Fable I.
L'Éléphant et la Fourmi
ll est certains esprits qui, toujours contens d'eux,
Sont disposés toujours à se railler des autres:
Ayez vos qualités, mes amis, je le veux;
Mais aussi permettez que nous ayons les nôtres.
Dame Fourmi disait à messire Élépliant:
"Le ciel, en vérité, vous créa bien difforme!
Entre deux petits yeux pourquoi ce nez énorme
Qui s'élance d'un front géant?
Puis à quoi bon encor cette lourde encolure,
Et ces flancs si massifs, et ces quatre poteaux,
Bizarres et pesans fardeaux
Que d'une main novice ébaucha la nature?
Au contraire, voyez de combien de beauté
Elle aime à parer mon corsage:
De grâce, de légèreté
En moi vous rencontrez l'élégant assemblage:
La force en moi s'unit avec l'agilité!
Savez-vous bien, Seigneur, ce quîl vous faudrait faire?
Il faudrait à Jupin demander qu'une loi
En bonne forme, et bien nette et bien claire,
Vous rendît désormais en tout semblable à moi."
Heureusement, à ce que dit l'histoire,
Monseigneur Éléphant était homme d'esprit;
ll ne se fâcha point, comme on le pourrait croire,
Et même de bon cœur on prétend qu'il sourit:
"Mais je ne ferai pas, dit-il, cette prière,
Et dans ma volonté je suis bien affermi;
Si je vous ressemblais, ma chère,
Je ne serais qu'une Fourmi."
Fable II.
La Santé et l'
Amour-propre
Lasse enfin d'être en butte aux maux de l'existence,
Et de voir l'Amour-propre enivré de bonheur,
Dans le palais d'un homme d'importance
Dame Santé déplorait son malheur.
"Me croit-on (disait-elle) ici-bas inuile?
D'Épidaure au tombeau l'oracle est en oubli,
Ma voix même est sans force, et le monde indocile
Va prodiguant l'outrage à mon culte avili!...
Innocence du cœur, tranquillité de l'âme,
Consolante amitié, riante volupté,
Richesses et vertus, patrie et liberté,
Tout est par le mortel que l'Amour-propre enflamme
Offert en holocauste à cette déité!
Et l'on refuse tout, hélas! à la Santé!"
Le riche en écoutant ces plaintes légitimes
Parut touché de repentir,
Promit à la Santé de suivre ses maximes,
Et tout de bon peut-être allait se convertir,
Lorsque lui vint du prince une flatteuse épître:
A la cour il était mandé
Pour se voir décoré d'un titre
A ses vœux enfin' accordé.
"Reste, dit la Santé, la goutte encore foppresse,
La bise est déchaînée, et bien froide est la nuit. —
Pars, lui dit l'Amour-propre: agile le temps fuit,
La faveur est volage, et la gloire te presse."
Or, Primeur-propre triompha ,
Et tout comblé d'honneurs le goutteux étouffa.
Nous sommes faits de cette sorte:
On jure obéissance aux lois de la Santé;
Mais quanùparle la vanité,
C'est toujours elle qui l'emporte.
Fable III.
Le Chêne et l' Écureuil
Un Chêne, dont le front bravait les feux du jour
Et les colères de l'orage,
Au peuple ailé du voisinage
Prétait de ses rameaux le tranquille séjour.
Sous son ombrage,
Un Écureuil encore avait fixé sa cour,
Et par ses jeux légers égayait le bocage.
Grâce à cet abri protecteur,
La trame de ses jours était tonte de soie:
Chaque aurore en naissant l'éveillait dans la joie,
Chaque nuit sur ses yeux pesait avec douceur.
Un matin, notre ami, variant ses caprices,
Aux charmes du repos consacrait son loisir,
Et, mollement bercé par un tiède zéphyr,
Des parfums du printemps respirait les délices;
Le Chêne lui tint ce discours:
"Quel tribut ta reconnaissance
A-t-elle jusqu'alors offert a lapuissance
Qui de ta jeunc vie a protégé le cours?
L'aimable paix de ton enfance,
Le calme heureux de tes amours,
Sont les effets de ma clémence:
Et lorsque ces oiseaux, louant ma bienfaisance,
Redisent à l'envi quel généreux secours
Défend leur fragile existence,
En cet unanime concours,
Ton indolente voix garde un ingrat silence. —
Seigneur,
Pour la gloire de Votre Altesse
Que peut mon humble petitesse?
