Livre VIII.
Livre Huitième

 

Livre VII.
Livre Septième

 
Le Renard et le Mouton, juges des autres animaux
Le Lion, le petit Chien, le Tigre, et les...
La Bergère, les Roses et les Fleurs des prés
Zéphyre et Borée
Le Rossignol et le Serin
Le Chardonneret, les autres Oiseaux et le...
Le Berger, la Bergère et le Cerf...
Le vieux Cheval et l'Ane
La jeune Fille et le Peintre
Le Villageois et les Abeilles
Le Taureau, le Cheval, le Renard et le...
Les Yeux, les Lèvres de Zulima et...
Le Jasmin et le Tournesol
Le Berger et le vieux Loup
La Villageoise et l'Habitante...
Les deux Chats
L'Hirondelle et le Moucheron

 

I.
Le Renard et le Mouton, juges des autres animaux

Dans un canton, d'animaux trèsapeuplé,
              Formant une république,
        Un jour sur la place publique
        Tout le peuple était assemblé
              Pour nommer un premier juge.
        Par le scrutin, en liberté,
        Au renard la charge s'adjuge,
        A la grande majorité.
        On le croyait prudent et sage;
   Mais à l'odeur des poulets, du fromage,
        Grands sujets de corruption,
        Ses jugemens étaient iniques;
   Il ne suivait que de fausses pratiques,
        N'écoutait ni loi, ni raison.
Le peuple connaissant son erreur et sa faute,
        Combien la sottise était haute
        D'avoir nommé juge un fripon,
   Dépose le renard et choisit un mouton.
              Sa douceur passait en proverbe;
              Mais il faisait grace au méchant,
              Laissait opprimer l'innocent.
              Ce choix que l'on croyait superbe,
              Fit bientôt voir que la bonté
       Ne suffit pas sans la capacité;
       Qu'un juge peut, être humain, doux, aimable;
Mais qu'il faut être intègre et punir le coupable.

II.
Le Lion, le petit Chien, le Tigre et les autres animaux

        Un vieux lion, guerrier très-valeureux,
Exerçait en Afrique un souverain empire
Sur tous les animaux de ces déserts affreux.
Pour se désennuyer, quelquefois le beau sire
Se dérobait aux soins de son gouvernement
Et s'amusait des tours et de la gentillesse
D'un petit chien rusé, mais fort impertinent,
              Qui savait plaire à son altesse.
        Les courtisans applaudissaient au choix,
Louaient le favori, exaltaient à-la-fois
        Tous ses talens, sa beauté, son génie;
Cependant le voyaient avec un œil d'envie.
Le roquet enivré de sa haute faveur,
        Jappait souvent d'une voix aigre, altière,
Contre les animaux ce mettait en fureur.
Le tigre, en murmurant, réprimait sa colère,
              Les panthères, les léopards
              Recevaient l'insulte en silence,
              N'osaient même par leurs regards
Exprimer leur mépris de tant d'impertinence.
A la cour, tout flatteur est souple, complaisant,
              Adulateur, faux et rampant.
Le lion accablé d'une extrême vieillesse,
      Paya bientôt le tribut à la mort.
Les féroces sujets arrivent; l'on s'empresse,
              Avec un généreux transport,
De rendre au souverain les honneurs funéraires.
Le petit chien voulut, par ses cris ordinaires,
              Importuner les courtisans;
              Mais les tems étaient différens:
Le despote était mort, adieu la complaisance;
       Elle fit place à l'indignation:
              Le tigre, sans rémission,
Déchire le roquet, assouvit sa vengeance,
       En l'immolant aux mânes du lion.
La morale s'entend sans explication.

III.
La Bergère, les Roses et les Fleurs des prés

              Philis parait ses blonds cheveux
              Des fleurs brillantes du parterre
              Et d'un parfum délicieux:
              Des mêmes fleurs, cette bergère
                 Formait encore un bouquet
              Pour orner son joli corset,
              Rejettant avec ironie
              Les simples fleurs de la prairie.
              Les roses fières sur son sein,
              Se gonflaient d'orgueil et de gloire,
              Redoublaient l'odeur, à dessein
                 De conserver la victoire.
              Mais, ô ciel! Philis à l'instant
              Sentit un mal-aise, un tourment;
Son visage est couvert d'une pâleur mortelle;
              Sa voix s'éteint, elle chancelle:
              Un mal douloureux et pressant
        Fait appeller un médecinhabile.
        Il vient d'un air grave et tranquille,
Rassure la beauté, la console, en disant:
              Philis, le gros bouquet de rose
              De la maladie est la cause,
Par l'exeès de l'odeur sur vos nerfs délicats.
        Pour éviter ce dangereux fracas,
              Des fleurs faites le sacrifice.
La bergère suivit l'avis sage et propice,
              Et la santé se rétablit.
        Le lendemain, c'était jour de férie,
Dès le matin Philis alla dans la prairie
              Où sans danger elle cueillit
              Des fleurs de la simple nature,
        Dont elle orna sa blonde chevelure.
        Amans, craignez l'amour impétueux;
              Son excès vous rend malheureux:
       S'il est constant, sa flamme est douce et pure;
Telle est la fleur des champs, sans art, que la nature;
Mais s'il est violent, orageux, emporté,
              Il est bien près de l'infidélité.

