.
Il parle avec clarté, s'exprime avec justesse:
Tout ce qu'il dit est vrai, solide, mesuré,
Et chaque coup qu'il porte est un coup assuré.
»Ma cliente, dit-il, est d'origine illustre;
La vôtre, fort douteuse, a souvent un faux lustre:
Sachons de quel côté la Gloire est votre sœur.
Étes-vous roturier? Étes-vous gentilhomme?
Que faisaient vos auteurs? Comme est-ce qu'on les nomme?
Vos papiers où sont-ils?... L'argument le meilleur,
C'est un titre: tout autre à mes yeux est sans force,
Et les subtilités ne sont point mon amorce.
La question pour moi réside dans un point:
C'est votre état civil, je ne m'en dépars point.

Ainsi maître Bon Sens en concluant s'explique.

Il se fit écouter jusqu'au bout sans ennui;
Eut de chauds partisans; on loua sa logique,
Mais le plus petit nombre; et la foule, pour lui,
      Se montra bien moins sympathique.

Le Sentiment hésite;il flotte irrésolu.

En répliquant, l'Esprit, qui dans son cœur a lu,
Sentant qu'il ne peut pas éluder davantage,
Sur un terrain glissant habilement s'engage.
Sous les yeux éclairés du prudent magistrat,
Si son client ne met nul acte, nul contrat,
La Révolution de ce fait est la cause
Qu'en peut-on inférer de contraire à sa cause?
Que de marquis, de ducs, de comtes d'aujourd'hui,
Seraient d'en rapporter en peine autant que lui!
Il est noble (comme eux) et frère de la Gloire:
C'est un fait démontré, prouvé, patent, notoire.

    De ce système il invoque à l'appui,
Tout ce qu'ils ont entre euxde commun, desemblable;
Ces applaudissements, ces bravos, ces transports,
Conformité visible et fraternels rapports
      Que nier est insoutenable.
Ensemble on les confond; l'un pour l'autre on les prend,
Et cela, tout le monde, et cela constamment.
Cette ressemblance est frappante; elle est extrême...
Celle de deux jumeaux est moins grande elle-même.

Dans sa péroraison, redoublant ses efforts,
Il fait, pour triompher, jouer d'autres ressorts;
Appelle à son secours la piquante ironie,
L'agréable gaîté, l'adroite flatterie.
De l'art en cent façons exploite les secrets;
Au sophisme a recours, s'aide du subterfuge,
Entasse les moyens. Qu'ils soient bons ou mauvais,
L'Esprit, quand il en veut, en manque-t-il jamais?

Il séduisit, charma, persuada son juge,
Fit tant, et dit si bien, qu'il gagna son procès.
On condamna la Gloire avec dépens et frais.
    Heureusement que c'était en instance!...
En cour de la Raison elle interjette appel.
Un arrêt fut rendu. Le voici textuel;
    D'y rien changer je ferais conscience.

Considérant, qu'ainsi que l'exige la loi,
De son état civil le Succès ne fait foi
      Par aucune pièce authentique;
    Que ce peut être un enfant du hasard;
Que sa naissance au moins est très-problématique;
      Et considérant d'autre part,
Que de la Gloire on sait le rang et la famille;
Que du Génie elle est la légitime fille;
      Qu'entre eux peut,à la vérité,
      Exister quelque affinité,
      Mais non un étroit parentage;
      Que dans les traits de leur visage,
      S'il se trouve quelque rapport,
On ne doit point juger les gens d'après la mine;
Que même ce rapport, quand on les examine,
      Paraît moins grand que tout d'abord;
Que dans son intérêt le Succès l'exagère:
    Par ces motifs: qu'il se prétend son frère
      Mal à propos et fort à tort;
Sans preuves le soutient et faussement l'affirme,
Dit qu'on a jugé mal: — En conséquence, infirme.«

II.
La Fantaisie et la Simplicité

La jeune et belle Aspasie.
Faisant emplettes de bal,
Un jour, au Palais-Royal,
Aperçut la Fantaisie,
A qui tenaient compagnie,
La Mode et la Nouveauté.
Son œil en fut enchanté.
— Voudriez-vous, lui dit-elle,
Me venir voir quelquefois?
Tous les lundis je reçois:
Rue Honfleur, hôtel d'Arvelle.
Et dans le même moment
La Simplicité passant,
Aspasie également
Invita cette autre belle.

Toutes les deux, au jour dit,
Se rendent chez leur hôtesse.
Aussitôt la Politesse
Au salon les introduit.
D'en aborder la maîtresse
Chacune ayant le désir,
L'une et l'autre fend la presse
Dans l'espoir d'y parvenir.
Si grande était la cohue,
Qu'il fallut plus d'un instant.

La Fantaisie est pourtant
D'elle à la fin aperçue,
S'en approche et la salue.
Quel est son étonnement!
A peine si l'on lui rend
A moitié sa révérence:
On la traite absolument,
Comme l'on traite un enfant,
Ou quelqu'un sans conséquence.
La Simplicité s'avance,
Et d'un air tout différent,
D'un ton plein de déférence,
On reçoit son compliment.

Se tournant vers la Franchise,
Qui là, par très-grand hasard,
Dans un coin était assise,
Elle lui peint sa surprise
D'un pareil manque d'égard.
— Ah! madame, lui dit-elle,
Voyez ma peine cruelle!
De l'accueil que je reçoi
Me direz-vous le pourquoi?

— Très-volontiers, ma petite,
Lui répondit celle-ci:
C'est d'être venue ici
Seule. Règle ta conduite
A l'avenir sur ceci:
La Mode t'est nécessaire.
Crois-en ma sincérité,
En vain tu prétends à plaire,
Sans l'avoir à ton côté.
Loin d'elle, le ridicule
Bientôt s'attache à tes pas;
Il compromet sans scrupule
T'es plus séduisants appas.

Gentille enfant du Caprice,
Je te le dis sans malice,
Ta grâce est la nouveauté;
Pour elle un moment l'on t'aime.
Quant à la Simplicité,
Son charme est toujours le même.
C'est la fille du Bon-Goût;
Elle peut aller partout:
On l'aime pour elle-même.

III.
Les deux Montres

D'une Montre étant héritier,
Un homme chez un bijoutier
Entra, désirant s'en défaire.
Justement, pour la même affaire
Un autre déjà s'y trouvait.
Pour que mieux on me puisse entendre,
Des deux Montres que l'on veut vendre,
En deux mots traçons le portrait.

L'une d'elles, vieille patraque
D'argent, ou plutôt de tombaque,
Qui n'avait jamais rien valu,
Et dont un laquais n'eût voulu,
Ne semblait bonne qu'à détruire.
En l'autre à la fois on voyait
Et la matière et l'art reluire:
Elle était d'or, et de Bréguet.

