I.
L'Aigle et le Ballon
Un aigle enlevé dans les airs,
Parcourait les états divers.
Dans l'instant qu'il planait au-dessus de la France,
Un bel aérostat de la terre s'élance,
Et perce jusques dans les cieux.
Quel est ce monstre audacieux,
Dit l'aigle, et quel démon l'inspîre?
Des airs vient-il me disputer l'empire?
Il faut l'interroger: dans cette région
Que prétends-tu? Règner, répondit le ballon:
Ardent, ambitieux, je puis tout entreprendre;
Chars ailés, phaétons, n'étaient que fabuleux;
Moi, j'existe, j'étonne, et j'ai droit de surprendre:
On m'admire par-tout, je tiens du merveilleux.
Mon ascension est sublime!
Je cède au transport qui m'anime:
Tout doit fléchir à mon aspect:
Les habitans de l'air me doivent leur respect;
Je me fais souverain de ce vaste empirée;
Moi seul je veux régner sous la voûte azurée.
--- Souverain! de quel droit? le souverain c'est moi;
Oiseau de Jupiter, je donne ici la loi:
Je méprise l'audace, et l'énorme stature
Ne peut m'en imposer: voyons si ta valeur
Peut soutenir le ton de cette noble ardeur:
Le plus fort règnera, c'est la loi de nature.
Il dit, s'agite, et, d'un élan,
Fond sur l'aérostat et lui perce le flanc;
Avec son large bec il le déchire encor.
Bientôt l'air léger s'évapore;
Et soudain le ballon flasque, s'anéantit,
Tombe rapidement et son règne finit.
La grandeur qui séduit et la vaine apparence,
Sont l'objet du mépris où règne la puissance.
II.
La Fontaine et le
Ruisseau
Un ruisseau serpentait, en promenant ses eaux
Autour d'une vaste prairie;
Par sa fraîcheur elle était embellie:
Son éclat argentin attirait les oiseaux;
Ils venaient se baigner dans l'onde,
Et s'y désaltérer: leur doux gazouillement
Flattait l'oreille, et dans ce lieu charmant
L'observateur oubliait tout le monde.
Le ruisseau fier, contemplait à loisir
Le bel émail de la verte prairie:
C'est par moi seul, disait-il quel plaisir!
Oui, c'est par moi qu'elle est si bien fleurie.
La fontaine sensible au discours du ruisseau,
Lui dit: voici bien du nouveau:
Assurément mon fils se moque;
Je ris de votre soliloque:
Vous avez beau vanter ce murmure si doux,
Votre éclat ravissant; sans moi que seriez-vous?
Il est vrai, je vous dois la vie,
Répondit le ruisseau; je n'ai point la manie
De nier un instant ce bienfait de l'amour;
Mais puis-je aussi demander à mon tour,
Madame, où vous prenez la source
De l'eau que je répands tous les jours dans ma course?
N'accorderez-vous pas que la pluie a ses droits;
Que nous créer tous deux sont ses moindres exploits?
Mon fils, répliqua la fontaine,
Je conviens avec vous, sans peine,
Qu'elle est notre mère à tous deux;
Mais la pluie eut aussi l'océan pour son père;
Et le vaste océan, sais-tu quelle est sa mère?
--- Je n'en sais rien; c'est le secret des dieux.
Celui qui du cahos fit sortir la lumière,
Pourrait seul révéler un si profond mystère.
III.
Les Voyageurs, les
Guerriers et le Berger
De nombreux voyageurs, dans un bois égarés,
Craignaient embûches, précipices,
Tout ce que les méchans peuvent dans leurs malices:
Des guides sûrs sont par-tout révérés.
Après une marche pénible,
De grands efforts sans nuls succès,
Pour sortir d'embarras ne trouvant point d'accès,
Un corps de gens armés survient, paraît sensible
Aux maux des voyageurs, et veut les protéger;
Mais ils refusent leur service.
Fort à propos, dans ce moment propice,
Se présente un jeune berger,
Qui leur dit: mes amis, je serai votre guide;
Je sais tous les chemins, fiez-vous à ma foi.
--- Très-volontiers: rangés sous votre égide,
Vos conseils seront notre loi.
Vous vous repentirez de cette préférence,
Dit un guerrier: nos gens prendraient votre défense
Dans les périls que vous osez braver.
