Livre IV.
Livre Quatrième

 

Livre III.
Livre Troisième

 
Le Front et les Cheveux
Les deux Laitues
L'Homme du monde et le Solitaire
Le jeune Chat et le vieux Matou
La Dame du Château, le Chapelain et la Fermière
Le Sauvage Américain
Le Bœuf et le Loup
Le Lévrier et le Chien-couchant
Le Vieillard et le Chêne
Le Chien trop regretté
La Minaudière surannée
Les deux Chevaux de chasse
Le jeune Cerfet les deux Bergères
Le Corbeau et le Coucou
Le Marchand indien et le Chameau

I.
Le Front et les Cheveux
A Madame de G***. sous le nom de Zélis.

             O vous, que pare la vertu!
             Vous qui méprisez la toilette,
             Cet art futile et superflu,
             Si recherché de la coquette;
Qui laissez voir le front ou se peint la candeur,
             La véracité, la douceur;
             Ce beau trait, le .miroir de l'ame,
             Zélis, trop voilé de nos jours,
             Reconnaît son droit, et réclame
             La liberté, qui fut toujours
             Le voeu de l'être qu’on opprime:
             Dans le beau transport qui m'anime,
Si je prends son parti, votre esprit l'a dicté;
        D'un faible essai recevez donc l'hommage;
Heureux! si je pouvais obtenir le suffrage
De celle qui toujours a dit la vérité.
             Le front de la belle Clarice,
             Disait un jour à ses cheveux:
             Quel est donc ce nouveau caprice?
             Il me déplaît, il est affreux.
             Je permets que l'on me décore,
             Vous pouvez m'embellir encore;
             Mais me voiler entièrement,
             Ce procédé n'est pas galant:
             Comme vous, j'ai droit de paraître.
             Autrefois je faisais connaître
       Par ma rougeur, la modeste vertu:
Je peignais la candeur, j'annonçais la décence;
       De l'âge d'or les mœurs et l'nnocence;
              Mais depuis que j'ai disparu,
Vainement je voudrais m'armer d'un air rigide,
Réprimer l'indiscret; j'ai perdu mon égide.
             Calmez cet injuste transport,
Bépondent les cheveux; vous avez très-grand tort
      De nous blâmer d'une mode indiscrette,
             Mise au jour par une coquette:
            Nous gémissons ainsi que vous,
       De ce travers qui vous met en courroux.
Heureux, à la beauté de servir de parure,
Nous étions très-flattés d'embellir la nature.
       Mais aujourd'hui, le plus mal-à-propos,
De perfides ciseaux, tels que ceux d'Atropos,
Nous ont sacrifiés: ah! quel affreux martyre!
             Oui, Clarice était en délire
             Quand elle nous fit cet affront;
             Ainsi, trompé par l'apparence,
             Vous ignorez, monsieur le front,
                L'étrangeexcès de licence
             De certains cheveux imposteurs:
        Ces orgueilleux que l'on nomme perruque,
Naguère ne couvraient que la tête caduque.
Le nom seul de perruque eût donné des vapeurs
             A l'objet charmant qui s'en pare.
             Que la mode est chose bisarre!
             Le pauvre Ariste, de son mieux,
             Voudrait saisir l'instant propice,
             Admirer de superbes yeux!
             Il ne voit qu'un toupet factice:
             Il s'enfuit; et plein de courroux,
             Maudit la perruque ennemie,
             Qui de Clarice, si jolie,
             Ne présente qu'un sapajoux.
Mais réjouissons — nous, et prenons patience:
En brumaire, un héros nous rendit l'espérance;
Il fait plus aujourd'hui; pour combler ses bienfaits,
Il console l'Europe, et lui donne la paix.
La paix, tant desirée, amène l'abondance!
             Sous un sage gouvernement
             Tout s'électrise dans l'instant.
Les arts, le goût, les mœurs, vont reparaître en France:
Sur le front, la rougeur osera se montrer:
La modeste rougeur, témoin de l'innocence,
Est la plus belle fleur qui puisse la parer.

II.
Les deux Laitues

Une laitue, un jour, disait à sa voisine,
Voyant qu'un jardinier sarclait le potager,
             Le ciel daigne nous protéger;
             Oui, ma sœur, par grace divine,
Cet honnête garçon vient nous débarrasser
       De cet herbage, inutile et sauvage,
             Qui nous tenait dans l'esclavage,
Autour de nous venait s'entrelacer,
Et qui pis est, dévorait la substance
             Qui nous donnait la subsistance;
Mais à présent, avec facilité
             Nous respirons en liberté.
             Ma sœur, répond l'autre laitue,
Modérez ce transport; que vous êtes déçue!
De la félicité le malheur est bien près:
       Des étrangers on nous dégage exprès,
       Afin que, bientôt embellies,
       Plus grandes et plus arrondies,
       Celui qui nous débarrassait
           De ces plantes parasites
Qui nous rendaient leurs fâcheuses visites;
       Ce bon ami qui nous soignait,
       Qui très-souvent nous arrosait,
Changeant alors tout-d'un-coup sa manière,
Nous détruira de sa main meurtrière.
       Heureux l'être qui vit sans cesse
       Loin du monde et des envieux!
       Souvent la main qui vous carresse,
           Vous prépare un sort affreux.