IV.
Zéphyre et Borée

             Dès le matin, avant l'aurore,
             Zéphyr, l'amant chéri de Flore,
             Sortit du ténébreux séjour
             Ou le dieu des vents tient sa cour.
             Son frère, le cruel Borée,
             Dès que sa chaîne fut brisée,
Le suit de près, se répand dans les airs,
En méditant ses ravages divers.
             A peine l'aimable Zéphyre
       Avait-il entendu le chant mélodieux
             De tous les diseaux amoureux,
             Célébrant à l'envi l'empire
        Du dieu charmant qu'on nomme Amour,
             Se réjouissant du retour
De l'astre bienfaisant, père de la nature,
       Qu'il apperçut de l'aurore les pleurs
             Empreintes sur les tendres fleurs
             Et sur la riante verdure;
             Alors de son souffle léger
             Il s'amuse à les diviser
                En mille étoiles brillantes;
       Puis tour-à-tour il carresse les fleurs;
             Et partageant ses faveurs,
             A leurs tiges blanchissantes
             Il donne un nouvel éclat.
             Cependant le cruel Borée,
             Parcourant le vaste empyrée,
Balançait sur le choix d'un nouvel attentat:
       Tantôt il plane au-dessus des montagnes,
             Méditant la destruction
                 De quelque riche canton
                 Dans les fertiles campagnes:
             Tantôt il tourne vers la mer,
             Forme le projet de s'armer
De nuages pèsans pour donner la tempête;
        Mais incertain où frapper, il s'arrête,
             Et promenant son regard,
             Il apperçut par hazard
             La prairie où le Zéphyre
             Voltigeait en liberté.
         En lui-même il se mit à dire:
      Puisque mon frère avec légèreté,
      Peu de moyens, fait de cette prairie
             L'asyle où règne le plaisir,
             Combien elle doit s'embellir,
Si de la visiter il me prend fantaisie!
             Alors d'un souffle vigoureux,
Je ferai son bonheur, je comblerai ses vœux.
Laissons la mer tranquille, éloignons la tempête,
       Et que la terre à mes faveurs s'apprête.
Il dit, et s'élançant des airs rapidement,
Il tourne avec éclat vers la belle prairie:
             De sa froide haleine, en furie,
Il renverse, il détruit, brise dans un instant
Arbres, feuilles et fruits; il porte la détresse
             Par-tout où sa fureur s'adresse.
Craignez d'un ennemi les soins officieux;
S'il feint de vous servir, il est plus dangereux.

V.
Le Rossignol et le Serin

             Tout être abhorre l'esclavage.
Un pauvre rossignol se trouvait enfermé
             Depuis deux jours dans une cage;
Il se désespérant, et de rage animé,
Befusait constamment les soins, la nourriture,
De sa tête il frappait les bords de sa prison,
             Desirant avec passion
       La liberté, ce vœu de la nature.
             Près de lui logeait un serin,
Qui touché de son sort, voulut, en bon voisin,
Lui donner avec zèle un conseil salutaire.
Sans raison, lui dit-il, tu te mets en colère:
Tes efforts impuissans et tes tourmens divers
Sont superflus; jamais tu ne rompras tes fers:
Déjà du désespoir tu supportes la peine;
Je vois couler ton sang, ton plumage est rompu:
       Puisque ton espérance est vaine,
Souffres patiemment, le destin l'a voulu:
             Suis mon exemple, sois tranquille.
Né libre comme toi, dans mon petit asyle,
             Jeune imprudent, je fus surpris:
       De liberté je connais tout le prix;
Mais hélas! ne pouvant sortir de l'esclavage,
       Je me résigne, et c'est un parti sage.
Un discours si prudent ne put persuader
       Le rossignol qui voulait s'évader;
       Il redoubla de colère et de rage
Et fit tous ses efforts pour s'ouvrir un passage;
             Enfin, dans un cruel transport;
D'un coup trop violent il se donna la mort.
      Du malheur, quelqu'en soit la cause,
Supportons les décrets d'un destin rigoureux.
             Le cruel désespoir expose
             A des maux encor plus affreux.

