I.
Le Rosier, le Poirier et le Voyageur
A u tems jadis, un superbe rosier,
Planté tout près d'un beau poirier,
Disait: voisin, je suis le bien-aimé de Flore,
Le plus joli de ses présens;
Je. plais à tous les yeux, je charme tous les sens:
L'amant cueille ma fleur pour celle qu'il adore;
Philis s'en décore le sein,
La caresse d'un air si tendre,
Que le trop jaloux Clitendre
Est envieux de cet heureux destin.
Je vous supprime maint usage;
Ét couronne, et guirlande, et corbeille, et bouquets,
Tout s'embellit par mes attraits.
J'ai donc sur vous tout l'avantage;
Convenez-en, mon cher voisin.
La dispute fait du chagrin:
J'aime la paix, répond le poirier débonnaire;
Je vous cède, mon cher confrère,
L'éclat et la beauté, le parfum de vos fleurs,
Tous vos attraits, de Flore les faveurs:
Chez moi l'on trouve le solide:
Le rosier, au printems, parmi les fleurs préside;
J'offre mes fruits dans une autre saison.
Lorsque la déesse Pomone
Me comble de ses dons, Flore vous abandonne:
Je plais donc à mon tour dans cette occasion.
Pour juger, entre nous, le droit de préséance,
Réplique l'arbuste joli,
L'homme est instruit, il est poli;
Vers nous un voyageur s'avance,
Il va décider à l'instant,
Qui mérite la préférence.
Je m'en tiens à son sentiment,
Répartit le poirier docile;
Sans être bien savant, la chose est très-facile.
Le voyageur, requis
De donner son avis,
Répond: quant à présent, je ne peux rien vous dire;
J'ai soif, je meurs de chaud, souffrez que je respire.
Mon fruit, dit le poirier, vous désaltérera;
Mon ombre vous rafraîchira.
Je voudrais vous offrir des roses,
Le tems n'est plus qu'elles étaient écloses,
Dit à son tour le rosier.
Le voyageur, sans se faire prier,
Cueille des fruits, calme sa soif brûlanie;
Ensuite il leur dit: maintenant,
Je vaisîremplir votre attente,
Et comme un magistrat, prononça gravement:
Le rosier est charmant, mais il n'est qu'agréable;
Et l'utile, toujours doit être préférable.
II.
Le Riche malade
et le Pauvre en santé
Hélas! que je suis malheureux!
Favorisé des dons de la fortune,
Comblé d'honneurs, tout m'importune.
J'ai perdu la santé, ce bien si précieux!
Je meurs, je souffre le martyre!
Accablé sous le poids de mon infirmité,
Ah! de grand cœur, si j'avais un empire,
Je l'offrirais pour un peu de santé.
C'est ainsi qu'un riche malade,
Se traînant à la promenade,
D'un ton plaintif, exhalait son chagrin,
Et de ses maux accusait le destin.
Un pauvre homme entendit toute la doléance:
Quoi! le bonheur, dit-il, n'est donc qu'en apparence!
Cet homme est riche et n'a point de santé;
Moi, je me porte bien, et dans ma pauvreté,
Je suis content, je supporte mes peines:
Les biens et les grandeurs font naître le souci;
Nouveaux besoins, nouvelles chaînes:
Je désirais de l'or; mais je vois, dieu merci,
Que le riche n'est pas le plus heureux des hommes;
Autant vaut-il, hélas! rester ce que nous sommes;
Le riche serait trop heureux,
S'il n'éprouvait les maux de la nature humaine.
Et du pauvre, à son tour, le sort serait affreux,
Si pour alléger sa peine,
Il n'eût souvent reçu de l'Eternel
La joie et la santé, ce présent paternel.
III.
Le Lièvre et le Lévrier
Un lièvre, sorti de son gîte,
Courait les champs en liberté;
Et sans songer à mal, s'en revenait bien vite,
Pour se remettre en sûreté.
Mais le malheur survient, hélas! sans qu'on y pense.
Un lévrier, que l'on nommait Volant,
Paraît dans la plaine, s'élance,
Le voit, le poursuit à l'instant.