III.
L'Homme du monde et le Solitaire

             L'Homme du monde, au solitaire
Disait: peut-on ainsi passer tant de beaux jours!
La solitude a-t-elle pu vous plaire?
             Moi, j'y renonce pour toujours;
Mais la société, doux charme de la vie,
Fait le bonheur de l'homme, et par-tout le convie.
La parole, ce don, ce présent merveilleux,
             Ce langage qu'il tient des dieux,
             Fait pour transmettre la pensée,
             L'esprit, la raison éclairée;
             Tant d'avantages précieux
             Seraient nuls dans la solitude.
       L'homme sensé doit faire son étude
De plaire à ses pareils, dans le commerce heureux
Du monde et des plaisirs; c'est le bonheur suprême,
             De la houlette au diadême.
             Le solitaire répondit:
             Autrefois j'ai connu le monde;
Je sais l'apprécier: l'homme par-tout abonde
En superbes propos; si l'on croit ce qu'il dit,
Il est franc, généreux, bienfaisant, époux tendre,
Bon père, ami discret, complaisant; à l'entendre,
Il connaît les vertus et sait les pratiquer;
       Jamais à ses devoirs on ne le vit manquer:
             Mais las! un peu d'expérience
             Nous démontre sa fausseté.
                Du monde la science
             Mettant au jour la vérité,
Fait connaître un tableau d'espèce différente.
Les cercles offrent-ils quelques individus
         Suivant encor le sentier des vertus?
Sitôt des persifleurs l'ironie assomante,
        Le mauvais ton, les perfides bons mots,
             Tous les impertinens propos,
       Livrent aux sages une guerre indécente.
             Pour le soustraire aux alentours
Du vice, et des méchans qui le suivent toujours,
             La retraite est un port tranquille.
             Séjour fortuné! doux asyle!
             C'est-là que, loin des envieux,
             L'homme est parfaitement heureux.
       Le sage doit éviter tout extrême;
             Se dérober au tourbillon
             Du grand monde, sans passion;
       Ne jamais trop se livrer à soi-même.
Toujours seul, tient un peu de la sévérité:
Peu d'amis, mais du choix dans la société.

IV.
Le jeune Chat et le vieux Matou

Du plaisir, la jeunesse est toujours idolâtre.
        Un jeune chat, rusé, badin, folâtre,
Ne pensait qu'à jouer, du matin jusqu'au soir:
On riait de ses tours, on aimait à le voir
       Se divertir avec ses camarades;
Cabrioler, sauter, et faire des gainbades
Avec tant d'allégresse et de vivacité;
Donner le coup de patte avec dextérité.
Un jour, abandonné des minets de son âge,
Cherchant un compagnon, ayant du jeula rage,
Il voulut provoquer un grand et vieux matou,
Sévère, sérieux, fuyant le badinage.
Notre jeune étourdi lui dit en son langage:
Permettez-vous, papa, que je joue avec vous?
Jouer n'est plus mon fait, répondit d'un ton grave
             Le seigneur Rominagrobis:
             Peut-être bien qu'au tems jadis
J'étais fou comme toi; mais aujourd'hui je brave
             La sottise et les jeux d'enfant;
             Je ne pense plus maintenant
             Qu'à l'utile, à faire la chasse
A ces coquins de rats, ces perfides souris;
             Après, le sommeil me délasse;
Doux repos plus flatteur que les jeux et les ris.
Le chaton, mécontent de cette indifférence,
Croyant bien que le jeu méritait préférence,
Tourmentait le vieux chat, tâchait de l'exciter
             A se livrer au badinage
             Qui de l'enfance est le partage;
             Tout cela, sans s'inquiéter
             Si le jeu plaisait au bon-homme,
             Qui fermait l'œil pour faire un somme.
             L'espiègle, après maint et maint tour,
Faisait jouer les dents, les griffes tour-à-tour;
Puis d'un saut s'esquivant, abandonnait la place,
Pour éviter matou qui faisait la grimace.
             Tant fit des siennes le lutin,
             Que le jeu tourna mal; qu'enfin
        Un bon soufflet, au milieu de la face,
             Fut la rude correction
     Que méritait tant d'obstination.
             Que la sémillante jeunesse
             Au plaisir se laisse emporter;
             Elle doit toujours respecter
Le doux repos qui plaît à la vieillesse.

