I.
L'Eau d'un ardin d'agrément et l'Eau d'un potager
Dans un jardin, de pur amusement,
Une eau se variait dans son cours agréable;
Cascade jaillissante, et par-tout admirable;
Son éclat décorait le lieu le plus charmant;
Puis se précipitant, elle prenait sa course,
Pour se rendre en un fleuve assez près de sa source.
Chemin faisant, elle vit serpenter
Un ruisseau très-humble et paisible,
Qui venait d'arroser, bienfaisant et sensible,
Les plantes d'un potager.
Après ce bienfait salutaire,
Doucement dans le fleuve il allait se verser;
Mais l'orgueilleuse du parterre
Arrête un cours précipité, bruyant,
Tient au ruisseau ce discours arrogant:
Oses-tu bien sur moi prétendre l'avantage?
Moi qui sors d'une source où l'éclat brille aux yeux,
Des plus beaux ornemens de marbre précieux;
Moi, dont la gloire sans partage
Est de parer le domaine des dieux:
Puis je descends et j'embellis encore
Les conques des tritons: de la déesse Flore
J'arrose et fais croître les fleurs;
Ainsi partageant mes faveurs,
Dans de vastes bassins je fournis la pâture
Aux poissons indiens, vêtus d'or et d'azur.
Quelquefois m'élevant d'un jet rapide et sûr,
Je tombe en diamans sur la riche verdure;
Etrivale d'Iris, les rayons du soleil,
Ce dieu que les Incas adorent,
D'un éclat brillant et vermeil,
En me pénétrant, me colorent.
Pendant tous ces hauts faits, dis-moi, que faisais-tu?
Par quelle audace as-tu donc prétendu
Mêler avec mes eaux ton onde misérable,
Et profaner ainsi ce fleuve respectable?
A ce trop fier discours le ruisseau répondit:
Des fameux exploits que tu vantes,
A ton tour, réponds-moi, quel en est le profit?
Quels sont les fruits formés par tes eaux bienfaisantes?
Apprends qu'un ruisseau misérable
Fait croître tous les jours les fruits, les végétaux,
Les plantes salutaires, et qu'il est préférable
A l'éclat séduisant, aux fracas de tes eaux.
L'orgueilleuse ne put répondre:
Cet argument venait de la confondre.
Elle écume de rage, et tombe en murmurant
Dans ce beau fleuve, et dès l'instant
Se confond au ruisseau dans cet espace immense.
Le bon esprit, l'homme qui pense,
Comme l'humble ruisseau, réglé dans ses desirs,
Préfère le travail à tous les vains plaisirs.
II.
Le Bœuf sur le retour
Un vieux bœuf, languissant et maigre,
Etait accablé de travaux;
Son maître, d'une humeur très-aigre,
Le maltraitait beaucoup: de tous les animaux
Il se trouvait le plus à plaindre.
Sans force, on voulait le contraindre
A tirer la charrue: un terrible aiguillon
Ne pouvait rendre l'action
A ce corps chétif et débile.
L'agriculteur,à son profit habile,
Voyant son bœuf dans un si triste état,
Le délivre du joug, âpres le fait conduire
Dans un bon pâturage: il a ce qu'il desire.
De son bonheur le résultat
Fut de faire oublier charrue et labourage,
Les mauvais traitemens de son dur esclavage.
Heureux dans ce séjour nouveau,
Bientôt il devint gras et beau.
Dans son ivresse peu commune,
Tous les jours et tous les instans,
Il bénissait l'auteur de sa bonne fortune,
Oubliant les rigueurs qu'il eut en d'autres tems;
A tous ses compagnons il en faisait l'éloge.
Séduit par l'apparence, ainsi le malheureux
Ignorait l'empire affreux
Que l'homme trop cruel s'arroge
Sur l'animal paisible et confiant.
Le laboureur voyant dans la prairie
Son bœuf très-gros et bien portant,
Le vendit: un tyran lui fit perdre la vie.
Vous dont les plus beaux jours passés dans les malheurs,
Si la fortune enfin, lasse de ses rigueurs,
Paraît à vos voeux plus propice,
De l'ingrate craignez le funeste caprice.
III.