VI.
Le Chardonneret, les autres Oiseaux et le Chasseur

             Un chardonneret très-rusé
             Passait par hazard dans un pré,
Au moment qu'un chasseur serrait dans une cage
Des oiseaux attirés par ses appâts trompeurs,
             Qu'il condamnait à l'esclavage.
Le chardonneret vit les filets destructeurs,
Se promit d'éviter le piège trop perfide;
                 Mais dans un esprit léger
             Rarement la raison préside.
             L'oiseau fier d'avoir su juger
             Les secrets du chasseur habile,
             Se crut un sage très-savant;
       Et comme tel, voulut se rendre utile,
             Et donner un conseil prudent
Aux oiseaux qu'il voyait dans le danger extrême
Qui menaçait leurs jours, au moins leur liberté.
Confondre les méchans est un bonheur suprême.
Il part, il fend les airs, comme un trait fut porté
       Sur un buisson; établit sa demure
             Près des filets de l'oiseleur.
Là, déployant sa voix, il chante avec ardeur:
Par ses accens, les oiseaux à toute heure
Reçoivent le conseil, évitent le danger.
Cependant le chasseur, transi près de sa cage,
       Ne voyant plus les oiseaux approcher,
Se doute que quelqu'un a conjure l'orage:
Il cherche, observe tout, promène son regard,
Enfin sur le buisson apperçoit le bavard;
      Conçut très-bien qu'il faisait sentinelle
       Pour avertir des oiseaux la sequelle.
       Ah! nous verrons, dit-il, dans son dépit,
             Nous verrons demain, mon petit,
Si tu sauras jouer une farce nouvelle,
       Ou bien chanter la même ritournelle.
       Le lendemain, avant le point du jour,
Il prépare au chanteur le plus funeste tour:
Il apporte au buisson provision de glue,
Et puis malignement il attend la venue
             Du joli chardonneret.
Dans un instant il vit arriver l'indiscret,
       Qui se remet au poste de la veille,
Et fier de son succès, chante encor à merveille;
             Mais hélas! pour son malheur,
       Il se percha sur un gluau trompeur
          Où soudain il reste immobile.
C'est en vain qu'il étend ses ailes pour s'enfuir,
             Tout effort devient inutile,
             Ne sert qu'à mieux le retenir;
       L'infortuné succombe à sa faiblesse:
Aussitôt le chasseur à le saisir s'empresse,
             Le met en cage en lui disant:
             Ecoute, petit insolent;
Songer à ses amis dans un péril extrême,
C'est fort bien, mais il faut s'en garantir soi-même.

VII.
Le Berger, la Bergère et le Cerf à l'abreuvoir

Le berger Coridon, Doris sa sœur jumelle,
Tous deux de la beauté, des grâces le modèle,
             Atteigneient cet âge où l'amour
             Règne sur les cœurs sans détour;
Trois lustres et demi: qu'à cet âge on est tendre!
             Doris avait laissé surprendre
             Son cœur par le berger Tircis.
Coridon adorait la blonde Célimène.
Le berger et sa sœur un soir étaient assis
             Non loin d'une claire fontaine;
             Ils attendaient à chaque instant,
L'un sa maîtresse, et l'autre son amant.
             Un nuage épais et sombre
         Couvrait la lune de son ombre
             Et ne laissait échapper
             Qu'une lueur très-obscure.
         Les amans tâchaient de percer
Le voile ténébreux qui cachait la nature.
             Que le tems coulait lentement!
        Ah! qu'il tardait à leur empressement
        De voir l'objet de leur ardente flâme!
        Un bruit léger leur rendit cet espoir,
             Porte le plaisir dans leur âme.
Doris voyant quelqu'un qui semblait se mouvoir,
             Elle observe, son cœur palpite,
             Il craint, il se trouble, il s'agite;
        Sa joie éclate, elle s'exprime ainsi:
        C'est mon amant, cher frère, le voici.
             Coridon à son tour regarde,
Et dit, en souriant, tu te trompes, ma sœur;
             C'est pour moi qu'est un tel bonheur,
               Pour moi Célimène hazarde
             Le péril, l'horreur de la nuit.
--- Célimène? non, non, ton espoir te séduit.
Ne vois tu pas les fleurs dont je fis la couronne
             Que Tircis porté à son chapeau?
             --- Mais, Doris, ton erreur m'étonne;
             C'est plutôt ce charmant cadeau,
Tissu par toi, de fleur et de verdure,
Dont tous les jours elle fait sa parure:
             Ce chapeau reçu de ta main,
             Tu ne saurais le méconnaître.
             --- Ce que je dis est plus certain;
             Et toi, ne vois-tu pas paraître
             La houlette de mon Tircis?
             Souviens-toi qu'elle fut le prix
             De ton adresse et de ta gloire,
             Quand tu remportas la victoire
             Dans les jeux de notre hameau:
Tu m'en fis don, Tircis eut ce cadeau.
             --- Mais, ma sœur, regarde ce voile,
             Il est de la plus fine toile
             Du lin que produit nos cantons:
             Ce fut encore un de tes dons.
O l'étrange folie! ah! quelle extravagance!
             S'écrièrent tour-à-tour
Le berger et sa sœur, séduits par l'espérance
             Et trompés par l'amour.
Pendant qu'ils disputaient, l'attente fut déçue;
             Un vent frais dissipe la nue,
             La belle Diane reparut
             Avec sa figure argentine,
             Et du prestige on s'apperçut.
             Doris prit une humeur chagrine,
      Quand elle vit, au lieu de son berger,
             Un cerf venant à la fontaine
             Doucement se désaltérer:
       Et Coridon, privé de Célimène,
             Disait d'un air triste et confus,
       Hélas! hélas! on ne m'y prendra plus.
Lorsque la passion, de notre ame s'empare,
        Un voile épais obscurcit la raison,
             Trouble l'imagination,
Tout trompe, tout séduit, et notre esprit s'égare.