Le lièvre fuit, et comme un trait, détale:
Son ennemi court encor mieux,
Le joint; c'était l'heure fatale
Qui devait terminer son sort trop malheureux.
L'animal craintif et timide,
Dit à Volant: quel sujet vous décide.
A me porter le coup mortel?
Que vous reviendra-t-il d'un dessein si cruel?
Ma dépouille et mon cor s seront à votre maître
Vous serez assassin pour le profit d'un traître!
Mon cher, répond Volant vous raisonnez très-bien.
Mais de lâcher ma proie, oh! je n'en ferai rien;
De vos raisons et de vous je me moque;
Ainsi, qu'un autre ou moi vous croque,
Je crois qu'il importe fort jeu.
Manger un lièvre n'est qu'un jeu.
Raison, humanité, sont des mots qu'un corsaire
Ne connaît pas dans son vocabulaire.
IV.
Le Soldat et l'Eléphant
Prés de Pondichéri, sur les bords Indostan,
Climat brûlant, où la nature
Produit des animaux d'une énorme structure,
Vivait jadis un superbe éléphant,
Être, comme l'on sait, doué d'intelligence,
Dont l'instinct raisonné passe pour croyance.
Le nôtre aimait, avec ardeur,
Un certain grenadier, qui se nommait Francœur;
Attachement formé par la reconnaissance;
Tous les jours le soldat partageait sa pitance
Avec son ami l'éléphant;
Moitié de son rogome il lui faisait présent,
Des fruits, des figues les plus belles,
Des ananas, mainte autre bagatelles.
Francœur, brave soldat, mais un peu libertin,
Avait commis une fredaine;
Craignant le châtiment, il était fort en peine.
Il s'en alla, d'un air chagrin,
Trouver son bon,ami, lui dit: mon cher, de grace!
Protège-moi; que faut-il que je fasse?
On me cherche pour me punir;
Ce n'est qu'une faute ordinaire;
Épris de vi ... tu sais.... --- Oui, j'en fais mon affaire,
Bépondit l'éléphant; je ferai repentir
Quiconque assez hardi..... suffit, je te protège;
Si l'on vient, s'il faut qu'on t'assiège,
Sous moi, je crois sans vanité,
Que tu seras en sûreté.
Je te fais de mon corps un rempart formidable;
Ma trompe, aux ennemis fut toujours redoutable.
Cependant, la garde arriva;
Mais en vain elle menaça,
Francœur ne voulut point sortir de sa retraite:
Il fit très-bien, la place était parfaite;
Et les soldats n'osèrent hasarder
De plus de vingt pas d'approcher;
La trompe espadonnant, se rendait peu traitable,
Et l'on jugea prudent de laisser le coupable.
Le bienfait n'est jamais perdu.
D'un bon ami réclamer l'assistance,
C'est l'obliger; sa récompense
Est le plaisir d'exercer la vertu.
V.
La Vigne et le
Pommier sauvage
Autrefois, un mauvais pommier,
Qui ne portait que fruit sauvage,
N'avait que le seul avantage
D'offrir ses rameaux, d'appuyer
Une grande et superbe vigne;
Ce qu'on appelle marier.
De l'alliance il était très-peu digne;
Ce n'était qu'un mari chagrin,
Bourru, qui reprochait sans fin
A sa belle et tendre épouse,
Dans son humeur triste et jalouse,
Le service qu'il lui rendait;
Sans cela, qu'elle ramperait,
Confondue avec les broussailles,
Les ronces et d'autres canailles.
Lasse de ces mauvais propos,
(Cette vigne aimait le repos,
Elle dit: mon mari! l'ingratitude extrême!
Très-inutile par vous-même,
Hélas! sans moi que feriez-vous?
Du bucheron abattu sous les coups,
Le feu serait votre supplice,
Si, sans égard pour moi, l'on vous rendait justice.
On doit l'un et l'autre s'aider.
Le bonheur dans le mariage,
Règne toujours quand on sait s'accorder.
Reprocher le bienfait, on en perd l'avantage.
VI.
Le Campagnard et
les Dindons
Un habitant de la campagne,
Dans un pays qui valait bien Cocagne,
Avait pris grand soin d'élever,
Dans le dessein de se bien régaler,
De beaux dindons, au moins une douzaine.