L'Enfant,
les deux Arbres en fleurs et le vieux Pasteur
La trompeuse beauté passe et s'évanouit;
On l'admire au matin, le soir elle s'enfuit.
Tircis encor dans son enfance,
En fit la dure expérience.
La mère du jeune pasteur
Un jour lui présente un vase,
En lui disant à-peu-près cette phrase:
Mon fils, cours, cherche un acheteur:
Au meilleur prix vends ce lait à la ville:
Songe que le travail ne cesse d'être utile.
L'homme endure ses maux, s'accoutume à la sueur;
C'est ainsi que le pain se gagne:
Va promptement, traverse la campagne.
L'enfaut ignorait le chemin;
Il tremble de son entreprise,
Obéit cependant, et part d'un air chagrin.
Mais au milieu des champs, quelle fut sa surprise!
Il trouve un carrefour, des chemins différens
Qui tous conduisent à la ville.
Pour s'y rendre il est fort tranquille,
Mais non pour le retour. Après quelques instans
De crainte et de terreur, enfin il se résigne:
Par-tout, des yeux il cherche un signe
Qui puisse le guider, sans embarras nouveau,
A retrouver le soir le chemin du hameau.
Il apperçoit sur le bord du passage
Le moins connu, le plus embarrassant,
Deux beaux arbres en fleur, il se croit triomphant;
L'espoir renaît à cet heureux présage;
Sa joie éclate, il dit tout transporté:
Le voilà ce signe immanquable;
Puis se remet en route, arrive à la cité.
La fortune très-favorable
Du voyageur remplit l'objet,
Le pasteur vendit bien son lait.
Après retournant au village,
Il vit, passant au carrefour,
Tous les arbres pareils, uniforme feuillage.
Les aquilons avaient joué ce tour;
Ils avaient abattu d'un soufle furieux
Les fleurs qu'il présumait lui servir de balise:
Il ne.peut revenir d'une telle surprise.
Hélas! que je suis malheureux!
Disait-il; j'ai perdu mon unique espérance!
Où porter mes pas incertains?
Il gémit, pleure, et par sa doléance,
Ses cris plaintifs, appelle des humains
Qui puissent le tirer de ce péril extrême.
Le bruit de sa douleur perce jusqu'au séjour
D'un vieux berger, du bon Damete même,
Qui pour les malheureux plein de zèle et d'amour,
S'offre de la meilleure grace
De consoler, d'être le conducteur
De notre jeune pasteur,
Qui l'accepte et lui rend grace.
Ce bon guide, chemin faisant,
Lui dit: une autre fois tu seras plus prudent.
Ces fleurs qui paraissaient si belles, si brillantes,
Niétaient qu'images séduisantes
De la beauté trompeuse, et que frivolité:
Le tronc pour signe avait plus de solidité.
Reçois encor cet avis salutaire:
Il ne faut pas compter sur promesse légère:
Apprends, mon fils, que très-souvent
Autant en emporte le vent.
IV.
La Fille sauvage
les Portraits et le Miroir
En Afrique, autrefois, dans un certain parage,
Un vaisseau français aborde.
Certaine isle qu'il rencontra.
Le capitaine vit une fille sauvage,
Sans respect pour la liberté,
De l'enlever il se propose,
Et comme de son bien, sans façon il dispose.
Malgré son teint d'ébène et ses yeux en fureur,
Et bien que laide à faire peur,
Elle passait dans ce pays barbare
Pour être belle, inspirait de l'amour.
Le petit dieu souvent est très-bizarre.
Notre Africaine, plus d'un jour,
Dans un ruisseau clair et limpide,
Apprit à distinguer de ses traits la valeur;
Et celui qui n'eût pas témoigné son ardeur,
Près dlelle eût pass! pour stupide.
Le capitaine un jour offre à ses yeux
Plusieurs portraits, la plus riche peinture,
Pensant, à cette fille,enfant de la nature,
Faire admirer ces tableaux précieux.
Qui le croirait? ils lui semblent affreux;
Elle riait de la délicatesse
De tous ces traits et de leur gentillesse.
Quelqu'un lui présente un miroir;
Elle crut que c'était un beau portrait tout noir;
Mais se reconnaissant, vois ce charmant visage,
Dit-elle avecfierté: de la beauté, je gage,
Qu'il exprime mieux la valeur
Que tous ces minois blancs qui ne sont que fadeur.
