Fable I.
La Vieille et le Miroir
Après soixante hivers Zulmé se croyait belle.
Un jour que son miroir, incommode censeur,
Pour la désabuser lui peignait sa laideur,
Elle brise à l'instant la glace trop fidèle.
Mais de ce vif courroux quel fruit recueille-t-elle?
Du cristal en éclats les différens débris
Sont autant de miroirs qui de ses traits livides
A ses yeux affligés réfléchissent les rides.
Elle n'avait qu'un juge, hélas! elle en a dix.
Souffrons patiemment une juste critique:
Point d'éclat; s'en fâcher, c'est la rendre publique.
Fable II.
Le Papillon
Un jeune papillon devint triste et morose:
Si papillon qu'on soit, voit-on toujours en rose?
Celui-ci n'était pas sans sujet affligé;
Le galant sur les fleurs avait trop voltigé,
Et ses succès auprès des belles
Avaient usé, flétri, décoloré ses ailes.
De honte et de douleur d'tre à ce point changé,
Il s'enfuit un matin loin des regards de Flore:
Hélas! s'il se fût ménagé,
Il les mériterait encore.
Fable III.
Les Oiseaux et le
Buisson
C'était dans la saison où Zéphire ramène
La verdure et les fleurs, les amours et les nids,
Pour les oiseaux grands et petits
Saison de plaisir et de peine,
Qu'un jour près d'un buisson ils s'étaient réunis.
Ils avaient, du bout de la plaine,
Vu de légers flocons de laine
A son feuillage suspendus,
Et pour en obtenir étaient tous accourus.
Comme étant durs à la desserre.
On a souvent cité les gens aux doigts crochus;
Ici l'on voit tout le contraire:
Pas un solliciteur n'éprouva de refus.
Il est vrai qu'aux brebis cette laine arrachée,
Par le moindre vent détachée,
De moment en moment échappait au buisson,
Et que la république ailée,
Des flocons qui restaient dut le prompt abandon
A l'impuissance du larron
De garder la chose volée.
Fable IV.
L'Ane et le Coq
Un coq, en un panier, voyageaît sur un âne:
Dindons d'ouvrirlle bec, en les suivant de l'œil.
— Est-ce donc d'aujourd'hui, s'écrie une faisane,
Qu'ensemble on voit aller la sottise et l'orgueil?
Fable V.
La Pie
Margot pour le babil vaut cinquante femelles.
Volatile de son métier
Elle est toujours en l'air, à l'affût des nouvelles
Qu'elle se plaît à publier.
Tantôt, pour en avoir, Margot s'invite et mange
Chez les hôtes d'un colombier;
Tantôt elle se perche au haut d'un cerisier,
A côté d'un pinson ou bien d'une mésange.
Quelquefois, parmi les dindons,
Elle rôde autour de la grange;
Quelquefois, près des canetons,
Elle barbotte dans la fange;
Même on l'a vue un jour, avec de noirs corbeaux,
D'une chair corrompue avaler les lambeaux.
Aimable ou sotte compagnie,
Gens bien ou mal famés, d'un esprit aigre ou doux,
Gris de plumage, blancs ou roux,
Tout est bon pour Margot la pie,
Pourm qu'elle s'informe, écoute, observe, épie.
Fable VI.
Le Chêne et l'Aiglon
— Comme hier, en tombant, la foudre t'a noirci!
Dit au chêne un aiglon, venu là pour s'ébattre.
Le chêne, relevant son front enorgueilli,
— Elle a pu me noircir, dit-il, mais non m'abattre.
Fable VII.
Le Chat et les Rats
En courant un jour comme un fou,
Sur les pas d'une jeune chatte,
Du haut d'un toit tomba certain matou.
Parmi les rats soudain la joie éclate;
Chacun croit fermement qu'il s'est rompu le cou,
Et franchit librement le seuil de ses pénates.
Mais on fut très surpris, quelques instans plus tard,
Lorsque l'on revit Rodilard
Bien d'aplomb sur ses quatre pattes.
L'oeil étincelant, l'air hagard,
Courant après les rats, jurant de les détruire,
De ne pas faire grâce au moindre souriceau,
Pour apprendre à ces gens à rire
De la chute de leur bourreau.
Fable VIII.
La Bergère et la
Feuille
— Cesse de m'agiter: le repos est si doux!
Dit un jour au Zéphyr une feuille de tremble.
— Cesse de me poursuivre, Amour, je crains tes coups,
Disait Sylvie. Or, il me semble
Que la belle et la feuille avaient tort de gémir.
