Livre II.
Livre Deuxième
 


Jean François Haumont


Fabuliste et poète français né le 9 mars 1772 à Versailles,
Jean-François Haumont est décédé le 7 novembre 1866 à Paris.

Source:
Fables
Jean François Haumont/Capitaine Invalide/Paris 1855

 
Livre I.
Livre Premier

 
Le Lapin et le Perdreau
Le Chien et la Brebis
Le Ramoneur et l'Hirondelle
Le Chien danois et le Chien de berger
La Poule et les Perdreaux
Le Laboureur et ses Chevaux
Le Voyageur etfile Laboureur
Le Canalier et le Cheval
La Fermière et la Vache
Le Chevalier et le l'Ane
Le Papillon et le Mûrier
Le Marchand de Mulets
Le Chasseur et le Renard
La Poule et la Tourterelle
L'Oiseau et le Destin
Orphise, son Chat et son Épagneule
Le Coq et le Canard

 

I.
Le Lapin et le Perdreau

         Un indocile perdreau,
         Rébelle aux cris de la nature,
Quitta ses bons parens, le lieu de son berceau,
         Et prit l'essor à l'aventure.
         Parcourant l'air d'un vol léger,
Le premier jour n'offrit aucun danger.
         Content de cet heureux présage,
         Il sent redoubler son courage.
         Le jour suivant, de grand matin,
         Il apperçut un vieux lapin,
Au bord de son terrier, ruminant à son aise,
Assis sur le gazon, comme sur une chaise.
Approchons, dit l'oiseau, je voudrais lui parler;
Si cet être est méchant, je saurai m'envoler.
Le bon lapin, surpris de tant de hardiesse,
         Dit au perdreau, par quelle gentillesse,
         Si jeune encor, avez-vous pu quitter
         Vos chers parens? on doit vous regretter.
         --- Je ne sais si l'on me regrette,
         Je suis parti sans tambour ni trompette:
         On ne cessait de me gronder,
         A mon tour j'ai voulu bouder.
         La liberté fait le bonheur suprême;
         N'est-il pas vrai, j'en juge par vous-même.
         A mon âge on peut en goûter,
Répondit le lapin, de l'expérience:
Si le méchant veut m'attrapper,
Je redouble de vigilance.
         --- Apprenez quel est le chasseur,
Notre ennemi commun, il vient comme un voleur;
         Armé d'un terrible tonnerre,
Il nous fait, sans pitié, la plus cruelle guerre.
Mais gardez-vous, sur-tout, de l'animal fâcheux,
Qui nous flaire de loin; rien n'est plus dangereux.
--- Je me moque du chien, ainsi que de son maître:
Que l'un ait le nez fin, que l'autre soit un traître,
         Tout cela m'est fort égal.
         Je ne crains rien de fatal.
     Vient-on? je fends les airs avec vîtesse,
         J'échappe avec beaucoup d'adresse.
         Vous croyez donc me faire peur?
         Vous n'êtes qu'un vieux radoteur.
         --- Après une telle sottise,
         A moi, lapin, à barbe grise,
         Que pourrais- je vous répliquer?
Adieu, docteur: rien ne doit vous manquer.
Quelque malheur qui vous survienne,
C'est votre affaire, et ce n'est pas la mienne.
         A peine eut-il fini ces mots,
         Qu'il s’esquiva fort à propos.
Il étoit tems, il survint un chasseur,
         Et Médor, son chien fidèle,
Avait senti notre emplumé causeur,
         Formé son arrêt avec zèle;
         Puis au mot pille! il s'élança:
         Soudain le perdreau s'envola;
Mais le plomb meurtrier termina sa carrière,
Pour n'avoir pas suivi le conseil salutaire.