Au possesseur de la première,
Soit fait ce que vous désirez,
Dit, la prenant, le lapidaire;
Vos mille francs vous en aurez.
Puis, à celui de la seconde,
Qui, de surprise sans seconde,
A ce discours reste muet,
Se demandant s'il entend net:
Mon ami, dit-il, pour la vôtre,
Je ne saurais vous en donner,
A beaucoup près, le prix de l'autre.
Cela semble vous étonner,
Votre figure assez le montre.
Elle est fort belle, votre Montre;
Mais jetez les yeux dans ma montre,
Elle en est pleine. Voyez-vous,
D'occasion tous les bijoux
Sont chose à placer difficile.
Sur les bras m'en voici des mille:
Aussi je ne veux, désormais,
Rien qu'au poids les prendre jamais.

— Certes, il faut dans cette affaire
Que j'aie un étrange guignon!
Dit le vendeur tout en colère.
De cet abominable ognon,
Qui vaut au plus quelques oboles,
Vous avez donné cent pistoles;
Et vous osez de ce bijou
M'offrir moins!... Vous êtes donc fou?

— Eh! mais, dit le marchand, minute!
Moi je n'aime point la dispute:
Vous vous emportez là, vraiment,
Comme ferait du lait bouillant.
Si j'ai donné plus forte somme
De l'autre Montre, voici comme:
C'est que jadis elle eut l'honneur
D'être celle d'un malfaiteur.
Et que la vôtre, par malheur,
Ne fut jamais, mon cher monsieur,
Que celle de quelque honnête homme.
Nous allons suivant le chaland,
Et recherchons-ce qui se vend.
Si donc de voleurs, de voleuses,
D'empoisonneurs, d'empoisonneuses,
Enfin, pourvu qu'ils soient fameux,
Des scélérats les plus affreux
De tout genre, de toute sorte,
Vous aviez jamais par hasard,
Quelque objet qui se garde ou porte,
A moi veuillez avoir égard.
D'avance je sais des pratiques,
Et de belles — je dis encor —
Qui ne croiraient pas d'un trésor
Trop payer de telles reliques.
Ah! surtout si quelque heureux cas
Vous procurait de Lacenaire
Ou la montre ou la tabatière,
Ne cherchez point d'autre acquéreur:
Accourez, et je vous l'achète...
A tous les deux, mon bon monsieur,
Notre fortune serait faite!

IV.
Le Lilas et le jeune Chêne

Dans sa caise brillan te, un jour se pavanant,
Un Lilas tout en fleurs dans la force de l'âge,
      Auprès d'un petit Chêne étant,
      Celui-ci, très-civilement,
Vers lui, par politesse, inclina son feuillage;
      Mais le Lilas le regardant,
Bien loin de se montrer sensible à cet hommage,
Redressa, tant qu'il put, ses rameaux fièrement,
      Et du haut jusqu'en bas, toisant
Le faible végétal, il paya d'insolence
      De son voisin la prévenance;
      Sans doute en secret comparant,
Avec son propre tronc, à ses yeux si robuste,
      La mince tige de l'arbuste.

Assez longtemps après l'orgueilleux arbrisseau,
Près du Chêne grandi se trouva de nouveau:
      Il le voit sans le reconnaître,
   Sans soupçonner quel jadis il était.
   Je le crois bien; alors il dépassait
   L'Orme, le Pin, le Platane et le Hetre
   Le Lilas donc, à ce coup, dans son cœur,
   Admire sa beauté, sa force, sa vigueur;
      Contemple sa vaste étendue,
      Son front élancé dans la nue,
Et rien qu'à mesurer du regard sa hauteur.
      Fatigue sa débile vue;
      Et cette fois il le salue,
      Et le traite de monseigneur.
»Tu te trompes, ami, dit l'arbre gigantesque,
      Tu te trompes; tu méconnais
      Ce chêneau que tu dédaignais,
Ce frêle rejeton que nain tu croyais presque.
      — Assurément, votre grandeur
    En ce moment fait une erreur,
Dit l'Arbrisseau saisi d'un trouble extrême.
      — Point du tout; fais-moi le plaisir
      De chercher en ton souvenir:
A pareil jour, un soir, ici, dans ce lieu même...
— Oh! ciel, dit le Lilas, se pourrait-il? eh! quoi...
— Oui, lui dit sans aigreur le Chêne, c'est bien moi,
Moi, dont ta force alors méprisait la faiblesse:
J'étais petit, c'est vrai; mais, tu le vois, d'espèce
      A devenir plus grand que toi.«

      Qu'en Dieu, qu'en sa sève il se fie,
      Le Chêneau devient arbre enfin;
      Et le Lilas, c'est son destin,
      Reste arbrisseau toute la vie.

V.
Le Diseur de bonne aventure

Un homme très-savant, et de plus esprit fort,
Plaisantait des devins, des charmeurs, des sorcières,
Des tireurs d'horoscope;il riait des lumières
Qu'ils prétendent avoir. L'un d'eux lui dit: »Ta mort
Aura lieu dans un an. — Et de quelle manière?
Dit le docteur, non sans un peu d'émotion.
— Un mal du cerveau doit terminer ta carrière:
Le signe avant-coureur sera certain frisson.
Quand tu le sentiras, songe à ta fin prochaine.
Adieu.« C'était le soir. Sans plus se mettre en peine,
Mon savant chez lui rentre, et se couche, et s'endort,
Et s'éveille au matin, sans souci du présage,
Et l'oublie onze mois; — c'était là du courage,
      Et même pour un esprit fort!

Un soir, ce temps passé, sur l'hunide verdure,
      Il prend un rhume assez léger,
Qui lui fait éprouver un frisson passager.
      Le diseur de bonne aventure
(De mauvaise plutôt) revient à son esprit;
      Il soupe avec moins d'appétit.
      Le lendemain, en sa figure,
Il croit trouver du changement;
Il en est affecté; son sommeil s'en ressent:
      De jour en jour son mal empire,
      Et d'autant plus rapidement,
      Qu'il le concentre.... Comment dire
      Le vrai sujet de son tourment?
Plus vite bat son pouls, plus fort tremble sa lèvre,
      Plus souvent palpite son cœur.
      Sa frayeur redouble sa fièvre;
      Sa fièvre augmente sa frayeur.
Le jour fatal s'approche et de crainte l'accable.
En arrivant, il met le comble à sa terreur.
    Bref, au milieu de ce jour redoutable,
      Il mourut. . . . . du mal de la peur.

Qu'ai-je, à ton sens, voulu prouver par cette histoire?
      Est-ce qu'aux sorciers il faut croire?
Qu'ils savent l'avenir? qu'on doit les écouter?
Non; mais que l'on ne doit jamais les consulter;
Que bien fou qui se fie à sa propre sagesse,
Et que nul, ici-bas, n'est exempt de faiblesse.

VI.
La leçon maternelle

Certain petit monsieur, pour fêter sa maman,
      A certain petit paysan
Avait dit d'apporter un grand panier de prunes,
      Avec un gros bouquet de fleurs;
      Recommandant bien que les unes
      Eussent d'agréables odeurs,
      Les autres d'exquises saveurs.
Au jour dit, Nicolas arrive en diligence,
      Panier au bras, bouquet en main,
Flairant le beau bouquet tout le long du chemin.