(Dit l'Écureuil avec candeur.)
Ces soins dont vous avez entouré mon jeune âge,
Et le jour et la nuit j'en parle dans mon cœur;
Mais de quel prix payer ma vie et mon bonheur,
Si je ne puis donner qu'un inutile hommage?
En de tels faits, Seigneur, la beauté de l'ouvrage,
Bien mieux que des chansons, récompense l'auteur.
Cet astre qui poursuit sa course journalière,
Vous dit-il, chante ma lumière?
Vous dit-il, chante ma chaleur?"
De l'indigent soulage la misère,
Du malheureux console la douleur;
Mais pour ta vanité point d'orgueilleux salaire;
Un bienfait égoïste est un mot sans valeur.
Fable IV.
Cicéron et l' Ane
Feu Cicéron, qui ne parlait pas mal,
Dans le Forum faisait une harangue;
Certain Baudet, assez sot animal,
Mais se croyant passé maître en sa langue,
Et visant même au brevet de docteur,
Pour le juger écoutait l'orateur.
Or, celui-ci laissait son éloquence,
Précipitant ses flots harmonieux,
Au Peuple-Roi retracer la puissance
Et les vertus de ses nobles aïeux:
"Liberté sainte, ô sublime désse,
S'écriait-il, rallume au fond des cœurs
Ce feu sacre que Rome en sa jeunesse
A vu guider ses étendards vainqueurs!"
Mais, à ces mots, du sein de l'auditoire
S'élève un cri, le plus rauque des cris
Qui d'un Baudet forment le répertoire:
Arrêté court dans sa fougue oratoire,
Figurez-vous Cicéron tout surpris;
Et puis la foule et diverse et mobile,
Et murmurant et riant à la fois,
Criant: "Silence!" au Baudet indocile,
Criant: "Parlez!" à l'orateur sans voix.
"Que me veut donc tout ce peuple qui gronde?
(Dit le Baudet) voilà bien du nouveau:
Notre avocat a perdu sa faconde,
Juste au moment où je criais bravo!"
Lors un quidam, témoin de l'aventure:
"Pour t'expliquer, dit-il, et ce murmure
Et ce silence, il me suffit d'un mot:
On est tenté de prendre pour injure
Les complimens, quand ils viennent d'un sot."
Nos yeux jamais ne verront tel outrage
D'un beau discours compromettre le sort:
Baudets pourtant sont nombreux en notre âge,
Mais Cicéron depuis long-temps est mort.
Fable V.
Le Rossignol et
le Chat-huant
Le Chat-huant disait à Philomèle:
"Je vois l'homme applaudir à ces hymnes d'amour
Que votre voix soupire en la saison nouvelle,
Et qui charment l’écho des bosquets d'alentour.
Je ne suis pas injuste, et quelquefois i'admire
La grâce et l'éclat de vos chants:
Sans doute Apollon vous inspire
Et des accords si doux, et des sons si touchans:
Mais vous n'estimei pas, je pense,
Qu'à vous seule ce dieu dispense
Tout le trésor de ses faveurs:
Nous lui devons aussi quelque reconnaissance;
Et malgré les discours dïmpertinens censeurs,
Ma voix peut de vos chants braver la concurrence.
Même j'aurais désir que Thémis entre nous
Sur ce sujet rendît sentence. —
Je me range à vos vœux et vole à l'audience",
Dit Philomèle sans courroux.
Thémis tenait ce jour solennelle séance.
Le procès fut au rôle incontinent placé;
Et maître Chat-huant trois fois ayant toussé,
Traita de la musique et de son influence,
Perla d'Orphée et d'Amphion,
Du prélude et de la cadence,
D'accord parfait, de dissonance,
De contre-point et d'exécution;
Concluant, par provision,
Qu'au Rossignol fût fait défense
D'usurper la prééminence,
Dont lui, dit Chat-huant, avait la jouissance
Par titres et prescription.
La déesse écouta son dire en patience,
Et sans que le sommeil appesantît ses yeux.
Je connais plus d'un juge en France
Qui, dans un cas semblable, eût rêvé de son mieux;
Mais, on le sait, juges ne sont pas dieux.