II.
Le Chien et la Brebis

Dans une bergerie, un chien nommé Roquet,
Alla trouver, un j'our, la brebis complaisante:
(C'était son nom), lui dit, un rhume me tourmente,
         Daignez pour moi, faire le guet
Le guet? dit la brebis, ce n'est pas mon usage:
J'ai souvent peur, et c'est un grand défaut;
         Cependant, puisqu'il le faut,
         Je vais m'armer de courage.
         Cette nuit-là, fort à propos,
Le loup ne troubla point, du bercail, le repos.
      Le lendemain, d'un air d'hypocrisie,
         Le chien dit à sa bonne amie:
         J'ai bien dormi, je suis joyeux,
         Et mon rhume va beaucoup mieux:
         Mais pour achever votre cure,
         De grace! je vous en conjure!
         Accordez un autre bienfait:
         Laissez-moi tetter votre lait.
         --- Mon lait? Vous parlez à votre aise:
         Apprenez, ne vous déplaise,
         Que j'ai deux petits à nourrir;
         Tout ce que je peux vous offrir,
         C'es de partager la pitance
De mes agneaux, qui sont dans la plus tendre enfance.
         Roquet n'ayant que du pain bis,
Savourait, à longs traits, le lait de la brebis.
         Les agneaux pleuraient sans se plaindre;
            Ils étaient encore à jeun,
         Maudissant a tout-bas, l'importun,
             Qui savait se faire craindre.
         Bref, il en'prit tant qu'il voulut;
         Il tarit, ou peu s'en fallut,
         Le doux nectar de sa voisine;
         Et lui dit: vous êtes divine,
         De satisfaire mes souhaits.
         Mettez le comble à vos bienfaits:
         J'aurais besoin de votre laine,
         Pour me faire un habit fourré;
         Alors, étant ainsi paré,
         Je braverai la froide haleine,
         Et les frimats de l'aquilon
         Mais, vous agissez sans façon,
Répondit la brebis; vous donner ma fourrure?
         Non, mon cher ami, je vous jure:
     J'ait fait pour vous toute la nuit le guet;
         De plus, vous avez bu mon lait,
         Et vous voulez encor ma laine?
     Cherchez ailleurs habit qui vous convienne.
         Faites du bien à l'indiscret,
Il en abusera comme le chien Roquet.

III.
Le Ramoneur et l'Hirondelle

         Un ramoneur grimpait très-lestement
         Le tuyau d'une cheminée,
         Pour dégager habilement
         La suie épaisse et calcinée:
         Il faisait un tel carillon,
         Gravissant la noire muraille,
         S'escrimant d'estoc et de taille,
         Que tout tremblait dans le canton.
Auprès de là gissait une pauvre hirondelle,
Dans son nid, que l'on peut appeller sa maison,
      Couvant ses œufs avec beaucoup de zèle:
         Quand elle vit le compagnon,
         Tout est fini pour moi, dit-elle;
      Le malheureux, dans sa fureur cruelle,
         Va renverser dans un instant,
         Avec son perfide instrument,
         Mon bâtiment le seul asyle
Où je goûtais bonheur si tranquille.
         Hélas! pour fléchir le courroux
         De l'ennemi qui vient à nous,
         Le plus faible a recours aux larmes;
Essayons-les, je n'ai point d'autres armes.
      Bon citoyen, dit-elle au ramoneur,
         Vous me faites mourir de peur:
         Ne détruisez pas, je vous prie,
         Le fruit de ma faible industrie;
         Je vivais si paisiblement!
         Dans mon petit appartement,
Je conserve mes œufs, bientôt ils vont éclore.
Si vous les cassez tous, pour moi c'est pis encore:
         Vous détruirez pour toujours
      L'objet de mes tendres amours!
Et ma postérité, mon unique espérance,
Rentre dansle néant, même avant sa naissance.
Notre père commun, par des soins bienfaisans,
Daigne nous conserver, aime tous ses enfans.
Avant de former l'homme, il créa l'hirondelle.
Je n'ai garde, avec vous, d’entrer en parallele;
Si les hommes sont rois de tous les animaux,
Qu'ils aiment leurs sujets, n'en soient pas les bourreaux.
Quoi! vous osez parler? petite raisonneuse,
Répond le savoyard : par trop officieuse
Vous prétendez, je crois, me faire une leçon,
         Et me traiter en polisson.
Votre belle maison n'est qu'un amas d'ordures,
Que je puis renverser sans commettre d'injures;
     Allez ailleurs bâtir votre palais;
     Un peu de boue en fera tous les frais.
     Quant à vos œufs, c'est un objet futile,
Qui sert à conserver votre espèce inutile.
         Il dit, et d'un coup de tranchant,
     Cassa les œufs, brisa le bâtiment;
         Voulut dans sa rage mortelle
         Massaqrer la triste hirondelle,
Qui ne dut qu'à son vol, plus léger qu'un zéphir,
Son salut; elle fuit, en poussant un soupir.
La vérité déplaît: osez la faire entendre
         Àux êtres plus puissans que vous,
         Bientôt vous devez vous attendre
D'éprouver les effets d'un injuste courroux.

