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Livre IV.
 

Livre III.
 
L'Huître et l'Hirondelle
L'Arc et la Flèche
Les Béquilles
Les Furies
La Poupée
L'Aigle et le Lièvre
Une Définition
La Chandelle et le Chandelier
Le Lièvre qui fait l'exercice
L'Aigle et le Serpent
L'Escalier du Diable
Les Dogues et le Lapin

Fable I.
L'Huître et l'Hirondelle

Une Hirondelle, amante des voyages,
Fit rencontre d'une Huître, et lui tint ce discours:
»Quel ennui doit peser sur chacun de tes jours!
Ta vie est enchaînée à ces tristes rivages!
Compagne des zéphyrs, moi je passe les mers:
Dans ma course cosmopolite,
De tous les continens je franchis la limite!
J'ai pour domaine l'univers! —
Mais, lui demanda l'Huître, à t'agiter sans cesse
Quel profit trouves-tu? — Je m'instruis en tous lieux! —
Fort bien! Moir sur ce roc, qui te semble ennuyeux,
Je n'apprends rien, mais je m'engraisse.«
Tout fraîchement débarqué dans Paris,
Certain touriste, après trente ans d'absence,
Court embrasser un sien ami d'enfance,
Brave négociant fidèle à son logis:
»Quoi! lui dit-il, encor dans ta boutique!
Quelle diable de vie! et comment donc peux-tu
Constamment rester là, toujours là!... Moi, vois-tu,
J'ai visité l'une et l'autre Amérique,
L'Europe entière, et l'Asie et l'Afrique,
Toute l'Océanie! Arrivé ce matin,
Je viens te saluer, et je repars demain! —
Bravo! Mais, dis-moi donc, ce long pélerinage
T'a-t-il fort enrichi? — Je ne possède rien:
Quelque peu de savoir compose tout mon bien. —
C'est un mince et léger bagage!
Pour moi, de père en fils j'habite ce quartier,
Et toujours à la même place
Je vends, matin et soir, le poivre et la mélasse.
Ils ne m'ont rien appris, mais ils m'ont fait rentier.
Mon cher, c'est un joli métier!«

Serai-je Huître, ou bien Hirondelle?
Riche ou savant?... L'un et l'autre à la fois:
La science est chose fort belle;
Mais la richesse est aimable, je crois,
Et je ne voudrais pas me brouiller avec elle.

Fable II.
L'Arc et la Flèche

»Mes coups atteignent dans les cieux
L'oiseau ministre du tonnerre;
Et dans les champs de Mars mon vol audacieux
Renverse le héros arbitre de la guerre:
Mais par fois aussi, des amans
Messagère prompte et fidèle,
J'aime à leur porter sur mon aile
Doux aveux et tendres sermens.
Aux heures du plaisir, aux jours de la vaillance,
Ainsi l'homme partout reconnaît ma puissance.«
La Flèche en ces mots se vantait;
L'Arc en souriant l'écoutait.
»Nul plus que moi, dit-il, n'applaudit à ta gloire:
Cependant conviens entre nous
Que si l'aigle superbe expire sous tes coups,
S'ils frappent le guerrier au sein de la victoire,
C'est que l'Arc imprimant la force à ton essor,
Même en ton vol lointain sait te guider encor.«

De par le monde il est maint personnage,
Qui, fier du rang où le sort l'a placé,
De son pouvoir aime à faire étalage,
Et ne dit rien de l'arc qui l'a poussé.

Fable III.
Les Béquilles

Naguère en un canton de Basse-Normandie
Un vieux garçon usait péniblement ses jours:
Pour mieux le tourmenter, l'âge et la maladie
A l'envi se prêtaient secours.
Par fois, béquille en main, il traînait sa souffrance,
Par fois même au logis elle enchaînait ses pas,
Faisant de sa triste existence
Un long et douloureux trépas.

Notre homme cependant s'éprit du mariage.
Vous allez dire, Il était fou!
Moi je réponds, Il était sage:
Épouse aimable est un bijou,
Et c'est un trésor qu'un ménage.
L'amoureux moribond s'en vint donc à Paris,
Des enfans d'Esculape implorer la science.
Ce fut bien fait à lui: grâce à leur sapience,
Un matin il prit rang parmi les favoris
De Cypris.
Soudain, courant de fête eu fête,
A travers les jeux et les ris,
Le voilà qui se met en quête
Pour trouver une jeune et sémillante Iris,
Au teint de rose, au teint de lis.
A Paris c'est chose facile:
Dans cette opulente cité
La déesse de la beauté
Dès long-temps élut domicile.
Le mouchoir fut bientôt jeté.