Or, retournons à notre cause.
On crut que Philomèle, après un tel discours,
S'en allait méditer et le Code et la Glose,
Ou des Dupins d'alors emprunter le secours:
Philoméle chanta la rose,
La rose amante du zèphyr,
La rose ouvrant son sein aux larmes de l'aurore,
Et dans un cœr novice encore
Ėveillant un premier désir.
Ici Thémis fit un soupir.
Le Rossignol l'entend, il cesse son ramage:
Que peut un avocat espérer davantage,
Quand il a su ses juges attendrir?
Philomèle obtint la victoire.
Débouté de ses fins, sifflé par lauditoire,
Son rival envieux s'en fut en son réduit,
Jurant d'imprimer un mémoire,
Et s'écriant: »J'en appelle à la Nuit!«
J'ai vu des Chats-huants sous maints et maints plumages,
J'en connais en tous lieux, j'en sais de tous étages:
Il en est à la ville, il en est à la cour.
Auteurs qu'outrage en vain leur jalouse arrogance,
Voulez-vous d'un trait sûr armer votre vengeance?
Laissez-les près de vous se produire au grand jour.
Fable VI.
Le Pâté
Dans la cuisine de leur maître
Un Chien avec un Chat volèrent un pâté.
Ils en devaient jouir par droit d'égalité:
Mais chacun voulant plus, tous deux purent connaître
Qu'entre fripons la loyauté
Est un mot sans réalité.
Donc, ne s'accordant point au sujet du partage,
Le couple scélérat invoqua l'arbitrage
De certain Renard, fin matois,
Chaperonné docteur ès-lois,
Et connaissant au mieux la coutume et l'usage.
Devant cet aréopage
Nos plaideurs ayant porté
Le pâté,
Le juge demanda par quelle circonstance
Ce mets était venu dans leur possession:
Car fidèle aux devoirs de sa profession,
Il voulait éclairer sur tout sa conscience!
»A grand'peine tantôt nous l'avons fabriqué,«
Répliquèrent soudain les deux larrons ensemble.
»Il serait plus vrai, ce me semble,
De dire que tantôt vous l'avez escroqué,
Repartit le Renard s'armant d'un front sévère;
»Et, messieurs, je prétends ici,
Sur votre assertion, que je crois mensongère,
Sans nul retard être éclairci.
Or, cette croûte parfumée,
Quelle chair, selon vous, cache-t-elle à mes yeux?
Le pigeon succulent, la perdrix embaumée.
Et le faisan délicieux. —
Fort bien! vérifions la chose.
Voici d'abord trois ortolans
Qui n'étant ni pigeons, ni perdrix, ni faisans,
Doivent être mis hors de cause.
(Aussitôt le rusé les croque a belles dents.)
Puis ces deux cailleteaux, puis ces grives encore,
Ne sont point au procès reçus intervenans.
(Et sans façon il les dévore.) —
Mais il nous faut enfin le reste partager!
S'écrie impatient l'un et l'autre complice. —
»Le reste, malheureux, osez-vous y songer,
Quand sur vous j'aurais à venger
Les droits de la morale et ceux de la justice,
Que par un attentat vous venez d'outrager!
Feu Salomon disait aux juges de son âge:
Dépouillez le méchant qui prend le bien d'autrui.
Salomon parlait comme un sage,
Et je vais parler comme lui:
La Cour, considérant le vol et le dommage,
De vos conclusions vous déboute aujourd'hui,
Ordonne le dépôt des pièces à l'appui,
Et des frais entre vous fait un égal partage.«
Petits escrocs, petits gérans,
Vous aussi, petits conquérans
Qui vous battez pour des provinces,
N'appelez dans vos différends
Ni de grands clercs, ni de grands princes:
Ce sont de fâcheux concurrens.
Fable VII.
L' Apollon du Belvéder
Un beau matin, parcourant le musée,
Petrus Mayeux, bossu de son métier,
Voyait enfans, vieillards, pauvre, rentier,
Et grand'maman, et nouvelle épousée,
La foule enfin, qui d'admirer le Dieu
Ne se lassait. »Que font donc en ce lieu
Tous ces badauds aux pieds d'une statue?
(Disait le nain) Je crois, sur mon honneur,
Qu'ils s'en vont l'adorer, tandis qu'on sévertue
A doubler mes chagrins en raillant mon malheur:
Je suis homme pourtant, et vaux plus qu'une pierre!