IV.
Le Chien danois et le Chien de berger

Un chien Danois, d'une belle apparence,
  Au regard fier de l'importance,
     Rencontra près d'un verger,
     Coridon, chien de berger.
Serviteur, mon cher camarade,
Dit Coridon au chien Danois.
Plaît-il? vous plaisantez, je crois,
Ou bien vous avez bu rasade,
Répondit le Danois: votre ton familier
Me paraît un peu singulier:
Apprenez que je suis de la plus noble race;
Qu'un mâtin comme vous a bien mauvaise grace
De manquer de respect à quelqu'un tel que moi.
     --- Pardon, monsieur, j'ignorais, par ma foi,
           Vos titres et votre noblesse;
           Que vous étiez d'une autre espèce;
           Un grand Danois de qualité;
Je croyois, entre nous, parfaite égalité
           Sur le rang et sur la naissance:
J'ai tort; mais dites-moi quelle est la différence?
           Dussiez-vous cent fois vous fâcher,
              Je ne saurais mempêcher
           De vous dire ce que je pense.
                 Quoi! vous montrez les dents?
                 Un peu de patience!
           Je vous accorde la beauté;
           Mais quant à l'utilité,
           L'esprit et l'intelligence,
     Par-tout j'aurai la préférence.
Je gardé mes moutons avec fidélité:
     Au moindre mot, au moindre geste,
     Je cours, je vole, je suis leste;
On rend justice à ma cn pacité:
     Mais vous, avec l'air d'arrogance,
     Que savez-vous? faire bombance,
     Précéder le char des traitans
     Pour renverser tous les passans;
     Un tel emploi n'est qu'un vil esclavage.
Le collier que je vois n'en est-il pas le gage?
Réprimez, croyez-moi, vos discours insolens:
Je suis né votre égal, et plus, par mes talens.
---Cette comparaison, et m'indigne, et m'outrage:
Faquin! si j'écoutais un trop juste courroux....
— Vous vous fàchez toujours: mon ami, estimez-vous.
Voilà de l'orgueilleux le ton et le langage:
            Aveugle par la passion,
Il s'arme de l'injure, au défaut de raison.

V.
La Poule et les Perdreaux

Une poule élevait avec empressement
         Des perdreaux sa chère couvée;
         Ce n'était pas une corvée;
    Quand on est mère, on aime tendrement!
Des enfans adoptés, la petite famille
Obéissait toujours, était douce et gentille:
         Dès que l'on voyait un danger,
    Vite, sous l'aîle on courait se loger.
         Tant que dura la tendre enfance,
         Même jusqu'à l'adolescence,
         Les soins et l'éducation,
         Tout allait à perfection:
Le besoin d'un côté, de l'autre la tendresse,
Formaient l'heureux accord qui toujours intéresse.
En croissant, on voltige; et devenant plus forts,
         Tous les perdreaux un jour prirent l'essor.
Où fuyez-vous? disait la mère désolée;
Ingrats! par mes enfans me voilà délaissée!
             Je ne peux suivre, dans les airs,
Votre course rapide au bout de l'univers.
Le trépas vous attend, revenez sous mon aile;
Ne vous souvient-il plus de l'amour maternelle?
     Notre départ n'est pas un grand malheur,
Bépondeut les perdreaux, calmez votre douleur:
Nous suivons les destins qui nous seront propices;
Adieu; nous n'avons plus besoin de vos services.
           Hélas! ceci n'est pas nouveau:
Combien d'enfans ingrats font comme le perdrea!
           Sitôt que l'on peut se passer
           Des soins bienfaisans d'une mère,
           On craint fort peu de l'offenser,
           On ne cherche plus à lui plaire.