Notre amour-propre est le juge ordinaire
Que nous consultons: pour nous plaire,
A nos goûts, nos penchans, il faut s'assimiler,
Etre de notre avis, enfin nous ressembler.
V.
Le Philosophe et le
Paysan
Un citoyen peu riche avait passé sa vie
A cultiver les arts et la philosophie.
Son cœur et son esprit, par des livres fort beaux,
S'étaient rempli de systèmes nouveaux,
Qui lui semblaient vérité toute pure,
Et devant énoncer le vœu de la nature.
Il lui tardait de saisir les instans
De pouvoir appliquer tous ces beaux sentimens.
A la mort d'un parent, il eut pour son partage
Un domaine; content de ce bel héritage,
Il le parcourt, et voit avec étonnement
La plante naturelle enlevée à la terre,
Proscrite avec mépris: il appelle à l'instant
Le laboureur, lui dit, presqu'en colère,
Je vois que dans les champs vous ne comprenez rien
Aux travaux de l'agriculture;
Comment! ne savez-vous pas bien
Que tout au miéux se fait dans la nature?
Ces plantes ciné vous enlevez,
Sont ses enfans ne lui sont pas moins chères
Que celles que vous cultiveiz;
Et je prétends désormais dans mes terres
Etablir un ordre nouveau;
Par sa variété nature est embellie:
Je veux que le chardon, l'ivraie et le barbeau,
Croissent ensemble: ah! quelle barbarie
De les exclure avec tant de fureur!
Voilà, répond le laboureur,
Un commandement fort étrange;
En le suivant, on renverse, on dérangé
L'art du cultivateur: le bled si précieux,
Ce végétal le plus utile,
Ne sera plus qu'une plante stérile.
--- Encore un coup, mon ami, je le veux.
Par vos exclusions, à justicecontrajre,
Vous avez fait du bled le tyran ordinaire
Des autres plantes du canton:
Cela répugne à la raison.
Retiens la maxime superbe,
Qu'il n'est aucune espèce d'herbe
Qui ne soit chère au créateur,
Au philosophe; et que c'est une erreur
De penser autrement: l'arracher est un crime;
Vous m'entendez? plus de victime:
Ainsi, que dorénavant,
En liberté tout croisse également.
Le fermier obéit, les plantes parasites
Couvrent les champs: leurs fâcheuses visites
Enlevèrent au bled sa substance; il languit,
Il sèche, il meurt, tout espoir est détruit.
Le paysan n'osait plus reparaître:
Cependant il porte à son maître
Cette nouvelle et sa douleur.
D'où peut provenir ce malheur
Et cette étrange catastrophe?
Dit promptement le philosophe:
Par la grêle mes champs seraient-ils ravagés?
Un orage violent les a-t-il submergés?
Un vent impétueux, l'aride sécheresse,
Ou la voracité de quelques animaux,
Ont-ils enfin causé notre détresse?
--- Non, non, ce n'est aucuns de ces fléaux.
--- Quelle est donc la raison, dites-moi, je vous prie?
--- La raison? c'est, monsieur, votre philosophie.
VI.
Le Berger et le Rosier
Le jeune berger Clitendre
Cultivait un rosier charmant;
Il chérissait beaucoup sa fleur vermeille et tendre,
Et la cueillait avec empressement.
Très-souvent les épines
Le piquaîent vivement.
Il y prenait peu garde et souffrait constamment
L'atteinte et les douleurs de ces armes chagrines.
La rose, hélas! passe rapidement.
L'arbrisseau dépouillé de sa beauté touchante,
Garde encor son arme piquante:
Le berger la sentit un jour cruellement,
En cueillant tout auprès une plante sauvage.
Du rosier il avait supporté les rigueurs,
Quand il était décoré de ses fleurs;
Mais imligné, furieux, plein de rage,
Quand il le voit privé de ses attraits,
Il coupe l'insolent au niveau de la terre.
C'est aux fières beautés que je lance mes traits;
A vous, dédaigneuse Glicère;
Vous possédez le don de plaire,
Comme le rosier au printems;
Mais songez que bientôt votre automne commence:
Pour être aimable en tous les tems,
Faites provision d'avance
De douceur et d'égalité;
Ne méprisez jamais l'austère vérité.