Çà, messieurs les rieurs, mettez ce marbre à terre;
Je veux prendre sa place, et montrer aujourd'hui
Qu'un être intelligent doit faire plus d'estime
D'un bossu tel que moi que d'un dieu tel que lui.«
Un cri joyeux surgit de la foule unanime:
Mille bras à l'envi s'emparant d'Apollon,
Relèguent en un coin le dieu de l'éloquence;
Au grotesque orateur on accorde audience,
Et le voilà qui trône au milieu du salon.
Long-temps à cet aspect règne un confus murmure:
Les gens d'esprit, comme les sots,
Accablaient de brocards, insultaient de bons-mots
La vivante caricature.
Après qu'on eut bien ri, force fut d'en finir,
Et d'accorder au nain un peu de tolérance:
»Peuple insensé, dit-il, toujours sur l'apparence
Verrons-nous tes arrêts ou flatter ou punir?
Alors que cette idole attire ton hommage
Chaque jour me retrouve en butte à ton mépris:
De sa beauté ton respect est le prix,
De ma laideur le seul prix est l'outrage!
Et cependant ces membres contrefaits
Cachent une âme ouverte à la tendresse,
Qui du bonheur saurait goûter l'ivresse,
Qui des douleurs a su porter le faix;
Mais ce superbe dieu sent-il son existence?
Sent-il un cœur ému palpiter dans son sein?
Marbre glacé, sans joie et sans souffrance,
De siècle en siècle il dure sans dessein.
Qu'importe! louangez cette œuvre qui s'ignore,
Entourez-la d'honneurs, entourez-la d'encens:
»Puis à l'infortuné que le chagrin dévore,
Sans pitié jetez-lui vos rires indécens!«
Et la foule écoutait l'orateur un peu rude,
Dont le discours naīf fut assez bien reçu:
Et, dès le lendemain, fidèle à l'habitude,
On admira la pierre, et l'on rit du bossu.
Fable VIII.
L' Ivrogne et le Noyé
Un fleuve, après avoir englouti dans ses flots
Certain buveur du voisinage,
L'avait rejeté sur la plage,
Les yeux appesantis par d'éternels pavots.
Le défunt gisait là, quand vint sire Grégoire.
»Je pressentais, dit-il, un malheur: ce matin,
Mon verre en quatre parts s'est brisé sous ma main!
Cependant qui l'aurait pu croire,
Que je verrais Pierrot, Pierrot mon bon voisin,
Pierrot mon compagnon de gloire,
Noyer dans la rivière un si brillant destin?
Je me consolerais s'il fût mort dans le vin;
Mais dans l'eau! mais dans l'eau!... J'en mourrai de
chagrin...
Si tout à l'heure on ne me verse à boire.«
Chaque homme a son penchant, dont le charme vainqueur
Embellissant parfois ses heures d'allégresse,
Parfois aussi consolant sa tristesse,
Sait captiver toujours son esprit et son cœur.
Heureux quand ce penchant le guide à la sagesse!
Ce n'est pas le cas du buveur.
Fable IX.
L' Anesse en couches
Enfin, grâce aux soins de Lucine,
L'épouse d'un Baudet venait de mettre au jour
Le gage désiré d'un légitime amour.
Un exprès, dépêché par la famille âsine,
En porta la nouvelle aux Grandeurs d'alentour;
Et bientôt chez la jeune mère
On vit accourir la Juinent,
Avec la Vache sa commère
Faisant assaut d'empressement.
»En vérité, cousine,
Ton poupon me semble charmant!
Je te parle sans compliment
(Dit l'Excellence chevaline). —
Les Grâces n'en pourraient façonner de plus beau
(S'écriait à son tour la ruminante Altesse):
C'est un trésor de gentillesse,
C'est l'Adonis de ce troupeau! —
Et comme brille en lui son illustre origine!
Voyez ce front, ce nez, ces veux.— Plus j'examine,
Plus je trouve que, trait pour trait,
De son père c'est le portrait.«
Maître l'Ane versait des larmes de tendresse,
Le poids du bonheur l'étouffait,
Son cœur paternel triomphait
De posséder un fils reconnu si parfait;
Il répétait avec ivresse:
»Un chef-d'œuvre! un chef-d'œuvre! et c'est moi qui l'ai
fait!«
Le soleil cependant, entraîné par les heures,
Précipitait ses pas vers l'humide séjour.
