I.
La Dame de ville et la Dame de campagne
A Lucile,
qui passe toute l'année à sa terre
Témoin de vos vertus, dans l'âge du plaisir,
Sous les traits de Vénus, je dis voilà Minerve:
Soudain, de vous chanter je formai le désir.
Si l'entreprise était au-dessus de ma. verve,
Je vous vis, je laissai parler le sentiment;
Le zèle l'emporta sur le faible talent.
Se peut-il que toujours on reste à la campagne,
Dans ces jours ténébreux que tristesse accompagne?
Passe encor les belles saisons
Des fleurs, des fruits et des moissons,
Disait Orphise à l'aimable Lucile;
Mais tout l'hiver appartient à la ville:
C'est-là que les ris et les jeux,
Bals, concerts, opéra, soupers délicieux,
Remplissent nos cœurs d'allégresse:
Le plaisir et sa douce ivresse,
Pendant la saison des frimats,
Ne peuvent se trouver dans vos tristes climats.
Que je plains votre erreur! lui répondit Lucile:
De prouver le contraire il me serait facile.
Je goûte dans les champs la douceur, les attraits,
Les plaisirs purs de l'innocence.
Si je savais peindre à grands traite
Une si belle jouissance,
Je vous dirais que tour-à-tour
Dans notre paisible séjour,
L'hiver, l'été, le printems et l'automne,
Ont leur charmes divers: que la nature donne,
Pour mieux sentir les douceurs du printems,
Le froid hiver qui le précède;
Que pendant sa rigueur je partage mon tems.
Aux soins du ménage succède
Le soin de mes enfans, leur: éducation.
Toujours la bonne instruction
Prévient les vices de leur âge.
L'exemple et les conseils du sage,
Donnent l'amour de la vertu.
Si l'on veut qu'un arbre prospère,
La culture est très-nécessaire;
Il est ainsi de chaque individu.
Le soir, au coin du feu, ma petite famille,
Dans ces jeux innocens où le plaisir pétille,
Me fait sentir un doux tressaillement.
O nature sublime! ô charme ravissant!
Pour te connaître il suffit d'être mère.
Vous l'ignorez, Orphise, oui, ma chère;
Restez en ville, où les plaisirs bruyans,
Pendant l'hiver, sont toujours attrayans.
Un appât si flatteur ne pourra me séduire.
Vos spectacles, vos bals, fruits de corruption,
Sous l'attrait du plaisir, vous cachent le poison;
Un vide affreux succède à ce trompeur délire.
II.
Le
Pédant et l'Etranger
A une
Anglaise, Lady Anderson
La fable quelquefois m'amuse:
Je cherchais un sujet nouveau
Qui pût varier mon pinceau:
J'apperçus Anderson, je dis, voilà la muse
Qui, par un très-heureux hasard,
De l'empire du léopard
Vient nous charmer au midi de la France.
Qu'elle a d'attraits, d'esprit et d'enjoûment!
Ses yeux peignent le sentiment,
Sa modestie impose le silence.
Au langage français, son accent étranger,
Le ton naïf, agréable et léger,
Donnaient à tous ses mots un charme inexprimable,
Qui m'inspira cette fable.
Jadis, un pédant orgueilleux,
Tramant ses mots avec emphase,
Et s'admirant à chaque phrase,
Puriste, ergoteur, pointilleux,
Pensait être savant, de bien parler sa langue.
Il avait autrefois composé la harangue
Du magister à son seigneur;
Harangue pleine de fadeur;
De grands mots en pompeux langage,
Un jour, cet ennuyeux pédant,
Rencontre un étranger, instruit, même savant.
La conversation s'engage:
Du français ayant peu d'usage,
Cet étranger parlait avec beaucoup d'accent:
Il se trompait dans le genre, le verbe,
Le cas, le pronom et l'adverbe,
Renversait la construction;
Mais l'esprit se montrait malgré la diction:
Le génie est-il fait pour connaître la règle?
Il brise toute entrave et prend l'essor de l'aigle;
Rien n'est plus vrai: cependant
Notre caustique pédant,
Bailleur insipide et vulgaire,
A l'étranger faisait la guerre.
D'un ton avantageux, moqueur,
Impertinent avec aigreur,
Il censurait les fautes de langage.
L'étranger ennuyé, lui dit: monsieur, je gage
Que tout votre bel esprit,
A la critique se réduit:
Nous en aurons bientôt la preuve.
Aussitôt il propose un certain argument,
Qui met le génie à l'épreuve,
Et confond l'ennuyeux pédant.