      D'une pareille inconvenance,
      Aussitôt le petit bourgeois
      Reprend le petit villageois
   Qui, tout honteux, s'excuse, puis s'empresse
D'assurer que ses fruits sont d'excellente espèce,
Et lève du panier la couverture. Hélas!
   C'est, en effet, de superbe damas,
   Du damas franc, du damas véritable;
      Des prunes dignes de la table
           D'un empereur.
      Mais où donc est la belle fleur
      Qui les rendait si séduisantes?
Il n'en reste plus rien: elles sont si luisantes,
      Qu'on croirait que des limaçons
   Se sont dessus promenés sans façons;
Ou, pour les apporter, qu'on les mit dans ses poches.
      Nouveau chagrin, nouveaux reproches
      Au vendeur, qui, pour ses raisons,
      Dit que ce sont des bagatelles;
      Que les fruits n'en sont pas moins bons.
      Que les fleurs n'en sont pas moins belles.
      Il se peut, dit avec humeur
      Alexis, d'un air de docteur;
Mais mon offrande, enfin, sera moins présentable,
Et partant, à maman beaucoup moins agréable.
      Rappelle-toi cette leçon.

Notre petit prêcheur, au bout de son sermon,
Regardant le pauvret, soudain change de ton.
C'est qu'il a remarqué qu'il était sans chaussure,
Et que ses pieds saignaient de plus d'une écorchure:
— Oh! que tu dois souffrir, lui dit-il, Nicolas!
Mais aussi pourquoi donc ne mets-tu point de bas,
Ni de souliers? — Pardi! c'est que j'en arons pas!
— Tu n'en as point!... mais moi j'en ai beaucoup.iens, vite,
Prends les miens. — Ah! ben oui! ça s'rait joli, ma frite!
— Puisque j'en ai de neufs, quatre paires par an!
Est-ce qui sont à vous p'têt'? Y sont à rot'maman.

      La maman était là tout contre:
   Elle lisait sous un arbre à l'écart
      Qui la dérobait au regard.
Aux enfants, bien surpris de semblable rencontre,
      Soudainement elle se montre.
      Elle avait, sans en perdre rien,
      Entendu tout leur entretien;
   D'émotion pour son cœur douce source!
      A l'un elle donne sa bourse,
A l'autre cent baisers, et lui dit: — Mon amour,
   De ton présent je suis reconnaissante;
Mais celui que, ce soir, en repassant ce jour,
A Dieu tu peux offrir, me rend bien plus contente;
      Car, vois-tu, mon cher Alexis,
Nos bonnes œuvres sont les fruits les plus exquis,
Les plus charmants bouquets qu'au roi de la nature
      Peut présenter sa créature.

               De vertus
            Une guirlande,
            Voilà l'offrande
          Qui lui plaît le plus.

      — Le soir vient; avec lui la bande
Des amis d'Alexis: on joue, on cause, on rit,
      On raconte ce qu'on a dit,
Ce qu'on a fait depuis la dernière visite.
      Alexis de conter bien vite
   Comment, au fils de la pauvre Merite,
Il a voulu donner ses souliers aujourd'hui,
      Et de sa maman les louanges.
      — Nos mamans, ce sont nos bons anges.
La sienne se trouvait encor là près de lui.
Quand on fut retiré, sa tendre vigilance,
      A son enfant, sur ce sujet,
      Fit une douce remontrance.

Tout comme Nicolas s'étonnant, il disait:
      — Mais quelle faute ai-je commise?
Le bien est toujours fait: qu'importe qu'on le dise?
— Mop fils, lui dit sa mère; il importe, en effet,
— Et je vois sur ce point qu'il faut que je t'instruise.
Le bien est toujours fait, je ne te dis pas non;
Mais ton offrande à Dieu sera moins présentable,
Et partant, au Seigneur beaucoup moins agréable.
      Rappelle-toi cette leçon.

Ce fruit que tu lui dois offrir dans ta prière,
Il a perdu sa fleur, sa parure première.
Peux-tu de l'accepter supplier l'Éternel?
Ce bouquet que tu veux poser sur son autel,
    L'orgueil t'a fait le respirer toi-même:
Le crois-tu digne encor de la grandeur suprême?
Du bien que tu feras, mon cher fils, désormais
      Que ton cœur pur soit l'hermétique amphore:
      Garde que rien n'en échappe jamais;
      Dès qu'il en sort, son parfum s'évanore!

VII.
Une réponse ingénue

A Firmin, Auguste disait:
— Ami, pourquoi sur ce carnet
Mets-tu, tour à tour, quelque chose
A la plume, puis au crayon?
Je viens d'y faire attention,
Et je n'en trouve point la cause.
— Pourtant, dit Firmin, la raison
En est bien facile à comprendre.
En deux mots je vais te l'apprendre:

Ce qu'on me doit, à la plume est inscrit.
Ce que je dois, au crayon est écrit.

VIII.
Le Pinson et le Bouvreuil

      Ayant un procès, un Pinson
      Pour avocat prit un Oison.
Un Bouvreuil, son ami, sachant qu'il n'est pas bête,
D'un pareil choix, surpris jusqu'à l'excès,
   Va le trouver droit au palais,
      Et l'abordant, lui dit:
      — As-tu perdu la tête?
   Je le crains. — Quant à ton procès,
   A coup sûr il l'est par avance.
Ton conseil, un Oison! J'enrage quand j'y pense!
D'Aigles il n'en est point ici, chacun le sait;
Mais au moins tu pouvais prendre le Perroquet.

— Ah! mon Dieu! ce que c'est de parler d'une chose,
Dit le Pinson, sans en connaître le fin mot!
T'imagines-tu donc que j'agisse sans cause?

      Ce Dindon, notre président,
      De mon conseil est le parent.
Le procureur du roi, cette Oie, est son beau-père;
      Et quant à mes juges enfin,
Chacun de ces Canards est son cousin germain.
      Puis-je donc perdre mon affaire?
Il ne la perdit pas, en effet, le compère!

Par-devant sa famille, un avocat plaidant,
   Tel est l'abus que dans ces vers je fronde:
S'il n'était qu'aux oiseaux reprochable en ce monde,
      Me verrait-on le censurant?

IX.
L'Apprenti tisserand

      Apprenti tisserand, Benoît
Fabriquait depuis peu de la toile commune.
   Il la faisait si claire par endroit,
Qu'on eût entre les fils passé le petit doigt;
Et noueuse, Dieu sait!... »Si tu fais ta fortune
      Avec de l'ouvrage pareil,
      Je veux bien l'aller dire à Rome:
      Va moins vite, et fais mieux, jeune homme.«
      Du patron tel fut le conseil.
Vieilli dans le métier, il pouvait s'y connaître;
      Mais l'imprudent et vain garçon,
      Tint compte de cette leçon
      Comme il eût fait d'une chanson.