VIII.
Le vieux Cheval et l'Ane

             Un cheval surchargé d'années,
        Avait perdu son antique vigueur:
Ne pouvant plus remplir ses hautes destinées
             Au service d'un grand seigneur,
On le vend, il passa chez un bon laboureur.
A peine a-t-il quitté son pays de cocagne,
Qu'il traîne un charriot d'énorme pésanteur,
       Et qu'on le livre aux travaux de campagne.
Dans cet état ignoble et pénible à-la-fois,
             Avec douleur il se rappelle
       Le char pompeux qu'il menait autrefois,
Les superbes harnois, la dorure si belle
Qui décorait son mors, des palfreniers le soin,
L'eau argentée et pure, et cet excellent foin,
             Et cette orge rafraîchissante,
             Et cette avoine succulente;
Enfin il regrettait tous ses anciens plaisirs,
       Se lamentait, poussait de longs soupirs.
Un âne son voisin, compagnon de misère,
       Entend ses plaintes, et veut le consoler:
Le chagrin fait du mal, et la santé s'altère,
Oublions tous nos maux, il n'en faut plus parler,
Lui dit-il. --- Mais comment ne pas être sensible
             A mon malheur, à mes tourmens affreux?
       --- Ces durs travaux, cet état malheureux,
J'éprouve comme toi ce qu'ils ont de pénible.
       --- Tu n'as jamais connu le vrai bonheur,
             Et la compassion est nulle.
             --- Votre propos est ridicule,
       Seigneur coursier; fi! de votre grandeur,
             J'en fais peu de cas, je la brave;
       Le bel honneur de n'être qu'un esclave!
             Vous le Putes d'un courtisan,
             Et moi d'un simple paysan.
Quand on est dans les fers, il n'est point de bien-être;
Supporte constamment le joug d'un nouveau maître;
Chasse de ton esprit des souvenirs fâcheux;
Cède au destin, ton sort sera moins malheureux.

IX.
La jeune Fille et le Peintre

             Je veux qu'on me peigne l'amour,
             Disait à son peintre une fille,
             Jeune, aimable autant que gentille,
             Il lui répondit sans détour:
Dites-moi, s'il vous plaît, comment il faut le peindre?
Etonnée, elle croit que l'artiste veut feindre:
       --- Vous ignorez quel est ce dieu charmant?
            Ecoutez-moi, dans un moment
            Vous apprendrez à le connaître.
D'un enfant peignez donc la grâce, la beauté;
Son visage riant respire la bonté:
       Plus de bandeau, faites-le disparaître:
       Celui qui sait lancer des traits si doux,
Ne fut jamais aveugle: un gracieux sourire
       Est sur ses lèvres; il semble dire à tous:
            Le plaisir est mon empire;
            Je suis le dispensateur
          De la volupté la plus pure,
Et sans moi dans la nature
Il n'est point de vrai bonheur.
       Vous m'entendez? vîte que l'on commence,
       Mon amitié sera la récompense.
La nymphe alors se tut. Le peintre répondit:
            Trop aimable enfant, il suffit;
            Mais c'est en vain que ma main trace
            Ce portrait charmant, plein de grace:
Avant que mon pinceau vous ait montré l'amour
Tel que vous le voyez; peut-être en un seul jour,
       Très-différent il pourrait vous paraître:
            A peine s'est-il fait connaître,
Que son poison subtil se glisse en votre cœur.
            Eprouvez quelque tems encore
            Ce dieu perfide qu'on adore;
Si pour lui vous sentez toujours la même ardeur,
       Je vous promets d'employer tout mon zèle
       A vous tracer son image fidelle.
La bergère s'enfuit avec un peu d'humeur:
       Elle disait: ce peintre est dans l'erreur.
Je veux qu'à; mon retour cette image chérie
            M'appaise et nous réconcilie.
       Hélas! bientôt il fallut renoncer
            A cette douce espérance:
       Les jeux, les ris, tout s'enfuit: l'inconstance
Bannit le beau portrait qu'elle avait su tracen.
       L'amour n'est plus cet enfant de Cythère,
Le centre des plaisirs et de la volupté;
            C'est un dieu vain, cruel, austère,
Qui lui fit éprouver les rigueurs, la fierté:
Ses beaux jours sont remplis de fiel et d'amertume.
Le peintre connaissant la fatale coutume
            D'un fripon, qui sait plus d'un tour,
Conclut, ne voyant plus celle qui l'intéresse,
               Que la crédule jeunesse
            Est souvent dupe de l'amour.