VII.
Les Oiseaux et les
Poissons
Dans un bosquet charmant, un beau ruisseau limpide
Renfermait dans son sein mille et mille poissons:
Dans ce séjour tranquille où le bonheur réside,
Ces habitans des eaux, exempts de passions,
Vivaient heureux. Un jour, une volée
D'oiseaux de toutes les couleurs,
S'abat sur le bosquet: sur un arbre perchée,
Voyant les paisibles nageurs,
Les habitans de l'air, d'un ton très-ironique,
Leur disaient: je vous plains, tristes individus!
Dans votre séjour aquatique
Quels sont vos talens, vos vertus?
Auprès de qous quel est votre mérite?
Vos vêtemens ont-ils un lustre aussi brillant?
Savez-vous parcourir les airs dans un instant?
Vous élancer hors du sein d'Amphitrite?
Par des accens mélodieux,
Faites-vous retentir les échos du bocage?
Dites-nous donc quel est votre langage;
Mais non, vous ferez beaucoup mieux
De garder un profond silence.
C'est ainsi que tous ces oiseaux,
Remplis d'orgueil et d'ariogance,
Exhalaient leur triomphe aux habitans des eaux.
Leur bruit au loin se fit entendre.
Un chasseur leste accourt, se dispose à surprendre
Les insolens discoureurs:
La foudre part, le plomb s'échappe,
Et plus prompt que l'éclair, il frappe
Au centre des Voltigeurs,
Porte la mort dans la troupe imprudente.
L'un tombe, et tout prêt d'expirer,
Croit encor retrouver une force impuissante.
L'autre chancelle et veut se relever;
Son tourment se prolonge et sa mort est plus lente.
Celui-ci palpitant plonge dans le ruisseau,
Pour éteindre le feu d'une soif dévorante;
Il le teint de son sang, y trouve son tombeau
Enfin, il en est peu qui ne perdent la vie.
O vous que la nature a comblés de ses dons,
Qui vous targuez de vos perfections!
Songez que le mépris, l'orgueil et l'ironie
Sont des vices qui très-souvent
Trouvent un juste châtiment.
VIII.
Le Singe
possesseur d'un sac de noix
et les autres Singes
Sur le balcon d'un palais magnifique,
Un singe était possesseur
D'un trésor vraiment unique
Qui faisait tout son bonheur;
Ce n'était pas de l'or du nouveau-monde,
Ni des diamans de Golconde,
Ni des perles, ni des rubis;
Ce trésor pour le singe était d'un plus grand prix.
C'était un large sac de noix,
Dont il se régalait souvent en tapinois.
Des singes babitans de la forêt voisine,
Qui ne vivaient que de rapine,
Ayant appris qu'un frère grimacier
Ne faisait autre métier
Que de croquer des noix à la douzaine,
Se rendent à perte d'haleine
Dans une cour près du balcon,
Prier leur ami, sans façon,
Cependant avec politesse,
De partager sa richesse:
Mais hélas! ce fut en vain;
Tout singe est gourmand et vilain.
On le flatte, on raisonne, on menace, il s'en moque,
Et de ses noix ne promet que la coque.
Les singes irrités d'un refus si constant,
S'unissent pour tenter l'assaut ou l'escalade.
Notre héros se barricade
Pour se défendre vaillamment.
Du siège il craint peu la durée;
Son sac est plein de traits qu'une main assûrée
Lance à ses fiers ennemis.
De tant de résistance ils demeurent surpris.
Chaque noix prouve son adresse,
Frappe les combattans avec tant de rudesse,
Qu'ils n'osent plus hasarder
Le projet d'escalader.
Après une longue bataille
Qui ne valut à la canaille
Que mainte contusion,
Elle s'enfait avec confusion.
L'heureux vainqueur, dans l'excès de sa gloire,
A la fortune rend grace de la victoire;
Mais sitôt qu'il jette les yeux
Sur le cher màgasin, il n'est plus si joyeux;
Son bonheur se change en tristesse;
Ses ennemis fuyant emportent sa richesse;
O mortels insensés! quelle est votre fureur!