En bon gourmand, il était fort en peine
Comment il devait préparer
Ces dindons, qu'il voulait manger.
Il jugea que la prudence,
Dans cette affaire d’importance,
Exigeait un conseil; qu'il fallait assembler
Ses dindons, pour les consulter;
Puis il leur dit: ceci vous touche
Autant et plus que moi: qu'aucun ne s'effarouche;
Il s'agit de vous consulter,
Non pour savoir si l'on doit vous manger,
C'est un point résolu, c'est votre destinée,
Et depuis près d'une année,
On vous engraisse à cet effet:
Vous êtes bien dodus, j'en suis très-satisfait.
Je vous demande donc, sans que cela vous choque,
A quelle sauce enfin vous voulez qu'on vous croque.
Tyran, répondent les dindons,
Puisque nous ne pouvons réprimer votre rage,
Si tel est notre affreux partage,
Fallait- il, sans pitié, nous conter vos raisons?
Votre barbarie infernale,
Par un rafinement de votre cruauté,
Nous ôte le bonheur de la sécurité:
Nous ignorions la manière fatale
Qui devait terminer notre sort malheureux;
La mort n'a rien de si fâcheux;
Non, la mort est la fin de tout ce qui respire;
Mais de périr par un assassinat,
La connaissance est un martyre,
Qui met le comble à l'horrible attentat.
Au malheureux dérobons la science
Du sort affreux qui doit finir son existence.
VII.
Les deux Carpes
Jadis, une carpe très-belle,
Se prit à l'appât d'un pécheur.
Cependant, par un grand bonheur,
Prête d'entrer dans la nacelle,
Elle glisse, elle échappe aux mains de son vainqueur,
Se sauve au fondde la rivière,
Promettant bien de finir sa carrière,
Sans toucher à l'appât trompeur,
Qui pensa faire son malheur.
Un jour qu'elle contait sa funeste aventure
A sa plus jeune soeur, en montrant la blessure
Qu'elle reçut près du menton,
Du traître et perfide hameçon;
Cette sœur répondit: vous plaisantez, ma chère!
Vous, suspendue en l'air, par le menton?
Ce conte est de votre façon;
La chose est impossible, et n'est qu'une chimère.
--- Comme il vous plaira, mon enfant:
Si le cruel moffre encor son présent,
Je me garderai bien d'y tâter davantage.
Mais que vois-je? ê tenez, je gage
Que c'est toujours ce mets qui me parut si bon,
Que le méchant m'offrait au bout de son bâton:
En effet, le pêcheur avaitjetté sa ligne.
Que ce morceau paraît charmant!
Dit la cadette; assurément,
De notre mère il serait digne.
--- Gardez - vous d'y toucher, ma sœur.
--- Pourquoi donc? moi, je n'ai pas peur:
Non, ma sœur, vous avez beau dire,
Je ne crois pas du tout votre conte pour rire;
Je ne manquerai pas le régal excellent
Que le hasard m'offre dans ce moment.
Puis, n'écoutant plus rien, cette jeune obstinée
S'élance, est prise, meurt, subit sa destinée.
Abusant de sa liberté,
La trop sémillante jeunesse
Croit toujours voir l'austérité
Dans les conseils de la sagesse.
VIII..
Le Chien et le Chat
Un chien, nommé Médor, de très - bon appétit,
Dont la nourriture était mince;
Son maître était gagne-petit,
Ne faisait pas chère de prince.
Ce pauvre chien, passant près d'un hameau,
Dès le matin, au lever de l'aurore,
Vit sur la branche d'un ormeau
Des tourtereaux faibles encore,
Et qui n'osaient voler. Ce bon mets le tentait;
Mais comment faire? il n'y pouvait atteindre;
Parlant en soi - même, il disait:
Monter si haut, le péril est à craindre;
Faisons part de notre projet
Au chat, qui pour grimper est un très-grand sujet:
Je serai chef de l'entreprise;
Après, sans aucune surprise,
Nous partagerons en repos.
Le chat minet parut fort à propos.
Venez, lui dit Médor, il sagit d'une affaire
Qui vous plaira beaucoup; je réponds du salaire.