--- Nos efforts réunis sauront nous préserver;
Un tel empressement ne pourra nous séduire.
Adieu: notre berger suffit pour nous conduire.
La force veut soumettre, et feint de protéger.
La vertu, la candeur, savent persuader.
IV.
L'Alouette et le
Papillon
Aimable papillon, que vous êtes joli!
Disait un jour une alouette
A ce voltigeur favori
Des fleurs qui parent l'herbette;
Mais vous n'ètes qu'un inconstant.
Un papillon est si charmant!
Pourquoi devenir chrysalide?
Image de la mort. Cet état malheureux
N'a rien encor de si perfide
Que celui de chenille, un insecte hideux,
Vorace, l'ennemi des fruits, de la verdure,
Qui prive indignement l'arbre de sa parure.
--- Que voulez-vous? j'aime le changement:
Vous aimez la monotonie;
On le voit par vos chants; la triste mélodie!
Rien n'est heureux que l'inconstant.
Chenille, chrysalide; après tout, c'est la mode.
Quand je suis papillon je voltige toujours;
Etre le même tous les jours?
C'est à périr! non, rien n'est si commode
Que l'aimable variété:
C'est le bonheur, c'est notre déïte.
--- Si votre esprit léger vous rendait plus aimable,
Si de changer souvent vous étiez plus heureux,
On vous trouverait moins coupable;
Mais chenille: fi donc! quel état plus affreux!
--- Oui, vous avez raison; mais la mode, vous dis-je,
Embellit tout; chez nous c'est un prodige.
Beau sexe, reconnaissez-vous
Au changement du papillon volage:
Si la mode, ce grand usage,
Est pour vous ùn plaisir bien doux;
Parmi les ornemens, l'éclat, la bigarrure,
Le caprice du jour, celui du lendemain;
Le goût s'enfuit et cherche en vain
Les grâces la beauté de la simple nature.
V.
L'Ecolier et le
Précepteur
Un écolier très-jeune, à peine adolescent,
Se promenait dans la campagne:
Son précepteur, très-savant, l'accompagne,
Et l'instruisait chemin faisant
Sur ses devoirs, sur la manière
De vivre dans le monde, y trouver le bonheur.
Notre écolier vit une fourmilière;
Sans écouter le précepteur
Qui lui préchait l'horreur du vice,
Il renverse tout l'édifice;
Et dans l'instant il rendit malheureux
Ce peuple patient et très-laborieux.
Le Mentor voulut entreprendre
La cause des fourmis: cessez de me reprendre,
Dit l'écolier; quel mal ai-je donc fait?
Tous ces insectes sont nuisibles.
--- Mais ce sont des êtres sensibles.
Tout dans la nature est parfait:
La fourmi rarement peut nuire:
Son ardeur au travail doit plutôt vous instruire
D'éviter la mollesse, un vice dangereux:
Sachez qu'il est plus beau de faire des heureux.
Si l'ennemi venait ravager le village,
Et que dans un excès de rage,
Il voulût renverser jusqu'à votre maison
Privé de tout, sans habitation,
Dans un état si déplorable,
Pensez-vous donc qu'il fût très-agréable
De rebâtir sur nouveaux frais?
J'entends votre leçon, répartit le pupile.
Faisons le bien, et n'oublions jamais
Que l'Eternel ne fit rien d'inutile.
VI.
Le Roi d'Afrique et
l'Esclave
Dans un canton de l'Afrique,
Pays barbare, où toujours on trafique
De l'homme et de sa liberté,
Pour le réduire à l'esclavage,
Qui fait frémir l'humanité,
Et dont le philosophe en vain fronde l'usage,
Tant l'avarice et la cupidité
Ferment les yeux sur tant de cruauté;
Dans ce canton, un chef de horde ou de village,
Qu'on nomme roi dans ce pays sauvage,
Par des châtimens rigoureux
Tyrannisait un nègre malheureux,
Par le sort des combats devenu son esclave.
Quoi! seigneur, disait-il, est-ce ainsi que l'on brave
Les lois de la nature, et sur-tout l'équité?
N'ai-je perdu la liberté,
Que pour souffrir que l'on m'assomme?
--- Le destin des combats me rendit ton vainqueur,
Tu fus mon prisonnier dans les champs de l'honneur:
Vil esclave aujourd'hui... -- Mais l'esclave est un homme.