VI.
Le Laboureur et ses Chevaux

La mollesse est un mal; dans les champs, on l'ignore.
           Malgré le froid des aquilons,
Un laboureur levé dès le point de l’aurore,
La charrue à la main, ouvrait de grands sillons;
Il pressait ses chevaux, de la voix et du geste:
Je veux, leur disait-il, une allure plus leste.
           Allons, messieurs les paresseux;
Je travaille pour vous, vous êtes bienheureux!
Ce bled, mis en dépôt dans le sein de la terre,
             Par les soins miraculeux,
           De l'Eternel, notre bon père,
      Multiplira: prodige merveilleux!
           Le grain fera pousser la paille,
              Je pourrai vous l'offrir,
              Vous en ferez ripaille;
      A votre tour, vous devez me servir.
---Nous vous remercions de tant de complaisance;
Nous savons que penser de votre bienfaisance:
           La paille est un triste régal,
           Et c'est un dîner très-frugal
Tous nos frères des bois, sans le secours de l'homme,
           Ni des biens dont il se renomme,
           Vivent heureux, et n’ont recours
           Qu'aux lois de la simple nature,
           Qui leur offre la nourriture,
           Et leur fait couler de longs jours;
      Mais avec vous, quel horrible partage!
De pénibles travaux, réduits à l'esclavage,
           Tout notre labeur est pour vous;
           Et si vous avez soin de'nous,
Quelle en est la raison? La vérité l'emporte,
           Votre intérêt seul vous y porte.

VII.
Le Voyageur etfile Laboureur

             Un voyageur désirait le beau tems:
La pluie, aux voyageurs est très-souvent contraire:
Il adressait au ciel son ardente prière.
             Un laboureur en même tems,
Priait de son côté, qu'une pluie abondante,
             Douce, légère, bienfaisante,
Vint arroser ses champs, fit promptement germer
             Le grain qu'il venait de semer.
Jupiter, disait-il, à mes voeux sois propice!
J'invoque ta clémence, ainsi que ta justice:
Ce n'est pas pour moi seul, si mes voeux sont pressans,
C'est le bien général, je nourris tes enfans.
Le voyageur enfin, par un désir contraire,
Disait: Jupin, suspends Potage et le tonnerre:
Quelques beaux jours encor, c'est tout ce que je veux,
Pour arriver au but où tendent tous mes voeux.
Jupiter fatigué, disait: voilà les hommes!
             L'un veut blanc, l'autre noir,
           Ils changent du matin au soir.
     Mais, comment, tout dieu que nous sommes,
Donner au même instant la pluie au laboureur,
             Et le beau tems au voyageur?
       De par le Styx, la chose est impossible:
Qu'il pleuve sur les champs du laboureur sensible;
             Dût l'égoïste voyageur
       Etre mouillé, c'est un petit; malheur.
Les désirs des mortels se contrarieut sans cesse:
Que de vœux indiscrets on accable les Dieux!
Mais celui qui sait tout, a tout fait pour le mieux;
Livrons nos intérêts au soin de sa tendresse.

VIII.
Le Canalier et le Cheval

Que j'ainie le cheval, cet animal utile!
         Que je le plains, quand je le vois
         Bridé, sellé tout—à—la—fois,
Portant homme de cour, petit-maître futile,
         Ou le vigoureux postillon,
         Armé d'un acier au talon,
Dont il perce les flancs de cet être paisible,
         Comme s'il était insensible!
            Un our certain cheval,
            Rendu de lassitude,
            Par un maître brutal,
            Dont la triste habitude,
         L'œil menaçant, l'air en courroux,
         Etait de le rouer de coups;
         Lui dit: calmez votre colère:
   De mon travail, voilà donc le salaire?
       Hélas! je ne peux rien de mieux:
Pourquoi me frappez-vous? Que je suis malheureux!
       Pour prix de mes soins, de ma peine,
Je suis comme un forçats, que l'on mène à la chaîne.
Le maître lui répond: tu raisonnes, e crois?
Le destin a voulu te ranger sous mes lois:
     Suis-je pas homme? apprends à me connaître:
En esclave soumis, obéis à ton maître.
---C'est l'arrêt du destin? D'accord, je me soumets:
Je ne dis plus qu'un mot, après quoi je me tais.
Pythagore autrefois crut la métempsycose;
Il enseigna par-tout cette métamorphose:
              Vous savez qu'il faudra mourir;
              Mais si dans un autre avenir,
Vous devenez coursier, craignez-vous pas qu'un homme,
      En me vengeant, vousmonte et vous assomme?
De la leçon, heureux qui fera son profit,
Ne faisant pas le mal qu'il craindrait qu'on lui fit!