Un peu d'activité ne nuit pas dans la vie:
Sans l'Amour que ferait Sylvie,
Et la feuille sans le Zéphyr?
Fable IX.
Le Nid dans un Lilas
Dans un accès de vaine gloire,
Une fauvette à tête noire
D'un buisson, au printemps, dédaigna l'humble abri,
Et de ses enfans, dit l'histoire,
Suspendit le berceau dans un lilas fleuri.
Elle s'applaudissait de leur avoir choisi
Une aussi brillante demeure,
Des plus beaux papillons décorée à toute heure,
Lorsqu'un matin d'un villageois
Elle voit, vers son nid, s'allonger les dix doigts.
Hélas! l'éclat des fleurs, du rustre convoitées,
Avait fait de l'oiseau découvrir le trésor
Que, derrière un rempart d'épines redoutées,
Le buisson cacherait encor.
Fable X.
Les deux Epis
Dépourvu des présens de la blonde Cérès,
Un épi vers le ciel levait sa tête altière:
Dépositaire heureux du trésor des guérets,
Son voisin, humblement, s'inclinait vers la terre.
Un sage, non loin d'eux, passant avec son fils,
— Mon enfant. lui dit-il, tu vois dans ces épis
L'embléme d'un savant, celui d'un esprit vide.
Les sots sont orgueilleux, le mérite est timide.
Fable XI.
Le Héron et le Pélican*
A l'heure où dans son char d'ébène
La nuit vient s'emparer des cieux,
Un héron s'assoupit sur la cime d'un chêne
Que battait sans relâche un vent impétueux.
Bercé par la tempête, il n'en dormait que mieux,
Lorsqu'un pélican vénérable,
Des oiseaux du canton l'oracle et le Nestor,
Du faîte d'un antique érable
Élevant sa voix de Stentor,
— Éveille-toi, dit-il; l'arbre où tu dors chancelle:
N'attends pas qu'il succombe, et fuis à tire d'aile.
Par les mugissemens que poussait l'ouragan,
De l'officieux pélican
La voix, hélas! fut étouffée;
Et l'arbre, dans sa chute entraînant le héron,
Le jeta, des bras de Morphée,
Sur les rives de l'Achéron.
Passions, ô du cœur tumultueux orages,
Lorsque l'homme par vous se laisse captiver,
Le cri de la raison, les conseils les plus sages,
Aisément jusqu'à lui pourraient-ils arriver?
*Oiseau
pêcheur de la grosseur d'un cygne. Sa voix est très forte:
il vit, dit-on, quatre-vingts ans.
Fable XII.
Le Buisson et le Daim
Lancé par une meute, effroi des bêtes fauves,
Dans un épais buisson un daim se jette à temps.
— Halte là! savez-vous que je pique les gens?
— Saigne-moi, si tu veux, pourvu que tu me sauves.
Fable XIII.
Le Songe de Lubin
Lubin, cité partout pour un franc égoïste,
Un beau matin en s'éveillant,
A Babet, sa moitié, racontait, d'un air triste,
Ce songe qui n'est que plaisant:
— A peine le sommeil avait clos ma paupière,
Je rêvais qu'un mal imprévu
Avait terminé ma carrière,
Et que tout de mon long dans la bière étendu.
Grâce au pasteur pressé de gagner son salaire,
D'un pas accéléré l'on me portait en terre.
Toi, nos parens et moi, nous suivions mon cercueil;
Moi, le dis-je, Babet, pâle, en habit de deuil,
Au ciel, pour feu Lubin, adressant ma requête,
Et présent, mort et vif, à cette triste fête.
Déjà du cimetière on atteignait le seuil:
A l'aspect de ces lieux que tout mortel redoute,
Je jette un cri d'effroi... Mais, ô Babet, écoute,
Et juge, si tu peux, de mon étonnement:
Le croiras-tu? près de moi, sur la route,
Tout le monde avait l'air content.
Pas un seul mot à ma louange,
Pas un regret, pas un gémissement,
Et je pleurais tout seul à mon enterrement.
— Ce contraste, mon petit ange,
Dit la fine Babet, n'a rien de bien étrange.
Chacun jugeait apparemment
Qu'en homme qui toujours s'aima d'amour extrême,
Tu ne t'oublîrais pas en ce fatal moment,
Et te regretterais suffisamment toi-même.
Fable XIV.