--- Tu raisonnes: crains mon transport,
Et subis la loidu plus fort.
Se taire et souffrir en silence,
Est souvent le parti que dicte la prudence.
Le féroce tyran, avant la fin du jour,
Des caprices du sort fut victime à son tour.
Vaincu, fait prisonnier, réduit à l'esclavage,
Par un roi son voisin, il changea de langage.
Dans la prospérité, tout nous rit, tout est beau;
Mais dans l'adversité, c'est un autre tableau.
Le roi vainqueur lui dit: hier, en ta puissance,
L'esclave mon parent souffrait ton insolence,
Ta fierté, ton mépris; reçut le châtiment
Qu'ordonnait ton caprice et ton ressentiment;
Mais aujourd'hui que le sort le dégage,
Pour qu'il se venge de l'outrage,
Je te remets en son pouvoir:
Qu'il te punisse, il fera son devoir.
C'est ainsi qu'un méchant, sans pudeur, sans entrailles,
Mérite et doit subir la loi des représailles.
VII.
Le Bœuf et le Cerf
Dans un beau pré, voisin d'un bois,
Un bœuf venait pâturer l'herbe:
Un cerf dix corps, d'une taille superbe,
Y venait aussi quelquefois.
Un jour, tout en paissant, les deux bêtes causèrent;
De propos enpropos, tous les deux ils s'enquèrent
De leurs travaux, de leurs plaisirs.
Hélas! disait le bœuf, en poussent des soupirs,
De plaisirs, je n'en connais guère:
Le travail remplit ma carrière,
Depuis le matin jusqu'au soir:
Tantôt je vais au labourage;
Puis la charrette est mon partage.
Accablé de fatigue, à peine ai-je l'espoir
D'un moment de repos: quant à la nourriture,
On me laisse très-peu .d'instans
Pour venir dans cette pâture.
Et vous, l'ami, comment passez-vous votre tems?
--- Je fais ce qui me plaît: le travail et la peine
Ne troublent point ma liberté;
Je la chéris, c'est ma félicite.
D'aucun mortel je ne porte la chaîne:
Rompez la vôtre, et venez dans nos bois.
Fuyez l'homme et son esclavage,
Travaux, charme et labourage;
Vous goûterez tout-à-la-fois
Du repos la douceur parfaite,
Les agrémens de la retraite.
Votre avis est fort bon, j'en ferai mon profit,
Lui répondit la bête ruminante;
La servitude est trop avilissante;
Tout le bonheur, sans contredit,
Est de vivre pour soi; partons, je vais vous suivre,
Et comme vous, je prétends être libre.
Cela dit, notre déserteur
Prend sa course, rempli d'ardeur,
Accompagne le cerf dans la forêt voisine.
Boire, manger, ruminer et dormir,
Sans travailler, se divertir;
Ce genre de vie accoquine;
Mais son trop malheureux destin
Le fit rencontrer un matin
Par son maître, tout hors d'haleine,
Qui depuis deux grands jours le cherchait, fort en peine.
Le bœuf voulut s'enfuir;. mais quelques gros mâtins
Lancés sur lui, le suivent à la trace;
Las de courir, il cède à sa disgrace:
On le prend, on le livre aux cruels assassins.
Liberté naturelle autant que légitime,
Parmi tous les tyrans vous passez pour un crime.
VIII.
La Jument et son
Poulain
Dans une superbe prairie,
Une jument et son poulain
Paissaient l'herbe tendre et fleurie.
Le petit animal voyait avec chagrin,
Qu'un faucheur près de lui tenait sa faulx tranchante,
Et d'un bras nerveux abattait
L'hèrbe et les fleurs: il dit, quelle perte affligeante!
Le méchant détruit tout: le jouvenceau craiagnait
Qu'une telle déconfiture
Le privât de cette verdure
Qu'il paissait de bon appétit.
La jument lui dit: mon petit,
Ne craignez rien, l'herbe revient plus tendre,
Et dès demain, sans plus attendre,
Au même endroit nous saurons pâturer.
--- Fort bien, mais pourquoi renverser
Cette herbe si grande et si belle?
--- Mon fils, modérez votre zèle:
Sachez que la précaution
Fait recueillir le foin pour une autre saison.
L'âifreux hiver engourdit la nature;
Il détruit tout, les fleurs et la verdure;
La terre alors n'offre dans nos climats
Que des glaçons et des frimats.