X.
Le Villageois et les Abeilles

Au printems, un essaim d'abeilles très-nombreux
     Obéissait aux loix de la nature,
De quitter son berceau, de fuir à l'aventure,
Pour chercher un séjour qui pût remplir ses vœux.
Un villageois rusé médite sa conquête:
               Par des sous deux, harmonieux,
       A le fixer promptement il s'apprête.
       L'essaim le suit, s'estime très-heureux
               Dans l'habitation nouvelle
               Qu'il choisit ou qu'il doit au zèle
               De cet aimable villageois.
                  Dans ces campagnes charmantes,
Les mouches au bourdon trouvent tout-à-la-fois
               Des fleurs, des herbes odorantes,
               Que la nature offrit exprès
               Pour les cueillir avec succès.
       Mais le bonheur qui semblait leur partage,
Par des chaînes de fleurs présentait l'esclavage.
       L'été paraît, et l'aride lion
               Tarit les ruisseaux, les fontaines;
       Et des autans les brillantes haleines,
               En faisant mûrir la moisson,
Sèche l'herbe et les fleurs, tout périt sur la terre.
               Le vigilant propriétaire
               N'épargne nipeine, ni soin,
       Pour procurer aux mouches précieuses
La fraîcheur d'un ruisseau qu'il conduit de très-loin.
Son crystal argentin les rendit fort heureuses:
       Il arrosait les plantes et le thim
       Qui composaient leur excellent butin.
Tous les jours en allant à ce joli pillage,
               Sur les bords du charmant ruisseau,
       Elles chantaient dans leur petit langage:
               Aimons ce bienfaiteur nouveau;
               C'est lui qui répand l'abondance
               Par son travail industrieux;
Il est plus, qu'un mortel, il est égal aux dieux.
       Ainsi vivant dans l'heureuse ignorance,
Nos insectes, hélas! ne pouvaient soupçonner
       Que tant de soins n'avaient qu'un but perfide.
Un hiver rigoureux commenceà s'annoncer:
       Borée arrive, à son tour il préside,
               Chasse les zéphyrs, les autans,
Amène les glaçons, les frimats, les tourmens.
        Le villageois, avec impatience,
               Attendait le cruel moment
               Qui comblerait son espérance:
Il apporte du feu, l'allume promptement.
               Bientôt la ruche est entourée
               D'une épaisse et noire fumée
               Qui soudain enivre, étourdit
                  Les malheureuses abeilles.
               Le corsaire fait son profit
Du fruit de leurs travaux, du fruit de tant de veilles;
En riant il emporte et la cire et le miel,
               Et ne leur laisse à leur réveil
Que l'horreur des humains, de leur cruel empire.
               Souvent le bienfait qu'on admire
       N'est qu'un appât perfide, séducteur;
C'est un piège subtil qui fait votre malheur.

XI.
Le Taureau, le Cheval, le Renard
et les autres animaux

               Je vois en mainte occasion
               Que la grande présomption
         Fait tout au moins tourner en ridicule
               Celui qu'elle rend trop crédule
                  Sur ses prétendus talens.
C'est dans l'sprit borné que l'orgueil prend sa source.
              Un jour, sans raison ni bon sens,
              Un taureau défit à la course
              Un grand et superbe cheval.
Le dernier fut bientôt vainqueur de son rival.
              Tous les animaux applaudirent
              A ce triomphe, à cet honneur.
       Le renard seul se taisait; ils lui dirent:
Imitez-nous: pourquoi ce silence moqueur?
Il répond: je ne peux chanter cette victoire;
Je hais l'adulateur, j'aime la vérité:
              Je n'applaudirai qu'à la gloire
       De l'animal dont la légereté
              Passera le cerf en vitesse;
              Lui seul obtiendra sans bassesse
              Un hommage bien mérité.