IX.
La Fermière et la Vache

Une vache bretonne, aussi bonne que belle,
Jeannette était son nom, sa couleur, isabelle,
Rendait graces aux dieux de son heureux destin.
Pour un lait superflu, qu'on prend soir et matin,
              On me chérit, on me carresse:
La fermière Isabelle est si bonne maîtresse!
Le meilleur pâturage est réservé pour moi.
L'amour impérieux me donne-t'il la loi?
On me mène à l'époux le mieux tourné du monde,
Le plus beau des taureaux, que l'on trouve à la ronde:
Je donne tous les ans de ma postérité:
Bref, on ne vit jamais plus de félicité.
La maîtresse Isabelle entend le soliloque;
       Dit à part soi, ma Jeannette se moque:
Vraiment! elle croit donc que c'est pour ses beaux yeux
              Que je la soigne on ne eut mieux?
              On n'est plus si du e à mon âge;
              L'expérience nous rend sage:
              Mais je calcule mon profit,
       Mon lait, mes veaux, et cela me suffit.
              Ainsi s'abusait la Jeannette,
Qui du triste avenir n'était point inquiète.
              Tant que son lait produisit bien,
Elle fut très-heureuse, il ne lui manquait rien;
En échange, elle offrait crème, beurre et fromage,
Dont la dame Isabeau tirait grand avantage:
Mais sitôt que les ans tarirent le nectar,
Trois lustres environ, ou plutôt, ou plus tard,
On oublia les dons; Jeannette abandonnée,
              Fut conduite au marché prochain;
       Là, sans pitié, Partisan assassin
       Lui fit subir sa triste destinée.
              C'est ainsi que le monde est fait;
L'homme, à son intérêt, mesure le bienfait.

X.
Le Chevalier et le l'Ane

Un cheval andalou, de superbe encolure,
             Par un beau jour cheminait
             Avec un pauvre baudet,
Habitant d'Arcadie, à la triste figure.
           Chemin faisant on devisait;
           Le grave espagnol racontait
        Avec fierté son illustre origine,
                 Les exploits de ses ayeux,
                 Dans plus d'un combat fameux;
Il s'exaltait beaucoup; sa race était divine;
            Parlait de ses propres exploits;
Comme il avait vaincu dans différens endroits,
Portant le général, ou chef de la brigade;
            Il n'oubliait pas sa beauté,
                 Ses graces, sa légèreté,
Quand il se présentait en montant la parade.
                   Pour vous, mon très-cher baudet,
            Digne compagnon du mulet,
            On apperçoit à votre mine,
            Que la nature vous destine
                Au service du moulin,
                Pour y voiturer le grain
                Et rapporter la farine;
            C'est-là de vos exploits la fin:
            Mais vous avez la voix charmante,
            Sonore, flexible et touchante!
--- Vous faites le plaisant, monseigneur l'andalou!
De vos perfections je ne suis point jaloux.
Vous êtes beau, bien fait; quant à votre courage,
D'un guerrier tel que vous c'est le moindre partage.
      Chaque animal a son utilité;
Je m'en tiens à mon lot; je crois, en vérité,
                      Qu'il peut valoir le vôtre.
Tel qu'on veut mépriser, s'estime autant qu'un autre.
Portant aux champs de Mars un superbe héros,
      Vous partagez sa gloire, ses travaux;
                 Et moi je porte la farine.
Je sers le bon meunier, très-utile aux humains;
              Vous, le guerrier qui se destine
A répandre leur sang de ses fatales mains;
Je crois qu'il est plus beau, soit dit sans vous déplaire,
De servir les humains, que leur porter la guerre.
Comme ils parlaient ainsi, le coursier ne voit pas
              Un bourbier profond sous ses pas;
              Il tombe dans le précipice.
Le chemin écarté, n'offrait aucun secours.
Qui pourra me servir! quel sera mon recours!
S'écriait le cheval: le baudet, par malice,
Dit: seigneur, déployez votre superbe voix;
L'écho répétera vos accens dans les bois;
Implorez des humains la bonté charitable,
Bientôt vous sortirez de ce lieu misérable.
Le malheureux hennit, mais sans aucun effet.
Criez à votre tour, dit-il, ami baudet.
             --- Croyez-vous que ma voix charmante,
             Puisse un peu remplir votre attente?
--- Tu te venges, cruel, ah! me voilà perdu!
      L'âne était bon, tonna, fut entendu.
Notre andalou sauvé, changea bien de langage:
De ce baudet, dit-il, j'ai méprisé la voix;
      Sans elle, hélas! c'en était fait de moi
Heureux qui voit ses torts! L'adversité rend sage.
Point d'orgueil; ne traitons personne avec mépris,
Et dans tous les états faisons-nous des amis.