Voyez-vous pas sur cet ormeau
Certain gibier,d'une odeur admirable?
Vous qui montez si bien, léger comme un oiseau,
Lancez-vous sur la proie; ensuite, à l'amiable,
Tous les deux nous partagerons.
Le bon régal qu'ensemble nous ferons!
Volontiers, dit minet, l'avis est agréable:
Je vous promets, en vérité,
D'ètre bien fidèle au traité;
Autrement je serais coupable.
Cela dit, il s'élance avec célérité:
La mère des petits s'envole en sûreté,
Gémit hélas! qu'un sort contraire
La force de livrer à ce méchant corsaire,
Ses enfans. Le cruel! parjure à son serment,
Se moque du traité, fait un repas charmant.
En vain Médor lui représente
Leur amitié, son droit d'avis.
Notre amitié! mais elle est fort plaisante,
Et pouvais-tu compter sur ce que j'ai promis?
Apprends que l'intérêt ne connaît point d'amis.
IX.
Le Rossignol et le
Coucou
Un rossignol, dans un bocage,
Charmait par son divin ramage,
Excitait les hôtes des bois
A marier les sous de leurs charmantes voix;
Tous ensemble formant un concert admirable,
Annonçaient du printems le retour agréable.
Un coucou, très-fâcheux dans cette occasion,
Mêlait sa voix à l'unisson
Le rossignol, le chef de la musique,
Vonlut en imposer à ce chanteur rustique,
En lui disant, finis: ton ramage ennuyeux
Trouble de nos accords les sons harmonieux;
Et du concert charmant la douce mélodie,
Par ton maudit coucou, devient cacophonie.
Cet oiseau, triste et paresseux,
Répondit: de quel droit veut-on que je me taise?
Je suis libre, et je veux chanter tout à mon aise:
Mon style est, dites-nous, monotone, ennuyeux?
Tous mes amis me disent le contraire:
Qu'il vous déplaise ou non, je ne veux pas me taire.
Trop d'amour-propre aveugle l'ignorant.
Fuyons l'esprit fâcheux qui se croit du talent.
X.
L'Homme et le Tigre
Dans les forêts, ou déserts de l'Afrique,
Climats au-delà du tropique,
Lieux habités par des tigres cruels,
Si redoutables aux mortels;
Un homme errant dans ce pays sauvage,
Echappé seul au péril du naufrage,
Implorait le secours de la divinité,
Recours du malheureux dans son adversité.
C'est en vain qu'il cherche un asyle;
Pressé par le besoin, chancelant et débile,
Il était prêt à succomber;
Mais un tigre paraît, il voulut se sauver.
L'animal furieux, d'un saut le joint, l'arrête:
Au moment qu'il allait dévorer sa conquête,
L'homme lui dit: prendsapitié de mes jours;
Si je pouvais en prolonger le cours,
Et si le sort me devenait propice,
Je saurais, par mes soins, m'acquitter du service
Que me rendrait ta générosité,
De m'accorder la vie en cette extrémité.
Je vois de tes pareils le trompeur artifice,
Répondit le fier animal:
Tu promets tout, dans ce moment fatal;
Les animaux, qu'immola ton caprice,
Ont-ils fléchi ta dureté?
Homme barbare et plein de cruauté!
Tu règnes en tyran sur tout ce qui respire;
Tes malheureux sujets maudissent ton empire:
Cent fois plus féroce que nous,
Tu frappes sans pitié, tout tombe sous tes coups:
Je n'écoute point ta prière:
Qui peut compter sur ce que tu promets?
Ta mort finira la carrière
De tes crimes, de tes forfaits.
Si nous voulons désarmer la vengeance
De l'ennemi qui nous poursuit,
Par nos vertus, qu'il soit instruit
Que nous méritons sa clémence.
XI.
Le Solitaire et le Geai
Dans un bois sombre et solitaire,
Damis pensait en liberté;
Libre de soins, sans souci, sans affaire,
Il jouissait de sa tranquillité:
Loin du cahos du monde, et ses fréquens orages,
Il trouvait le bonheur sous ces charmans ombrages;
Le doux ramage des oiseaux;
Zéphir agitant les rameaux,
Ce murmure léger seul frappait ses oreilles.