XII.
Les Yeux, les Lèvres de Zulima et l'Amour

Toujours à la beauté nous rendons notre hommage;
La jeune Zulima connut cet avantage;
              Elle avait des yeux séduisans,
              Des lèvres au charmant sourire;
              Les cœurs les plus indifférens
              Etaient bientôt sous son empire.
              Tant que les lèvres et les yeux
       En bons amis furent d'intelligence,
              Leurs exploits toujours merveilleux
              Triomphaient de la résistance.
              L'affreuse Discorde arriva,
       Qui secouant les serpeus de l'Envie,
       Entre les yeux, les lèvres, suscita
              Le poison de la jalousie.
              La guerre survint à son tour.
              Les yeux altiers, pleins d'arrogance,
Disaient avec fierté: le pouvoir de l'amour,
              Ses charmes et les traits qu'il lance,
              Ne partent-ils pas des yeux?
              Vous ne jouez qu'un faible rôle:
              Les cœurs sont vaincus, sont heureux,
              Quand vous entrez par la parole
       Dans la carrière ouverte par nos soins.
              Les lèvres rompent le silence,
       Et par ces mots répondent à l'offense:
              Tous les amans seraient témoins
              Que c'est notre joli langage
              Qui nous donne tout l'avantage
              De l'amour et de ses faveurs:
En vos regards peut-on mettre sa confiance?
              Souvent faux, dédaigneux, trompeurs;
       Tendres par fois; possédant la science
              De feindre, de verser des pleurs;
       Puis tout-à-coup annoncer les fureurs:
              Mais sitôt que l'amour s'exprime
       Par les plus doux, lesplus tendres accens,
       Qu'il promet tout et qu'il fait des sermens,
       Le cœur se rend, charmé d'être victime.
              La dispute dura long-tems:
       Chacun faisait valoir son avantage;
Nul ne voulait céder; ferme en ses sentimens,
              Bientôt on en vint à l'outrage.
La vengeance eut recours aux procédés affreux.
Les yeux exprimaient-ils quelque chose de tendre?
De la bouche il sortait des propos dédaigneux.
Les lèvres à leur tour voulaient se faire entendre,
       Ou bien former un souris gracieux;
Alors les yeux s'armaient d'un regard très-sévère.
       Ainsi toujours de sentiment contraire,
       Ces ennemis, insensés, furieux,
              Firent si bien qu'ils se nuisirent,
              Et que bientôt ils éconduirent
              Les jeux, les ris et les amans.
              Zulima fut abandonnée:
              Livrée à de cruels tourmens,
       Dans le chagrin, dans la douleur plongée,
              Elle porta ses plaintes à l'amour.
       Ce dieu charmant, à ses maux très-sensible,
              Promptement vole à son secour:
              Il dit aux yeux: est-il possible
              De vous livrer à la fureur,
              Et qu'une basse jalousie
       Altère en vous la beauté la douceur?
              Aux lèvres: la funeste envie
              Peut-elle vous faire oublier
              Que des agrémens, le premier,
       D'un beau visage est le charmant sourire,
       Et qu'un propos séduisant et flatteur
              Est le plus sûr chemin du cœur?
       Ce n'est pas tout: je dois encor vous dire
              Que c'est moi qui vous ai formés;
              De mes traits vous êtes armés;
              Placée joliment, il me semble,
              Afin qu'étant d'accords ensemble,
              Sans cesse vous soyez vainqueurs.
              Des blessures faites aux cœurs,
              Que l'effet soit toujours semblable,
       Quoique lancés par des traits différens.
       Si vous suivez mes conseils très-prudens,
       Votre bonheur doit être inaltérable.
              Il dit, et soudain s'envola.
La paix se rétablit; la discorde enragea,
              S'enfuit; Zulima fut heureuse.
              Que l'harmonie est précieuse!
Entre deux contendans, l'orgueil et la fierté,
              Une injuste rivalité,
Suspendent les progrès d'une belle entreprise.
Le méchant applaudit, l'homme sensé méprise;
       Mais le public, juge de l'action,
       Souffre toujours de la division.

XIII.
Le Jasmin et le Tournesol

       Dans une haie, auprès d'un beau jardin,
Etait un odorant et modeste jasmin.
Un tournesol, tout fier de sa tige brillante,
L'insultait par ces mots: ta fleur humble et rampante
       Se tient cachée au milieu d'un buisson,
       Parmi la ronce, et c'est avec raison.
       Que deviendrait ta couleur blanche et fade
       Auprès de moi, d'un éclat sans pareil,
       Puisque je suis l'image du soleil?
Vois-tu cette beauté qu'offre la promenade?
Elle tourne ses yeux sur moi pour m'admirer.
Pour toi, reste ignoré dans cette humble retraite:
       Si l'on te voit, c'est pour te mépriser.
              Ma gloire sera satisfaite;
       On vient et c'est pour me cueillir.
                 Ainsi parlait cette plante
                    Trop arrogante:
Mais l'autre était modeste et bornait son desir,
                Sans répondre à la querelle,
                   A répandre autour d'elle.
                Un parfum délicieux.
                La dame, jeune et charmante,
Séduite à l'odorat du jasmin précieux,
              Voit cette fleur simple et touchante,
              La cueille, en pare ses cheveux.
        Le tournesol, d'une insolence extrême,
Méprisant le jasmin, fut méprisé lui-même.