Ce n'est pas le jargon qui prouve la science;
Si l'heureux choix des mots fait briller le discours,
Le mauvais critique, toujours
A la futilité donne trop d'importance.
III.
Le Perroquet et la Pie
Une pie, autrefois en cage,
S'était remise en liberté
De sa pleine autorité.
Dans le tems de son esclavage,
Elle fit connaissance avec un perroquet.
Comme elle, il avait du caquet;
Rapport d'humeur, de goût; tout cela devait tendre
A resserrer les nœuds d'une amitié fort tendre.
Notre perroquet son voisin,
Ne buvait jamais que du vin:
On sait fort bien que c'est l'usage
D'en donner à tous ces oiseaux,
Pour augmenter leur bavardage:
Bref, Jacquot n'aimait plus l'eau claire des
ruisseaux.
Depuis que Margot son
amie,
Jouissait de sa liberté,
Elle venait le voir, employait son génie,
Le pouvoir de la vérité,
Dans leurs fréquens tête-à-tête,
Pour l'engager à déserter;
En lui disant: vous n'êtes qu'une bête:
Quel attrait si puissant vous force à résister
Aux charmes de l'indépendance?
Venez, mon camarade, habiter dans les bois:
De la nature seule il faut suivre les lois.
Quelle agréable jouissance
Pour l'être heureux qui sait l'apprécier!
Le conseil est fort bon: je dois remercier
Votre zèle, dame la pie,
Répondit le perroquet;
Vous suivre est le bonheur, je le crois en effet,
Et j'en aurais bonne envie;
Mais j'avoûrai que je crains,
Cédant à votre requête,
De quitter un sort honnête,
Pour des plaisirs incertains.
--- Quoi! vous doutez? vil esclave!
Fi donc! je vous croyais brave;
Jacquot;
nom que l'on
donne communément aux perroquets.
Margot;
on appelle
aussi souvent de ce nom les pies apprivoisées.
Mais vous ne méritez pas
D'ètre libre et suivre mes pas.
--- Point de courroux, ma douce amie;
Votre sexe a toujours l'art de persuader:
Je le sens et je dois céder,
Dùt-il m'en conter la vie:
Partons. Cela dit, Margot
Se radoucit aussitôt;
Puis adroitement dégage
Le perroquet de sa cage.
Volons, dit-elle, avec célérité:
Sentez-vous le plaisir qu'offre la liberté?
Voyez par-tout quelle abondance!
Les oiseaux ont le choix des fruits délicieux:
C'est pour nous que le roi des cieux
Répand ses dons, sa bienfaisance.
Transportons-nous, d'un vol léger,
Sur le coteau, dans ce charmant verger.
Si vous aimez le fruit, vous ferez bonne chère:
Préférez-vous le grain? -- Non, point du tout, ma chère;
Je n'aime le fruit, ni le grain;
J'aimerais mieux une rôtie au vin.
--- Oubliez donc cette liqueur factice;
Elle enivre souvent, et c'est un très-grand vice.
L'eau fraîche de nos clairs ruisseaux,
Est ce qui convient aux oiseaux.
--- Encore un coup, le bon jus de la treille
Me réjouit et me réveille.
Je vois avec bien du chagrin,
S'il faut, hélas! que je m'en passe,
Quel sera mon triste destin;
C'est fait de moi, dans deux jours je trépasse.
La pie, avec tout son caquet,
Voulut encourager son très-cher perroquet;
Mais l'eau pour lui n'était plus naturelle:
Le vin, cette liqueur cruelle,
Manquant à ce pauvre oiseau,
En trois jours le mit au tombeau.
Suivons toujours les lois de la nature;
Elle nous fit présent de l'eau limpide et pure:
Vous qui l'abandonnez pour le jus de raisin,
S'il vous manquait, craignez du perroquet la fin.
IV.
Le Virtuose et le
Ménétrier
Un jour, un très-grand virtuose,
D'amour-propre ayant bonne dose,
Entendait son voisin, pauvre ménétrier,
Modestement dans son grenier,
Racler du violon: l'oreille délicate
Souffrait beaucoup: quelle musique ingrate!
Disait le virtuose: ah! pour dieu, mon ami,
Laisse ton violon. Je n'entends qu'à demi,
Répondit le racleur: il est une manière
Qui pourrait tout-d'un-coup m'engagerà me taire.
Vous savez que mon métier
Est d'être ménétrier.