Tandis qu'il méditait sur toutes les merveilles
Que la belle saison présentait à ses yeux,
Un geai cruel, malencontreux,
Interrompit sa douce rêverie
Par les sons très-aigus de sa voix de furie.
Le penseur, furieux contre l'oiseau bavard,
Qui venait sans aucun égard
Déranger le repos d'un grave philosophe,
D'un ton sévère l'apostrophe
En lui disanti loin d'ici, malheureux
Ta voix aigre, tes cris affreux,
Troublent la paix dans cet asyle;
Ta présence est plus qu'inutile;
Va, porte ailleurs, crois-moi, ton ramage ennuyeux.
Le geai lui répondit: quelle mouche vous pique?
De quel droit voulez-vous que je quitte ces lieux?
Je suis chez moi, dans ce canton rustique;
Si mes cris pour vous sont fâcheux,
La nature jugea qu'ils m'étaient nécessaires;
Je m'entretiens avec mes chers confrères;
Nous habitons ces vallons, ces côteaux;
Nous n'allons point dans vos châteaux,
Vous étourdir par notre caquetage;
C’est pourquoi, si notre langage
Vous déplaît tant, abandonnez nos bois:
Depuis le Gange jusqu'au Tibre,
Vous savez qu'on l'a dit cent fois,
Chacun chez soi doit être libre.
XII.
La Mouche et l'Araignée
Une mouche un jour voltigeait
Dans un appartement; sans cesse bourdonnait
Tout près d’une grosse araignée,
Qui tendait ses filets au coin d'une croisée,
Pour attraper les petits animaux
Qui voltigeaient sur les carreaux.
Pour son malheur, notre mouche surprise,
A force de roder, enfin sr trouva prise.
En vain, pour se sauver, elle fit maints efforts;
Mais ses liens étaient trop forts,
La tenaient captive, enchaînée.
Elle sentit, la pauvre infortunée,
Que son salut dépendait
De celle qui la retenait;
Que pour sortir, la prisonnière
Devait employer la prière.
Le sort m'a mise en vos filets,
Dit-elle, hélas! madame l'araignée;
Me voici bien.claquemurée;
Esclave, au rang de vos sujets,
Pour vous que faut-il que je fasse?
Dans cette affreuse extrémité,
Je ne peux rien: je vous demande en grace
De m'accorder la liberté.
Non, non, belle mouche, ma mie,
Lui répondit son ennemie;
Je le tiens dans mes lacs, sur toi je dois venger
Le sang que tu fis couler,
Par la piqûre traîtresse,
Sur le bras de la maîtresse
Du superbe bâtiment
Ou j'ai mon appartement.
Si ce n'est que cela, lui répliqua la mouche,
Quel si grand intérêt vous touche?
Quand j'nfonce mon aiguillon
Dans son bras charmant et mignon,
Ce n'est qu'au péril de ma vie:
De ce plaisir la mort serait suivie,
Si, toujours prête à m'esquiver,
Mes ailes ne m’aidaient bien vite à me sauver;
Mais le besoin forçant la fugitive,
Je reviens au danger: il faut bien que je vive.
C'est parfaitement raisonner,
Dit à son tour l'araignée,
Et je ne puis être blâmée:
Vous venez de prononcer
Votre mort, ma chère captive:
Je dirai comme vous, il faut bien que je vive.
Le méchant n'a jamais tort.
C'est la raison du plus fort.
XIII.
L'Ours et le Singe
Un singe avec un ours, marchaient de compagnie:
Singe ou méchant, n'est qu'un; il lui prit fantaisie,
Pour s'amuser dans cette occasion,
De se moquer de son cher compagnon.
Vous avez, lui dit-il, la tournure élégante;
Vous êtes beau, votre voix est charmante,
Vous avez de l'esprit, vous êtes fort savant.
Vous faites le mauvais plaisant,
Lui répondit la lourde bête,
Et je ne sais ce qui m'arrête
De corriger votre esprit goguenard:
Je voudrais savoir, par hasard,
S'il vous sied bien de parler d’élégance;
Il n'est point d'animal en France
Plus laid que vous, qui vous croyez si beau:
Quant à la voix, la vôtre est celle d'un corbeau;
Vos grimaces font peur. --- Parlez de mon adresse
De mes tours, de ma gentillesse;
Monsieur l'ours, ce sont des taiens
Qui plaisent aux honnêtes gens.