La victoire souvent mine le vainqueur:
C'est le moindre des maux que répand sur la terre
Un fléau que l'enfer vomit dans sa colère.
IX.
L'Enfant et l'Oiseau
Un oiseleur fit présent
A son enfant
D'un oiseau qu'il venait de prendre.
Transporté d'un plaisir que je ne saurais rendre,
L'enfant voulait toujours l'avoir auprès de lui;
Il l'appellait son bon ami,
Ne voyait rien de plus aimable,
De plus joli, de plus intéressant.
Cet oiseau très-reconnaissant,
Comptait mener une vie agréable,
Puisqu'il était si tendrement aimé,
Et de son sort il se trouvait charmé.
L'aimable enfant, dans son ivresse,
Carressait du soir au matin
Le favori, le mettait dans son sein;
Mais quel chagrin! par excès de tendresse,
Dans trois jours il mit au tombeau
Son ami, ce pauvre oiseau.
Amour! si la raison ne préside à ta chaîne,
Tes plus tendres effets ressemblent à la haîne.
X.
Le Pilote et le Dauphin
Que je plains le nautonier!
Que souvent dans ce métier
Il affronte la mort par de fréquens naufrages!
D'y renoncer les hommes seraient sages;
Mais l'intérêt, l'ambition,
La gloire, et cette passion
De dominer sur un autre hémisphère,
De visiter isles et çontinens,
Pour asservir les pauvres habitans
Et les plonger dans la misère,
En leurportant le vice, et tous les maux
Qu'ils ignoraient dans ces mondes nouveaux!
De cette ambition qu'il croit très-légitime,
L'Européen ardent est souvent la victime;
Et l'apologue qui suit
Le prouvera, si je l'ai bien'écrit.
Sur une mer trèsaorageuse,
Une tempête furieuse
Un jour engloutit dans les flots
Une barque et les matelots.
Le pilote lutait contre une mort certaine;
Dans ses gémissemens, ses plaintes, sa douleur,
Il s'exprimait ainsi: ciel! quel est mon malheur!
Vois mon tourment! prends pitié de ma peine!
Mon épouse chérie et mes pauvres enfans,
Je ne vous verrai plus, je meurs dans peu d'instans:
Qu'allez-vous devenir? quel état misérable!
Ah! si du moins quelqu'ame charitable
Avait pitié de vous! . . . ô destin rigoureux!
Si je pouvais encor leur faire mes adieux,
Les serrer dans les bras d'un époux et d'un père!
A ces mots il succombe, il est prêt d'expirer.
Un dauphin généreux entendit sa prière,
L'élève hors des eaux; le faisant respirer,
Le même promptement sur le bord du rivage.
Il rendit grace au ciel. Echappé du naufrage,
Il revoit sonlogis, sa femme, ses enfans,
Exprime son amour par ses embrassemens.
Biais à peine a-t-il pris le repos nécessaire,
Que cédant à l'ardent désir
De réparer sa perte, il médite une affaire,
Et prit un très-grand plaisir
A construire une autre barque
Sur laquelle il se rembarque,
Le cœur joyeux et content,
Sur le perfide élément.
Il s'assied sur la proue, et souriant, menace
L'ouragan qui s'élève, et vainement retrace
A son esprit le danger précédent.
Le destin a prouvé qu'il m'était favorable;
Rien, disait-il, ne peut m'épouvanter.
Dans ce moment un orage effroyable
Se forme; il est prêt d'éclater:
Jupiter irrité, manifeste sa haine:
Un vent furieux se déchaîne;
Le tonnerre grondant retentit dans les airs;
Le ciel est embrâsé par d'horribles éclairs:
La vague se grossit, écume, enlève et brise
La barque sur un rocher,
Plonge encor dans les flots le malheureux nocher.
Il se repent, maudit sa funeste entreprise;
Pousse dans l'air de longs gémissemens:
L'infortuné pleure, il appelle
Le dauphin généreux, qui l'entend; mais rébelle
A ses cris, à ses pleurs, répond: il n'est plus tems:
Ton ambition, téméraire,
T'a fait abuser des faveurs
De la fortune salutaire;
Des flots éprouve la rigueur:
Tu périras, puisque l'expérience
Du malheur qui pensa ravir ton éxistence,
Ne t'a point corrigé: ce naufrage nouveau
Fixe ton sort; la mer doit être ton tombeau.