Je fais danser à l'esplanade,
A la guinguette, et caetera;
Et vous, monsieur, à l'opéra:
Je suis donc votre camarade;
Nous ne difrérons qu'en ceci;
La gaité règne à la guinguette,
Dans les champs, et sous la coudrette;
A l'opéra, couci, couci:
Vos grands faiseurs de pirouettes,
Tournant sur le talon comme des girouettes,
De ce métier sont bientôt las;
Rarement le plaisir accompagne leurs pas.
Mais pendant qu'ici je babille,
Je perds mon tems: on danse à la Courtille.
Je vais, si vous le trouvez bon,
Etudier un air de rigodon.
Cependant, de monsieur si j'écorche l'oreille,
Il peut se retirer. Je suis libre. --- A merveille,
J'entends: voilà pour boire à ma santé.
J'avais grand tort: votre leçon est bonne.
A l'orgueil si je m'abandonne,
Mon ami, dites-moi toujours la vérité.
V.
Le Singe et le Miroir
Un singe entré dans un boudoir,
Présentait sa vilaine face
Devant un très-beau miroir.
Croyant qu'une guenon lui faisait la grimace,
Il te sied bien, dit-il, de te moquer de moi,
Quand on est faite comme toi!
Ne connais-tu pas le proverbe,
Rien n'est plus laid qu'une guenon?
Pauvre butor! baisse d'un ton,
Tes sots propos et ton verbe?
Lui répondit le miroir;
Comment ne saurais-tu voir
Que c'est moi seul qui représente
Tes traits, ton image parlante?
--- Moi, je serais aussi hideux?
Ah! le mensonge est affreux!
Je ne crois point ce prodige:
Je vois une guenon, vous dis-je;
Et je vais, d'un bon soufflet,
La punir de son audace.
Cela dit, il frappe la glace,
En vingt morceaux la casse net:
De ses doigts le sang ruisselle.
Ainsi, méchante querelle
Doit être punie à propos,
Et d'un sot les mauvais propos.
L'amour-propre séduit: la plus laide figure
Se flatte, et prend toujours vérité pour injure.
VI.
Les deux
Voyageurs et le Ballon
Il ne faut s'étonner de rien,
Dans un tems qui tient du prodige:
Je croyais vous conter une fable, vous dis-je,
C'est une vérité; or écoutez donc bien.
Un voyageur Parisien,
Allant au fond d'une province,
Courant la poste, comme un prince,
Rencontra tout auprès d'un superbe canal,
Un voyageur Provincial.
Sur ce beau canal on s'embarque,
On fait route dans une barque.
Les lieux communs, pendant tout le trajet,
De l'entretien devinrent le sujet;
Et bientôt on parle nouvelle.
L'attention se renouvelle.
De propos en propos, on en vient au ballon,
Cette sublime invention.
Notre Parisien conte, en style énergique,
L'expérience magnifique
Des hommes traversant les airs,
Et qui planaient sur l'univers.
Vous plaisantez: la chose est impossible,
Interrompit le bon Provincial;
Allez, votre conte est risible.
On dit qu'autrefois un cheval
Volait de même qu'un Icare,
Mais je crois qu'il faut être ignare,
Monsieur, pour croire tout cela:
Ne parlons plus sur ce ton là:
Je n'ai jamais aimé la fable,
La vôtre est-elle plus croyable?
Tout ce qu'il vous plaira, dit le Parisien;
Mais le fait n'est pas moins certain.
Comme ils parlaient ainsi, du plus haut de la nue,
Le prodige nouveau se présente à la vue.
Que vois-je! en croirai-je mes yeux?
S'écria notre incrédule,
D'un air stupéfait, ridicule;
Sont-ce des hommes ou des dieux?
C'était Blanchard l'aëronaute,
Bien plus hardi que Jason l'argonaute,
Voyageant dans les airs avec laérostat,
En parcourant plus d'un état:
Il descendit dans la prairie.
Sommes-nous au tems de féerie,
Poursuivit le Provincial:
Voyons touchons cet animal. . . .
C'est un ballon, rien n'est plus véritable.
Vous ne pensez donc plus que ce soit une fable?
Répliqua le Parisien.
Mon très-cher, souvenez-vous bien
Qu'un ignorant peut trouver impossible
Tout ce que l'homme instruit a jugé très-sensible.
Retenez bien cette leçon:
Le sage doute, il a grande raison.
VII.
La bonne Mère,
ses deux Filles et la Chèvre
A Céphise
J'aime à voir la tendre Céphise,
Près de ses aimables enfans,
Partager son amour et ses soins carressans;
Leur éducation fut sa noble entreprise:
La nature en fit un devoir,
Et l'imprima dans le sein d'une mère.
Le bonheur mutuel en est l'heureux salaire.