V.
La Dame du Château, le Chapelain et la Fermière

             Sur le bord d'un riant côteau,
             Tout près d'un superbe château,
             Jadis une simple cabane
             Logeait la fermière Susanne:
       Cette Susanne avait l'esprit très-sain.
Un jour, s'entretenant avec le chapelain,
Homme d'esprit, de mœurs, pieux sans rigorisme,
Fidèle à son devoir, zélé sans fanatisme;
             Monsieur, lui dit-elle, pourquoi
       Suis-je exposée aux douleurs, à la peine;
            Et quelle est donc la dure loi
Qui me force au travail, jusqu'à perte d'haleine;
Tandis qu'à ses plaisirs la dame du château
             Se livre sans inquiétude,
             Fait du jeu son unique étude,
Ne s'embarrasse pas si le tems, laid ou beau,
             Sera favorable ou contraire
             Aux productions de la terre?
       Le chapelain répondit: mon enfant,
       Si le fardeau du travail est pesant,
       Il entretient une santé robuste.
N'accusez pas le sort d'être pour vous injuste;
             Chaque état a son agrément;
             Du travail la longue habitude
             Le fait supporter aisément;
       Et le repos, après la lassitude,
             N'est-il pas un plaisir flatteur?
       L'ennui cruel et sa triste langueur,
       Sont inconnus dans une vie active.
             Vous voyez dans la perspective
La dame du château livrée à ses plaisirs;
Ce tableau dans son jour: peut-être des soupirs
             Vous prouveront tout le contraire;
       Que son bonheur n'est rien qu'imaginaire;
Que la mélancolie et les noires vapeurs . . . .
Des vapeurs! qu'est cela, dit la bonne fermière?
--- Pour les bien définir je manque de lumière:
Inconnu dans les champs, ce mal tient aux grandeurs;
Chez les femmes sur-tout exerce son empire;
Triste ou gai, sans sujet, il fait pleurer ou rire.
             Les vapeurs attaquent l'esprit:
             Pour guérir cette maladie,
             Qui tient un peu de la folie,
             Le médecin perd son crédit.
             Mais la dame vers nous s'avance;
             Vous voyez que sa contenance,
             Que son air triste et sa langueur,
             Ne présagent pas le bonheur.
             Pour mieux savoir ce qu'elle pense,
             Il faut un peu l'interroger:
             Madame, daignez pardonner,
             Si j'ose prendre la licence
             De m'informer de la santé. . . .
      --- Cher chapelain, ma santé n'est pas bonne:
      Depuis long-temps le sommeil m'abandonne;
             Je suis très-mal, en vérité;
             Les maux d'estomach, la migraine,
             De mes nerfs les crispations,
       Les maux de cœur, les palpitations
             Me font respirer avec peine;
       Par-dessus tout, les perfides vapeurs
             Mettent le comble à mes douleurs:
             Oui, de bon cœur, chère Susanne,
Je voudrais, comme vous, n'être que paysanne.
             Adieu, plaignez tous mes malheurs;
             Je suis prête à verser des pleurs.
Eh bien! reprit l'abbé, que dites-vous, fermière?
             --- Que je retourne à ma chaumière,
Et que je la préfère, avec tous mes travaux,
A grandeur,à richesse, à tous ces beaux châteaux,
             Plutôt que d'être aussi chagrine
Que la dame aux vapeurs, avec sa triste mine.
Chacun dans son état peut trouver le bonheur:
Le riche est-il heureux? souvent tout le contraire;
             Et l'éclat de la grandeur
             N'en impose qu'au vulgaire.