Les Demoiselles*
Il est des insectes jolis,
Déployant dans les airs la gaze de leurs ailes,
Effaçant par l'éclat des couleurs les plus belles
Des fleurs de nos vergers le brillant coloris,
Capricieux, je gage, et peut-être infidèles,
Enfin portant un masque... A ce trait, mes amis,
Reconnaissez les demoiselles.
Que si, de vos Chloés trop vivement épris,
La fureur d'épouser vous prend jamais près d'elles,
Souvenez-vous du masque, et vous serez guéris.
*Insectes
ailés que l'on trouve communément au bord des eaux.
Fable XV.
Le Marronnier
bienfaisant
Fidèle ami des voyageurs,
Des bergères, des moissonneurs,
Auxquels, depuis long-temps, il prête
Un abri contre les chaleurs,
Un marronnier disait, après une tempête,
Dont on avait pour lui redouté les fureurs,
— J'ai beaucoup souffert de l'orage;
Mais il a par bonheur respecté mon feuillage,
Et je n'ai perdu que mes fleurs
Qui ne procuraient point d'ombrage.
Fable XVI.
Le Dogue et le Bichon*
Par ses cris menaçans un bichon provoquait
Un dogue d'une énorme taille.
Ce dogue se retourne, et montrant au roquet
Une file de dents propres à la bataille:
— Tu trembles, lui dit-il; va, relève le front,
Et ne crains rien pour tes oreilles:
Les armes que tu vois jamais ne serviront
Que contre des armes pareilles.
*Petite
et jolie race de chiens, à nez court et à poil long,
blanc et très fin.
Fable XVII.
Le Chêne et le Pavot
Tourmenté par Éole, assailli par la pluie,
Un pavot inclinait sa tête appesantie.
Vainement Flore, hélas! voulait le relever,
Quand Zéphyre à Phébus s'unit pour le sauver.
L'un, en le balançant sur son aile volage,
Du liquide fardeau par degrés le soulage:
L'autre, de ses rayons modérant la chaleur,
Pénètre, épanouit, ressuscite la fleur.
Que d'orgueil trop souvent le bonheur nous inspire!
Tout fier d'intéresser et Phébus et Zéphyre,
Ce pavot, par les vents naguère harassé,
Sur sa tige affermie à peine est redressé,
Qu'oubliant sa faiblesse, en puissance il s'érige:
— Voyez! qu'ai-je perdu de mon premier éclat?
Tandis qu'en ces jardins tout souffre, tout s'afflige,
Seul, au milieu des fleurs que la fatigue abat,
J'apparais immobile et debout sur ma tige.
Un chêne l'écoutait: — Ami, deux mots sans plus;
Je pourrais triompher, j'ai bravé la tempête:
Mais toi, que sous ses coups j'ai vu courber la tête,
Dois-tu parler si haut, quand le danger n'est plus?
Fable XVIII.
Le Dindon
Un dindon sans esprit et croyant en avoir,
A plus d'un cerveau creux que cette erreur est douce!
Devant d'autres dindons pérorait certain soir....
Comme on pérore quand on glousse.
Perché sur un baudet qui lui prêtait son dos,
Il débitait de là son étrange pathos,
Et, pour mieux l'écouter, tous retenaient leurs langues,
Quand vint à passer, par malheur,
Le meunier, qui rossa la tribune aux harangues,
Fit sur son nez choir l'orateur,
Et fuir, en un clin-d'œil, l'auditoire en rumeur.
Fable XIX.
La Bergère et la Fleur
Près de s'éloigner de nos bois
Et du beau ciel qui la vit naître,
Pour habiter la ville où l'appelait son choix,
Églé, jeune bergère, Églé, lasse de l'être,
Des fleurs de son verger vint encore une fois
Respirer le parfum champêtre.
J'ai su qu'en se laissant cueillir,
La plus éloquente d'entre elles
Lui dit ces mots que le zéphir
Eut bientôt, dans les airs, emportés sur ses ailes:
— L'aurore te verra demain
Fuir sans regrets ton humble asile:
Des jeunes beautés de la ville,
Pour l'envier, hélas! connais-tu le destin?
Eh! comment au sein de leurs fêtes
Trouverais-tu le vrai bonheur?
Là tout est faux, jusqu'à la fleur
Que l'on voit briller sur leurs têtes.
Fable XX.
L'Orvert* et le Hibou
Souvent, il mon aspect, l'homme a peur et décampe:
Pourquoi? dit au hibou le plus doux des orverts.
— Ami, répond l'oiseau, c'est qu'il suffit qu'on rampe,
Pour être supposé dangereux et pervers.