      — Chacun travaille à sa façon,
      Dit-il insolemment au maître:
      Je sais ce que je fais, peut-être...
J'ai, Dieu merci, du fil encor sur l'écheveau!
      Quand j'aurai fini ce morceau,
      Je boucherai chaque clairière;
      Voyez-vous, c'est là ma manière.
      Soit dit sans vous fâcher, bourgeois,
      Ell raut ben la vôt, d c'que j'crois.

      Voyant prise ainsi sa semonce,
      A ce discours, maître François
      Ne fit pas un mot de réponse.
      Benoît, l'ouvrage une fois fait,
      De son mieux s'efforce en effet
      A le rendre moins imparfait.
      Mais c'est sans fruit que sans relâche
      Pendant bien longtemps il y tâche.
      En vain il fait tout ce qu'il peut:
      Aussitôt qu'il arrache un nœud,
      Un trou de ce nœud prend la place;
      Et chaque fil qu'il entrelace
      Pour boucher chaque trou maudit,
      Après tant de soin, n'aboutit
      Qu'à rendre cette pauvre pièce,
      La plus laide de son espèce;
      Et de tissu tant inégal,
      Que Benoît, qui sue et soupire,
      Est lui-même forcé de dire:
      »Le remède est pis que le mal.«

Vous qui tenez la lyre au lieu de la navette,
            Jeune poëte,
Quand vous mettez d'abord un mot légèrement,
            Imaginant
Le remplacer plus tard aisément par le propre;
            C'est amour-propre.
L'un dira trop, l'autre dira trop peu:
            Déjà n'est jeu
De rencontrer entre tous le technique,
            Souvent unique.
Mais le trouver, ce mot sans nul défaut,
            Grand comme il faut;
Mais l'enclaver, sans qu'à l'oreille il semble
            Nuire à l'ensemble;
Benoît rimeur, croyez mon pronostic,
            C'est là le hic!

X.
Les Vertus et les Vices

Au siècle où nous vivons, dans ces temps corrompus
      Où du mal la race fourmille;
Des Vices l'effrontée et hideuse famille
      Osait se railler des Vertus.

Leurs temps sont accomplis: »Ces nobles antiquailles
Se meurent, disaient-ils. — Faisons leurs funérailles
Par avance, joyeux amis!«
      Et tous les membres de l'orgie,
      Applaudissant à cet avis,
      Aussitôt la licence impie
      Entonna leur De Profundis.

Ce n'est pas tout encor: ces enfants de ténèbres
D'elles firent ainsi les oraisons funèbres.

      »Que je te plains! ô pauvre Bonne-Foi!
Dit de joie en sautant, la Rapine hardie.
      Désormais c'en est fait de toi!
      Du monde te voilà bannie!«

»Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en larmes.
Dit le Mensonge ensuite en riant aux éclats:
La Vérité succombe, et malgré tous ses charmes,
      Rien ne saurait la sauver du trépas.«

»L'Humilité n'est plus; la mode en est passée,
A son tour ajouta l'Orgueil, entièrement;
Et pour la Modestie, en tous lieux déprisée,
Avant qu'il soit longtemps, la pauvre délaissée
      Va périr dans l'isolement.«

— Par l'Indiscrétion, convive en cette fête,
On en sut les détails. Aussitôt les Vertus,
      Dénonçant un pareil abus,
      A Jupin adressent requête.

Elle fut présentée au Dieu par la Douceur.
      — Les Vices, disait leur supplique,
Se vantent d'être admis dans un bal magnifique,
Où du monde poli se doit trouver la fleur;
Même qu'on y tiendra leur présence à bonheur.

Jupiter répondit: »Je veux vous satisfaire.
Que l'une d'entre vous à la porte du bal
      Demain se tienne, et quand les fils du Mal
Arriveront, ses yeux, d'une façon fort claire,
Lui parleront ainsi que je le pourrais faire.«

L'heure venue, et la Docilité
A son poste, elle voit passer de compagnie
      Le Mensonge et la Vanité:
L'un avait, ce soir-là, l'air de la Vérité,
      Et l'autre de la Modestie.
Ils entrent; et bientôt arrive sur leurs pas
      La Médisance, qui, tout bas
      Parle, imitant la voix du Zèle.

      Deux Vices passent devant elle:
      C'est l'Envie et l'Ambition;
      Les masques de la Bonhomie
      Et de la Modération,
      Bien attachés sous le menton.

      Depuis longtemps la Flatterie
      Et sa sœur l'Adulation,
      Étaient partout dans le salon,
      Où, plus que personne empressées,
      Elles s'étaient d'abord glissées,
      Ayant de l'Admiration,
      Dérobé la forme et le nom.

      Bientôt s'y montre un personnage
      Qui, mine fière et ton hautain,
      Se fait appeler le Courage,
      Et n'est que le Respect-Humain.

      Après arrive l'Avarice,
      Croisant sur ses os décharnés
      De la Prudence la pelisse,
      Qui lui monte jusques au nez;
      Et cachant sa face amaigrie
      Sous le loup de l'Économie
      Qu'elle y colle hermétiquement,
      Tant elle craint, probablement,
      D'être encor trop peu travestie!
      A sa suite l'Iniquité,
      Sous le voile de la Justice,
Marche donnant le bras à sa vile complice,
      La honteuse Cupidité,
      Qui, rougissant de son image,
      A du Désintéressement,
      Par un complet déguisement,
      Pris le costume et le visage.

      Dans le paletot de l'Honneur
      Se carre l'Indélicatesse,
      Équipée avec tant d'adresse,
      Que l'on croirait que son tailleur
      Sur elle en a pris la mesure.
      La Déloyauté vient après,
      Et le Larcin la suit de près.
Parés également des mains de l'Imposture,
      Des couleurs de la Probité
      Tous les deux ont peint leur figure,
      Et, sans y réussir, tâchent de sa tournure
      A copier la dignité.

      Plus tard arrive la Licence,
Qui, mettant à profit certaine ressemblance,
      Du bonnet de la Liberté
      Orne son visage effronté.

      Enfin, l'Égoïsme lui-même,
      Adoptant un pareil système,
Dans des hardes d'emprunt habilement drapé,
De son corps tout hideux cachant chaque partie,
Des pieds jusqu'à la tête était enveloppé
Du plus épais manteau de la Philanthropie

Alors gronda la foudre, et du sein de l'éther,
      Sortit la voix de Jupiter:

»Vous avez vu combien sont franches et réelles
Leurs paroles à tous. — Ne l'oubliez jamais. —
      Eux-mêmes vous trouvent si belles,
Qu'ils n'osent dans le monde aller que sous vostraits.