VI.
Le Sauvage Américain

             Un sauvage, dans son enfance,
       Fut amené du nouveau-monde en France,
             Par un célèbre voyageur,
             Et des beaux arts grand amateur,
       Qui préférait l'agréable à l'utile;
             Ne connaissait de vrais talens
             Que ceux qui sont d'amusemens;
A son avis, le reste était fort inutile;
Il méprisait aussi le plus profond savant,
             Et le plus habile artisan.
       Oui, disait-il, la science profonde,
             A quoi sert-elle dans le monde,
             Où tous les vœux et les désirs
             Ne tendent que vers les plaisirs?
       De tels propos enchantaient son pupile.
       A ce qui plaît la jeunesse est docile:
Oubliant son pays, sans montrer de regrets,
Dans le nôtre il faisait de rapides progrès;
Tous les jolis talens, la musique, la danse,
             De droit eurent la préférence;
Il jouait tout au mieux de plusieurs instrumens;
Enfin il excellait dans tous les agrémens.
             C'en est assez pour plaire en France,
Le séjour des plaisirs et de la volupté;
             Par le beau sexe on est fêté,
             On chérit cette récompense.
             L'homme par-tout est inconstant,
Quelque douce que soit la chaîne qui l'engage.
             Notre américain n'écoutant
       Que son caprice et son humeur volage,
             Desira de s'en retourner
             Au pays qui l'avait vu naître.
             Un jour, il dit à son cher maître:
             Je pars, daignez me pardonner;
             Je serai malheureux peut-être;
             Oui, j'abandonne le bien-être;
             Mais un desir impérieux
             Me force de quitter ces lieux.
Ah! ne doutez jamais de ma reconnaissance:
Les talens que je dois à votre bienfaisance,
Dans ces autres climats feront tout mon bonheur.
             Quel plaisir charmant pour mon cœur,
       De faire entendre à ce peuple rustique
             Les beaux effets de la musique,
             Sur la flûte ou le violon;
       De leur montrer un pas de rigodon.
             Après un adieu fort tendre,
          L'élève part sans plus attendre,
          S'abandonnant à son destin;
             Il rencontre, en son chemin,
           Un ami, dont il suit la trace;
           Il arrive au Havre-de-Grâce:
           Le premier vaisseau qu'il trouva
       Le reçut, part, le mène au Canada.
               Débarqué sur le rivage,
        Bien accueilli de ce peuple sauvage,
Il s'informe d'abord où sont ses chers parens:
Ils sont peut-être morts, ou tout au moins errans,
       Répond un chef: nous partons pour la chasse;
           De nos guerriers montrez l'audace.
           Mon frère, êtes-vous endurci
           A tous les travaux, à la peine?
Et savez-vous courir un jour sans prendre haleine?
       Du lendemain n'avoir aucun souci;
Gravir les monts, passer les fleuves à la nage;
Presque nud, voyager de climats en climats;
              Intrépide dans les combats,
Braver tous les dangers, la mort avec courage:
              Voilà ce que nous faisons tous,
       Et ce qu'il faut pour rester avec nous.
Au surplus, savez-vous quelque métier utile,
       D'un artisan, robuste et fort habile?
       --- Fi donc! je sais tous les arts d'agrémens;
La musique, la danse, et quelques instrumens:
           En Europe on est sûr de plaire
Avec tous ces talens. --- C'est ici le contraire:
           Nous méprisons tes jeux d'enfans.
           Si parmi nous tu prétends vivre,
           Crois-moi, renonce à tes talens:
           Sois homme, et tu pourras nous suivre.
Ne méprisez jamais, dans l'éducation,
De former votre élève au travail, à la peine.
De l'avenir la science incertaine,
Vous impose un devoir de la précaution.

VII.
Le Bœuf et le Loup

           Un bœuf paissait tranquillement
           Dans un excellent pâturage,
           Tandis qu'un loup traître et méchant
              Rodait autour du village,
Formant sur le bercail le funeste dessein
           D'un scélérat, d'un assassin.
           Du bœuf, doucement il s'approche,
Et d'un air hypocrite il lui fait ce reproche:
Comment donc se peut-il, que si grand et si fort,
           Un homme faible, et sans effort,
Puisse vous mettre au joug? Dites-moi donc, de grace,
           Comment il peut avoir l'audace
De vous faire servir à tous les durs travaux
           Du chariot, du labourage,
    Sans nul profit pour vous, que tous les maux
           Qui suivent un vil esclavage?
           Votre douceur me fait pitié!
           Ah! si j'étais à votre place,
           Loin de priser son amitié,
           Ni suivre du sillon la trace,
           Pour me venger de ses forfaits,
           Sa mort comblerait mes souhaits.
           Cette action serait inique,
           Répondit le bœuf pacifique,
       Et c'est ainsi que raisonne un méchant:
           Mais pour moi, je pense autrement.
Je suis utile à l'homme, à son tour il me panse,
           A grand soin de ma subsistance,
Me loge: le travail est un amusement
      Dont je m'acquitte avec reconnaissance:
      D'un cœur bien né c'est le doux sentiment:
           Après, je vais dans la prairie,
           Où je trouve l'herbe fleurie:
           Je pais, je rumine, et toujours,
           Sans m'ennuyer, je passe d'heureux jours.
Mais vous, qui ne suivez que votre affreux caprice,
Et dans l'oisiveté qui ne songez qu'au vice,
       Aux cruautés, au carnage, à la mort;
           Dans votre féroce transport,
       Qui dépeuplez les campagnes fertiles
           Des animaux les plus utiles;
Comme tous vos pareils, errant et sans amis,
       Les gens de bien sont tous vos ennemis
C'est dans l'oisiveté que fermenté le crime.
Des conseils du méchant craignons d'être victime.