*Orvert,
orvet, serpent aveugle. Ce reptile habite les fentes des
rochers: il n'est point dangereux.
Fable XXI.
Corylas et l'Araignée
Du tissu délicat de ses réseaux fragiles,
Quand je vois Arachné composer des liens
Que ne peuvent briser les moucherons agiles;
Quand je vois Corylas, grâce à de jolis riens,
A quelques petits vers doux, légers et faciles,
De nos jeunes beautés vaincre les moins dociles;
Je dois conclure et je soutiens
(Dût le sexe trouver mes comparaisons louches)
Qu'il ne faut pas de plus puissans moyens
Pour attraper les belles que les mouches.
Fable XXII.
Le Vœu du Loup
Un vieux loup, tel qu'on n'en voit guère,
Dévot presque autant que glouton,
Dans certain piège, un jour, se trouva pris, dit-on,
Comme il allait sans bruit marmottant sa prière.
Il fit un vœu: la chose est si facile à faire!
S'il échappe au danger, s'il revoit sa maison,
Il renonce à la chair, il vivra de poisson.
Dieu peut-être écouta le vœu du bon apôtre;
Il échappe: voyons comment il le tiendra.
Notre saint voit un porc, à quelques pas de là,
Qui dans un amas d'eau tranquillement se vautre:
— C'est un poisson, dit-il, et poisson que Dieu fit.
Il accourt, le happe et s'enfuit,
En achevant sa patehôtre.
A lever un scrupule on dit
Qu'un dévot s'entend mieux qu'un autre.
Fable XXIII.
Les deux Mouches
Par la vitre d'une croisée
Découvrant les lambris d'un superbe salon,
— Oh! que ne puis-je entrer! disait un moucheron.
Sur la même vitre posée,
Une mouche disait: — Que ne suis-je dehors!
De ces naissantes fleurs qu'embellit la rosée
J'irais en bourdonnant caresser les trésors.
Ainsi la sœur et le frère
Un matin l'un de l'autre enviaient le destin,
Du salon ou du jardin
Séparés seulement par l'épaisseur du verre:
Mais quoi! pour tous les deux c'était un mur d'airain.
Le bonheur, je ne sais comment la chose arrive,
Aux moucherons, ainsi qu'au genre humain,
Ne vient jamais s'offrir qu'en perspective.
Fable XXIV.
Le Hibou
Maître hibou, rongé d'ennui,
Rend visite un matin aux oiseaux du bocage.
Mais son air rechigné, son cri rude et sauvage,
Et son œil clignotant, par le jour ébloui,
L'ont bientôt fait traiter de grossier personnage,
De pécore, d'original,
Qui des hôtes de l'air n'a rien que le plumage.
Honteux d'un tel accueil, le nocturne animal
Regagne promptement son obscur ermitage.
Il y reçoit, dit-on, parfois quelques hiboux,
Pour ne pas perdre l'habitude
De conter qu'au bocage on ne voit que des fous,
Des sots, des méchans, des jaloux,
Et pouvoir, en bâillant, vanter la solitude.
Fuir le monde, en tracer un odieux portrait,
C'est prouver que d'y vivre on n'eut pas le secret.
Fable XXV.
La Femme et le Serin
Une femme avait hérité
D'un jeune et beau serin, pour ses talons cité.
La Parque lui ravit un jour son aimable hôte.
Comment eût-il vécu! l'eau limpide et le grain
Las! trop souvent lui faisaient faute.
Le pauvret mourut donc de faim:
L'insouciance de la dame
Lui valut cette triste fin.....
Or, voyez quel dédale est le cœur d'une femme!
Vivant, le malheureux serin
Relégué dans sa cage au plafond suspendue,
Pour plaire à sa maîtresse et la désennuyer,
En vain sur tous les tons exerçait son gosier;
C'était, dis-je, peine perdue,
Pas un mot, un regard pour le beau prisonnier.
Mort (vous allez penser peut-être que je raille),
La voilà qui lui fait les plus touchans adieux,
Qui recueille, en pleurant, ses restes précieux,
Et qui, finalement, veille à ce qu'on l'empaille,
Pour l'avoir toujours sous les yeux.
La chose n'est pas sans exemple:
Moi qui vous raconte ceci,
Je connais d'un défunt mari
Un portrait que souvent la veuve en pleurs contemple,
Un fidèle portrait, bien tendrement chéri.....
Dont par mainte boutade et par mainte querelle,
Tous les jours que Dieu fit, on vexa le modèle.
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