Bannissez donc de frivoles alarmes:
      Dans vos appas reprenez foi.
Ne craignez point de voir le temps flétrir vos charmes:
      Ils sont éternels comme moi!«

XI.
L'Aiguille et les Ciseaux

Près de Ciseaux cruels une sensible Aiguille
Voyait passer ses plus beaux jours;
Une Épingle de sa famille,
Là-dessus lui tint ce discours:

»Se peut-il, cousine si chère,
      Que toujours dans ce nécessaire
   Vous demeuriez auprès de ce méchant?
Pour souffrir seulement, hélas! êtes-vous née?«

      L'Aiguille lui dit doucement:
»Pourquoi se révolter contre sa destinée?
Vivre avec un barbare est un malheur bien grand!
Je ne puis m'expliquer ni pourquoi ni comment
      Par le sort j'y fus condamnée;
Mais je vois bien, du moins, qu'en un même local
Le ciel mit le remède ainsi tout près du mal.
      — Eh bien! ce penser me console
De coucher sous ce toit, d'habiter ce logis.
J'accepte sans murmure un triste et noble rôle:
Ceux que mon compagnon blesse, je les guéris.
      Les maux qu'il fait je les répare:
      Je rassemble ce qu'il sépare.
      Il divise; je réunis.«

XII.
Les têtes de puces mises à prix

»Mes enfants, disait une mère
A ses quatre petits garçons,
Une chose me désespère.
— Quoi! maman? ... Nous savons pourtant bien nos leçons!
— Oui, mais en faisant ma revue,
      Hier je me suis aperçue
      Que, sans trompettes ni tambours,
      D'ennemis, depuis quelques jours,
      Est chez nous tombée une nue.
Il faut l'exterminer au plus vite, ou sinon
Ces vampires cruels, ces monstres effroyables,
Ces Puces, puisqu'il faut les nommer par leur nom,
      Nous rendront tous victimes de leur rage.
      Purgez-en donc ce logis promptement.«

A faire des bandits un horrible carnage,
Chacun de nos marmots tout aussitôt s'engage.

      Huit jours s'écoulent, et pourtant
      Leur nombre va toujours croissant.

Le premier de nos preux en a mis en déroute;
Mais en les poursuivant il a perdu leur route.
Le second avait trop de devoirs de latin;
ll n'a pu les traquer. A l'égard du troisième,
Il en a fait beaucoup prisonniers de sa main:
      Tous ont fui. Pour le quatrième,
Il a perdu son temps à les chercher en vain.

      Leur mère les rassemble encore:
»Quoi! dit-elle, neuf fois j'ai vu lever l'aurore
      Depuis que vous m'aviez promis
De délivrer ces lieux des lâches ennemis
Dont ils sont infestés; et de tous ces bandits,
    Pas un... Oh! ciel, dans sa propre demeure,
    Faudra-t-il donc en être dévoré?
Mon cœur à tort sur vous s'était donc assuré?
    Ah! malgré moi, je gémis et je pleure!«

      — Maman, maman, ne pleurez pas;
De tous vos ennemis nous jurons le trépas.
Nous les écraserons, soyez-en bien certaine;
    Ils sentiront la force de nos doigts.
      Avant la fin de la semaine,
Maman, vous entendrez parler de nos exploits.
Leur maman les en croit. — La semaine se passe,
    Et des brigands la criminelle race
Pullule, et se répand partout dans le logis.

Pour la troisième fois la mère désolée.
      Auprès d'elle appelant ses fils,
      Leur dit de douleur accablée:
»Votre propre intérêt, ni l'intérêt de tous,
      Ni celui de la tendre mère
      Qui devrait vous être si chère,
    Je le vois trop, ne peuvent rien sur vous.
Chez vous le cœur est bon, mais la tête est légère,
      L'esprit frivole, insouciant.
Vous n'avez écouté l'ordre ni la prière;
Essayons aujourd'hui d'un autre expédient.

A qui d'un malfaiteur m'apportera la tête,
Un liard je donnerai pour prix de sa conquête.«

— Un liard! s'exclame Henri; c'est le quart d'un gâteau!
— Avec six, dit Prosper, on achète un moineau!
— Pour vingt, s'écrie Alfred, on donne une toupie!
      — Il en faut cent pour une pie,
Ajoute Nicolas; n'importe, il me la faut!
      Demain j'aurai dame Margot!

      — Moi, de ma sœur voilà la fête;
Je veux gagner de quoi lui donner un bouquet.
— A la mienne je veux offrir un bracelet.

    Chaque moutard a déjà son projet,
Fait son rêve, et bâtit son château dans sa tête.

La nuit on ne dort point. — Long-temps avant le jour
On se lève, trouvant l'aurore paresseuse:
      On voudrait hâter son retour;
Et dès qu'elle paraît, notre bande joyeuse,
Sans attendre un regard de monsieur le soleil,
    Sans rechigner, sans faire la grimace.
      Allégrement se met en chasse,
Et si bien, cette fois fait-on, qu'à son réveil
    La maman est plus qu'aux trois quarts vengée.
D'ennemis empalés une double rangée
      Décore symétriquement
      Les quatre côtés de sa couche.
Elle n'eut cette fois besoin d'ouvrir la bouche
      Que pour faire à tous compliment.
    Le lendemain, de la bande farouche
    La maison fut purgée entièrement.

      Cette mère, c'est la patrie;
Ces insectes, ce sont des tigres en furie;
Féroces animaux dont je fais deux moitiés.
      L'une à deux, l'autre à quatre piés,
Sans décider laquelle est la plus sanguinaire.

  Quant à la morale, elle est claire
    Et saute aux yeux du moins intelligent.
Tout se fait promptement, tout est facile à faire...
      Pour de l'argent.

XIII.
La balance du Bon Sens

      Un certain jour d'un certain an.
   Un Fanfaron, un Fat, un Charlatan,
»Trio qui volontiers marche de compagnie.«
Curieux de savoir en ce moment leur poids.
Prièrent un vieillard inconnu de tous trois.
      De contenter leur fantaisie.

Ce vieillard y consent, leur montre ses plateaux.
      Dans l'un le Fanfaron se place;
Le Charlatan dans l'autre, et dans un plein repos
La balance demeure. En faisant la grimace.
Tous deux en même temps se regardent en face.
      — Vous le voyez, dit le peseur,
Juste.... comme de l'or. — A présent, à Monsieur.
Le Charlatan descend, et le Fat le remplace.
    De ce dernier le plus de pesanteur
Fit pencher le bassin, mais il ne pencha guère,
Si peu, que ce fut trop d'une once pour parfaire.