Avec sa compagne chérie,
Gaîment le long du boulevard
Notre époux promenait sa santé refleurie,
Quand sur sa route le hasard
Fit rencontrer à point un ami de jeunesse,
Un de ces bons amis qui nous aiment toujours,
S'affligeant de notre tristesse,
S'égayant de notre allégresse,
Et quelquefois aussi, par excès de tendresse,
Prenant leur part dans nos amours....
»O surprise charmante! ô moment plein d'ivrcsse!
(S'écria cet ami.) C'est vous que je revois!
Votre belle santé me met fâme en liesse!
Avec cet air gaillard, avec cet œil grivois,
Vous semblez le roi des bons drilles!
Il me souvient, à ce propos,
Qu'en partant du pays vous étiez moins dispos:
Vous marchiez en tremblang-courbé sur des béquilles. —
Des béquilles!(dit l'autre.) Ah! vous faites erreur.
Je fus, mon cher, toujours ingambe:
J'avais, en vous quittant, bon pied et bonne jambe
Des béquilles! Jamais, ma parole d'honneur!«

Quand le destin sur nous épuise ses malices,
Du pauvre bien souvent nous invoquons l'appui:
Mais dès qu'un jour meilleur a lui,
Par un ingrat mépris nous payons ses services.

Fable IV.
Les Furies

»Chez les humains on ne nous craint plus guères
(Dit un jour à ses sœurs Tisiphone en courroux):
Nos verges, nos poignards, nos torches, nos vipères,
Ne sont plus à leurs yeux que fables mensongères,
Fantastiques récits, contes de loups-garous.
Faut-il, hélas! nous exiler du monde?
Faut-il cesser de le punir?
Non, non! sur cette terre où gaîment l'on nous fronde
Si nous avons vieilli sachons nous rajeunir,
Et que notre colère en supplices féconde
Épouvante à jamais les siècles à venir!«
A ce langage impitoyable
L'une et l'autre Furie applaudit en hurlant,
L'Enfer entier répond à leur voix redoutable,
Et les mille serpcns de leur tête effroyable,
Gonflés de noirs poisons, se dressent en sifflant.
»Mes sœurs, reprend Mégère, il me vient en pensée
Un moyeu que je crois fort bon, et dont l'emploi
Peut faire encor sous notre loi
Fléchir cette foule insensée
A qui notre pouvoir ne cause plus d'effroi.
Sous les noms de peste, de guerre,
De désastres affreux, de tragiques malheurs,
Et de remords et de douleurs,
Nous avons paru sur la terre
Parmi les cris, parmi les pleurs.
Revêtons désormais une forme nouvelle;
Cachons sous des traits séduisans
Une vengeance plus cruelle
Et des fléaux plus malfaisans.
De l'éloquence politique
Je veux prendre la voix, emprunter les discours;
Auprès du peuple, auprès des cours
Tisiphone fera de la libre critique;
Tandis que s'entourant des douces fictions
Qu'en son palais l'opulence recèle,
Dès ce jour Alecton s'appelle
Société par actions.«

Chacune avec transport accepta ce partage:
Et depuis lors on voit à nos dissensions,
A ce dénigrement, à cet agiotage,
Tourment de notre vie, opprobre de notre âge,
Qu'elles sont ici-bas toujours en fonctions.

Fable V.
La Poupée

Sur le divan d'un élégant boudoir
Ètait assise une grande Poupée,
Dans ses atours coquettement drapée,
Telle enfin qu'on eût cru qu'elle allait se mouvoir.

Gente fillette encore dans l'enfance,
Voyant son air empreint de dignité,
Et la jugeant dame de qualité,
Faisait en l'approchant profonde révérence.

Elle eut bientôt reconnu son erreur,
Les assistans s'étant tous pris à rire;
Puis d'une voix où le dédain respire,
»Ce n'est qu'un mannequin!« dit-elle avec humeur.