Vous sentez quel bonheur, dans cette circonstance,
Que ce bon faucheur songe à nos besoins d'avance.
Souvent une bonne action,
Une sage précaution,
Passe pour crime aux yeux de l'ignorance.
Jamais nous ne devons juger sur l'apparence.
IX.
Le Papillon et
l'Abeille
Un beau jour, certain papillon
Voltigeant à son ordinaire
Sur les fleurs d'un joli parterre,
Qu'il carressait avec prétention,
Appercut près de lui la diligente abeille,
Qui dès le point du jour s'éveille
Pour chercher sur les fleurs son excellent butin.
Le papillon, d'un air mutin,
Lui dit: pourquoi chassez-vous sur mes terres?
Un insecte aussi laid que vous,
De la rose ou l'œillet doit-il être jaloux?
Les fleurs des champs et des parterres
Appartiennent au papillon.
Eh! qui vous en a fait le don?
Répondit vivement l'abeille:
Pour soutenir une thèse pareille,
Et prouver que pour vous la nature a tout fait,
Quels sont vos titres, s'il vous plait?
--- Mes titres? la beauté qui fut notre appanage,
Et qui nous assimile aux fleurs:
Flore nous donne ses faveurs,
Nous ne voulons point de partage.
--- Mon ami, vos prétentions
Me semblent appuyer sur de faibles raisons.
Tous les présens de la nature
S'offrent également pour toute créature
Qui sait en faire son profit.
Je me flatte, sans contredit,
Que nous tirons des fleurs la quintessence;
Que rien n'égale l'excellence
De notre miel, et son utilité.
Vous vous targuez de la beauté!
Sachez qu'elle est moins estimable,
Quand elle tient à la frivolité.
Souvenez-vous de cette vérité,
Sèxe charmant! et que, pour être aimable,
Il faut plus que de la beauté.
X.
L'Homme et le Serpent
Se promenant un jour dans un bois écarté,
Un homme très-distrait rêvait à ses affaires,
A ses plaisirs, ou bien à des chimères,
Que nous prenons souvent pour la réalité.
Un serpent gissait en silence
Au milieu de son chemin.
Notre homme, par inadvertence,
Marche sur l'animal, qui le mord, et soudain
Distille dans la plaie un perfide venin.
Aussitôt il sentit une douleur cuisante,
Et se plaignit amèrement
Au serpent,
De cette rencontre affligeante.
Pourquoi venez-vous me chercher?
Lui répondit le reptile:
J'étais ici fort tranquille,
Et ne saurais m'empêcher
De mordre celui qui m'offense.
Pour reprimer l'insolence,
Je suis armé d'un venin;
Mais je n'attaque personne:
Je me défends, la nature l'ordonne:
On a des yeux pour voir à son chemin:
Une autre fois, monsieur, prenez-y garde.
--- Reptile audacieux, raisonneur, il me tarde
De te punir; de suivre mon transport:
Ton perfide venin peut me donner la mort.
--- J'en suis fâché: je n'ai rien à répondre;
Mais si je voulais vous confondre,
Que nedirais-je pas? L'homme veut s'arroger
Le droit de tout détruire,
D'attaquer tout ce qui respire,
Et trouve encor mauvais qu'on ose se venger.
Grands de la terre, imitez la prudence
De cet animal rampant:
Craignez du peuple la vengeance,
Quand on le foule injustement.
XI.
Le Savetier et le
Procureur
Un savetier était de bonne humeur:
Ils le sont presque tous, et dans leur indigence
C'est la grace d'état; louons la providence.
Ce compagnon crépin riait de très- bon cœur.
Tous les matins, un grave procureur
Passait devant sa boutique:
Pour cause, craignant la critique,
Soupçonnant le rire moqueur:
Un jour il dit: pourquoi, chaque fois que je passe,
Riez-vous donc, monsieur le savetier?
--- C'est que je suis bien-aise: en faisant mon métier,
Je chante aussi, le plaisir me délasse.
Imitez-moi, sans vous mettre en courroux.
Je ris uand vous passez? mais cela eut bien être;
Car je ris très-souvent: je vois par ma fenêtre
Tant de fripons! mais pourquoi passez-vous
Au moment que je ris? le reproche est fort drôle.
