Fable I.
Le Tarin* et les autres Oiseaux
Un tarin dit un jour aux oiseaux rassemblés:
— Je vous veux aujourd'hui régaler de cerises;
Suivez-moi, j'en connais d'exquises.
A sa suite, aussitôt, tous se sont envolés,
Tous, hors un vieux routier de loin sentant la poudre,
Un merle, qu'à partir ils n'avaient pu résoudre.
— Votre grand nombre, amis, vous portera malheur,
Avait dit l'oiseau noir. — Hélas! sa prophétie
Se trouva bientôt accomplie.
Non loin des cerisiers rôdait certain chasseur.
Il entend de joyeux ramages;
Il voit s'ébattre en l'air mille chantres volages.
Du fusil à deux coups dont notre homme est armé,
Il tire au beau milieu de l'orchestre emplumé:
Vous jugez, dans les rangs de la troupe éperdue,
Du ravage que fit la décharge imprévue.
— O jour d'épouvante et de deuil!
Je ne t'oublirai pas, dit alors un bouvreuil,
Qui, palpitant d'effroi, dans un taillis se coule.
Tu m'avertis qu'à l'avenir
Le plus sûr chemin à tenir
N'est pas celui que prend la foule.
*Petit
oiseau du genre fringille: son plumage est gris-jaune
tirant sur le vert.
Fable II.
L'Ane et le Magister
Devant des villageois un dimanche attroupés,
Certain baudet dressa ses deux longues oreilles,
Défiant les plus huppés
D'en exhiber de pareilles.
A ce défi bizarre et qu'il porta d'un ton
Que l'on eût trouvé fat, je crois, chez Bucéphale,
Vous jugez si l'on rit du pauvre Aliboron.
Le magister du lien ne perdit rien, dit-on,
De sa gravité doctorale,
Et l'incartade du grison
Lui fournit ce trait de morale:
— Rien de plus niais, j'en convien,
Que l'amour-propre de cet âne:
Mais souvent tel qui le condamne
Ne sait pas mieux placer le sien.
Fable III.
Les deux Chenilles
Dans la plus étroite union
Deux chenilles vivaient, sur un chou retirées.
Une d'elles devient un brillant papillon,
Déploie avec orgueil ses ailes azurées,
Fend les airs, et, bientôt, rivale des zéphirs,
Sur les plus belles fleurs promène ses désirs.
De sa condition nouvelle
L'insecte volant est si fier
Qu'il méprise aujourd'hui sa compagne fidèle,
Et ne se souvient plus qu'hier
Il rampait encore comme elle.
Fable IV.
Le Miroir et l'Eau
Le miroir dit à l'eau: — Très bon à consulter,
Je fais voir à l'instant la crasse du visage.
— Et moi, j'ai sur vous l'avantage,
Lui repart soudain l'eau, de la pouvoir ôter.
Du théâtre où plus d'un grand maître
A, si fidèlement, reproduit nos défauts,
De la religion qui les fait disparaître,
J'ai tracé l'histoire en deux mots.
Fable V.
Le Ruisseau
Le plus paisible des ruisseaux,
Dans un riant vallon, entre deux rangs de saules,
Promenait lentement le cristal de ses eaux.
Arrivent plusieurs jouvenceaux:
L'un d'eux prend une pierre, et voilà tous mes drôles
Qui s'arment de cailloux, choisissent les plus gros,
Et les précipitent dans l'onde,
Qu'ils auraient bien mieux fait de laisser en repos.
L'onde écume, bondit, fond sur eux, les inonde
Et les pénètre jusqu'aux os.
Les gens du plus doux caractère,
Quand on les pousse à bout, ont aussi leur colère.
Fable VI.
Le Hêtre
Au bord d'un grand chemin naquit un jour un hêtre:
Plus heureux si le ciel à l'écart l'eût fait naître!
Heurté de toutes parts, ployé dans tous les sens.
Frêle arbuste, il périt sous le pied des passans.
Une solitude profonde
Est souvent salutaire à lesprit comme au cœur:
Le tombeau du génie et l'écueil du bonheur,
C'est presque toujours le grand monde.
Fable VII.
L'Avare et le Chat
Élève d'une sainte femme
Qui dans la bonne voie avait mis sa jeune ame,
Un chat vint d'un avare habiter la maison,
Au décès de la vieille dame.
Vous devinez sans peine, avec un tel patron.
Que l'honnête animal faisait fort maigre chère.