»Le monde ainsi dans le siècle où nous sommes
(Reprit sa-mère), a d'éclatans attraits;
Mais pour garder un peu d'estime aux hommes,
Ne va pas, mon enfant, l'examiner de près.«

Fable VI.
L'Aigle et le Lièvre

L'Aigle aperçut naguère, en parcourant l'espace,
Un Lièvre retenu captif dans un tonneau:
»De ce Diogène nouveau
Je veux consoler la disgràce,«
Pensa le magnanime oiseau.
Aussitôt il s'abat sur l'étroite demeure
Où, grâce aux soins du jardinier,
L'épicurien prisonnier,
Festinant tout le jour, savourait à toute heure
Quelque légume printanier.
»Rouvre ton cœur à l'espérance!«
Dit l'habitant des airs, en remarquant l'effroi
Qu'au Lièvre inspirait sa présence:
»Les Dieux ont en pitié regardé ta souffrance,
»Et je suis envoyé vers toi
Pour op!rer ta délivrance.«
Séduit par ce discours, le reclus tout joyeux
A l'Aigle sans façon livre ses deux oreilles,
Et des plus fiers Titans émule audacieux,
Il va loin de la terre escalader les cieux.
De son ascension admirant les merveilles,
Il ressentait là-haut contentement parfait,
Délice sans égal, voluptés sans pareilles:
Le sot quand il s'élève est toujours satisfait!

Au milieu d'une vaste et calme solitude,
Asile où ne pénètre aucun regard humain,
Le couple voyageur descend le lendemain.
»Dans ces lieux affranchis de toute servitude,«
Dit à son protégé l'oiseau libérateur,
»Jouis de la nature, adore son auteur,
Et fais-toi d'être heureux une douce habitude.«
Après bien des remercîmens,
Bien des tendres embrassemens,
Le Lièvre resté seul visite son domaine.
C'était une sauvage plaine,
Qu'un sable aride blanchissait:
Point de thym, point de marjolaine;
Point de zéphyre à tiède haleine:
L'aquilon seul y mugissait.
Dans cette immensité stérile
Notre ermite affamé cherche quelque aliment
Qui de son estomac apaise le tourment:
Espoir trompeur! soin inutile!
Il lui fallut jeûner tant et si bien qu'enfin,
Regrettant du passé l'existence facile,
L'infortuné mourut de faim.

»Ce peuple est dans les fers, je veux qu'on le délivre!«
Ainsi parle, mon cher, ta générosité:
Fort bien, mais songe qu'il faut vivre
Pour jouir de la liberté.

Fable VII.
Une Définition

Il n'est point d'Ane en Amérique,
Ce qui ne veut pas dire: il n'est point d'ignorans,
Point d'orateurs braillards, d'esprits récalcitrans,
Dans les lieux situés derrière l'Atlantique.
J'entends que ce pays est privé de bourrique,
Ou, pour parler plus juste, il en voit rarement.

»De grâce, apprenez-moi comment
La main de la sage nature
Dessina du Baudet la robe et la structure,«
Demandait l'autre jour un jeune Américain
Au pédant chargé de l'instruire.
»Enfant, je vais vous le décrire,«
Reprit le personnage à l'air capable et vain.
C'est un animal gris, que coiffant deux oreilles
De dimensions sans pareilles:
Enrichi d'une queue à son extrémité,
Il court sur quatre pieds avec agilité,
Et se montre friand d'herbage et de carotte.—
Bon, je comprends, dit le bambin:
C'est le même animal qui se nomme Lapin
Quand on le met en gibelotte.«

Je pardonne à l'enfant cette confusion:
Au pédagogue seul un reproche est à faire.
Mais il me répondra qu'en maint vocabulaire
Plus d'une définition
Se rencontre souvent moins exacte et moins claire.....
Je vous laisse le soin de la condusion.