VIII.
Le Lévrier et le Chien-couchant

             Au chien-couchant, son compagnon,
Ün lévrier, disait: je quitte la maison;
Depuis assez long-tems je suis dans l'esclavage
      D'un maître dur, quijamais ne partage
Les lièvres que je prends à la course pour lui.
      Je ne veux plus travailler pour autrui.
Qu'en dites-vous, compère? il est plus agréable
             De chasser pour son profit.
           Vous parlez d’or, sans contredit,
Répond le chien-couchant; n'est-il pas pitoyable
             De régaler ces beaux seigneurs,
Des morceaux les plus fins, des gibiers les meilleurs,
             Qu'ils ne doivent qu'à notre adresse:
             Pensent-ils donc qu'une carresse,
             Quelques petits os à ronger,
             Puissent bien nous dédommager
             De tous nos soins, de notre peine?
             Non, non, c'est trop long-tems souffrir.
Le lévrier reprit: souvent tout hors d'haleine,
Lorsque je prends un lièvre, à force de courir,
Si je veux y tâter, de hons coups d'étrivière
Ne m'attendent-ils pas au bout de la carrière?
Encore un coup, partons, mon bon ami.
--- Je le veux bien, fuyons notre ennemi.
Nos déserteurs s'en vont dans la campagne.
En arrivant au pied d'une montagne,
             Un loup pressé par le besoin,
             Les ayant apperçus de loin,
             Voulut disputer le passage.
             Un combat furieux s'engage;
             Je n'en peindrai point les horreurs;
Les deux amis en sortirent vainqueurs.
             Raisonnant sur cette aventure,
             Le lévrier dit: je vous jure
             Que la guerre est un sot métier:
             Je ne veux plus être guerrier.
             Passe encor de courir un lièvre,
             A qui la peur donne la fièvre;
       C'est un plaisir de vaincre sans danger
       Le premier pris, je promets partager;
Mais après un combat, il faut qu'on se délasse:
       Ça, mon ami, commençons par la chasse:
             Fais-nous goûter quelques perdrix;
             Ce mets, je pense, aura son prix.
             Le chien-couchant se met en quête,
       Bat les sillons, il flaire, évente, arrête;
       Mais les perdreaux ne font que s'envoler.
Le chasseur malheureux, prêt à se désoler,
       Mourant de faim, excédé de fatigue,
Dit à‘son compagnon de chasser à son tour,
Afin de prendre un lièvre avant la fin du jour.
--- A mon tour? oui, je vois qu'il faut que je m'intrigue,
Et j'ai pour moi la force et la légèreté:
Dans peu nous dînerons, ne te mets pas en peine.
Aussitôt dit, il part avec célérité.
             Un lièvre paraît dans la plaine;
       Son ennemi fond sur lui commqun trait,
             Le joint, l'étrangle, et se dispose
             A le croquer comme un poulet.
        L'autre, alléché par l'odeur, se propose
             De prendre sa part du repas:
             --- Tout-bea! vous n'en tâterez pas:
             Non, mon ami, sur ma parole,
Si tu veux y toucher, je te fais repentir.
             Adieu, mon cher, tu peux partir.
Le pauvre chien-couchant, prie, en vain se désole;
Mais le plus fort lui dit: va chercher un perdreau,
             Pour moi je garde mon levreau.
Le besoin nous unit, l'intérêt nous divise,
             C'est du genre humain la devise.

IX.
Le Vieillard et le Chêne

Un homme contemplait, dans l'extrême vieillesse,
Un chêne qu'il avait planté dans sa jeunesse:
       Il l'avait vu s'accroître tous les ans,
       Et s'embellir; on aime ses enfans.
             Il se plaisait sous son ombrage,
       A méditer sur les ruines du tems.
Mon arbre, disait-il, n'est que dans son printems;
             Moi, courbé sous le poids de l'âge,
             Je sens que la caducité
             M'impose la nécessité
             De renoncer à l'existence:
             Peut-on mettre tant d'importance
             A des jours qui durent si peu?
             Cette existence n'est qu'un jeu.
Le chêne, du vieillard comprit la doléance,
       S'enorgueillit, au point de mépriser
       Le bon humain qui lui donna naissance.
Croyant que sa grandeur devait en imposer,
Il lui dit: j'ai pitié de la faible stature
De l'homme, qui se croit maître de la nature:
Cet être fier prétend à soi tout rapporter:
Toujours dans l'avenir il veut se transporter;
Mais pour ses grands projets, que sa vie est bornée!
La cruelle Atropos l'a bientôt terminée:
       Moi, je verrai des siècles s'écouler;
             Mes rameaux atteignent les nues;
Mes racines bientôt aux enfers parvenues;
Aussi ferme qu'un roc, que puis-je redouter?
Je ne crains rien; des vents je brave la furie
De l'air et des saisons, l'affreuse intempérie.
             Le bon vieillard, tranquillement,
             Lui répondit: dans un moment
Tu verras si je sais réprimer l'insolence:
      Je t'ai planté, tu me dois l'existence.
             Le pouvoir de t'anéantir
       Est dans mes mains, et je dois te punir.
             Cela dit; prenant sa coignée,
             Avant la fin de la journée
       Le chêne tombe avec un bruit affreux.
             C'est ainsi que l'audacieux
             S'expose en bravant la puissance
D'un être dont il doit redouter la vengeance.