Voyageuses alors parlèrent du retour:
Seules et sans maris, si loin de leurs demeures,
Elles craignaient la fin du jour,
Et redoutaient la médisance:
Le monde à l'écouter met tant de complaisance!
On se dit donc adieu. Mais combien de regrets!
Et combien de baisers! Et combien de souhaits!
Et combien de sermens de tendre bienveillance!
On n'avait pas fait quatre pas,
Que déjà l'une et l'autre amie
Entr'elles se disaient tout bas:
»Le nouveau-né, ma foi, ne me plaît pas.
Fabriquer tel magot, c'est bien franche ânerie.—
Et, pour le mieux encor, je crois sire Baudet
Encrôle dans la confrérie
(Soit dit entre nous deux): je parîrais ma vie
Qu'il en est!
Un soir, j'ai vu dans la prairie
Certain Anon leste et grivois
Qui...Mais l'enfant lui plait, il suffit.« — »Qui, je crois
Que sa Lucrèce renchérie
Rendra père plus d'une fois
Un mari si bénin, un époux si courtois.« —
»Commère, sur ce point j'en ai beaucoup a dire:
Demain, je vous le veux conter.«
Nos dames, à ces mots, cessèrent de médire:
Moi, je cesse de répéter.
Entrez dans un salon, soudain chacun vous jure
Que de votre amitié l'univers est jaloux;
On vante vos talens, on louange vos goûts:
Mais, pour connaître au vrai ce qu'on pense de vous,
Mettez l'oreille à la serrure.
Fable X.
La Rose
Dans un jardin parédes plus aimables fleurs
Une rose
Fraîche éclose
De son émail naissant déployait les couleurs.
Survint la jeune Aline,
Aline à qui le dieu que servent les amans
Répétait en secret que quelques ornemens
Rehausseraient l'éclat de sa grâce enfantine.
Fillettes sont toujours
De l'avis des amours;
Puis la coquetterie
Et ses brillans atours,
Puis la galanterie
Et ses charmans détours,
Du printemps de leur vie occupent les beaux jours.
Cueillir la fleur nouvelle, en couronner sa tête,
Semblait à l'innocente un dessein enchanteur:
Déjà du bouton séducteur
Sa main médite la conquête;
Un doux espoir déjà fait palpiter son cœur:
Mais soudain l'épine perfide
A repoussé la main avide,
Dissipé le projet flatteur;
Et sa pointe acérée
Ne laisse à la belle éplorée
Que la douleur.
Un sage, en cet instant, passait non loin d'Aline.
»La rose, lui dit-il, est comme le plaisir:
Elle brille et séduit; mais souvent une épine
Punit un imprudent désir.«
Fable XI.
La Gouttière
A l'heure où le soleil décrivant sa carrière,
Du haut d'un ciel d'azur épanchait tous ses feux,
En ce bas monde un pauvre hère,
Las de voir le destin contrarier ses vœux,
Cherchait un lieu propice où clore sa paupière:
Le sommeil fut toujours l'ami des malheureux.
Notre pélerin donc, promenant sa souffrance,
Approcha d'un château, solitaire séjour
Entouré de bosquets et d'ombre et de silence:
Morphée en ce vallon alors tenait sa cour.
»Ah! que je vais ici faire un excellent somme!...
Je puis, sur ce tapis de fleurs et de gazon,
Rêver que j'ai de l'or, des champs, une maison...,
Que je suis...« — A ces mots s'est endormi notre homme.
Les Songes en riant aussitôt daccourir.
D'abord a son regard un palais vient s'offrir:
Puis un grand peuple en sort, qui va plein dallégresse
Déposer à ses pieds maints trésors précieux:
Partout des cris de joie avec des chants d'ivresse,
Autour de lui, pour lui, s'élancent vers les cieux;
Dans ses vouloirs capricieux
La foule à le servir s'empresse:
Bref, le pauvre, dit-on, fut heureux cette fois.
Moi, que la flatteric et l'or ne touchent guère,
J'eusse aimé mieux rêver que gentille bergère
De l'amour sur mon cœur étudiait les lois.