Fable VIII.
La Chandelle et le Chandelier

Un soir que, malgré moi, rebelle à la paresse,
J'achevais d'un pensum le labeur familier,
Et laissais, non sans peine, un éclair de sagesse
Sillonner mon front d'écolier,
La Chandelle se prit à dire au Chandelier:
»Votre destin est peu digne d'envie:
Sans nul éclat, sans nul honneur,
Sur ce bureau poudreux s'écoule votre vie;
Et sans gloire la vie est un jour sans bonheur!
Dans ma fugitive existence,
Vous me voyez du moins, domptant l'obscurité,
Et des plus sombres nuits défiant la puissance,
Comme un autre soleil répandre la clarté.
Croyez-moi, mon voisin, cessez d'être inutile:
Votre appui, franchement, ne m'est d'aucun secours:
Laissez votre air oisif et votre humeur servile,
Ou je veux sans retard vous quitter pour toujours. —

Me quitter, dites-vous? Allons, vous voulez rire
(Reprit le Chandelier); non, vous n'y pensez pas;
Me quitter! mais sans moi pourriez-vous faire un pas?
Pourtant, si votre orgueil croit pouvoir se suffire,
Hé bien, séparons-nous, et qu'il soit satisfait.«
Ce qui fut dit, soudain fut fait:
Soudain aussi la Chandelle si fière
Aux pieds du Chandelier tomba dans la poussière.

Pareil sort vous attend, superbes écrivains
Qui, fondant sur autrui votre gloire facile,
Imposez vos dédains à son talent docile,
Quand d'un laurier menteur vous vous montrez si vains.

Fable IX.
Le Lièvre qui fait l'exercice

Jacquot Bertin, Lièvre de Picardie,
Souvent le soir en promenade allait;
Martin Grosclaude, enfant de Normandie,
Le soir souvent tendait piége et filet:
Bertin avait son gîte à la frontière,
Martin près d'elle avait mis sa chaumière,
D'où vint qu'un soir le promeneur Bertin
Attrapé fut au piége de Martin.
Or, celui-ci, désireux de richesse,
Pour l'acquérir songe à bien employer
Ce compagnon que lui vient d'envoyer
Le ciel enfin touché de sa détressee.
A l'exercice aussitôt le dresse;
Et tant faisant mons Jaquot de progrès,
Qu'au bout d'un mois son savoir militaire,
Son air mutin, son coup-d'œil téméraire,
De ville obtenaient des succès
Qu'eût enviés maint grenadier français.

Dans son village un jour qu'il était fête,
Grosclaude y vint et son élève aussi:
Point n'est, je crois, besoin de dire ici
Que tous les deux firent ample recette,
L'un de gros sous, l'autre de complimens,
Et de bravos et d'applaudissemens,
Tels qu'ils semblaient le bruit de la tempête
Dont le courroux trouble les élémens.
Quelques Levrauts, du haut d'une colline
En éclaireurs observant le pays,
Furent soudain grandement ébahis
Quand leurs regards dans la plaine voisine
Virent Jacquot plein d'intrépidité,
Giberne au dos et flamberge au côté,
Comme un pandour tirer sa carabine.
Sans nul retard aux Lièvres du canton,
Pâle d'effroi chacun d'eux s'en va dire:
»J'ai vu Jaquot tirer du mousqueton!«
A ce propos d'abord on voulut rire,
Mais quand le fait fut reconnu certain,
Tout d'une voix on proclama Bertin
Vil braconnier, sicaire impitoyable,
Conscrit d'enfer, arquebusier du diable,
Et comme tel, en ce public émoi,
Par la gent Lièvre il fut mis hors la loi.

Jacquot pourtant, d'humeur très-peu guerrière,
Disait tout bas, en revoyant les champs
Où dans la paix coulaient ses jeunes ans:
»Aux cœurs bien nés que la patrie est chère!«
Dès le soir même il avait déserté:
Et quand l'aurore au dieu de la lumière
Rouvrit des cieux l'éclatante barrière,
Elle aperçut Bertin dont la gaîté
Parmi les fleurs jouait en liberté.
Le fugitif savourait par avance
Deses amis les baisers pleins d'amour:
Mais souvent l'heure où brille l'espérance
La voit, hélas! s'éteindre sans retour.
Jacquot l'apprit en cette circonstance,
Car chaque Lièvre, esquivant sa présence,
Subitement loin de lui détala,
En s'écriant: »Au secours! Le voilà!«

Notre Picard long-temps ne put comprendre
A son aspect pourquoi l'on s'enfuyait.
Le délaisser, lui si franc et si tendre!
Il en pleurait. Quelqu'un lui fit entendre
Que sa vaillance à bon droit effrayait.
Vite Jaquot de courir de plus belle,
Par monts, par vaux, après chaque rebelle,
En répétant pour le tranquilliser:
»Nos goûts encor peuvent sympathiser:
Bien qu'on m'ait vu paré d'un eimeterre,
Bien qu'on m'ait fait tirer mapoudre au vent,
Bien qu'on m'ait pris pour un foudre de guerre,
Je suis Jacquot, poltron comme devant.«

Il disait vrai. Tel qui porte moustache,
Sabre traînant, casque à flottant panache,
Et fait grand bruit parmi sa garnison,
Demain peut-être, émérite bravache,
S'en reviendra trembler à la maison.