XI.
Les deux Chiens, le
Loup et le Troupeau
Deux chiens braves et courageux
Gardaient une bergerie;
D'une lice ils étaient l'un et l'autre amoureux.
Bientôt l'affreuse jalousie
Fit de nos deux rivaux de cruels ennemis.
Dans la rivalité jamais on ne s'accorde;
Le sexe fut toujours la pomme de discorde.
Le cartel proposé, le combat est admis:
C'était le vrai moyen de vider la querelle;
Et l'on convient que la belle,
Après le combat singulier,
Couronnera le plus vaillant guerrier.
La nuit vient; elle fut choisie:
Les deux mâtins arrivent en furie;
Animés de rage et d'amour,
Ils se terrassent tour-à-tour.
Chacun de sa dent cruelle
Déchire son rival: par-tout le sang ruisselle.
Dans ce moment, un loup rusé veillait;
Tout prêt de là doucement il rodait:
Il voit le bercail sans défense,
Profite de l'instant, et d'un saut il s'élance
Sur le malheureux troupeau.
Quel funeste réveil et quel affreux martyre!
Il pille, il mord, il égorge, il déchire
Les moutons, les brebis, jusqu'au plus tendre agneau.
Craignez la: discorde en furie,
Défenseurs de l'état: cimentez l'union.
Votre ennemi n'attend que la division:
S'il vous surprend, c'est fait de la patrie.
XII.
Le Papillon et l'Enfant
Un papillon charmant voltigeait dans les airs;
Par ses tours légers et divers,
Tantôt il s'élevait vers la voûte azurée,
Et tantôt il rasait la prairie émaillée.
Un enfant attentif à tous ses mouvemens,
Le regardait d'un œil d'envie,
Le suivait pas-à-pas, épiait les instans
De le voir se fixer sur l'herbette fleurie.
Las à la fin de voltiger,
Sur une fleur il se repose.
L'enfant, d'un pas lent et léger,
Approche doucement; son cœur palpite, il n'ose,
Et prêt à s'élancer, craint que le mouvement
Fasse partir l'insecte; enfin sa main avide
Saisit la fleur, l'arrache promptement
Avec le papillon; mais hélas! le perfide
Le serre si cruellement,
Que dans l'instant il expire.
L'enfant l'ignore: enivré de plaisir,
Il court à ses amis; dans son charmant délire,
Leur dépeint le trésor qu'il venait de ravir.
Ce sont ailes d'azur, une pourpre éclatante,
Un corsage tout d'or, la tête plus brillante.
La main de notre aimable enfant
S'ouvrit enfin; mais quel tourment!
Il ne voit plus qu'un ver informe,
Une poussière, où l'émail si brillant
Se confond, disparaît, en néant se transforme.
Le papillon pressé par la main de l'enfant,
Nous peint des vains plaisirs l'éclat faux, le néant.
XIII.
La Solive dorée et
la Solive des toits
Dans un très-beau palais régnait sur le plafond
Une solive artistement taillée,
Couverte d'ornemens, peinte et très-bien dorée.
Si belle, elle honorait d'un mépris très-profond
La solive des toits, lui disait des injures,
En se servant d'épithètes fort dures.
Après, d'un petit air railleur,
En ricannant avec hauteur,
Disait: ma chère, allez décorer la cabane
De la simple paysanne:
Sous le chaume on est fort heureux;
Vous êtes pour cela faite on ne peut pas mieux.
La solive des toits garde avec patience
Le sang-froid et le silence.
Importunée enfin de ces mauvais propos,
Elle répond en peu de mots:
Je ne veux point disputer sur vos charmes;
A la beauté je rends les armes;
Mais je voudrais que l'on vous dépouillât
Des ornemeus, de l'or, de la peinture
Qui composent votre parure;
Que sans prévention, ensuite on nous jugeàt:
Après cette utile réforme,
Nous verrions qui des deux a la plus belleforme.
Ce mot un jour fut riposté
Par une paysanne, avec simplicité,
En réponse au mépris que lui marquait sans cesse
Une dame affectant le ton d'une princesse.
XIV.