Adieu, monsieur; sur ma parole,
Je n'ai rien e commun avec un rocureur
Voilà pourquoi je suis de bonne humeur.
De vous, esprits chagrins, vous croyez qu'on se moque,
Quand on sait rire de bon cœur:
De l'aimable gaîté concevez la douceur,
Et le rire d'autrui n'aura rien qui vous choque.
XII.
La Femme
Hirondelle et Jupiter
Dorval, brave officier, quitte sa jeune épouse,
La sensible Cloris: il rejoint ses drapeaux,
Se prépare à voler à lies combats nouveaux.
Cloris était un peu jalouse,
Et curieuse aussi; c'est un joli défaut,
Qu'une dame possède un peu plus qu'il ne faut.
Bref, celle-ci brûlait d'apprendre
Ce que faisait son cher époux:
Elle voulait auprès de lui se rendre,
Sans qu'on la vît, surprendre un rendez-vous,
S'il en donnait à quelque belle,
Que son instinct jaloux lui peignait peu cruelle.
Sentant un jour s'accroître son tourment,
Elle dit: Jupiter, je te prie ardemment
De te rendre à mes vœux propice;
Je te promets le plus beau sacrifice.
Soudain le tonnerre gronda;
Sa voix terrible précéda
D'un aigle dans les airs la descente subite.
D'étonnement, Cloris reste interdite.
R assurez-vous, lui dit l'oiseau:
Bien que je sois le dieu qui lance le tonnerre,
Près d'une belle, aussi doux qu'un agneau,
Pour vous servir que faut-il faire?
--- O Jupiter! en hirondelle
Voudrais-tu me changer?
Comme un oiseau léger,
Je veux, à tire d'aile,
Surprendre mon époux: un noir pressentiment
Me dit qu'en ce moment
Le traître est infidèle.
Craignez du repentir la douleur éternelle,
Répond le dieu, que voulez-vous savoir?
Gardez votre ignorance, il vous reste l'espoir.
Non, non, je ne saurais, cédez à ma prière;
Que je sois hirondelle une heure seulement!
J'attends de vous cette grâce dernière:
Voyez mes pleurs! Jupiter, complaisant,
D'un seul mot fit le changement.
Soudain il disparaît. Notre aimable hirondelle
Vole rapidement aux lieux
Qu'habitait son époux: le désir curieux
La pressait vivement d'apprendre la nouvelle
Qu'elle craignait. Sur ledéclin du jour,
Elle apperçoit, dans la campagne,
Dorval avec une compagne,
Nouvel objet de son amour.
L'hirondelle voltige: elle va, revient, passe,
S'approche des amans, témoin de sa disgracc;
Elle entend le couple amoureux,
Promettre de brûler toujours de nouveaux feux:
Dans son dépit que rien n'égale,
Elle frise le nez de l'indigne rivale,
Et de son petit bec le pince rudement.
Le galant courroucé d'une telle insolence,
Prend son fusil pour en tirer vengeance:
Le coup part: Jupiter le détourne à l'instant.
Le dieu rend à Cloris sa forme naturelle,
Sitôt qu'à son logis elle fut de retour.
Mais quel malheureux fruit d'une épreuve cruelle!
Son cœur est déchiré! dépit, vengeance, amour,
Le tourmentent sans cesse: y règnent tour-à-tour.
On l'a dit très-souvent, l'affreuse jalousie,
Ce fléau de l'hymen, empoisonne la vie.
Pour être heureux, époux, faites votre devoir,
Et ne voyez jamais plus que l'on ne doit voir.
XIII.
Le Conseil des
Araignées
Sur les lambris d'un bel appartement,
Des insectes fileurs, de l'espèce araignée,
Elevaient près d'une croisée
Leur habitation: construite proprement,
Bientôt elle contient une grande peuplade,
Qui travaillait toujours, sans repos ni décade,
Aux toiles ou filets pour la destruction
De tout insecte ou moucheron
Qui passait dans le voisinage.
Souvent au milieu de l'ouvrage,
Le petit peuple était transi de peur:
Craignait beaucoup cet agent destructeur,
Ce terrible balai dont s'arme une servante;
Et qui plus d'une fois, conduit par la fureur,
Avait détruit l'asyle et jetté l'épouvante.
Un souvenir si plein d'horreur,
Fit juger très-grave l'affaire,
Et qu'un conseil était fort nécessaire.