Le malheur et le désespoir
Suivent toujours quand l'amour dégénère,
Qu'on livre ses enfans aux soins du mercénaire;
Chez vous, c'est le revers le plus intéressant.
Ah! qu'une bonne mère est un riche présent!
La vérité m’inspire ce langage.
Pour l'exprimer dans la fable qui suit,
De vos vertus j'ai recueilli le fruit;
Le sentiment vous en offre l'hommage.
Céphise aimait bien tendrement
Le fruit de son hymen, ses deux aimables filles;
On aimait à les voir, elles étaient gentilles:
L'aînée adolescente et l'autre encor enfant.
La première était douce et bonne,
Candide aimant tout ce qui l'environne;
L'autre était bonne aussi, mais un petit lutin;
Adelle étaitson nom, faisait bien du chagrin
A son aimable sœur, que je nomme Isabelle;
C'était espiéglerie; et toujours la querelle
De nos deux gentilles sœurs,
Se terminait par des pleurs.
La mère avec douceur disait, ma chère Adelle,
Vous avez tort; embrassez Isabelle;
Elle est si bonne, elle sait pardoner.
--- Oui, maman; jamais plus, je ne veux chagriner
Ma sœur que j'aime avec
tendresse.
Céphise sans aigreur ramenait l'allégresse;
Elle savait que l'éducation,
Que l'amour des vertus, la bonne instruction,
Sont toujours, après l'existence,
Bienfaits dont le bonheur sera la récompense.
Vers le milieu du printems,
Quand on était à la maison des champs,
Les sœurs se promenant et jouant sur l'herbette,
Ne marchaient point sans la chèvre Jeannette.
Isabelle en avait grand soin,
Partageait son goûter, ses bombons: le besoin
N'était jamais connu de la bête paisible,
Qui tout en ruminant paraissait très-sensible,
Et très-souvent aussi disait:
Pour vos bienfaits, je vous offre mon lait.
Isabelle en usait, ainsi qu'on le peut croire.
Un jour, à ce que dit l'histoire,
Adelle desirait traire aussi Jeaneton;
Mais celle-ci prenant un ton
Lui dit: mon lait n'est pas pour vous, ma belle:
Après mes deux chevreaux, mon amie Isabelle,
Seule a le droit d’en disposer.
Adelle alors de sefàcher:
--- Pourquoi donc cette préférence?
--- Pourquoi? je l'aime, elle me fait du bien:
Vous me pincez toujours, et ne me donnez rien;
Laquelle doit compter sur ma reconnaissance?
De Jeannette l'on doit estimer les raisons.
Pour éviter d'un refus la disgrace,
Faisons du bien, si nous voulons
Qu'à notre tour on nous en fasse.
VIII.
La Colombe et la Pie,
allant visiter le Paon
A la colombe, un jour, la pie, en son langage
Disait: le paon, m'a-t-on dit, est l'oiseau
Le plus glorieux, le plus beau:
A la beauté nous devons rendre hommage;
Pour moi, j'en fais un très-grand cas:
Allons le visiter; ne le voulez-vous pas?
Je le veux bien, répondit la colombe;
La beauté me ravit, et toujours je succombe
Au doux plaisir de l'admirer:
Je suis à vous, partons sans différer.
D'un vol, auprès du paon on se rendit bien vite.
L'oiseau fier reçut la visite,
Et d'un air grave répondait
Aux complimens que Margot lui faisait.
Après, la douce colombelle,
D'un ton naïf, laisse parler son zèle,
Sans flatterie et sans fadeur,
Le langage de la candeur.
Le paon charmé de cet hommage,
Faisait la roue et s'admirait;
Content de lui, se panadait.
Son bel habit était son plus grand avantage.
Il en est ainsi parmi nous:
Sans la parure, hélas! que seriez-vous?
Dirait-on à maint personnage;
Mais brisons sur ce point, je crois, c'est le plus sage;
Et sans discourir revenons,
Comme l'on dit, à nos moutons.
La pie et sa chère compagne
S'en retournent à pied, traversent la campagne.
Cette allure au babil donnait bien plus d'instans;
Et l'on sait qu'une pie aime le bavardage;
Elle tient de son sexe, et disait, quel dommage
Que ce beau paon ait des défauts tranchans!
Que ses pieds sont vilains! quelle voix plus affreuse!
Que d'orgueil dans son ton, son air de s'admirer,
Faisant la roue et puis se pavaner. . . . .
Doucement! méchante Causeuse;
Vous ne tarissez point, s'il faut dire du mal.