Les bons mots, les espiégleries,
Sont-ils pas nommés singeries?
Vous voyez bien que je n'ai nul défaut;
Mais vous, qui n'êtes qu'un lourdaut,
Quand vous dansez, la pitié nous fait rire:
De tous côtés on entend dire
Ce que j'ai dit en peu de mots.
L'ours ennuyé de ces mauvais propos,
Appuie au singe, au milieu de la face,
Un bon soufflet, il fit une sotte grimace.
De la société, pour goûter les douceurs,
Proscrivez avec soin tous les mauvais l'ailleurs.
XIV.
L'Homme riche et le
Paysan
Un paysan sa terre labourait
Avec courage, avec adresse:
Sans trop le fatiguer, le travail l'amusait:
Content de son sort, il chantait;
Le chant est né de l'allégresse.
Un homme riche, ennuyé des plaisirs,
Promenant sa triste existence,
Rassasié de l'abondance,
Pour le bonheur formant de vains désirs,
Mais sans jamais pouvoir l'atteindre,
Disait: hélas! je suis à plaindre!
Tout me déplaît: les grands biens, la santé,
Seraient insuffisans pour la félicité?
Ce laboureur, parcourant sa carrière,
Forcé de travailler, habite une chaumière;
Et cependant, il chante, il est joyeux:
Malgré sa peine, il serait donc heureux?
Mon ami, lui dit il, donne-moi ta recette:
De ton bonheur tu me vois envieux:
Une gaité douce et parfaite,
Pauvre, sans être malheureux!
--- Malheureux! non, je vous assûre;
Je suis les lois de la nature,
Et je ne forme aucun désir
Que je ne pourrais satisfaire.
Pour l'homme, le travail est toujours nécessaire:
Le mien me plaît; je m'en faisun plaisir;
Je suis content; je ne regrette
Que le tems qui s'enfuit. Vous voulez ma recette?
Elle est simple: dès aujourd'hui
Sachez vous occuper, vous préviendrez l'ennui.
XV.
Le Berger, le
Chien et le Mouton
Un berger menait ses moutons
Sur les côteaux, dans les vallons.
Tandis qu'ils paissaient l'herbette,
Appuyé sur sa houlette,
Pour occuper son loisir,
Il chantait avec plaisir
La chanson, ou la romance,
Qu'amour dicta pour sabergère Hortence.
Les petits agneaux boudissaient,
Moutons et brebis écoutaient
Le chant, le son de la musette
Qui répétait l'air de la chansonnette.
Carillon, le chien favori,
Et Robin, le mouton chéri,
Accoutumés, dès leur enfance,
A vivre en bonne intelligence,
Se parlaient librement, comme de bons amis:
Robin, à Carillon, demandait son avis;
Ce qu'il pensait de la musique,
Et du joli concert rustique
Que le berger donnait souvent:
Dites, n'est-il pas vrai, compère,
Qu'ils ont trouvé l'art .de vous plaire?
Pour moi, j'en suis dans le ravissement.
Oh! le cas est bien différent,
Répondit Carillon; j'aimerais la musette,
Le chalumeau, la flûte ou la trompette,
Si, comme vous, je faisais mon repas;
Mais, hélas! je'ne dîne pas
Sur le côteau, dans la prairie,
En paissant l'herbette fleurie;
Je n'ai qu'un morceau de pain bis,
Qu'on me donne le soir, de retour au logis:
Pour mes soins, mes travaux, voilà tout mon salaire.
Vous concevez, mon cher, qu'il n'est pas ordinaire
De prendre du goût au plaisir,
Quand le besoin se fait sentir.
XVI.
Le Chat, le Rat et
la Souris
Un soir, au clair de la lune,
Un rat, sorti de son manoir,
Se promenait dans l'espoir
De quelque bonne fortune;
Il était encore à jeun;
Son appétit très-importun.
Tandis qu'il cherche, et qu'il craint malencontre,
Il entend quelque bruit, et soudain il rencontre
Une souris, que le besoin pressant
Avait chassé de son appartement.