On assemble un petit sénat,
Pour conférer sur ce point délicat:
On élit une présidente,
Autant habile que prudente.
Vous connaissez notre ennemi brutal,
Dit-elle, ce balai qui nous fut si fatal:
Poussé par une main hardie,
Comment nous garantir de cette perfidie,
Dans nos paisibles cantons?
Le fruit de nos travaux et de notre industrie;
Ces toiles, ces filets, qu'avec art nous tendons,
Dans un instant.... hélas! je me sens attendrie!
Je ne saurais parler: que chacun à son tour,
Donne son avis sans détour.
Toutes veulent parler ensemble:
C'était une confusion;
Un grand caquet, grand carillon,
Comme par-tout quand on s'assemble,
Et qu'on est d'avis différent.
L'une disait: tôt que l'on déguerpisse
De ce maudit appartement.
Quitter ainsi notre édifice,
Et travailler sur nouveaux frais?
Disait une autre: ah! vraiment c'est dommage.
Une troisième dit: en cave on est au frais.
Moi, j'aime le grenier, c'est un parti plus sage,
Dit une quatrième, on est loin des fâcheux;
Notre espèce y trouva toujours un sort heureux.
Pendant tous ces débats, une grosse araignée,
Dont la sagesse était fort renommée,
Prend la parole et dit: le grand objet
Que vous traitez m'inspire un beau projet:
Sans monter au grenier, ni descendre à la cave,
Restez chez vous, mon dessein est plus brave;
Dans le silence de la nuit,
Que le balai qui nous poursuit
Soit immobile, et qu'on l'enchaîne;
Filons, mes sœurs, livrons-nous à la peine;
Quand par nos fils sans nombre il sera garotté,
Le méchant ne saura plus nuire,
Et nous vivrons avec tranquillité.
Le conseil applaudit: un grand jour vient de luire,
Brava! brava! ma sœur,
Répétait à grands cris tout le peuple fileur.
La nuit arrive; on se met à l'ouvrage;
Chaque ouvrière est à son attelier:
L'espoir animant le courage,
On file à force pour lier
Cet instrument, l'auteur de la disgrace;
De fils sans nombre on l'entrelace;
Le peuple alors se croit en sûreté,
Retourne en son manoir avec sécurité.
Mais le réveil bientôt frustre l'attente
Des amis de la paix et de la liberté.
Le lendemain, la maudite servante,
Qui se piquait de propreté,
Prend son balai: malgré la résistance
De tous les travaux de la nuit,
Que l'on croyait d'une grande importance,
Dans un instant tout fut détruit;
Et la cruelle balayeuse,
Faisant mourir son agent destructeur,
Renverse tout avec ardeur,
Fait de tout le manoir une tuerie affreuse.
Que le faible est présomptueux!
De penser que la résistance
Saura le préserver d'un sort trop malheureux!
Il ne devrait jamais s'armer que de prudence.
XIV.
Le Chien et le Loup
Un chien, mauvais sujet, il s'en trouve par-tout,
Pensait que ses talens, qu'il estimait sur tout,
Méritaient plus de récompense.
Je suis las de la dépendance;
On me tient, disait-il, enchaîné tout le jour,
Pour garder la maudite cour.
La nuit, pendant que tout le monde,
Se livre au doux repos, moi seul je fais la ronde.
Mal nourri; des coups de bâton;
Mon maître, sans pitié, les donne sans façon;
Je crois donc qu'il vaut mieux, sans tambour ni trompette,
Prendre la poudre d'escampette,
Et de ma pleine autorité,
Chercher ailleurs repos et liberté.
Le chien, après ce petit soliloque,
Partit un jour de grand matin,
Se rendit dans le bois voisin.
Il apperçut un loup; cet objet interloque,
Surprend l'être le plus hardi;
Mais notre chien prit son parti:
En cas d'attaque, il pouvait se défendre.
Comme étranger, il crut qu'il fallait prendre
L'air et le ton de la douceur;
Il dit: monsieur le loup, je suis le serviteur
De votre seigneurie.
Dans ce désert, dites-moi, je vous prie,
Est-il permis de rester avec vous?
Je gémissais dans l'esclavage;
J'abandonne un tyran, des fers je me dégage.