Ce défaut là vous deviendra fatal,
Interrompit la colombe innocente;
Moi, j'aime mieux l'action bienfaisante,
D'admirer en autrui les dons et les vertus,
La beauté, les talens, je ne vois rien de plus.
Ce paon montre en son port la fierté du courage,
Les graces, le plus beau corsage.
Sa queue où brille l'or, l'azur, les diamans,
Eblouit tous les yeux d'éclats étincellans;
C'est un oiseau parfait: oui, madame la pie,
Le méchant comme vous est guidé par l'envie,
N'apperçoit que défauts, méchantes actions:
Le bon esprit ne voit queles perfections.
IX.
Le Cavalier et le
Fantassin
Un cavalier voyageait lestement,
Monté sur un cheval d'Espagne;
Et d'un air fier traversant la campagne,
Il joignit dans un instant
Un autre voyageur, qui plus modestement,
Portant havre-sac ou besace,
Cheminait pédestrement.
Ce dernier admirant et la mine et la grace
Du cheval et du cavalier,
Enviait le destin du maître,
Et convoitait le coursier;
Disant: pourquoi le sort ne m'a-t-il pas fait naître
Aussi riche que ce monsieur?
De mon bien, comme lui, je me ferais honneur;
Et chaque fois que j'irais en voyage,
J'aurais un excellent bidet,
Qui toujours me porterait
Aussi bien que mon bagage.
Le cavalier, aussi de son côté,
Voyant le fantassin, tout la et tout crotte,
Faisait son petit soliloque:
Fortune, disait-il, tu te joue et te moque
De l'homme et doses vains desirs:
Aux uns tu donnes tout lesbiens et les plaisirs;
Et les autres n'ont rien, témoin ce pauvre here,
Qui marche dans la boue et traîne sa.misère,
Sans se flatter d'en voir la fin:
Ainsi l'a voulu le destin.
Moi, je suis né sous une heureuse étoile.
Sans percer à travers ce voile,
Jouissons toujours des douceurs
Des présens et des faveurs
Que la fortune nous donne,
Sans nous inquiéter de ceux qu'elle abandonne.
A peine eut-il fini ces mots,
Qu'il rencontre mal-àr-propos
Un voiturier, qui lui cherche querelle,
Dans un chemin étroit, sur une bagatelle;
Il s'agissait du pas: le rustaut, le brutal,
Donne un coup de fouet au le cheval,
Qui faisant un écart, jette sur la poussière
Notre beau cavalier: dans cet état affreux,
Estropié, moulu, de fâcheuse manière,
Le fantassin arrive auprès du malheureux.
La pitié succède à l'envie;
Appellant du secours, il lui sauva la vie.
Puis il disait chemin faisant,
Quelquefois la fortune est un mauvais présent.
X.
Le Jardinier et sa
Femme
Un jour, sur la fin du printems,
Que les traits du soleil commençaient d'être ardens,
Séchaient l'herbe et les fleurs sur la riche campagne,
Un jardinier, accablé de travaux,
Disait à sa chère compagne:
Tu connais ma peine et mes maux;
Sans cesse à mon jardinage
Je travaille, je sue; et toi, dans ton ménage,
A ton prétendu devoir,
Tu ne fais rien du matin jusqu'au soir.
Viens, m'aider; et tandis que je prendrai la bêche,
L'arrosoir à la main, sur la terre trop sèche,
Tu feras tout fructifier
Par cette douce et factice rosée:
Viens mon enfant, sans te faire prier.
--- Mais, mon ami, quelle est donc ta pensée?
Si je m'occupe du jardin,
Qui prendra soin de ton ménage,
De ton dîner, de tes enfans? Eh bien!
Tout cela n'est que verbiage:
Laisse tes marmots joyeux,
Qu'ils s'amusent de leurs jeux:
Mets à bouillir ton pot, après ferme la porte,
Tout ira bien de la sorte.
La femme avec quelque chagrin,
Obéit, se rend au jardin;
Elle ratisse, sarcle, arrose;
A peine un seul instant repose.
Pendant que les époux sans cesse travaillaient,
Les enfans se divertissaient.
Deux petits.garçons et deux filles
Se mirent à jouer aux quilles:
L'un d'eux visant au neuf, tout au milieu du jeu,
La boule avec grand bruit casse le pot-au-feu:
Le bouillon répandu, c'en est fait du potage.
Pour le dîner encor il restait un fromage;
Mais un matou, grand friand, grand larron,
L'ayant fluiré, l'avait trouvé fort bon;
Il en fit sa franche-lippée.