XIV.
Le Berger et le vieux Loup

Dans des autres profonds, sauvages, ténébreux,
              Aux pieds des Alpes, monts fameux,
       Vivaient des loups, guidés par les furies,
       Pour désoler toutes les bergeries.
       On ne parlait que de crimes nouveaux,
De moutons dévorés ou de tendres agneaux;
       Et tous les jours cette troupe assassine,
Fondait sur les troupeaux sa funeste cuisine.
              Les vœux stériles des pasteurs
Ne pouvaient des brigands arrêter les fureurs.
              Parmi la troupe audacieuse,
              Cruelle autant que dangereuse,
Se trouvait un vieux loup, auquel il ne restait
              Ni force, ni dents, et n'osait
Assaillir les troupeaux, ni courir la campagne.
              Un jour, rudement affamé,
       Il vit de loin, gravissant la montagne,
Un berger, des moutons: je ne suis plus armé,
Disait-il; j'ai perdu ma force et mon adresse:
       Tel est le fruit de la triste vieillesse.
Au défaut de vigueur, il me faut employer,
       Pour assouvir la faim qui me dévore,
              La ruse auprès de ce berger,
              Qui paraît simple et jeune encore.
              Il s'avance et dit au pasteur:
Ami, faisons la paix: désormais je renonce
              Au brigandage, à la fureur;
Je ne suis plus cruel, audacieux, voleur.
Rends-moi ton amitié; par l'honneur, je prononce
              Le serment de t’être fidèle,
              Et de n'écouter ma valeur
              Que pour te servir avec zèle.
       Songe à ton tour que de notre union
Résulte le bonheur et la paix du canton.
Je ne veux d'autre fruit d'une amitié si pure,
Que le faible secours d'un peu de nourriture.
Tranquille auprès de toi, tu me verras content.
              Je ne désire en ce moment,
                 Pénétré de repentance,
Qu'expier mes forfaits et faire pénitence.
Le pasteur, quoique jeune, était assez prudent;
              Il vit bien que ce loup dolent
N’était plus dangereux; il disait en lui-même:
       Celui qui feint cette réforme extrême,
              N'est qu'un fourbe, qu'un imposteur;
                 Et sa fausse pénitence,
                 Un artifice trompeur,
                 Le fruit de son impuissance
                 Et nonde sa volonté.
       A l'artifice opposons l'artifice.
        Monsieur le loup, dit-il, en vérité,
       Je suis content de l'offre de service;
       Dès ce moment je vais vous le prouver;
       Pour cet effet, approchez, je vous prie;
              Tous deux nous allons partager
Le produit de ma chasse et de mon industrie.
L'imbécille flatté de l'invitation,
Approche du berger. Un bon coup de bâton,
              Bien assené droit sur la nuque,
Fit mordre la poussière à la bête caduque,
              Envoya sans beaucoup d'efforts
              Cet hypocrite chez les morts.
Les crimes sont pesés dans la juste balance:
Tôt ou tard les forfaits trouvent leur récompense.

XV.
La Villageoise et l'Habitante de la ville

        Un jour riant et serein du printems,
              Que nos ayeux, dans tous les tems,
              Consacraient au dieu de Cythère,
              Une jeune et tendre bergère,
              Par ses chants, sa danse et ses jeux,
                 Célébrait ce jour heureux.
              Belle, charmante, vive et pure,
Sans art, sans ornement, que la simple nature;
              Son regard exprimait le plus doux sentiment,
Son sourire était séduisant.
Licas, jeune pasteur, témoin de l'allégresse,
        Livràit son cœur au feu de la tendresse;
        Et ce pasteur, victime de l'amour,
        Pour la bergère était pris sans retour;
              Mais tout-à-coup une autre scène
              Se présente à ce jeune amant,
Et lui fait éprouver un nouveau sentiment.
Une nymphe s'avance elle a le port de reine;
              C'était une grave beauté,
              Habitante de la cité.
De Junon elle avait la noblesse imposante,
De Vénus les attraits, la grace séduisante;
        Cheveux cendrée, le plus beau vermillon
              Brillait sur un teint de neige;
Des lèvres de corail; l'air, le geste, le ton,
              Semblaient dire je vous protège;
              Rien ne paraissait plus brillant
              Que cet objet intéressant,
Qui venait à l'amour présenter son hommage.
Licas est ébloui, ne peut voir tant d'appas
Sans en être charmé: soudain il suit les pas
        De cette nymphe, et d'un tendre langage
        Formait des vœux, exprimait ses désirs,
              Faisait entendre des soupirs.
La bergère éprouvant un trait de jalousie,
De l'amour exalté cruelle phrénésie,
              Sentait les plus vives douleurs,
Rappellait son amant et répandait des pleurs:
              Ingrat! après tant de promesses,
              De sermens, de tendres carresses,
              Vous me quittez donc sans retour
Mais on ne l'entend plus: dans l'excès de sa peine,
        D'un pas léger elle court dans la plaine,
        Et va porter ses plaintes à l'amour.
              La dame, auteur de tant de trouble,
        Arrive auprès du temple révéré.
Le pasteur la fixant d'un regard assûré,
              Que tant de nouveauté redouble,
              Reconnaît bientôt son erreur.
La nymphe qui de loin paraissait aussi belle
Que Junon, que Vénus, des grâces le modèle,
              De près réfroidit son ardeur;
              Il vit bien que sa chevelure
       Etait postiche; observa que la sueur
Emportait de son teint les roses, la blancheur;
       De ses sourcils ne vit que la peinture;
Il reconnut enfin l'artifice trompeur;
       De la beauté, l'art faux et destructeur.
Il retourne confus  à sa tendre bergère,
Qui d'abord veut s'armer d'une noble fierté;
              Mais hélas! tant de cruauté
              Dans les champs est arme étrangère:
Quand on voit d'un amant les pleurs, le repentir,
Et qu'on aime, on pardonne avec bien du plaisir.
       Sexe charmant, toute beauté factice
       Séduit les yeux dans un moment d'erreur:
              L'amour connaît peu l'artifice,
Ses traits sont émoussés par un masque imposteur.