X.
Le Chien trop regretté

             Orphise aimait bien tendrement,
       Et sa sœur Lise, et son frère Idamant;
Ils s'aimaient tous les trois d'une ardeur mutuelle.
Pour exemple on citait l'union fraternelle
             De ce bon frère et ses deux sœurs.
Le sang et l'amitié, d'accord dans ces trois cœurs,
       N'en faisaient qu'un: le seul défaut d'Orphise
       Etait l'excès de sensibilité.
Il faut par quelque endroit sentir l'humanité.
       Un jour mourut son aimable sœur Lise.
             La tendre Orphise au désespoir,
             Versa des pleurs en abondance:
L'amour, de sa douleur lui faisait un devoir.
Le malheur me poursuit, je n'ai plus d'espérance:
C'en est donc fait! dieux! terribles décrets!
       C'est ainsi que sa voix plaintive
       Exhalait ses tristes regrets.
       Les soins, la tendresse attentive
       D'Idamant et de ses amis,
       Tàchaient de calmer les ennuis,
       Les chagrins de l'aimable Orphise.
       Le tems, ce grand consolateur,
       Appaisait un peu sa douleur.
       La mort se plaît à la surprise;
       La cruelle voulut encor
    Trancher les jours du petit chien Lindor.
    Nouveaux regrets! Orphise trop sensible,
Faillit de succomber à ce coup accablant.
             Mon cher Lindor! ah! quel tourment!
             C'en est donc fait! est-il possible!
             Le petit chien le plus joli,
       Qui m'aimait tant, et que j'ai tant chéri!
             O Parque inhumaine et barbare!
             Tu le ravis, tu nous sépare,
             Et fais renaître ma douleur!
       J'ai donc perdu et Lindor et ma sœur!
       Ah! pour toujours le deuil est mon partage!
Puis un torrent de pleurs inondait son visage.
Damon, sincère ami, de retour un matin,
             Témoin de ce nouveau chagrin,
    N'osait questionner son amie affligée:
Pourquoi dans la douleur est-elle encor plongée?
             Quel est donc ce nouveau malheur?
             Idamant, mon ami. . . . . son frère. . . . .
Serait-il vrai ? . . . . sa mort. . . . . ô destin plein d'horreur!
Incertitude affreuse, et qui medésespère!
Orphise, au nom des dieux! quel est don .le sujet?
             Idamant serait-il l'objet
             Des larmes que je vois répandre?
Non, dit Orphise, il vit; mais ce pauvre Lindor
N'est plus depuis trois jours, et je le pleure encor.
--- Je respire! Vos pleurs ont droit de me surprendre;
      Tant de sanglots, un chagrin si cuisant;
Vous m'avez fait trembler pour les jours d'Idamant.
Sexe charmant, on doit mesurer sa tendresse;
       Tous ces transports, cet excès de douleur;
             Pleurer un chien comme une sœur,
La sensibilité devient une faiblesse.