Vous jugez de quel coup la femme fut frappée,
Quand elle vit, à son retour,
De ses enfans, du chat le fâcheux tour;
Et le pauvre mari, qu'une faim dévorante
Ramenait pour dìner! dans son humeur dolente,
Pestant tout-bas de ne trouver plus rien,
Il n'osait montrer son chagrin.
Cette leçon le rendit sage.
Il vit qu'il avait tort; que les plus durs travaux
Sont faits pour l'homme, auquel ils ne sont pas nouveaux;
Mais que la femme doit prendre soin du ménage.
XI.
Les deux petits
Moineaux
A Madame De***, sous le nom de Cidalé
De la curiosité
Le sexe a-t-il mérité
Le reproche? Cet adage,
Toujours sur le même ton,
Ne peut avoir mon suffrage;
Voici quelle est ma raison:
Pour acquérir la science
Ne faut-il pas la constance
De la curiosité?
La sublime vérité,
Que l'homme cherche à connaître,
Ne saurait jamais paraître
Sans défaut séduisant
Du sexe le plus charmant.
C'est donc l'abus de la chose
Queje blâme, dont je glose:
Le danger du curieux,
Dans ses projets périlleux:
La curieuse indiscrette
Qui fronde, médit, caquette,
Surprend toujours le secret
D'un ami, d'un indiscret,
Pour en faire la risée
De sa frivole assemblée,
Avant que, la carte en main,
O-n fasse trève au prochain.
Chez vous le défaut agréable
Qui fait le sujet de ma fable,
Aimable Cidalé, cultiva votre esprit,
Vous rendit plus charmante, et causa le dépit,
Excita la critique, arma la jalousie
De Philis, de Zulma, de la prude Astasie,
De vous voir réunir à l'esprit, la beauté,
L'amour de tous les arts et de la vérité.
De mes petits moineaux écoutez le langage;
Si leur caquet vous plaît, je vous en fais l'hommage.
Tout sert de retraite aux oiseaux.
Ils savent profiter de l'art, de la nature;
Ils construisent leurs nids dans les creux des châteaux,
Et sur l'arbre paré de riante verdure;
Ainsi l'auteur de l'univers,
En leur donnant des goûts divers,
Et l'instinct propre à chaque espèce,
Manifesta sa bonté, sa tendresse
Envers les animaux qu'il lui plut de créer.
Un moineau, sa compagne, élevaient leur famille,
Qui grandissait toute gentille:
Ils avaient grand plaisir à la voir prospérer.
Prenant l'essor avec audace,
Tous les petits voltigeaient avec grace
Sur le donjon d'un vieux château,
Dans lequel était leur berceau.
Un jour, un des moineaux, et sa sœur bien-aimée,
Se posant sur une croisée,
Virent un bel appartement,
Décoré très-superbement.
Mon frère, dit la jouvencelle,
Je veux entrer dans ces beaux lieux,
Où tant d'éclat frappe les yeux.
Il faut admirer tout, viens seconder mon zèle.
--- Ma sœur, je crains les accidens;
Je voudrais avant tout consulter nos parens:
Mon père a de l'expérience,
Il dit que tous les habitans
De ces châteaux sont des méchans;
Reposons-nous sur sa prudence.
--- Un moineau franc doit-il être peureux?
Je te croyais plus valeureux:
Sans toi, je saurai satisfaire
Ma vive curiosité.
--- Ma sœur, votre reproche est si peu mérité,
Que je prouverai le contraire;
Mais s'il nous arrive malheur,
Vous ne vous en prendrez qu'à votre folle ardeur.
Rien ne put retenir la volage femelle;
Elle entra d'un air de dépit.
Son frère, à sa voix trop fidèle,
Avec chagrin la suivit.
Pendant qu'ils voltigeaient de merveille en merveille,
Leur caquet frappa l'oreille
D'un petit garçon malin,
Qui d'un saut fit le chemin
De la porte à la fenêtre:
Sur-le-champ le petit traître,
La ferme, et les fait prisonnier;
Puis il leur dit: sans vous faire prier,
Mes chers petits oiseaux, entrez dans cette cage.
Je l'avais bien prévu; ta curiosité,
Dit à sa sœur le mâle transporté,
Nous livre au plus dur esclavage.
XII.
Le Merle et la Pie
Un merle habitait un hameau:
Dans le même, une pie avait sur un ormeau
Formé aussi son hermitage.
Le premier, jour ce voisinage
Parut flatter l'un et l'autre oiseau:
La nouveauté se peint toujours en beau.