XVI.
Les deux Chats

                Nonchalamment étendu
                Sur le bord d'une croisée,
                Un chat lisse et bien dodu
                Rappellait à sa pensée,
                Avec un très-grand plaisir,
                Le bonheur d'appartenir
                A son aimable maîtresse,
                Qui le comblait de carresse,
Le nourrissait de mets succulens, délicats;
Enfin il se trouvait le plus heureux des chats.
              Il était donc sur la fenêtre,
              Ce nouveau Rominagrobis,
Qui ne daignait jamais chasser rats et souris.
De-là, bientôt il vit paraître
Un chat maigre et fort chétif,
Se promenant d'un air pensif:
                  Tantôt il fixait la terre,
Et tantôt s'arrêtait en faisant le gros dos.
Une souris paraît, il s'élance à propos,
L'attrape, la saisit, la croque sans mystère.
                 Après ce premier exploit,
             D'un saut il grimpe sur un toit,
            S'établit près d'une gouttière,
S'étend, reste immobile et contrefait le mort.
       Un oiseau simple et sans expérience,
            Approche, examine, s'avance:
            Les curieux ont souvent tort.
       Ce voltigeur ne songeant à la ruse,
Au méchant s'abandonne, et sans précaution:
            Cette faute était sans excuse.
       Le traître chat saisit l'occasion,
Fondit sur l'imprudent avec tant de vitesse,
            Qu'il ne put jamais déployer
              Ses ailes pour s'envoler.
L'autre matou témoin de ce beau tout d'adresse,
De finesse, d'esprit et de légereté,
              Disait tout-bas en lui-même,
            J'admire la dextérité,
La ruse de ce chat et son talent suprême:
       Ne puis-je pas pour mon amusement,
            Et sans tirer à conséquence,
       Apprendre un art qui me semble plaisant?
       Il dit au chat: mon ami ta science
       Me plaît beaucoup: j'aime à voir cette ardeur;
Leste, habile, rusé, je voudrais bien connaître
              Quel fut ton instituteur;
Sois le mien, volontiers je te prends pour mon maître.
            Le maître, répond le chasseur,
            Qui conduit la main de l'artiste,
Enseigne tous les arts, et donne la valeur
            Et le courage qui persiste
A vaincre le sommeil, les dangers, tous les maux;
Ce maître est le besoin qui prescrit mes travaux.
L'ayant appris, je crois que votre seigneurie
       Ne voudra plus d'une telle industrie.

XVII.
L'Hirondelle et le Moucheron

Après les jours heureux du plus doux hymenëe,
              Une hirondelle infortunée
              Pleurait le sort de son mari,
              Qui fut si tendrement chéri,
Et qu'un oiseau de proie, impitoyable race,
Déchirait sans pitié dans sa fureur vorace.
Barbare! qui pouvait allumer ton courroux?
Quelle injure t'a fait mon malheureux époux?
A lui donner la mort pouvais-tu te résoudre?
Dit-elle; que le ciel t'écrase de sa foudre,
              Vil et trop cruel assassin!
       Si Jupiter, qui commande au destin,
Et qui sur l'univers répand sa bienfaisance,
              Jette un coup-d'œil compâtissant
              Sur l'opprimé, sur l'innocent,
Combien ne dois-tu pas exciter sa vengeance!
              Certain moucheron, sous un toit,
              Qui sagement se tenait coit,
              Du fond de sa retraite obscure,
De la veuve écoutant les soupirs et les pleurs,
              Lui dit: je conçois tes douleurs:
Ta plainte est légitime, elle est dans la nature;
Et les foudres du ciel, les tourmens de l'enfer,
Ne te rendront jamais l'époux qui te fut cher.
        Mais Jupiter, que l'univers contemple,
              Manifeste par cet exemple
              Que c'est un dieu plein d'équité.
Ton mari fut cruel, il a bien mérité
              Le sort qui pour toi se prépare.
              L'un et l'autre méchant, barbare,
        Ne vous parant que de fausses vertus,
        Combien de fois ne vous a-t-on pas vus
Voltiger dans les airs, le parcourir sans cesse,
        Pour dévorer tous ceux de mon espèce?
Tel qui se plaint au ciel, dans sa vive douleur,
Du sort le plus affreux dont le destin l'accable,
Ne voit pas que lui-même il fut impitoyable,
Et qu'il a mérité cet excès de rigueur.