Nos gens dirent alors: »Ce que chacun de nous
      Pèse, l'un par rapport à l'autre,
Vous nous l'avez fait voir; maintenant pourriez-vous
Nous dire aussi quel poids intrinsèque est le nôtre?
— Oui, leur répond celui que pour juge ils ont pris:
    Mais je crains fort.... — Nous voulons votre avis.
      — Il ne vous plaira pas, peut-être?
— N'importe; quelqu'il soitnousvoulons le connaître:
Dites-le-nous bien vite, et surtout franchement.
      —Vous y tenez... absolument?
— Oui; c'est la vérité que nous voulons entendre.
      — Ma bouche donc va vous l'apprendre:
C'est pour vous obéir, souvenez-vous-en bien.
— Suffit. Que pesons-nous?
Vous pesezpeu de chose.
      — Peu de chose! — Oui; presque rien:
Certes, d'un tel effet je ne suis pas la cause.
— Bon homme, que nous dis-tu là? — La vérité

      — Amis, ce vieux nous en impose;
C'est un impertinent, un menteur effronté.
      — Je crois, moi, qu'il est en démence.
Nous sommes par trop bons, vraiment, de l'écouter.
      — Dis plutôt qu'il est en enfance;
      Ne vient-il pas de radoter?«

    Et là-dessus arrivent à la file
Fadaises, quolibets, ridicules propos,
    Sorte de bien dont les plus pauvres sots
      Sont riches par cent et par mille.
   Notre vieillard, sans s'échauffer la bile.
    A tout cela répondit en deux mots:

A vous en rapporter à moi qui vous oblige?
Les plats sont toujours là; dedans remontez tous,
      Remontez promptement, vous dis-je;
N'ayez foi qu'en vos yeux, et ne croyez que vous.

   — Mais du trio, repart un personnage,
Avec d'autres déjà l'on nous avait toisés,
      Bien des fois, bien des fois pesés,
    Et nous avions toujours eu l'avantage.
      Encore tout dernièrement,
Nous l'avons emporté sur le sage et le juste.
    Cela n'a rien, je pense, d'étonnant:
    Vovez combien est gros ce cher Auguste!
L'ami Tom est très-grand, et moi, certes, moi, très...
— Si vous voulez, plus lourd que le plomb même:
      Je le veux aussi, d'accord; mais. . . . . . .
      Remontez, vous verrez vous-même:
De vous en assurer, c'est le plus court moyen.

Le Fat accepte seul, dans l'un des plats se jette.
      Mais voilà que, sur l'entrefaite,
      Il arrive un homme de bien,
      Et notre damoiseau de dire:
»Que peut peser monsieur? — Plus que vous, que je crois.
      — Vous ne le dites point pour rire?
      — Si peu, que vous pouvez tous trois
      Contre lui remonter ensemble:
Mettez-vous, s'il vous plaît, dans le même bassin.«

Nos gens y consentant, un seul plateau rassemble
Tout le trio, qui croit peser autant qu'airain.
      Leur concurrent, dans le bassin contraire,
      Va pour entrer: »O ciel! qu'allez-vous faire!
S'exclament ses rivaux: prenez garde! au plafond
      Vous allez vous briser le front!
Attendez... un moment que le peseur s'arrête!
— Afin de rétablir un peu l'égalité,
Qu'au moins cinq cents kilos, mis de votre côté,
S'opposent, dit le Fat, au malheur qui s'apprête!
      — Monsieur, vous êtes trop honnête,
Dit le nouveau venu: grand merci de l'avis.«
Ce disant, il se place, et nos trois étourdis,
Soudain droit au plancher vont se cogner la tête.

      Notre trio plein de fureur,
Descend de l'instrument, et son aveugle rage
Traite tout de nouveau le vieillard d'imposteur.

Celui-ci leur répond d'abord par le silence;
Puis ensuite, il leur dit d'un ton plein d'assurance:

»D'un pareil résultat vous êtes affligés:
Jusqu'ici vos pareils seuls vous ayant jugés,
      Vous vous croyiez de l'importance.
Ma balance et mes poids ne sont faux ni trompeurs;
Mais ils ne sont non plus complaisants ni flatteurs.
Vous, grands! messieurs: ce sont pures grimaces.
      Vous l'êtes; mais sur des échasses.
      Vous, plein de science, savant!
      Votre embonpoint n'est que du vent.
A l'égard de monsieur il n'en est pas de même;
Ennemi du postiche, il n'en fait nul état:
      S'il n'est point gros, il n'est point plat,
Et sa grandeur n'appartient qu'à lui-même.

De ce discours, vous vous révoltez tous;
      Ma franchise vous semble amère;
Tant pis, messieurs: je suis fâché de vous déplaire
Mais pour vous je n'ai pas de langage plus doux:
Ne vous remettez point, s'il vous plaît, en colère.
Moi, je suis toujours calme et plus poli que vous;
C'est pourquoi je veux croire à votre témoignage.
      Vous soutenez qu'auparavant
      On vous avait pesés souvent:
Vous l'avez emporté sur le Juste et le Sage
      D'un, et même de plusieurs cents:
      Ce n'a jamais été, je gage,
      Dans la Balance du Bon-Sens.«

XIV.
La Brebis, le Chat et la Pie

      Ayant changé de domicile,
      Robinette, Brebis civile,
      Fit des visites de quartier:
      Elle entra dans un pigeonnier,
Margot, qui, comme on sait, de tout est à la piste,
      Au chat, déjà peu satisfait
    Que la Brebis l'eût omis sur sa liste,
N'eut rien de plus pressé que de conter le fait;
      Ajoutant, la charitable âme!
»Ce n'est pas que pour moi, je me plaigne de rien:
      Cette Brebis, on le sait bien,
      Pour me voir est trop grosse dame.
      D'ailleurs, croit-elle?... Vertuchoux!
      Je ne suis qu'une pauvre Pie,
      Mais c'est ce qui peu me soucie.
      Dans cette affaire, mon courroux,
      Monsieur le Chat, n'est que pour vous.
C'est qu'aussi, peut-on voir sans que cela transporte,
      Un animal de votre sorte,
Un noble quadrupède être mis de côté,
Tandis qu'à des oiseaux on fait honnêteté?«
      Gribis, par ces mots excité,
      Aiguise ses griffes et jure
      De se venger de cette injure.
      A la sourdine, en attendant,
         Il cabale et se plaint:
      Cela vient à l'oreille
De la Brebis, à laquelle on conseille,
A cet égard, quelque tempérament.

»Moi! dit-elle, à ce Chat je n'ai fait nulle offense;
Mais que je le visite! est-ce donc qu'il y pense?
      Entre nous, qu'est-il de commun?
J'espère de mes jours n'en fréquenter aucun.
Pour ma société, sans doute, je préfère
    A tout, messieurs les Chiens et les Moutons;
      Mais le commerce des Pigeons,
    A leur défaut, peut encore me plaire.
Quant à celui des Chats, quand même je devrais
      Demeurer seule à tout jamais,
      Cette complète solitude
      Me semblerait encor moins rude.
Du plus petit insecte, une Bête-à-Bon-Dieu,
      J'aimerais mieux la compagnie:
      C'est, comme moi, l'enfant de Dieu;
      Ne lui plaise que je l'oublie!
      En elle j'aime à voir ma sœur.
Si le rang entre nous met quelque différence,
      Nous nous ressemblons par le cœur;
      C'est la première ressemblance.