XI.
Le Papillon et le Mûrier

Un papillon, inconstant et léger,
             Sur les fleurs las de voltiger,
             Ne songeant plus qu'à la retraite,
             Apperçut un très-beau mûrier:
Tàchons, dit-il en soi, de me l'approprier;
       J'y trouverai tout ce que je souhaite;
Nourriture, couvert, repos et liberté;
Voilà tout ce qu'il faut pour la félicité.
Ce papillon charmant, près du mûrier s'arrête,
Et lui parle d'un ton flatteur et carressant;
             Bientôt il en fit la conquête:
Joli minois est toujours séduisant!
             Très-volontiers:si mon asyle,
             Dit cet arbre, peut vous servir,
             Venez, je serai très-docile:
             Je suis charmé de vous offrir
L'abri du vent, l'ombre et la subsistance:
             On fait grand cas de ma substance:
Quelquefois je nourris de certains petits vers,
Grands fileurs, qui sont tous des insectes pervers;
             Quand, par malheur, je les accueille,
             Il me reste à peine une feuille.
             Mais vous, l'ètre le plus joli,
Pour me tromper, vous êtes trop poli.
             --- Qui, moi? ce serait conscience
             D'abuser de la confiance
             De celui qui veut m'obliger;
       N'en parlons plus, ce serait m'affliger.
Je veux par tous mes soins, auprès de vous sans cesse,
Mériter vos bontés, l'appui de ma faiblesse.
             Plusieurs jours après ce propos,
         Les deux amis vécurent en repos.
      Tout être bon se fie au personnage
      Qui sait charmer par un joli langage.
      Un papillon ne peut long-tems durer.
             Le nôtre, avant que d'expirer,
             Laissa pour toute récompense,
             Des chenilles l'affrense engeance,
             Qui dévorèrent sans quartier.
             Le trop complaisant mûrier.
             Gardons-nous de la gentillesse;
             Mais sur-tout des propos flatteurs:
             Le serpent caché sous les fleurs,
             Nous surprend avec plus d'adresse.

XII.
Le Marchand de Mulets

Un marchand voyageait sur son mulet chéri,
         Qu'il appellait son favori.
         Les autres marchaient à leurs aises,
         Dont, sans doute, ils étaient fort aises.
Le porteur fatigué, dit à son maître, un jour:
      De vous servir c'est très-souvent mon tour;
Je conviens que pour moi la chose est agréable:
Mes confrères jaloun de partager l'honneur,
              Demandent aussi la faveur
        De voiturer votre personne aimable.
Le marchand répondit: je ne puis, mon enfant,
Et je te préférai dès le premier instant;
              J'aime beaucoup ta douce allure:
              Que ton port, que ton encolure,
              Ont de grace et de majesté!
        Point tant d'amour et plus de vérité:
                Le compliment est extrême,
                Dit le mulet en lui-même;
Je me passerais bien de son attachement,
             Le fardeau serait moins pesant.
       Aimons toujours d'une amitié discrette.
       Ne soyons point à charge à nos amis.
Que chez nous, le flatteur ne soit jamais admis.
Disons la vérité, méprisons la fleurette.