Ce loup, cruel comme ils sont tous,
Mesurant du mâtin la force à l'apparence,
Vit qu'il était de la prudence
De répondre à son compliment
Très-poliment.
--- Je ne puis qu'approuver, monsieur, votre conduite:
C'est bien fait de prendre la fuite
Pour éviter d'un maître la rigueur.
Si, dans ce bois, vous trouvez le bien-être,
D'y rester vous êtes le maître.
De paix, de liberté, je goûte le bonheur.
J'en désire, avec vous, partager la douceur,
Bépart le déserteur: courons même fortune.
--- Je le veux bien: dès ce soir, sur la brune,
Malgré le chien et le berger,
Nous pourrons, sans aucun danger
Unissant à propos la force et l'industrie
Au village voisin, dans une bergerie
Enlever au moins un mouton.
Notre repas sera fort bon.
Le complot fait, les deux corsaires
Se tapissent dans les bruyères;
Attendent le moment que tout est en repos,
Pour fondre dans l'enclos du bercail, à propos.
Au chien, le loup prescrivait le silence;
Mais le premier, soit par inadvertence,
L'habitude ou le naturel,
Entend du bruit, jappe avec force;
Aussitôt le berger voit le danger cruel,
Le prévient: ce réveil mit bientôt le divorce
Entre les deux coquins: le loup traître et méchant,
Livre au jappeur un combat très-sanglant.
Il se défend avec courage.
Dès que les combattans ont assouvi leur rage,
Tous deux blessés, et tous deux aux abois,
Le loup se traîne dans les bois;
Le chien clopant, retourne à son village.
La leçon amena bientôt le repentir;
Il promit bien, à l'avenir,
De renoncer au brigandage.
La discorde souvent divise les méchans,
Pour le salut des bonnes gens.
XV.
La Pluie et le beau
Tems
Parler de pluie et de beau tems,
N'est guère, dira-t-on, le sujet d'une fable:
Tout lieu commun est pauvre passe-tems.
D'accord; mais le sujet peut être supportable,
Et tout, dans la nature, a droit d'intéresser.
Le beau tems et la pluie un jour causaient ensemble;
Le beau tems disait: il me semble
Qu'il serait prudent de cesser
Vos ravages, dame la pluie;
Vous inondez les champs, les prés et les vallons:
Cette persévérance ennuie.
Les bergers ne sauraient danser sur les gazons;
Le voyageur ne peut se mettre en route;
Le citoyen voudrait se promener:
Le sexe délicat, cent fois plus vous redoute;
Et l'on ne peut vous pardonner
Ce qu'on appelle un tems maussade.
--- Quoi! monsieur le beau tems voudrait règner toujours?
Si l'on en croit vos discours,
Quand je parais, la nature est malade;
Mais tous les gens sensés pensent bien autrement.
Le père du jour dans sa course,
Me puise dans la mer, intarissable source.
J'erre du levant au couchant;
Et du nord au midi, porté dans les nuages,
Ma fraîcheur calme les orages.
Je tombe, j'entretiens fontaines et ruisseaux.
Je forme la rivière et les fleuves si beaux:
Je suis leur mère à tous, ils me doivent la vie:
Je féconde les champs, les prés et les jardins;
Tel qui veut me blâmer de ces heureux destins,
N'en parle que par envie.
--- Par envie? ah! vraiment voici bien du nouveau:
Vous plaisantez, mon rôle est assez beau.
La nature par moi semble toujours riante,
Toujours nouvelle et plus intéressante.
Si vous règnez deux jours, on soupire après moi;
Eh! quel est mon premier emploi?
De réparer votre sottise.
Sitôt que l'on me voit, le soleil radieux
Embellit tout, et rend le bel azur des cieux:
Lui seul, par sa chaleur et sa douce entremise,
Donne les fruits, et mûrit les moissons;
Ainsi, par de bonnes raisons,
Je dois avoir préférence.
--- Monsieur, si l'on pèsoit dans .la juste balance
Nos moyens respectifs, je ne sais qui des deux
Obtiendrait le meilleur suffrage:
Tour-à-tour les humainsnous adressent leurs vœux.
Je ne dis rien de plus: on sait que l'homme sage,
Prend le tems comme il vient; que de faibles mortels
Ne peuvent rien changer aux décrets éternels.
XVI.