A le bien prendre, il n'est que deux sortes de gens:
      Celle des bons, et celle des méchants.«

XV.
Les deux petits Pots

Un matin, petit Pot au lait
      Sur son plateau tout seul était.
      Monsieur le Sucrier, son père,
      Avec sa maman, la Théière,
      Et les quatre Tasses, ses sœurs,
Était allé se promener ailleurs.
    Vite, il descend de sa tablette,
      Et s'en va, sur la toilette,
      Voir petit Pot de senteurs.
»Comment te portes-tu, lui dit-il, camarade?
      Bien me semble, à ce que je voi?
      — Assurément, très-bien; et toi?
      — Oh! moi, pas bien; je suis malade.
      — Qu'as-tu donc? — Je péris d'ennui.
      — Tu vis cependant en famille?
      — Oui; mais toujours quelque bisbille.
Enfin, heureusement, je suis seul aujourd'hui,
      Et comme à toi je me confie,
      Et te sais un ami discret,
      Je vais te dire mon projet.
      Depuis longtemps je meurs d'envie
      De m'approcher de ce foyer;
   Il est poli, me semble hospitalier.
   Vois-tu dedans flamber cette javelle?
      C'est de la sorte qu'il m'appelle.
Jusqu'ici j'ai de loin admiré ses appas:
Mais il a des secrets à me dire tout bas,
      Et que je brûle de connaître.
      Puisque ce soir je suis mon maître,
Je ne veux pas manquer si bonne occasion.
— Mon frère, garde-toi d'approcher du charbon;
Il pourrait te noircir, reprit son compagnon.
— Me noircir! Là-dessus tu peux être sans crainte;
Il ne m'en restera, sois sûr, aucune empreinte.
    — Du moins, peut-être en seras-tu terni?
— Aucunement; sur moi toute impureté glisse.
      Ma surface est brillante et lisse.
      Ne vois-tu pas ce beau verni
      Qui couvre ma neige éclatante?
    Enduite en fut, de l'un à l'autre bout,
      Ma porcelaine éblouissante:
      Je suis à l'épreuve de tout.
    Est-il sur moi tombé de la poussière.
Il ne me faut jamais ni de sablon ni d' eau:
      Zest, un petit coup de plumeau.
      La fait envoler tout entière,
      Et me rend ma blancheur première.
      Adieu, j'ai hâte de partir.
      Toi, que l'on a pétri d'albâtre,
Matière délicate, et qu'un rien peut salir.
Tu feras sagement, j'en veux bien convenir,
      De ne point t'approcher de l'âtre.
Moi je puis, sans péril, en prendre le plaisir.«

Là-dessus donc il part, droit à la cheminée
S'en va sans différer, monte sur un tison,
Et, quand il voit venir la fin de la journée,
      Il regagne son guéridon.
Il retourna souvent, bien souvent sur la cendre.
Chaque fois, attiré par un nouvel attrait.
Sitôt qu'il le pouvait, s'empressant de s'y rendre.
Longtemps il n'éprouva qu'un si léger effet,
Qu'il ne l'aperçut point: c'était si peu sensible!
Son changement fut lent, il fut imperceptible...
Mais enfin, un beau jour qu'on nettoyait partout,
L'intendante du lieu, madame Voit-d-tout,
Le prit entre ses mains: »Qu'est ceci?« se dit-elle.
Puis dessus elle souffle; et voilà de plus belle
Qu'elle le considère; et, prenant un mouchoir,
Sur petit Pot cent fois le passe, le repasse:
      C'est vainement; quoi qu'elle fasse,
      Toujours paraît le maudit noir.
      Alors, la sage ménagère.
Qui de ce qu'elle voit ne peut trop s'étonner,
L'arrachant du plateau, lui dit avec colère:
»Va, misérable, fuis, sors de ce déjeuner
      Que déshonore ta présence!
On remarquerait plus ton étrange nuance,
      Qu'on n'apercevra ton absence.
Malheureux! la blancheur était ton attribut:
Tu n'es plus aujourd'hui qu'un morceau de rebut!«

Ce n'est point tout d'abord qu'opère un mauvais livre,
      Non plus qu'un ami dangereux;
Mais le jour vient enfin, que nous changeons par eux
De manière de voir et de façon de vivre.
Oui, sur nous, à la longue, ils font impression,
Quel que soit le vernis de l'éducation;
Et le faible qui craint le danger et l'évite,
      Y succombe plus rarement
      Que le fort qui, sur lui comptant,
      Par vanité s'y précipite.

XVI.
Jacques et Jean

      Jacques et Jean se promenant,
      Au pied d'un arbre se trouvèrent.
Cet arbre avait des fruits d'un aspect si tentant,
      Que tous les deux les envièrent.
Mais les cueillir!... si loin qu'ils en étaient.
      Ce n'était pas chose facile:
      Lequel sera le plus habile?
      Tandis qu'ils y réfléchissaient,
Jean, le premier, aperçoit une échelle,
Grande et solide, autant qu'on peut le souhaiter.
      Il s'élance vers elle,
      Et va pour y monter.
    O ciel! elle est pleine de boue!
    Il se recule, il se secoue,
Tant il craint son contact, tant même il est fâché
      Si près de s'en être approché!

      Jacques, moins délicat, aussitôt s'en empare.
          Jean, à ses yeux, n'est qu'un pauvre nigaud,
      Ridicule autant que bizarre.
      Lui, dans un clin d'œil est au haut;
      Et, dès qu'il a repris haleine,
Il cueille les beaux fruits, sans fatigue et sans peine:
Puis fièrement s'assied au premier échelon,
      Et là, raillant son compagnon,
De fange tout couvert, mais bouffi d'amour-propre,
   Il dit à Jean, qu'il regarde en pitié:
»Pour monter promptement, tu vois, ce n'est pas propre,
C'est haut, qu'il faut un marche-pié.«

Et Jean, que devint-il? me direz-vous, sans doute;
      A monter put-il parvenir?
— Jean monta doucement; il fut longtemps en route;
      Mais s'éleva sans se salir.

XVII.
Les deux Huitras

Sous un vieux quartier de roche
      Qui les dérobait aux yeux,
      Deux Huitras* causaient entr'eux.
      L'un d'eux, d'un ton de reproche,
      Disait à l'autre: »Je veux.
      Dès demain, quitter ces lieux.

*
Huitra, terme de pays, sortes de petites huitres rabougries
dont les pauvres font en grande partie leur nourriture
.