XIII.
Le Chasseur et le Renard

Maître renard surpris au piège d'un chasseur
       Faisait piteuse contenance
De ta méchanceté voici la récompense,
                  Lui dit l'homme en fureur:
C'est en vain que tu prends l'air faux des hypocrites;
       Le châtiment que tu mérites,
Me vengera d'avoir étrangle mes poulets,
Mes pigeons, mes gneaux, et tant d'autres forfaits.
Le renard répondit: je reconnais mon crime;
Mais j'attends mon pardon de la bonté sublime,
             D'un homme rempli d'équité.
      Je fus cruel, oui, c'est la vérité.
             Pressé par une faim vorace,
             J'ai souvent dépeuplé la race
      Des habitans de votre basse-cour.
             C'était mal vous faire ma cour
             Le besoin sera mon excuse
             Des cruautés dont je m'accuse.
Mais vous que la nature a comblé de ses dons,
      Qui possédez d'amples provisions
De grains, de végétaux, de fruits et de racines;
Vous, accablé de biens et de faveurs divines;
Vous qui réunissez tant d'objets superflus,
Si nous sommes cruels, vous l'êtes cent fois plus!
La tyrannie, enfin, vous est-elle permise?
      Hommes sensuels, vous êtes des bourreaux;
De sang-froid, excités par votre gourmandise,
      Vous massacrez les pauvres animaux.
En autrui, nous blâmons, et nous taxons de crime,
             Avec un air de courroux,
             Telle action, qui, pour nous,
      Se travestit et devient légitime.

XIV.
La Poule et la Tourterelle

Que vous êtes heureuse! aimable tourterelle;
    Votre mari vous est toujours fidele:
          Et moi, je ne puis y songer,
Pauvre poule! je suis réduite à partager
          Avec beaucoup d'autres compagnes,
          Habitantes de ces campagnes,
          Les faveurs d'un coq très-léger,
Qui se faisant valoir, ne fait que voltiger;
Qui me néglige, hélas! pour les moindres poulettes.
La plaintive répond: ah! je vois que vous êtes,
              Ma chère, dans l'erreur,
          Sur mon prétendu bonheur.
J'ai, moi seule, un époux, oui, la chose est certaine;
    Mais seule aussi je supporte la peine,
Les caprices, l'humeur, et les mauvais propos,
D'un méchant qui me bat, souvent mal-à-propos.
De la félicité l'apparence est trompeuse.
Contentons-nous du sort que nous fit le destin.
          Celle que l'on croit très-heureuse,
          Est souvent livrée au chagrin.

XV.
L'Oiseau et le Destin
A Julie

Qui avait quitté sa retraite, pour passer huit jours chez Chloe,
son amie
.

          Un jour, l'oiseau le plus charmant
          Etait sorti de son bocage;
          Il voltigeait si joliment!
          Il enchantait par son ramage.
Son très-heureux destin le mena sans effort,
Chez l'aimable Chloé, qui l'aime avec transport.
          Je reste huit jours avec vous,
          Dit-il en son petit langage:
          Ce tems me semblera bien doux,
          Puis je retourne à l'hermitage.
          --- Quoi! huit jours? y pensez-vous bien?
          Huit jours! ah! vraiment, ce n'est guère.
          --- Il est vrai, ce n'est presque rien;
          Mais c'est tout ce que je peux faire.
Pendant ces jours heureux, s'il formait un desir,
Aussitôt il était couronné du plaisir.
          Le bonheur passe comme un songe;
          C'est l'illusion du mensonge.
          Le charmant oiseau s'envola;
    Dans son désert, bien vîte il retourna.
          Son départ fit verser des larmes.
          Le plaisir n'offrit plus de charmes.
          Tout-à-coup parut le Destin;
          Il dit: bannissez le chagrin;
          Faibles mortels, veuillez m'entendre;
          L'ignorez-vous? il faut l'apprendre:
          Le globe que vous habités,
          N'offre point de félicités
          Qui soient parfaites, sans nuage;
Souvent le plus beau jour finit par un orage.