On sait qu'une pie est causeuse;
Et celle-ci, encore était très-curieuse:
Elle fut la première à parler au voisin,
Lui disant, vous sifflez, l'ami dès le matin:
Tous vos airs sont jolis: que faites-vous ensuite?
Aimez-vous à parler? répondez-moi donc vite.
Non: je siffle toujours pour me désennuyer.
Et vous, dame la pie? --- Oh! moi, j'aime à jaser:
C'est un passe-tems agréable.
A notre sexe il est très-favorable.
Sans trop penser ni réfléchir,
Nous parlons, nous parlons, cela fait grand plaisir.
--- C'est fort bien fait; chacun a sa manière.
Pour moi le plaisir de penser,
Egale celui de sîffler.
Trop parler nuit, pour l'ordinaire.
--- Oui, quand on parle mal à ce proverbe est mauvais.
De mes discours on ne se plaint jamais.
Je le soutiens, on peut me croire.
Voisin, écoutez cette histoire.
--- J'écoute: alors Margot se mit à habiller;
Avec prétention voulut faire briller
Son esprit et son éloquence,
Dans un conte ennuyeux rempli d'impertinence;
Mais le merle, sans écouter,
S'amusait toujours à siffler
Du ton de la raillerier
--- De mon histoire jolie
Que dites-vous? vous ne répondez pas?
--- Que voulez-vous que je dise,
Que j'en fais un très-grand cas?
Je mentirais: moi, j'aime la franchise,
Et ne saurais autrement vous parler.
Ce que l'on doit répondre à la sottise,
Madame, c'est de la siffler.
XIII.
La Colombe
messagère et le Pigeon
Au-dela des mers du levant
Un fleuve immense et très-rapide
Permettait au nocher de suivre son courant;
Mais il interdisait, même au plus intrépide,
De remonter ses eaux sans péril imminent;
Et sur ses bords la marche trop pénible,
Au voyageur était inaccessible.
Pour suppléer à ces empêchemens,
On établit par l'air des couriers diligens.
Une colombe était la messagère;
On la portait sur la barque légère,
Et l'on se livrait au courant
Jusqu'au lieu desiré sans aucun accident:
Puis sous l'aile de la colombe
Attachant le billet, prenant soin qu'il ne tombe,
On lui donne sa liberté;
Elle reprend son vol avec célérité.
Vous jugez bien que l'amour maternelle
La conduit droit où son instinct l'appelle;
Ainsi l'on prend aisément le paquet.
Certain jour, une Iris nouvelle
Parcourant l'air à tire d'aile,
Portait un billet très-joli:
Elle rencontre un pigeon agréable,
Et qui naguère était son favori.
Pourquoi voler si vite, ô colombe adorable!
Lui dit-il; reposons unpeu sur ce palmier,
Un seul instant, j'ose vous en prier.
--- Je ne saurais; sachez que je suis mère:
Je vole à mon devoir, ma famille m'est chèrer
--- J'approuve ces beaux sentimens:
Vous la joindrez dans peu d'instans.
Mais que vois-je là sous votre aile?
Répondez-moi, ma chère colombelle.
--- C'est un dépôt bien précieux.
L'ami, vous êtes curieux?
--- Oh! point tout: mais pourquoi ce message?
Servir quelqu'un, cela sent l'esclavage.
Reprenez votre liberté;
C'est le plus beau présent de la Divinité.
Pour commencer, un régal se présente;
Vos petits s'en trouveront mieux;
Ce sont des pois délicieux,
Nouvellement semés. --- La raison est puissante:
Pour mes enfans! d'ailleurs, j'ai très-bon appétit:
Où sont-ils? -- Dans ce champ: d'abordon s'abattit;
Après des pois on fit ripaille.
Un homme en sentinelle auprès d'une broussaille,
Prend soumousquet, par la rage emporté,
Et tua nos pigeons. Ah! quelle cruauté!
Mauvais conseils et gourmandise,
Ont causé plus d'um sottise.
XIV.
Le Moucheron et la
Fourmi
Chaque animal a ses goûts, son allure;
Ainsi le veut l'auteur de la nature.
Une fourmi voyageait lentement,
Semblait pourtant aller bien vite,
Porter du butin à son gîte.
Du chemin très-embarrassant,
Le moindre petit monticule
Lui paraissait les Andes à gravir.
Elle fait deux pas, puis recule:
Nouveau travail, patience à ravir.
A-t-elle atteint le haut de la montagne?
Elle descend avec facilité,
Se croit bientôt en sûreté;
Mais le malheur qui l'accompagne,
Lui fait soudain rencontrer
Un ruisseau qu'il faut passer.