Le Cerf chassé de la
forêt,
demandant du secours aux animaux ses voisins
Pluss je connais le monde, hélas! plus je persiste
A dire que par-tout on est fort égoïste.
Le puissant ne s'arme jamais
Afin de protéger le faible qu'on opprime.
Le riche rarement accorde ses bienfaits
Au pauvre, qui du sort est la triste victime.
Le sage est trop prudent et n'ose s'engager
A sauver un ami qui se trouve en danger.
Jadis un jeune cerf en fit l'expérience:
Dans la forêt il vivait dans l'aisance;
Séjour heureux, pâturage abondant;
Sans trouble, il était fort content.
Il se flattait de l'assistance
D'un lion brave et puissant,
D'un taureau très-opulent,
Et d'un renard connu par sa prudence.
De ses trois protecteurs il était le voisin.
Un jour, son malheureux destin
Le fit bannir de son domaine
Par un sanglier fort en peine,
Que des chiens, des chasseurs poursuivaient à grands cris.
L'animal furieux, craignant d'ètre surpris
S'empara de l'humble retraite
Où notre cerf vivait comme un Anachorète.
Ce malheureux s'enfuit près du brave lion
Implorer son secours et sa protection.
Seigneur, dit-il, voici l'instant propice
De me prouver ton zèle et me rendre service.
Un cruel ennemi, sans pitié sans pudeur,
Me chasse: contre lui viens montrer ta valeur.
Le lion répondit: je suis les de combattre;
Dorénavant je veux vivre en repos.
Je vois, hélas! combien il faut rabattre
Des promesses des grands et de leurs vains propos,
Dit le cerf en lui-même:
Peut-être le taureau sera plus complaisant;
C'est mon ami, sa richesse est extrême,
Je dois compter sur lui dans un besoin urgent.
Mais le taureau lui dit: j'ai de la peine à vivre,
Je ne saurais te secourir;
Je suis las, laisse-moi ruminer et dormir.
Et deux, disait le cerf: quel chemin dois-je suivre?
Le puissant m'a privé de sa protection;
Me riche, malgré sa promesse,
Me manque dans l'occasion;
Peut-être que, dans ma détresse,
Le sage au moins ne refusera pas
De me donner un conseil salutaire;
Je vais le trouver de ce pas.
Du renard lesternent il court à la tanière,
Lui dit: votre sagesse est connue en tous lieux;
Je viens vous consulter: quel parti dois.je prendre?
Dans un réduit j'étais on ne peut mieux,
Un ennemi féroce est venu me surprendre,
Et m'a contraint d'abandonner. . . .
Cela suffit; je ne peux vous entendre,
Répondit le renard, veuillez me pardonner:
Tous les momens sont chers, je ne saurais suspendre
Un travail précieux; ne m'interrompez plus;
Vos discours seraient superflus,
Votre présence m'importune.
Le malheureux, cédant aux coups de la fortune,
S'en alla chagrin et confus,
De tous ses faux amis oublier le refus.
Chemin faisant il disait en lui-même:
Sages, riches, puissans, pourquoi profanez-vous
Le nom d'amis? Ce sentiment si doux
Qui faisait le bonheur suprême,
Est maintemant étranger parmi nous.
XV.
La
Chenille qui desire devenir papillon
Une chenille jeune encor,
Mais affreuse, rampant sur l'herbe,
Voyait avec dépit un papillon superbe,
D'un éclat plus brillant que l'or,
Voltiger sur les fleurs de plus belle en plus belle.
La noire jalousie alors se renouvelle.
Ne verrai-je bientôt arriver le moment,
Disait-elle, où semblable au papillon charmant,
Je pourrai comme lui, de mon aile légère,
Parcourir l'air, voltiger sur les fleurs,
Dont aisément j'obtiendrai les faveurs;
Et dans ma course passagère,
Visiter des climats heureux,
Pour me venger de l'état ennuyeux
Qui me contraint de ramper sur la terre?
Il arriva ce jour prospère
Où l'insecte enfermé dans l'étroite prison,
Se transforme bientôt en joli papillon.
Enchanté du nouveau prodige,
Il part, il s'élance, il voltige;
Toujours charmant, toujours en action,
Il met les fleurs à contribution.
