I.
Le Renard et le Mouton, juges des autres animaux
Dans un canton, d'animaux trèsapeuplé,
Formant une république,
Un jour sur la place publique
Tout le peuple était assemblé
Pour nommer un premier juge.
Par le scrutin, en liberté,
Au renard la charge s'adjuge,
A la grande majorité.
On le croyait prudent et sage;
Mais à l'odeur des poulets, du fromage,
Grands sujets de corruption,
Ses jugemens étaient iniques;
Il ne suivait que de fausses pratiques,
N'écoutait ni loi, ni raison.
Le peuple connaissant son erreur et sa faute,
Combien la sottise était haute
D'avoir nommé juge un fripon,
Dépose le renard et choisit un mouton.
Sa douceur passait en proverbe;
Mais il faisait grace au méchant,
Laissait opprimer l'innocent.
Ce choix que l'on croyait superbe,
Fit bientôt voir que la bonté
Ne suffit pas sans la capacité;
Qu'un juge peut, être humain, doux, aimable;
Mais qu'il faut être intègre et punir le coupable.
II.
Le
Lion, le petit Chien, le Tigre et les autres animaux
Un vieux lion, guerrier très-valeureux,
Exerçait en Afrique un souverain empire
Sur tous les animaux de ces déserts affreux.
Pour se désennuyer, quelquefois le beau sire
Se dérobait aux soins de son gouvernement
Et s'amusait des tours et de la gentillesse
D'un petit chien rusé, mais fort impertinent,
Qui savait plaire à son altesse.
Les courtisans applaudissaient au choix,
Louaient le favori, exaltaient à-la-fois
Tous ses talens, sa beauté, son génie;
Cependant le voyaient avec un œil d'envie.
Le roquet enivré de sa haute faveur,
Jappait souvent d'une voix aigre, altière,
Contre les animaux ce mettait en fureur.
Le tigre, en murmurant, réprimait sa colère,
Les panthères, les léopards
Recevaient l'insulte en silence,
N'osaient même par leurs regards
Exprimer leur mépris de tant d'impertinence.
A la cour, tout flatteur est souple, complaisant,
Adulateur, faux et rampant.
Le lion accablé d'une extrême vieillesse,
Paya bientôt le tribut à la mort.
Les féroces sujets arrivent; l'on s'empresse,
Avec un généreux transport,
De rendre au souverain les honneurs funéraires.
Le petit chien voulut, par ses cris ordinaires,
Importuner les courtisans;
Mais les tems étaient différens:
Le despote était mort, adieu la complaisance;
Elle fit place à l'indignation:
Le tigre, sans rémission,
Déchire le roquet, assouvit sa vengeance,
En l'immolant aux mânes du lion.
La morale s'entend sans explication.
III.
La Bergère,
les Roses et les Fleurs des prés
Philis parait ses blonds cheveux
Des fleurs brillantes du parterre
Et d'un parfum délicieux:
Des mêmes fleurs, cette bergère
Formait encore un bouquet
Pour orner son joli corset,
Rejettant avec ironie
Les simples fleurs de la prairie.
Les roses fières sur son sein,
Se gonflaient d'orgueil et de gloire,
Redoublaient l'odeur, à dessein
De conserver la victoire.
Mais, ô ciel! Philis à l'instant
Sentit un mal-aise, un tourment;
Son visage est couvert d'une pâleur mortelle;
Sa voix s'éteint, elle chancelle:
Un mal douloureux et pressant
Fait appeller un médecinhabile.
Il vient d'un air grave et tranquille,
Rassure la beauté, la console, en disant:
Philis, le gros bouquet de rose
De la maladie est la cause,
Par l'exeès de l'odeur sur vos nerfs délicats.
Pour éviter ce dangereux fracas,
Des fleurs faites le sacrifice.
La bergère suivit l'avis sage et propice,
Et la santé se rétablit.
Le lendemain, c'était jour de férie,
Dès le matin Philis alla dans la prairie
Où sans danger elle cueillit
Des fleurs de la simple nature,
Dont elle orna sa blonde chevelure.
Amans, craignez l'amour impétueux;
Son excès vous rend malheureux:
S'il est constant, sa flamme est douce et pure;
Telle est la fleur des champs, sans art, que la nature;
Mais s'il est violent, orageux, emporté,
Il est bien près de l'infidélité.
IV.
Zéphyre et Borée
Dès le matin, avant l'aurore,
Zéphyr, l'amant chéri de Flore,
Sortit du ténébreux séjour
Ou le dieu des vents tient sa cour.
Son frère, le cruel Borée,
Dès que sa chaîne fut brisée,
Le suit de près, se répand dans les airs,
En méditant ses ravages divers.