Après les complimens d'usage,
(La politesse est le partage
De tous les gens bien appris,
Même des rats et des souris,)
Le premier dit: soyez la bien venue;
Craignez-vous pas notre ennemi le chat?
N'a-t-il point frappé votre vue?
Non pas encor, mon cher le rat,
Répondit la souris: s'il vient par aventure,
Tandis que vous et moi cherchons la nourriture?
--- En ce cas, prenez garde à vous:
Pour moi, je crains peu son courroux;
Je suis grand, vous êtes chétive:
Pendant qu'il croquera madame toute vive,
Très-lestement, sans me faire prier,
D'un saut je quitte le grenier.
--- Grand-merci de la préférence;
J'espère qu'il n'en sera rien,
Et j'admire votre vaillance.
Durant ce bel entretien,
Le chat ayant flairé son gibier ordinaire,
Dit tout-bas, voici mon affaire.
Notre souris, qui craignait le danger,
Fit sagement de ne pas s'engager
Loin du logis, dont l'ouverture
Petite, suffisait à sa mince tournure.
Sitôt qu'elle vit l'ennemi,
Qui venait en catimini,
Elle rentra bien vite
En son gîte.
Le pauvre rat, surpris
Dans sa retraite,
Voulut entrer chez la souris;
Mais la porte était trop étroite:
Le chat profite du moment,
Le saisit, l'étrangle à l'instant.
Pour assûrer votre existence,
Et pour éviter le malheur,
Défiez-vous de force et de grandeur,
Comptez plutôt sur la prudence.
XVII.
La Maladie et la Santé
Vous êtes des mortels la cruelle ennemie,
Disait un jour la Santé
A la perfide Maladie:
De l'enfer, sur la terre on vous a transporté;
Tout l'univers vous craint; vous faites le martyre
De tout ce qui respire.
Prothée affreuse! avec témérité,
Chaque jour vous prenez une nouvelle forme,
Et la plus parfaite beauté,
Par vous, en laideur se transforme.
Vil assassin, dis-moi l'utilité.
De ta misérable existence:
Sans toi je règnerais avec tranquillité.
--- Madame la Santé, vous perdez patience?
Mais je ris de votre courroux:
Nous sommes sœurs, je règne ainsi que vous:
Je vous cède le pas, vous êtes mon aînée;
Tourmenter les mortels que vous abandonnés,
Voilà quelle est ma destinée.
Mais puisqu'ils sont tous adonnés
Au vice de l'intempérance,
Ces mortels, vos amis, craignent peu ma présence.
Leurs excès comblent mes désirs;
Conduite, sagesse et prudence,
Sont oubliées pour les plaisirs.
C'est un chemin de fleurs qui mène auprécipice,
Dont l'accès me devient propice;
Je vous chasse et règne à mon tour.
S'il faut vous parler sans détour,
Sachez encor, ma chère amie,
Qui me traitez avec tant de furie,
Que c'est moi qui fais estimer
Le bonheur de vous posséder.
XVIII.
L'Hirondelle et le
Moineau
Une volage hirondelle
Se rpréparait à quitter nos climats,
A l'approche des noirs frimats.
Un moineau, son ami fidèle,
Lui dit: pourquoi nous quittez-vous?
Votre ingratitude est extrême.
Depuissix mois, vous êtes parmi nous;
Vous goûtez le bonheur suprême:
Ma patrie, en vous recevant,
Vous à fourni abondamment
La nourriture succulente;
La paix règne en votre maison;
Votre famille intéressante
Reçut le jour dans la belle saison;
Et puis, sans aucune raison,
Vous partez, vous prenez la fuite?
--- Mon cher voisin, du froid je crains la suite:
Quant à vous, messieurs les moineaux,
Et tous sédentaires oiseaux,
Qui ne craignez point la gelée,
La neige, les glaçons, les fureurs de Borée,
Permis à vous d'être constans
Aux lieux où vous prîtes naissance;
Mais pour nous, sans manquer à la reconnaissance,
Nous suivons d'autres sentimens:
Doués d'un courage intrépide,
Favorisés d'un vol rapide,
Nous cherchons le bonheur dans les climats divers:
Notre pays est l'univèrs;
Par-tout, nature attentive
A pris grand soin de protéger
Et l'hirondelle fugitive,
Et l'indigène et l'étranger:
Elle nous donne à tous la force ou l'industrie;
Enfin vous connaissez le proverbe fameux
Que nous transmirent nos ayeux:
Où je suis bien, je trouve ma patrie.