Aussi qu'arriva-t-il? Raton
Se vit réduit, pour vivre, à devenir fripon.
Dans cette nouvelle carrière
Raton n'eut pas long-temps besoin de s'essayer.
L'histoire, et je l'en crois, dit qu'aux tours d'escogriffe
En moins d'une semaine il eut rompu sa griffe.
Or, un beau jour que, dans le colombier.
Les yeux en l'air, le minet rôde,
A ses regards s'offre un trésor,
Un trio de pigeons presque sans plume encor.
Ils étaient en un coin favorable à la fraude;
Il lui suffisait d'allonger,
Pour les avoir, un peu la patte:
Il l'allongea de reste... et vous pouvez juger
Du plaisir qu'il eut à gruger
Une proie aussi délicate.
Tranquillement et sans bouger,
Ainsi que l'ordonne Hippocrate,
Le drôle bien repu digérait à l'écart,
Quand l'Harpagon survient, mais un peu tard.
Raton, en s'esquivant, de l'avare se moque:
— Les pigeonneaux, dit-il, mon maître, sont fort bons,
Meilleurs encore, j'en réponds,
Quand c'est à vous qu'on les escroque.
Fable VIII.
Écho
Écho rit, écho pleure, écho jure, écho chante,
Écho dit non, écho dit oui,
Tour-à-tour, sans effort, toujours d'après autrui.
Des gens sans caractère image assez plaisante!
Fable IX.
L'Amateur d'Oiseaux
ou
Le Diphile de Labruyère
De ses petits oiseaux à toute heure occupé,
Jusque dans son sommeil Diphile les retrouve.
Il est oiseau lui-même, il siffle, il est huppé,
Il perche, il rêve enfin qu'il mue ou bien qu'il couve.
Otoi! qui fais d'un rien ton plus pressant souci,
De la danse un travail, de la mode une affaire,
Que dis-tu de ce portrait-ci?
Le tien est-il encore à faire?
Fable X.
Le Petit Rieur
Je connais un lutin d'enfant
Qui ne pleure jamais, lors même qu'on l'afflige,
Qui, réduit au pain sec, le dévore en chantant,
Rit des nombreux pensum que de lui l'on exige,
Et se donne un air triomphant
Sous la verge qui le corrige:
Fort bien est sa réponse aux soufflets qu'il reçoit.
Il est vrai que son rire est presque une grimace,
Et qu'aisément on s'aperçoit
Que sa gaité demande grâce.
Serait-ce ainsi que, dans l'adversité,
Se comporterait le sage?
Non! contre l'infortune il s'arme de courage,
Mais il n'affecte point l'insensibilitê.
Fable XI.
Les deux Chevaux
— Va labourer, Rustaud, ce rôle te sied bien,
Disait au cheval de Bastien
Le cheval de Mondor, coursier des plus ingambes.
— Pour mes travaux, seigneur, montrez moins de dédain:
Vous leur devez le picotin
Qui fait des ailes de vos jambes.
Fable XII.
Young et l'Enfant
Sans souvenirs et sans regrets
Foulant l'herbe d'un cimetière,
Un enfant se jouait à l'ombre des cyprès,
Lugubres habitans de l'enclos funéraire,
Courait de tombe en tombe, et d'une main légère,
Y cueillait en riant les fleurs
Qui devaient le parer de leurs fraîches couleurs.
Assis au seuil du presbytère,
Un vieillard le suivait des yeux
Dans cette enceinte solitaire.
C'était le pasteur de ces lieux,
C'était des NUITS l'auteur célèbre
Qui soudain inspiré par sa muse funèbre:
— Viens, Lorenzo*, dit-il, contemple ce tableau,
Et dis-moi si les jeux de cet enfant volage
N'offrent pas de ta vie une fidèle image.
Tandis qu'à tout moment dans la nuit du tombeau
Tu vois tes semblables descendre,
Tu respires en paix les roses de l'amour,
Tu folâtres, tu ris... sans songer qu'à ton tour
A leurs cendres demain tu dois mêler ta cendre.
*Young
apostrophe souvent son lecteur dans le personnage
allégorique de Lorenzo.
Fable XIII.
Le Lion et son Image
Contre un de ses pareils, sultan du voisinage,
Son rival en amour et son rival heureux,
Un jeune lion furieux,
Pour lui faire expier un si cruel outrage,
D'un oeil étincelant le cherchait en tous lieux.
Un jour qu'auprès d'un puits il promenait sa rage,
Il regarde, et dans l'onde aperçoit son image.