A peine l'aimable Zéphyre
Avait-il entendu le chant mélodieux
De tous les diseaux amoureux,
Célébrant à l'envi l'empire
Du dieu charmant qu'on nomme Amour,
Se réjouissant du retour
De l'astre bienfaisant, père de la nature,
Qu'il apperçut de l'aurore les pleurs
Empreintes sur les tendres fleurs
Et sur la riante verdure;
Alors de son souffle léger
Il s'amuse à les diviser
En mille étoiles brillantes;
Puis tour-à-tour il carresse les fleurs;
Et partageant ses faveurs,
A leurs tiges blanchissantes
Il donne un nouvel éclat.
Cependant le cruel Borée,
Parcourant le vaste empyrée,
Balançait sur le choix d'un nouvel attentat:
Tantôt il plane au-dessus des montagnes,
Méditant la destruction
De quelque riche canton
Dans les fertiles campagnes:
Tantôt il tourne vers la mer,
Forme le projet de s'armer
De nuages pèsans pour donner la tempête;
Mais incertain où frapper, il s'arrête,
Et promenant son regard,
Il apperçut par hazard
La prairie où le Zéphyre
Voltigeait en liberté.
En lui-même il se mit à dire:
Puisque mon frère avec légèreté,
Peu de moyens, fait de cette prairie
L'asyle où règne le plaisir,
Combien elle doit s'embellir,
Si de la visiter il me prend fantaisie!
Alors d'un souffle vigoureux,
Je ferai son bonheur, je comblerai ses vœux.
Laissons la mer tranquille, éloignons la tempête,
Et que la terre à mes faveurs s'apprête.
Il dit, et s'élançant des airs rapidement,
Il tourne avec éclat vers la belle prairie:
De sa froide haleine, en furie,
Il renverse, il détruit, brise dans un instant
Arbres, feuilles et fruits; il porte la détresse
Par-tout où sa fureur s'adresse.
Craignez d'un ennemi les soins officieux;
S'il feint de vous servir, il est plus dangereux.
V.
Le Rossignol et le
Serin
Tout être abhorre l'esclavage.
Un pauvre rossignol se trouvait enfermé
Depuis deux jours dans une cage;
Il se désespérant, et de rage animé,
Befusait constamment les soins, la nourriture,
De sa tête il frappait les bords de sa prison,
Desirant avec passion
La liberté, ce vœu de la nature.
Près de lui logeait un serin,
Qui touché de son sort, voulut, en bon voisin,
Lui donner avec zèle un conseil salutaire.
Sans raison, lui dit-il, tu te mets en colère:
Tes efforts impuissans et tes tourmens divers
Sont superflus; jamais tu ne rompras tes fers:
Déjà du désespoir tu supportes la peine;
Je vois couler ton sang, ton plumage est rompu:
Puisque ton espérance est vaine,
Souffres patiemment, le destin l'a voulu:
Suis mon exemple, sois tranquille.
Né libre comme toi, dans mon petit asyle,
Jeune imprudent, je fus surpris:
De liberté je connais tout le prix;
Mais hélas! ne pouvant sortir de l'esclavage,
Je me résigne, et c'est un parti sage.
Un discours si prudent ne put persuader
Le rossignol qui voulait s'évader;
Il redoubla de colère et de rage
Et fit tous ses efforts pour s'ouvrir un passage;
Enfin, dans un cruel transport;
D'un coup trop violent il se donna la mort.
Du malheur, quelqu'en soit la cause,
Supportons les décrets d'un destin rigoureux.
Le cruel désespoir expose
A des maux encor plus affreux.
VI.
Le
Chardonneret, les autres Oiseaux et le Chasseur
Un chardonneret très-rusé
Passait par hazard dans un pré,
Au moment qu'un chasseur serrait dans une cage
Des oiseaux attirés par ses appâts trompeurs,
Qu'il condamnait à l'esclavage.
Le chardonneret vit les filets destructeurs,
Se promit d'éviter le piège trop perfide;
Mais dans un esprit léger
Rarement la raison préside.
L'oiseau fier d'avoir su juger
Les secrets du chasseur habile,
Se crut un sage très-savant;
Et comme tel, voulut se rendre utile,
Et donner un conseil prudent
Aux oiseaux qu'il voyait dans le danger extrême
Qui menaçait leurs jours, au moins leur liberté.
Confondre les méchans est un bonheur suprême.
Il part, il fend les airs, comme un trait fut porté
Sur un buisson; établit sa demure
Près des filets de l'oiseleur.
Là, déployant sa voix, il chante avec ardeur:
Par ses accens, les oiseaux à toute heure
Reçoivent le conseil, évitent le danger.
Cependant le chasseur, transi près de sa cage,
Ne voyant plus les oiseaux approcher,
Se doute que quelqu'un a conjure l'orage:
Il cherche, observe tout, promène son regard,
Enfin sur le buisson apperçoit le bavard;
Conçut très-bien qu'il faisait sentinelle
Pour avertir des oiseaux la sequelle.