Fable X.
L'Aigle et le Serpent

Bravant la fureur des orages,
Un jour le monarque des airs
Se jouait au sein des nuages,
Se plongeait au feu des éclairs.
Mais à l'effort des vents cède enfin la tempête;
Elle s'enfuit en mugissant,
Et du soleil le char resplendissant
Roule en paix dans l'éther devenu sa conquête.
Soudain l'Aigle déploie un plus sublime essor:
Vers l'astre radieux il monte, il monte encor,
Et l'on voit rejaillir de ses puissantes ailes
De longues gerbes d'étincelles
Qui parsèment l'azur d'une poussière d'or.
Témoin de sa splendeur, au fond d'un marécage,
Un Serpent à grand bruit s'agitait, se dressait,
Et de ses sifflemens, inspirés par la rage,
La rive au loin retentissait.
»Qui donc éveille ta colère?
(Lui demande quelqu'un.) Pourquoi tant de courroux?
Quel ennemi, de ton bonheur jaloux,
Ose te déclarer la guerre? —
Vers ce point flamboyant tourne un instant les yeux
(Réplique le Serpent): vois cet Aigle odieux
Qu'un vol superbe élève au séjour du tonnerre...—
Hé bien? — Hé bien! je rampe sur la terre,
Tandis qu'il plane dans les cieux!«

Chez les humains il est plus d'un reptile,
De mon Serpent farouche imitateur.
A ses poisons fermons bien notre cœur:
La sombre envie en chagrins est fertile,
La bienveillance est pleine de douceur.

Fable XI.
L'Escalier du Diable

Il est un escalier façonné par le Diable,
D'un aspect séduisant, d'une pente agréable,
Tout resplendissant d'or, tout parfumé de fleurs,

Mais quand le pied de l'homme en touche la spirale
Un magique pouvoir, une force fatale,
De degrés en degrés et d'erreurs en erreurs,

L'entraine haletant jusqu'au fond d’un abîme,
Où de monstres cruels gémissante victime,
Il les voit à l'envi s'enivrer de ses pleurs.

Le vice à nos regards s'offre ainsi plein de charmes,
Mais à travers la joie il nous conduit aux larmes,
Parmi les voluptés il nous mène aux douleurs.

Fable XII.
Les Dogues et le Lapin

Deux Dogues enchaînés dans une basse-cour
Avaient pour vis-à-vis un Lapin dans sa cage:
Le tranquille animal vivait là comme un sage,
Dormant toute la nuit et mangeant tout le jour.
Les Mâtins critiquaient cette calme existence:
»Je voudrais bien, disait l'un d'eux,
Savoir à quoi nous sert ce petit paresseux.
Ignorant les soucis, ignorant l'abstinence,
Dans la paix et dans l'abondance,
Sans rien faire il jouit d'un sort toujours heureux,
Cependant que pour nous les destins rigoureux
Ne sont armés que d'inclémence.«
Jeannot Lapin les entendit,
Et doucement leur répondit:
»Mes chers voisins, sur cette terre,
Qui ne fait pas de mal fait déjà quelque bien:
Ennemi de l'émeute, ennemi de la guerre,
Toutes mes actions sont d'un bon citoyen,
Et nul ne me reproche rien.
Faut-il donc s'étonner que le ciel secourable
Accorde à l'innocence un regard favorable?«

En raisonnant ainsi mon Lapin se trompait,
L'événement lui fut contraire:
Avant la fin du jour le mâtre s'occupait
D'assaisonner gaîment son sujet débonnaire,
Et de ses reliefs chaque Mâtin soupait.

Qu'on envie au rentier son oisive opulence,
Moi, je suis peu jaloux de ce brillant métier:
Jean Lapin fricassé me rappelle qu'en France
Quand le Trésor a faim il mange le rentier.