XVI.
Orphise, son Chat et son Épagneule

          Orphise aimait son chat, minet,
          Qui fort souvent la chagrinait.
Elle aimait bien aussi Mirza, son épagneule,
          Présent que lui fit son ayeule.
     Le chat plaisait par sa légèreté,
          Ses graces, sa vivacité,
          Ses tours, ses sauts et son adresse.
          Mirza charmait infiniment,
          Par son fidèle attachement,
          Mais sur-tout par sa gentillesse.
          Un jour, minet en badinant
          Avec son aimable maîtresse,
    Par malice, plutôt que mal-adresse,
          L'égratigna très-rudement.
    Le sang coula sur le beau bras d'Orphise.
          L'épagneule, très-bien apprise,
          Lêchait le mal pour le guérir,
          En témoignant son déplaisir.
Le perfide minet, d'un air d'indifférence,
          Ne montrait point de repentance.
          Orphise, dans son désespoir,
          Lui dit, je ne veux plus vous voir:
Pour prix de mes bontés, toujours nouvelle injure?
     Quoi! dit minet, pour une égratignure,
          Vous oubliez tous mes talens?
     Pour les souris, ne fais-je pes merveille?
     --- Oui, c'est bien dit, ne me romps plus l'oreille:
          Séparé des honnêtes gens,
          Dans le grenier, perfide race,
          Allez chasser en liberté;
          Là, vous serez à votre place.
     Sous un air doux, craignons la fausseté.
On voit plus d'un minet dans la société.

XVII.
Le Coq et le Canard

          Certain coq, avec un canard,
          Un jour se trouvant par hasard,
          Firent ensemble la partie
          De voyager de compagnie;
          Marcher tout seul est ennuyeux;
          On s'amuse quand on est deux.
Apprenez, dit le coq, que loin dans la campagne,
Il est un beau pays, que l'on nomme Cocagne:
          Ce mot est fait pour engager;
          C'est un plaisir de voyager:
          Venez, bonne chère et bombance,
Seront de nos travaux, le fruit, la récompense.
          Bombance est un plaisir bien doux,
Répondit le canard; partons, je suis à vous:
          Quand il s'agit de bonne chère,
Vous savez qu'un gourmand ne la refuse guère.
    On part: le coq marchait d'un pas léger;
Mais voyant du canard l'air et la triste allure,
Tâchez donc, lui dit-il, de vous mieux dégager:
    Pressez le pas; sur ma foi je vous jure,
          Que jamais nous n'arriverons.
--- Ce sera quand nous le pourrons:
Loin de me savoir gré de cette complaisance,
     Vous me grondez d'un air de suffisance?
          J'aurais pu voler lestement;
Pour vous suivre, je vais à pied modestement;
          Ainsi, l'ami, je suis fort aise
          De cheminer tout à mon aise.
            Notre coq murmurant,
            Marcha plus lentement;
            Il disait en lui-même,
            Ma folie est extrême
     D'accompagner cet être dodinant;
     Autant vaudrait un animal rampant.
            Si jamais je me rengage,
Je saurai mieux choisir compagnon de voyage.
             L'aurore du lendemain,
       Fit voir une grande rivière
         Qui terminait le chemin,
         Et suspendit la carrière
         De nos fameux voyageurs.
       Le coq prêt à verser des pleurs,
       Disait, hélas! que puis-je faire?
       J'ai négligé l'art de voler;
       De plus, je sais très-mal nager.
       --- J'en suis fâché pour vous, compère;
       Moi je vole et nage très-bien.
Ce trajet vous fait peur pourquoi donc? ce n'est rien;
J'imagine un moyen qui ferai notre affaire.
       Voyez-vous ce morceau de bois,
       Que tout près de l'eau j'apperçois?
Montez sur ce vaisseau, là vent souffle à la poupe;
Moi, je gouvernerai la nouvelle chaloupe.
       Le coq n'osait s'aventurer:
       Son ami sut l'encourager.
L'honneur soutient la bravoure craintive.
       Enfin après un peu d'effort,
       Ils arrivèrent à bon port
Au pays désiré, situé sur l'autre rive.
Le génie inventif et le plus grand talent,
Sont quelquefois cachés sous la faible apparence.
Déflons-nous des gens aux grands airs d'importance:
            Leurs cerveaux, le plus souvent,
            Ne renferment que du vent.