XI.
La Minaudière surannée

       Dans son printems, Orphise était jolie:
             Sous le non charmant de Julie,
Elle affectait le ton mignard et précieux,
      L'air enfantin et les roulemens d'yeux:
En minaudant, on croit se rendre plus aimable.
              Les flatteurs, pour faire leur cour,
       L'applaudissaier, la trouvaient admirable.
       Dans l'âge heureux des grâces, de l'amour,
Ridicule n'est rien, tout paraît agréable:
On a beaucoup d'amans, très-peu de vrais amis;
La vérité se taît, le flatteur est admis.
             Le tems rapide et son ravage,
             Sur le beau sexe impunément
             Se retrace profondément:
       Le teint se fane, et les rides et l'âge,
             Malgré tout l'art, frappent les yeux:
             Les efforts sont fastidieux;
La jeunesse n'est plus, elle s'enfuit, ne laisse
             Du souvenir de tant d'attraits,
                   Que les regrets
                   Et la tristesse.
             Orphise, hélas! sur le retour,
Ne pouvant plus fixer les amans et l'amour,
             Conservait toujours l'habitude
Du parler doucereux, et de l'air enfantin.
Chacun en la voyant, par le souris malin,
L'ironie et la turpitude,
De cette surannée amplement se moquait;
Par-dessus tout, le sexe enchérissait.
Quoi! disait Araminte, en cheveux gris coquette!
       Croit-elle encor être dans son printems?
       Comme autrefois, conquérir les amans?
             Tous les secours de la toilette
             Font mieux ressortir sa laideur;
             Elle se met à faire peur!
       Ses airs, son ton, et ses minauderies,
       Semblent-ils pas autant de singeries?
Céphise poursuivait: elle me fait pitié!
Des rides sur son front, peignent l'extravagance
Du langage imité de la naïve enfance.
Si pour elle j'avais tant soit peu d'amitié,
Je lui dirais . . . . mais non, il me vient un scrupule;
             Quand on se donne en ridicule,
Tout naturellement nous devons le saisir.
La critique pour nous est un charmant plaisir.
       Sur le retour, même au printems de l'àge,
             Méprisez l'affectation:
        Le naturel est toujours de saison;
Dans tous les tems il fut le modèle du sage.

XII.
Les deux Chevaux de chasse

             Que la course est un sot métier!
Disait à son voisin un superbe coursier:
       Je ne veux plus retourner à la chasse;
             Mon maître sans pitié me lasse
A courre après le cerf, le chevreuil ou le daim.
            Ce que tu dis est très-certain,
       Répondit l'autre, et comme toi je pense;
Tout le mal est pour nous sans nulle récompense;
       Dès ce moment il ne faut plus courir.
             Le cerf, animal doux, paisible,
       Le mettre à mort, quel barbare plaisir!
             Homme cruel! être insensible!
             Sans moi, vous pouvez désormais
             Suivre le cours de vos forfaits.
--- C'est fort bien dit; mais comment nous soustraire?
             Il n'est pas facile. --- Au contraire;
             Le premier jour qu'on sonnera
       Le boute-selle, et qu'on nous montera,
             Loin de partir, tenons-nous fermes,
             Sans mouvement, comme deux Termes.
--- Ne crains-tu pas le fouet, les cruels éperons.
--- Je me cabre, et bientôt l'on quitte les arçons.
--- Je me rends, mon ami, ta raison est fort bonne:
La liberté me plaît, la nature la donne.
             Le complot fait, le lendemain,
             Voulant chasser de grand matin,
             Les maîtres de nos deux rébelles
             Se préparent, remplis d'ardeur:
             Ils sont à peine sur leurs selles,
             Que les chevaux avec fureur
             Se cabrent, sautent, se mutinent.
Les éperons aux flancs, on veut les corriger;
       Soins superflus, ils reculent, s'obstinent:
De la selle il fallut enfin se dégager.
       Pour se venger, on résolut de vendre
             Ces chevaux devenus rétifs.
             Le lendemain, sans plus attendre,
             On emmène les deux captifs
                 Au marché du voisinage:
             Blais quel fut leur triste partage,
             Et que de maux ils vont souffrir!
             C'est la poste qu'ils vont courir.
             En vain ils veulent se défendre,
             Tous les barbares postillons,
             De leurs fouets, de leurs éperons,
Les réduisent; alors fallut bien se rendre.
Hélas! s'écriaient-ils, notre sort est affreux;
Courte le cerf était un état plus heureux.
Si de changer d'état il vous prend fantaisie,
Jeune homme, pensez-y; très-souvent c'est folie.