Mais que chacun façonne un bonheur à sa guise,
J'y consens: liberté, fut toujours ma devise.
Revenons à notre dormeur.
Alors que du sommeil il goûtait la douceur,
Alors que des plaisirs il savourait l'image,
Voici que dans les airs
Passe en groudaut l'orage,
Et des flancs du nuage
Sortent de longs éclairs.
Malgré tout le fracas que roulait la tempête,
Le pélerin en paix eût son rêve achevé;
Mais son œil, par malheur, n'avait point observé
Qu’une gouttière sur sa tête
Planait juste au sommet d'un donjon élevé.
Or, la pluie entourant de ses voiles humides
Ce vallon où tantôt brillait l'astre du jour,
La gouttière à l'instant fait du haut de la tour
Jaillir sur le songeur des tourbillons liquides:
Tragique dénoùmerit d'un drame gracieux.
Socrate sans se plaindre eût accepté la chose:
Mais notre infortuné, qui s'arrangeait au mieux
De sa douce métamorphose,
Ne put voir sans dépit fuir le rêve joyeux
Qui redorait si bien l'existence à ses yeux.
Maudissant tour à tour les dieux et la gouttière,
Puis maudissant encor la gouttière et les dieux,
Il s'en allait enfin chercher loin de ces lieux
Un refuge pour sa misère,
Quand une voix l'appelle, et le rustre entendit
Ces mots qu'avec bonté la gouttière lui dit:
»Abjure une injuste colère:
J'ai rempli mon devoir, que das-tuifait le tien?
Ne sais-tu pas que sur la terre
Le mal toujours est près du bien?
Quoi! par l'ordre des dieux quand la raison t'éclaire,
En aveugle tu veux marcher,
Et tu prétends leur reprocher
Tous les faux pas que tu vas faire!
Je pourrais à bon droit sur ce point te prêcher,
J'aime mieux te donner un avis salutaire:
Lorsque tu vois les fleurs émailler les guérets,
Lorsque tu vois des grands les demeures altières,
Songe que les beauix jours, songe que les palais
Se parent trop souvent de perfides attraits:
Crains la tempête et les gouttières...«
Fable XII.
Les deux Coqs
Amis dès leur plus tendre enfance,
Et sultans d'une basse-cour,
Deux Coqs voyaient en paix s'écouler chaque jour:
Chose, de notre temps, fort peu commune en France
Bannissant de leur cœur les désirs envieux,
De tout ils se faisaient volontaire partage :
Chez les Coqs ce n'est pas l'usage,
Mais ceux-ci s'entendaient au mieux.
Par malheur, un matin, la Discorde cruelle
Prit plaisir à troubler cette union si belle:
»Frère, dit l'un des Coqs, un bien m'est arrivé:
Dans ce vieux pavillon dont l'issue est ouverte,
D'un boisseau de bon grain j'ai fait la découverte;
Il vient par moi d'être trouvé. —
Je t'invite, dit l'autre, à changer de langage,
Car ce blé, j'en ai fait la trouvaille avant toi;
Le premier occupant, c'est une loi fort sage,
Et ton trésor, mon cher, il n'appartient qu'à moi. —
Non pas! — Si fait! — Non pas!-Il n'est qu'à moi, te
dis-je!«
Et nos Coqs, pris soudain de belliqueux vertige,
Des pattes et du bec sescrimant au plus fort,
Dans leurs seins palpitans veulent porter la mort.
Autour d'eux se rassemble un cercle de poulettes,
Et leurs mères, hélas! que l'effroi rend muettes,
Tandis que les Dindons excitent par leurs cris
La colère des deux athlètes:
On eût pu se croire à Paris.
L'un d'eux enfin succombe, et, fier de sa victoire,
L'autre court à ce grain qui lui coûte un ami;
Mais sur son front superbe où rayonnait la gloire
Sa crête sanglante a frémi.
»Mon blé! mon blé! dit-il: je veux qu'on me le rende!
Qui l'a pris? qu'on le nomme, et je serai vengé! —
Ton blé? répond quelqu'un: parbleu! belle demande!
En riant du combat les Chapons l'ont mangé.«
Soyez sûrs qu'en tous lieux, royaume ou république,
Quand la soif du pouvoir divisera les grands,
Les Chapons de la politique
S'engraisseront à leurs dépens.
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