Que faire dans cette occurrence?
Son ardeur jamais ne balance:
D'un fétu faisant un bateau,
Elle s'embarque et passe l'eau,
Arrive à bord avec sa proie,
Puis de nouveau chemine en joie.
Un moucheron voltigeait à l'entour,
Et riait tout-bas, à son tour,
De la marche pénible et lente
De notre voyageuse errante.
Que je vous plains, pauvre fourmi!
Le destin fut votre ennemi,
Lui dit-il; de ses dons il fut par trop avare
Pour faire un arpent de chemin,
Vous y prenant dès le matin,
Il vous faut tout un jour: quelle allure bizarre!
Vos petits pieds ont beau se trémousser,
Je ris beaucoup quand je vous vois passer;
Sur-tout gravir les monts, descendre les vallées,
Portant un immense butin
Dont se forme le magasin
Pour le tems des frimats et des noires gelées:
J'admire la précaution;
Mais s'il survient un polisson
Qui renverse la fourmilière,
Voilà le fruit perdu de votre année entière.
Pour moi, je voltige à ravir;
Facilement je trouve à me saisir
Des beaux présens de la nature
Qui composent ma nourriture.
De l'avenir je n'ai point de souci,
Je m'en trouve bien, dieu-merci.
Mon ami, répondit la fourmi patiente,
Vous parlez comme un indiscret:
De la nature avez-vous le secret?
Elle est parfaite, elle est prudente;
Il lui plut de former l'insecte voltigeant,
Celui qui marche et le rampant:
Tout être sage se contente
De son état, et supporte ses maux,
Puisqu'il ne peut changer son existence.
La mienne me plaît fort: je me livre aux travaux
Avec courage, avec constance.
Comme le moucheron, inconstant et léger,
Je ne desire point l'honneur de voltiger.
Vous me plaignez beaucoup? L'ami, je suis heureuse,
Et de votre bonheur jamais ambitieuse.
Il se.pourrait qu'un polisson
Renversât notre fourmilière;
Mais pour détruire un moucheron,
Le sort a plus d'une manière.
Il le prouva dans le moment:
Une hirondelle passe, avale l'imprudent.
XV.
Le Cheval
d'escadron et le Cheval de charbonnier
Parmi tous les chevaux, celui de Charbonnier
Est le plus laid, on ne peut le nier
Maigre, chétif et misérable,
Paissant l'herbe qu'il peut rencontrer sous ses pas,
Jamais ne fait un bon repas.
De châtiment il craint qu'on ne l'accable;
Et cependant son maître un peu brutal,
Lui fait souvent plus de peur que de mal.
Au demeurant, il vit assez tranquille,
Dans la forêt, dans ce paisible asyle.
Un jour un de ces malheureux
Rencontre dans le pâturage
Un coursier fier, superbe et valeureux,
Qui campait dans le voisinage:
C'était un cheval d'escadron,
Ayant pour maître un dragon.
Notre rosse enviait la grace et l'encolure
Du guerrier, son harnois et sa riche parure.
Il l'aborde, et se plaint à lui d'un air chagrin,
Du triste sort que lui fit le destin.
Il est vrai, mon ami, si l'on croit l'apparence,
Répondit le coursier, que je suis très-heureux;
Je suis fort, je suis beau, j'ai tout en abondance;
Bien nourri, bien pansé, décoré tout au mieux;
Mais je ne suis qu'un bel esclave,
Au caprice d'un cavalier,
Et qui pis est, vaillant guerrier;
Malgré moi je dois être brave.
Les éperons aux flancs, on me mène aux combats;
Moi qui n'ai rien à voir, à ces sanglans débats
J'ai reçu plus d'une blessure.
Oui, mon cher ami, je te jure,
Que j'estimerais mieux porter sac à charbon,
Que d'être cheval d'escadron.
Comme il parlait ainsi, la trompette guerrière
Annonce une action terrible et meurtrière.
Soudain le brave cavalier
Arrive et monte son coursier.
Il fond sur l'ennemi: bientôt la canonade,
Trompettes et tambours, clairons et fusillade,
Font retentir les airs: dans ce moment affreux,
Unboulet part, atteint le cheval malheureux,
Le renverse mort sur la place.
Pendant tout le combat, dans le creux d'un rocher
Le rossinante avait su se èacher;
Mais après l'action, quand il vit la disgrace
De celui dont naguère il enviait le sort,
Il sentit bien qu'il avait tort;
Que l'état d'un guerrier est un état fort traître;
Qu'il valait mieux porter le charbon de son maître.
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