Il croit de l'insolent reconnaître les traits,
Rugit, s'élance, tombe.... et descend au rivage
Que l'on ne remonte jamais.
Homme, de tes fureurs tu vois ici l'emblème:
Ton plus grand ennemi, bien souvent c'est toi-même.
Fable XIV.
Le Grand
Duc, le Milan et le Linot
Un grand duc*, la terreur du gibier d'alentour,
Murmurait fréquemment contre l'astre du jour,
Dont l'éclat importun lui dérobait sa proie;
Son voisin le milan se plaignait à son tour
Des voiles que la nuit déploie,
Disant que leur obscurité
L'avait vingt fois surpris et vingt fois arrêté
Au plus fort du carnage, au milieu de sa joie;
Tandis que, des buissons pacifique habitant,
Dormant toute la nuit, et tout le jour chantant.
Un linot, jusqu'à l'évidence,
Prouvait à ces bandits, de leur sort mécontens,
Qu'ici-bas la seule innocence
Sait, comme il vient, prendre le temps.
*Oiseau
de proie qui ne vole que la nuit.
Fable XV.
Le Cor et la Lyre
Le cor disait un jour: — Il n'est point d'heureux sons
Qu'un souffle harmonieux à son gré ne m'inspire.
— A qui sait me pincer, lui répliqua la lyre,
Je crois, sans me flatter, qu'aussi bien je réponds.
On obtient tout de plus d'un prince,
Pourvu qu'on lui donne du vent.
Le peuple est un autre instrument;
On n'en peut rien tirer à moins qu'on ne le pince.
Fable XVI.
Le Fou et son Idole
(1819)
Avec un encensoir tenant une massue,
On raconte qu'un, jour un fou se présenta
Au pied de certaine statue;
C'était celle d'un dieu que lui-même inventa.
Que fit-il? d'une main il encensa l'idole,
De l'autre main il l'abattit.
Si cet homme était fou, la France fut bien folle:
Que de dieux en trente ans elle fit et défit!
Fable XVII.
L'Erable et le Houx
— Je suis armé de dards, et tu ne l'es pas, toi!
Disait avec surprise à l'érable robuste
Le frêle houx. — Ami, répond l'arbre à l'arbuste,
L'arme qui sert au faible est indigne de moi.
Fable XVIII.
Le Serin et la
Serinette
— Qui te l'apprit, cet air que tu chantes si bien?
A son serin un jour disait la jeune Annette.
Tu t'en souviens, ingrat, et tu ne réponds rien.
— Qui me l'apprit la serinette.
La serinette, soit; il me semble pourtant
Qu'un élève inspiré par la reconnaissance,
Aurait, en cette circonstance,
Nommé l'institutrice au lieu de l'instrument.
Fable XIX.
L'Indigent et le Rat
— Puisse d'un maître chat la dent broyer tes os,
Maudit rat, dont les jeux interrdmpent mon somme!
Un songe avait pour moi versé l'or à grands flots:
On eût en vain cherché, de Paris jusqu;à Rome,
Un plus puissant seigneur, un plus riche palais:
Tu m'as tout enlevé, festins, trésors, valets.
Ainsi, dans la tristesse où le réveil le plongé,
Parlait un de ces gens que la misère ronge.
Le pauvre malheureux put bien se rendormir,
Quand ce rat importun à ses bonds eût fait trêve;
Mais avec le sommeil il ne put ressaisir
Les volages faveurs d'un si merveilleux rêve.
La fortune est souvent un songe des plus courts:
Souvent lorsqu'elle échappe, hélas! c'est pour toujours.
Fable XX.
Le Renard et la Pintade
Une pintade était captive
Et son geôlier était un villageois:
Ainsi du sort l'avaient prescrit les lois.
Un jour de la saison où l'hirondelle arrive,
Au travers des barreaux de sa cage de fer,
L'innocente allongeait la tête et prenait l'air,
Quand des museaux gloutons elle aperçoit le pire.
Le museau d'un renard et son oeil de vampire.
La pauvre volatile eût dû, sans différer,
Se retirer:
C'était bien le cas d'être preste!
Mais avant qu'elle en fit le geste,
D'un coup de dent, le perfide museau
S'était vite adjugé l'oiseau.
Si j'ai dit l'oiseau, je m'arrête:
L'escroc n'avait miré que le bec et la crête,
Et n'avait attrapé que la crête et le bec;
Le grillage jaloux le tenant en échec,
Il n'avait pu prétendre au reste.