L'infortuné, dans son délire,
Ne savait pas que son empire
De peu de jours, allait finir.
Soudain la rapide vieillesse
Le frappe, il ne fait que languir.
Prêt à périr, accablé de tristesse,
Il dit: j'ai désiré cet état glorieux;
Je l'obtiens, mais je meurs, que mon sort est affreux!
Courtisans, c'est à vous que ma fable s'adresse:
Vous ne trouvez de vrai bonheur
Que dans les dignités, les honneurs, la richesse:
Vous parvenez au sein de la grandeur;
Mais ce n'est que le fruit d'une lente vieillesse.
Bientôt du papillon vous subirez le sort,
Tout votre éclat doit céder à la mort.
XVI.
Les Oiseaux de nuit
qui abandonnent leur repaire pour vivre dans
les bois
Des chouëtes et des hibous
Habitaient une roche antique:
Dans un si triste rendez-vous,
Tout le jour ils menaient une vie apathique.
Ce lieu sombre était à l'abri
Des surprises de l'ennerni,
Des orages et des tempêtes.
Souvent ils voyaient sur leurs têtes
Des bécasses et des perdrix
Qui d'un vol assûré dominaient sur la plaine:
D'un essor si brillant ils demeurent surpris;
Ce triomphe excite leur haine;
Ils prétendent les imiter.
L'orgueil bas et jaloux s'irrite
De trouver en autrui la vertu, le mérite.
Nos stupides reclus voulant donc s'égaler
A ces oiseaux qui, d'une aile légère,
Parcouraient dans les airs une vaste carrière,
Sortent du creux de leur rocher,
Et vont tout droit se nicher
Dans un grand bois: ce nouveau domicile
Etait plus beau, plus gai; mais peu sûr, moins tranquille:
Aussi dès le lendemain,
Pour avoir préféré l'agréable au certain,
Ils sont livrés à la funeste guerre
Qu'un chasseur avec passion
Faisait au gibier du canton.
Les chiens ayant flairé cette race étrangère,
Ces oiseaux ténébreux, les forcent à voler.
Du soleil éclatant, la trop vive lumière
Les contraignit bientôt de fermer la paupière,
Et d'un vol incertain les arbres vont heurter;
Ils tombent presque morts, et trop tard se repentent
D'une folle présomption.
C'est ainsi que l'orgueil, l'aveugle ambition,
Perdent souvent les êtres qui prétendent
S'élever sans talens aux grades supérieurs,
Parvenir sans vertus aux faites des grandeurs.
XVII.
La vieille
Muraille et le Lierre
Reste d'un monument élevé pour les dieux,
Autrefois dans la Grèce, au pays de l'Attique,
Il existait une muraille antique
De marbre le plus précieux:
Jadis elle fut décorée;
Mais de ses ornemens elle était dépouillée.
Privée aussi de ses vives couleurs,
Et rappellant à sa mémoire
Les plus beaux joùrs de son histoire,
Ce souvenir excitait ses douleurs
De son délabrement funeste,
Et de sa beauté l'affreux reste,
Elle accusait hautement le destin.
Un jour exbalant son chagrin,
Elle apperçut un jeune lierre:
Ce fut un grand trait de lumière;
Elle dit: l'arbrisseau que je vois près de moi
Pourrait-il pas s'acquitter de l'emploi
D'orner et de cacher ma figure difforme?
Et par cette utile réforme,
Je serais supportable aux regards du passant.
Soudain au lierre naissant
Elle offre un soutien, un asyle.
L'arbuste obligeant et docile,
Accepte; il établit ses longs bras tortueux
Sur ce corps usé, raboteux,
Le couvre entièrement de sa riche verdure.
L'antique se plaisait sous cette couverture;
Mais cette plante serpentant,
Dans les fentes s'insinuant,
Ebranle bientôt l'édifice;
Et la muraille apprit que l'artifice
Ne soutiendrait que peu de jours
Les restes ruinés d'une faible existence;
Elle se repentit, mais trop tard, du secours
Qui détruisait sa plus chère espérance.
La morale aisément se pourrait appliquer;
Mais au sexe parlende vieux ans, de ravage,
De traits enluminés . . . . Taisons-nous; ce langage,
A coup sûr, déplairait, je n'ose m'expliquer.
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