Le Bossu et le Boiteux
Certain bossu faisait tous ses efforts
Pour dérober aux yeux ce défaut de nature:
Mettant sous son habit coussinet et fourrure,
Il pensait redresser dos et reins un peu tords;
Mais taille raccourcie, approchant du pygmée,
Le con dans les épaules, allure embarrassée,
Dévoilaient tout à l'œil le moins perçant.
Ce bossu pour railler avait bien du penchant.
On pourrait tolérer un peu de sel attique:
Esope, avec esprit, mesurait sa critique:
Le nôtre, un jour, rencontrant un boiteux,
L'apostropha d'un ton ironique et joyeux;
Et lui tirant sa révérence,
Lui dit: bon jour, l'ami, qui marchez en cadence;
Que j'aime ce joli maintien!
Ce balancement va très-bien,
Et cet air penché plein de graces
Doit fixer l'amour sur vos traces.
Monsieu, vous raillez joliment,
Répondit le boiteux: que vous êtes charmant!
Qui ne croirait, à vous entendre,
Qu'aucun défaut chez vous ne serait à reprendre?
Mais je vois sans beaucoup d'effort,
Que la nature aussi vous a fait quelque tort:
Consolons-nous de cette bagatelle.
Je suis boiteux, chaque pas le révèle;
Pour être un peu bossu, ne soyez pas honteux;
Ce n'est rien, quand on est aimable et vertueux.
XVII.
Le Philosophe
et la Mouche-Guêpe
Un matin, dans son cabinet,
Un philosophe méditait
Sur les effets et sur les causes,
Sur le néant de toutes choses,
Puisque, hélas! tout doit finir,
Et que tout homme doit mourir.
Cette idée augmentait sa profonde tristesse,
Et lui donnait un peu d'humeur.
Dans ce moment, une mouche traîtresse,
Mouche dont l'aiguillon fait sentir la douleur,
Bourdonnait près de son oreille;
Une guêpe enfin le réveille
De son air pensif et rêveur.
Notre philosophe en fureur,
D'un coup de main abat cette importune;
Et dans son malheureux transport,
Il était prêt à lui donner la mort,
Lorsque la mouche dit: ma mauvaise fortune
M'a-t-elle conduite en ces lieux
Pour exciter votre colère?
Qu'ai-je donc fait qui puisse vous déplaire?
Rien que je pense: au nom des dieux!
Monsieur, accordez-moi la vie;
Je jure, que jamais je n'eus aucune envie
De troubler votre repos;
Que c'est très-mal-à-propos
Que vous me supposez le dessein de vous nuire.
Le philosophe suspendit
Son ressentiment, répondit:
J'ai tort, de mon devoir vous venez de m'instruire:
On ne doit jamais s'emporter.
La fureur au sage est contraire.
Si le faible peut nuire, on doit le mépriser.
Vivez, oubliez ma colère,
Je sens plus que jamais qu'on doit la réprimer.
Il n'est que les tyrans qui savent opprimer.
XVIII.
La Brodeuse et la
Fileuse
A la fileuse, un jour, la brodeuse disait,
Avec ce ton moqueur que l'orgueil inspirait:
Quoi! vous filez, chère compagne,
Cet ouvrage est-il fait pour vous?
Il ne convient qu'à la campagne,
A la bergère au plus, et soit dit entre nous,
Il est ignoble: une fileuse
Ne peut se comparer amais à la brodeuse.
Broderie appartient à la condition.
A l'aiguille, au tambour, l'or et l'argent, tout brille,
Et le crayon de votre main gentille,
Tracerait sur un beau patron
Le plus joli dessein pour une collerette;
Des falbalas, une manchette:
Voyez le travail que j'ai fait:
N'est-il pas vrai qu'il est parfait,
Et que broder enfin, pour une demoiselle,
Est tout ce qu'il convient? Oui, je vous crois, ma belle,
Répondit la fileuse; autrement j'aurais tort.
Votre discours frappe d'abord;
Mais sans projet de contredire,
Vous me permettrez de vous dire,
Que votre broderie, avec tout son brillant,
Ne saurait, très-certainement,
Se comparer à l'ouvrage solide
Que je tourne avec mon fuseau.
Loin de nous ce luxe perfide!
Mon fil de lin n'est-il pas assez beau?
Je le préfere à l'ouvrage futile,
A tout le clinquant de votre or;
Sachez que le plus grand trésor,
Est le travail le plus utile.
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