Mais qu'avait donc enfin voulu le garnement.
En donnant pour si peu ce maître coup de dent?
Hélas! le croira-t-on, encor que je l'atteste?
Ce qu'il avait voulu?.... se distraire un instant.
Et d'une pintade sans tête,
Dans sa cage se débattant,
Se heurtant,
Culbutant,
(La pauvre bête!)
Avoir, faute de mieux, le spectacle sanglant:
Jeu barbare et bien fait pour plaire
A l'inventeur froidement sanguinaire!
Le trait que je viens de citer
Peint de certain méchant l'odieux caractère.
Quand du mal qu'il médite il ne peut se flatter
De profiter,
Il le fait, sans hésiter,
Pour le seul plaisir de le faire.
Fable XXI.
La Requête à Flore
— Encore quelques fleurs avant que de mourir!....
Disaient à Flore, unjour, deux bons vieux chèvre-feuilles.
— Quelques fleurs? interrompt l'amante du Zéphir;
A votre âge il faut dire: encore quelques feuilles!
Fable XXII.
L'Homme ivre
(Adrcssée à un ci-devant jeune homme.)
S'installer dès l'aurore au cabaret voisin,
En sortir vers le soir, chancelant, pris de vin,
Voir le soleil s'éteindre et croire qu'il se lève,
Hier ce fut, dit-on, l'histoire de Lubin.
Bien qu'on soit vieux, ridé, faire le galantin,
Prétendre plaire encore, et ne pas voir qu'on rêve
O toi, qui de tes jours devrais prévoir la fin,
N-est-ce pas prendre aussi le soir pour le matin?
Fable XXIII.
Les deux Arbres
Portant sa tête dans les cieux,
Et de son vaste ombrage étonnant tous les yeux,
Un géant des forêts, un chêne,
En ces termes un jour apostrophait un frêne
Contrefait, languissant, des bois vrai mirmidon,
Qui ne s'élevait guère au-dessus d'un buisson:
— Que mon rôle est brillant! que le tien en diffère!
Tandis que, la merveille et l'orgueil du canton,
Je menace la une et brave le tonnerre,
A peine on t'aperçoit: tu fais honte à la terre
Qui nourrit de ses sucs un si frêle avorton,
Et d'un arbre, en un mot, tu n'as rien que le nom.
Le nain pour repartir se sentait trop confondre,
Lorsque Gros-Jean le charpentier
Se chargea du soin de répondre,
En saisissant sa hache et frappant l'arbre altier.
Bientôt sous l'arme meurtrière,
Le souverain des bois roule dans la poussière,
Tandis que l'avorton, naguère s'aflligeant
De traîner une obscure et chétive existence,
Trouve sa sûreté dans son peu d'apparence,
Et conclut qu'il vaut mieux être nain que géant.
Fable XXIV.
L'Enfant et le Linot
Captif, je crois, depuis un an,
Dans une étroite et triste cage,
Un linot suppliait Fanfan
De le rendre à la vie, à l'amour, au bocage.
Que fit notre petit tyran?
Car l'homme, hélas! l'est à tout âge:
Ce que font tous les jours de bons maris, dit-on,
Pour rendre leurs moitiés sages en dépit d'elles;
Il lui rogna d'abord les ailes,
Ensuite il ouvrit sa prison.
Fable XXV.
La Veilleuse et le
Miroir
Une veilleuse, face à face
Se trouvant avec un miroir,
De sa flamme naissante, un soir,
Contemplait les rayons reflétés dans la glace,
Et s'enivrait du plaisir de s'y voir.
Dans le bonheur le temps promptement passe.
Déjà le chant du coq annonçait le matin:
La lampe en a pâli: cet odieux refrain
D'un prochain trépas la menace.
Elle veut s'aveugler sur son destin fatal,
Qui ne le voudrait à sa place?
Mais le peut-elle, en face du cristal
Qui lui révèle et lui retrace,
Avec sa croissante pâleur,
Le tremblement de sa lueur
A tout moment près de s'éteindre?
Du miroir qu'elle craint et qu'elle ne peut fuir
On l'ehtendit alors amèrement se plaindre.....
Las! elle s'y voyait mourir.
Jeune beauté qu'un rien, un souffle peut ternir,
Tu souris au miroir qui réfléchit tes charmes.
Souris, mais hâte toi! car demain va venir:
Demain, qu'y verras-tu?.... des rides et des larmes.
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