XIII.
Le jeune Cerfet les deux Bergères

       Un jeune cerf, ou plutôt un daguet,
             En un bois l'autre jour paissait,
Dans la sécurité que donne l'innocence.
Il entendit les cors, les chiens et les chasseurs,
D'un funeste plaisir tous les avant-coureurs;
             Etonné, sans expérience,
Qu'est-ce donc que j'entends, et quel vacarme affreux,
Disait-il, vient troubler la paix de ces beaux lieux?
             Le malheureux ne pensait guère
             Qu'il était l'objet de la guerre
Dont les hommes se font un barbare plaisir;
             Qu'innocent,il devait périr.
             Les chiens lancés, suivent la piste,
             Le surprennent à l'improviste.
       Notre daguet, dans ce danger pressant,
             Prend la fuite et court lestement.
             Au bout d'une route il débuche;
             Mais las! où trouver un réfuge?
             Deux bergères, dans ce moment,
       Au coin d'un bois filaient tranquillement.
Le fugitif les voit, puis s'approche et reclame
       Leur amitié, leur secours, leur crédit,
En leur disant: je suis un malheureux proscrit,
       Et je ne sais quelle fureur enflamme
             Contre moi les chiens, les chasseurs:
       Qu'aije donc fait pour toutes ces horreurs?
Les bergères répondent à ce triste langage:
Votre sort est affreux, excite la pitié;
       Entre nous deux, acceptez un asyle,
             Nos faibles soins, notre amitié:
             Reposez-vous, soyez tranquille,
             Nous ferons tout pour vous sauver,
             Si l'on daigne nous écouter.
             La meute poursuivait la trace,
             Les chasseurs arrivent bientôt;
             Les deux bergères aussitôt
             Leur dirent: accordez la grace
A ce pauvre petit, nous vous en supplions,
Et c'est à vos genoux que nous la demandons.
             Ah! quel plaisir pouvez-vous prendre
       De mettre à mort un animal si doux?
             A la pitié daignez vous rendre;
       Voyez nos pleurs, nous refuserez-vous?
             Les chasseurs, pour toute réponse,
             Ne font que rire du discours;
             Et malgré ce faible secours,
             L'arrêt de mort se prononce.
       Un des piqueurs, terrible et vigoureux,
L'arrache de leurs bras, le lance dans la plaine.
       L'infortuné court à perte d'haleine;
             Mais dans l'instant le malheureux
Est suivi de nouveau: sa perte était jurée;
             Il succombe, il est aux abois;
             Les chiens furieux à-la-fois
Le déchirent et font la sanglante curée.
       L'homme toujours parle d'humanité;
Ses actions souvent prouvent sa cruauté.

XIV.
Le Corbeau et le Coucou

                 Un jour, certain corbeau
                 Rencontre en un bocage
       L'oiseau coucou, lui dit: votre ramage
             Me plaît, il est tendre, il est beau;
             Les rossignols et les fauvettes,
             Quand ils chantent leurs amourettes,
             Me divertissent moins que vous:
Rien ne peut égaler votre charmant coucou;
Le mode en est touchant; la belle mélodie!
Si dans votre art j'avais queiques prétentions,
             Je viendrais sans cérémonie
                Vous demander des leçons.
Quoi! monsieur le corbeau se plaît au badinage?
             Je suis charmé que mon ramage,
Répondit le coucou, puisse vous divertir;
On peut donner carrière à son plaisir,
Quand on est si parfait qu'on ne peut rien reprendre,
             Comme chez vous, maître corbeau.
Ah! vous chantez si bien et vous êtes si beau,
Que l'on voudrait toujouts vous voir et vous entendre.
             Un petit couplet, sans façon;
       Vous croassez sur le plus joli ton!
       Ce mot si doux exprime bien la chose:
N'auriez-vous point aussi de l'orgueil une dose?
             Un censeur croit être parfait;
             Souvent il attrape son fait:
             Celui que sa critique outrage,
Dit qu'un mauvais tailleur est un sot personnage.

XV.
Le Marchand indien et le Chameau

          Dans les climats arides de l'Asie,
             Dans les sables de l'Arabie,
On trouve le chameau, cet animal si doux;
Dès qu'on veut le charger, il se met à genoux;
      Mais lorsqu'il sent du poids la suffisance,
Il se lève, on le mène; il marche, avec constance,
             Des jours entiers sans nul repos;
Attend docilement que l'on juge à propos
           De lui donner la subsistance;
      Et l'on admire autant sa patience,
      Que son courage et sa sobriété.
L'homme est souvent cruel; il joint la dureté
A tant d'autres défauts, et sur-tout l'avarice.
Un marchand indien possédait un chameau:
Un jour il le chargeait, et suivant son caprice,
Il voulut augmenter l'ordinaire fardeau.
A se lever soudain l'animal se dispose;
Mais le patron lui dit: Voudrais-tu m'obliger?
Encore ce paquet, l'ami, c'est peu de chose.
La bête ne dit mot, et se laisse charger.
---Cet autre est bien petit, c'est une bagatelle;
Permets que je l'ajoute: il m'est bien précieux.
       --- Je le veux bien. --- Que je serais heureux
De pouvoir emporter ma caisse de canelle!....
--- Barbare! c'en est trop, vous me feriez mourir:
              Cette charge est déjà trop lourde,
                 Et je ne veux plus souffrir
       Que vous mettiez seulement une gourde.
             Le maître voulut insister:
             L'esclave perdit patience,
             Rompit ses fera sans hésiter,
Renverse tout, s'enfuit, et sous la dépendance,
             Jura bien fort qu'à l'avenir
             On ne pourrait le retenir.
             Tyrans, qui gouvernez sur terre,
             Songez que l'homme, votre frère,
             Peut se livrer au désespoir,
Si vous le surchargez par-delà son pouvoir.