XIX.
Le Laboureur et le
Lapin
Un laboureur prenait beaucoup de peine
A cultiver son champ, tout près d'une garenne:
Aussitôt que le bled croissait,
Soudain les lapins, sur la brune,
Faisaient au champ leur visite importune.
Le paysan se désolait:
Adieu sa plus chère espérance!
Un tel dégât excitait sa vengeance;
Il résolut, dans un si fâcheux cas,
Pour prendre les voleurs, de leur tendre des lacs.
Quoi! disait-il, en vain je travaille et je sue,
Les coquins mangent tout, et ma peine est perdue?
Le piège au plutôt se tendit;
Un des messieurs lapins s'y prit.
En guerre on aime la surprise,
De tout tems on la crut permise.
Ah! je te tiens, maître fripon,
Dit le rustaut; le repas était bon;
Mais il faut payer le dommage:
Venez tôt, qu'on vous mette en cage;
Puis, pour nous venger de vos tours,
Vous serez mis en broche un de ces jours.
Le lapin répondit: je ne suis point coupable.
Nous ignorons, mes confrères et moi,
Cette propriété, dont on fait une loi;
Cette loi seule est condamnable.
L'Être suprême, en nous formant,
A pris soin de notre existence;
Il nous donna pour subsistance
Tout herbage indistinctement.
Quoi! suivre ton instinct, ô nature sublime!
L'homme injuste et cruel nous en ferait un crime?
En vain le prisonnier, par de bonnes raisons,
Voulut plaider. Chansons, chansons,
Répart le villageois; vous parlez à merveille;
Mais je suis sourd de cette oreille.
Le paysan et le lapin
Avaient raison tous deux, tous deux parlaient fort bien.
Le coupable, on le voit sans peine;
C'est le maître de fief, de peupler son domaine
De ces animaux destructeurs,
Qui ravagent le champ des pauvres laboureurs.
XX.
Les
Chasseurs, le Lièvre et le Cygne
La chasse à course est une des façons
De tourmenter un animal paisible.
Un jour, des cavaliers, fermes sur les arçons,
Couraient un lièvre: une meute terrible
Mêlait au bruit retentissant des cors,
Ses jappemens funestes et discords.
Le fugitif, au bout de sa carrière,
Presque aux abois, rencontre une rivière:
Prêt à tomber au pouvoir des chasseurs,
Un très-léger esquif par hasard se présente;
Le malheureux s'élance au gré de l'eau courante,
Et vogue, en déplorant du destin les rigueurs.
Nouveau nocher, dit-il, sans nulle expérience,
Je suis mort, si la providence
Ne daigne avoir pitié de ma douleur!
De ces hommes cruels, sauvé de la fureur,
Les eaux m'éloignent du bocage;
Comment pourrai-je atteindre le rivage?
Le lièvre se croyait perdu:
Transi de froid et morfondu,
Mourant de faim, il apperçut un cygne,
Nageant avec célérité,
Grâce, souplesse et majesté.
Le malheureux lui dit: hélas! si j'étais digne
De réclamer votre secours,
Je pourrais m'acquitter peut-être un de ces jours. . . . .
Sans intérêt, on doit rendre service,
Répond l'oiseau; je rends grace au destin propice,
Qui m'offre le plaisir heureux
De sauver de la mort un être malheureux;
Et sans discourir davantage,
Il pousse la nacelle avec facilité.
Le pauvre lièvre en sûreté,
Descend sur le prochain rivage,
S'enfuit, prenant congé de son libérateur.
Préservé des chiens, du naufrage,
Il en fut quitte pour la peur.
Dans le danger ne perdons point courage.
Conserver le sang-froid est un grand avantage.
Cet apologue en outre nous apprend,
Que de deux maux, on doit éviter le plus grand.
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