      J'ai honte que ma jeunesse
      Coule en cette obscurité
      Que vous appelez sagesse,
      Que j'appelle lâcheté.
Devenir Huître verte est ma brûlante envie.
Il ne m'importe point qu'il m'en coûte le jour.
Sur la table d'un grand je veux être servie:
Eh! quel suprême honneur si je voyais la cour!
A l'appétit royal si je rendais la vie!
      Songez qu'entre les mets exquis
      Auxquels on accorde le prix,
Que le monde gourmand tient pour nobles étrennes,
De Verdun les bonbons, de Chartres les pâtés,
Du Maine les poulets, à l'envi sont cités;
Mais il n'est rien d'égal aux huîtres de Marennes.«
      — Mon enfant, vous n'y pensez pas,
      Repartit aussitôt la mère;
Sans courir au-devant, attendre le trépas,
Au véritable honneur c'est assez satisfaire.
      Loin d'abréger le peu de temps
      Que vous accorda la nature,
      Jouissez de ces courts instants;
N'appelez point celui de votre sépulture:
Assez tôt il viendra. Si. prématurément,
      Je dois déplorer votre perte,
      Que peut-il faire à mon tourment,
      Hélas! que vous soyez ouverte
Par un couteau de fer ou par un couteau d'or,
      Par un page, ou par un butor?
Qu'au repas d'un sultan vous soyez destinée,
Ou bien que d'un pêcheur vous fassiez la dînée?
      — Un pêcheur! ciel! dit en courroux
      L'Huîtra, qui ferma son écaille.
      O ciel! ma mère, y pensez-vous?
      Etre mangé par la canaille!

Hommes, vous souriez, et vous ne pensez pas
      Qu'un orgueil aussi ridicule,
      En tous temps, tous lieux, tous climats,
      De même en vos veines circule.
Quand un tyran cruel, qu'on nommait empereur,
      Assemblait un peuple barbare,
      On voyait le gladiateur
Mendier à ses pieds le souverain bonheur
De descendre à ses yeux savamment au Ténare;
      Et d'une si chère faveur
      Toujours le peuple ou l'empereur
      Etait à son gré trop avare.
Du siècle où nous vivons, si je voulais parler,
Les exemples d'orgueil ne me manqueraient guère;
Mais qui pourrait vouloir empêcher de couler
      Le torrent d'humaine misère?
Ah! tel le monde fut, tel le monde sera!
Chez l' homme vanité, vanité chez l'Huîtra,
      Tout est vanité sur la terre!

XVIII.
Le faux Louis

Un Louis était faux; mais faux, entièrement.
      Non de ceux comme il en est tant
      Qui contiennent quelque alliage;
      Mon Dieu non, c'était simplement
      De vrai cuivre et pas davantage.
      Il n'est sans doute pas besoin
      D'ajouter qu'avec un grand soin
      On avait doré sa surface.
Ah! qu'elle l'était bien!... soit de revers, de face,
      N'importe comme on le voyait,
      Pour vrai toujours on le prenait.
      Il me semble que j'entends dire:
      »Ce n'était pas fin connaisseur.«
      Tu le crois, mon pauvre lecteur;
      Eh bien!vois-tu, tu me fais rire:
C'étaient tous, te dit-on. Le plus noble gousset
      De le posséder s'honorait.
Tout de son grand, la plus illustre poche,
Avec empressement s'ouvrait à son approche;
      A l'aise il pouvait s'y carrer.
      Écoute, et que bien t'en souvienne:
      Il se fût fourré dans la tienne.
      S'il avait voulu s'y fourrer.
— Sa vanité croissant par tant de réussite,
Lui-même en vint à croire en son propre mérite.
Il méprisa d'abord le cuivre comme vil;
      Puis, les petites blanches pièces
Lui semblèrent bientôt de mesquines espèces;
      A peine les regardait-il.
Puis enfin, oh! combien, orgueil, tu nous enivres!
      Les écus même de six livres,
      Bien qu'étant d'excellent argent,
Parurent à monsieur de la petite gent.
    S'il se trouvait près d'eux dans quelque bourse,
      Aussi peu poli qu'une ourse,
      Vite il leur tournait le dos.
      Les seuls Louis étaient traités d'égaux;
      Et s'il en rencontrait un double.
      Il l'appelait, sans aucun trouble
      Ni le plus petit embarras,
      Cher ami, gros comme le bras.
Du reste, tutoyant et doublons et ducats,
Leur racontant de lui de merveilleuses choses,
Qui n'avaient eu que lui de témoin et pour causes:
Enfin, docteur sans pair en l'art du bien mentir.
Et jouissant d'un sort qu'il crut ne point finir.
— Il alla jusque là, d'une jeune Guinée
      Qu'il osa briguer l'hyménée;
      Mais, au moment de l'obtenir,
(Que de notre zénith est près notre nadir!)
Quand jamais il n'avait cru son bonheur si ferme,
      Sur une table d'écarté
      Se pavanant, il est jeté
      Et s'enlève sur le côté,
      Un petit morceau d'épiderme.
Son ramasseur se trouve un homme de raison;
      Il le regarde, l'examine,
      Et, malgré sa brillante mine,
Demande si l'on est bien certain qu'il soit bon.
      Là-dessus chacun se récrie;
En sa faveur il n'est rien qu'une voix.
      Pour lui, tous jurent à la fois,
Pour lui, chacun veut gager sur sa vie.
»Oui, dit l'un, c'est de l'or, et de l'or le plus pur.
      Comment n'en serais-je pas sûr,
      Puisque je le tiens de mon frère
      Que vous voyez présent ici!
      — Certainement, dit celui-ci,
      Chose ne peut être plus claire;
Car moi, je l'ai reçu de l'ami que voici.«
Or, l'ami s'approchant: »Madame la marquise,
      Qui me l'a donné, le tenait,
      Je vous puis assurer le fait,
      Du comte de Fontarabise.
Quelqu'un peut-il douter qu'il soit de bon aloi?
      — Parbleu, quand ce serait du roi,
Je m'en voudrais encore assurer par moi-même,
      Dit notre homme; c'est mon système.
      Aucun n'entre en mon coffre-fort
      Que je n'aie éprouvé d'abord.
D'ailleurs celui-ci m'a quelque chose de louche;
Que l'on m'aille quérir une pierre de touche.«
      Mon faux Louis se sent mourir;
    Il voudrait être à mille pieds sous terre.
      Mais c'est en vain; il ne peut fuir.
      Sa honte devait être entière,
      Devant tous il fallut rougir...
      Arrive la funeste pierre:
      L'épreuve a lieu. — L'on reconnaît
      Notre imposteur pour ce qu'il est,
      Et l'on le traite de manière
A lui montrer le cas que l'on en fait.

      Dans le monde, où l'on se contente
Des dehors seuls, souvent en cas pareil se voit;
      Sans vous connaître on vous reçoit,
      Sans vous connaître on vous présente.
Mais l'intrigant, l'escroc, le fourbe, est, tôt ou tard,
      Démasqué; même avec quelque art
      Qu'il se cache et se contrefasse.
      En passant, un certain vieillard
      Remet toute chose à sa place.


Plus que personne des amis
Le sage connaît tout le prix;
Mais aux gens il n'a confiance
Et ne leur ouvre son œur,
Que lorsqu'il sait leur valeur
      Par expérience.