Livre II.
Fable I.
Le Navire
Au gré des plus fougueux autans,
Un Navire roulait, emporté sur l'abîme:
Sa dernière ancre enfin sauve ses mâts flottants.
Peuple, l'ancre sauveur, c'est ton roi légitime.
Fable II.
Le Chant du Cygne
Un Cygne de sa voix flattait l'ame ravie:
»Cher Amphion, disais-je, est-ce un chant de plaisir?«
—»Oui, répond-ii, je vais mourir.«
La vertu quitte en paix le chemin de la vie.
Fable III.
Le Voyageur au Torrent
»Torrent, au loin roulant le courroux de ton onde,
Rentre dans ta couche profonde.
C'est trop: lève tes flots, et caresse ton bord:
Les deux excès ont tous deux tort.«
Fable IV.
Le Torrent au Voyageur
»Non, non, ta colère enflammée
Ne m'enchaînera point, comme ces vils ruisseaux:
Je viens, reviens, détruis, et pour ma renommée
Je fais scandale avec mes eaux.«
Fable V.
Le Poëte parvenu
A de brillants honneurs un poëte eut accès:
Fier d'un aussi beau rêve,
Il foule aux pieds la lyre, auteur de son succès.
Le sot méprise seul le talent qui l'élève.
Fable VI.
Les Métamorphoses
Un Papillon disait: »J'ai trois métamorphoses!«
—»Je t'aime, lui répond la plus fraîche des Roses,
Mais Ver et Chrysalide à mes yeux ne sont rien:
Ce n'est pas de changer, c'est d'être toujours bien.«
Fable VII.
La Vertu et le Crime
Le Crime s'écriait: »Je règne sur la terre.«
Mais, d'une voix austère,
La Vertu lui repond: »Je règne dans le ciel.«
Choisis, homme immortel.
Fable VIII.
Le Renard
Un vieux Renard, sentant l'approche du trépas,
Fait le saint, met à jeun tout son corps qu'il macère:
Mais nul poulet ne croit son changement sincère.
Mauvais renom ne se rachète pas.
Fable IX.
Le Wigh et le Tory
Un Tory s'écriait: »Tous ces vers sont parfaits!«
Un Wigh criait plus fort: »Ils sont tous
détestables!«
Ils n'étaient ni bons ni mauvais:
Ces messieurs étaient tous passables.
Fable X.
Le Chien et le Loup
»Tréve aux pauvres agneaux!« disait un chien au loup.
—»Harangue ainsi ton maître, ô gardien imbécille!
J'en mange à peine un sur lui mille.«
Pauvre on poursuit, riche on absout.
Fable XI.
Le Taureau et le Chien
Un Mâtin querelleur sur un Taureau s'élance;
Mais l'Hercule, allumant le feu de son courroux,
Abaisse un front nerveux, et l'abat sous sa lance.
Ne vous attaquez pas à plus puissant que vous.
Fable XII.
L'Occasion
Vois cet enfant mutin qui combat tous nos vœux;
Comment donc le saisir? Son front ras qui se pèle
N'a qu'un léger toupet de blonds et fins cheveux:
L'Occasion, c'est ainsi qu'il s'appelle.
Fable XIII.
L'Aigle et le Vautour
Jupin dit au Vautour:
»L'Aigle est disgracié, sois ministre à ton tour.«
Soudain haines, fureurs, et discordes sinistres.
Choisissez vos ministres.
Fable XIV.
Le Pinçon et le Dindon
Un Pinçon étourdi tombe dans une mare:
»Voyez-vous ce roseau? prenez donc cette amarre!«
Lui criait un Dindon, sot, à l'air doctoral.
C'est sur-tout de conseils que l'homme est libéral.
Fable XV.
La Bulle de savon
La Bulle de savon, qu'un trait du jour colore,
S'enflait, resplendissait de tous les feux d'Iris;
Le vent souffle, elle s'évapore:
C'est le destin des favoris.
Fable XVI.
Le Mari et sa Femme
»Par ce temps, douce amie, aller à la campagne!
— Eh quoi! vous refusez votre tendre compagne!
— Ah! partons, c'est mon plus cher vœu:
Mon refus cherchait votre aveu.«
Fable XVII.
La Rose Blanche et la Rose vermeille
A la Rose d'albâtre une Rose vermeille
Disait: »Je sers l'Amour, j'enflamme son ardeur:
Peux-tu t'enorgueillir d'une faveur pareille?
— Non; mais je plais à la pudeur.«
Fable XVIII.
Le Clou
Un pauvre clou tyrannisé
D'un lourd marteau reçoit les grands coups sur sa téte
Elle résiste, il est brisé.
Il faut savoir céder aux coups de la tempête.
Fable XIX.
La Douleur
La Douleur relevait son front languissamment;
D'un rayon de bonheur y brillait la présence:
»D'où vient, dit la Gaieté, ce soudain changement?
— J'ai versé sur le pauvre un peu de bienfaisance.«
Fable XX.
Le Fruit
Un fruit ne mûrissait dans l'ombre:
»Mets mon front au grand jour, je deviendrai vermeil«,
Dit-il au jardinier qui s'en plaint d'un air sombre.
Pour mûrir le talent, il lui faut le soleil.
Fable XXI.
La Feuille de Poirier et celle de Fraisier
Au sein des airs tremblait la feuille d'un poirier:
»Ma sœur, tu crains, lui dit la feuille de fraisier.
— Oui; mais je craindrais moins si je touchais la terre.«
La grandeur parfois donne un effroi salutaire.
Fable XXII.
La Belle de Nuit
La fleur ouvrant son sein lorsque l'ombre commence,
Orgueilleuse, étalait sa légère semence;
Un enfant souffle, et tout fuit emporté.
Rien ne reste en soufflant sur sotte vanité.
Fable XXIII.
Le Voleur volé
Lubin voyant de loin un voleur qui s'avance,
S'écrie: »Ah! dans ce puits est tombé tout mon or!«
L'autre se déshabille, et regarde, et s'élance:
Lubin prend sa dépouille, et fuit, et court encor.
Fable XXIV.
Le Rocher et la Goutte d'eau
»Toi, molle goutte d'cau, percer ma dure roche!«
Sans répondre, la goutte, en cherchant un accès,
Tombe, tombe, et parvient, tombant de proche en proche.
L'invincible constance est l'ame des succès.
Fable XXV.
La Dispute des Roses
Les Roses disputaient le prix de la beauté;
De Flore un prompt arrêt les mit toutes à l'aise:
»Rose aux quatre saisons, régnez avec fierté,
Car vous plaisez toujours: c'est l'art de la Française.«
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