Ah! nous verrons, dit-il, dans son dépit,
Nous verrons demain, mon petit,
Si tu sauras jouer une farce nouvelle,
Ou bien chanter la même ritournelle.
Le lendemain, avant le point du jour,
Il prépare au chanteur le plus funeste tour:
Il apporte au buisson provision de glue,
Et puis malignement il attend la venue
Du joli chardonneret.
Dans un instant il vit arriver l'indiscret,
Qui se remet au poste de la veille,
Et fier de son succès, chante encor à merveille;
Mais hélas! pour son malheur,
Il se percha sur un gluau trompeur
Où soudain il reste immobile.
C'est en vain qu'il étend ses ailes pour s'enfuir,
Tout effort devient inutile,
Ne sert qu'à mieux le retenir;
L'infortuné succombe à sa faiblesse:
Aussitôt le chasseur à le saisir s'empresse,
Le met en cage en lui disant:
Ecoute, petit insolent;
Songer à ses amis dans un péril extrême,
C'est fort bien, mais il faut s'en garantir soi-même.
VII.
Le Berger, la
Bergère et le Cerf à l'abreuvoir
Le berger Coridon, Doris sa sœur jumelle,
Tous deux de la beauté, des grâces le modèle,
Atteigneient cet âge où l'amour
Règne sur les cœurs sans détour;
Trois lustres et demi: qu'à cet âge on est tendre!
Doris avait laissé surprendre
Son cœur par le berger Tircis.
Coridon adorait la blonde Célimène.
Le berger et sa sœur un soir étaient assis
Non loin d'une claire fontaine;
Ils attendaient à chaque instant,
L'un sa maîtresse, et l'autre son amant.
Un nuage épais et sombre
Couvrait la lune de son ombre
Et ne laissait échapper
Qu'une lueur très-obscure.
Les amans tâchaient de percer
Le voile ténébreux qui cachait la nature.
Que le tems coulait lentement!
Ah! qu'il tardait à leur empressement
De voir l'objet de leur ardente flâme!
Un bruit léger leur rendit cet espoir,
Porte le plaisir dans leur âme.
Doris voyant quelqu'un qui semblait se mouvoir,
Elle observe, son cœur palpite,
Il craint, il se trouble, il s'agite;
Sa joie éclate, elle s'exprime ainsi:
C'est mon amant, cher frère, le voici.
Coridon à son tour regarde,
Et dit, en souriant, tu te trompes, ma sœur;
C'est pour moi qu'est un tel bonheur,
Pour moi Célimène hazarde
Le péril, l'horreur de la nuit.
--- Célimène? non, non, ton espoir te séduit.
Ne vois tu pas les fleurs dont je fis la couronne
Que Tircis porté à son chapeau?
--- Mais, Doris, ton erreur m'étonne;
C'est plutôt ce charmant cadeau,
Tissu par toi, de fleur et de verdure,
Dont tous les jours elle fait sa parure:
Ce chapeau reçu de ta main,
Tu ne saurais le méconnaître.
--- Ce que je dis est plus certain;
Et toi, ne vois-tu pas paraître
La houlette de mon Tircis?
Souviens-toi qu'elle fut le prix
De ton adresse et de ta gloire,
Quand tu remportas la victoire
Dans les jeux de notre hameau:
Tu m'en fis don, Tircis eut ce cadeau.
--- Mais, ma sœur, regarde ce voile,
Il est de la plus fine toile
Du lin que produit nos cantons:
Ce fut encore un de tes dons.
O l'étrange folie! ah! quelle extravagance!
S'écrièrent tour-à-tour
Le berger et sa sœur, séduits par l'espérance
Et trompés par l'amour.
Pendant qu'ils disputaient, l'attente fut déçue;
Un vent frais dissipe la nue,
La belle Diane reparut
Avec sa figure argentine,
Et du prestige on s'apperçut.
Doris prit une humeur chagrine,
Quand elle vit, au lieu de son berger,
Un cerf venant à la fontaine
Doucement se désaltérer:
Et Coridon, privé de Célimène,
Disait d'un air triste et confus,
Hélas! hélas! on ne m'y prendra plus.
Lorsque la passion, de notre ame s'empare,
Un voile épais obscurcit la raison,
Trouble l'imagination,
Tout trompe, tout séduit, et notre esprit s'égare.
VIII.
Le vieux Cheval et
l'Ane
Un cheval surchargé d'années,
Avait perdu son antique vigueur:
Ne pouvant plus remplir ses hautes destinées
Au service d'un grand seigneur,
On le vend, il passa chez un bon laboureur.
A peine a-t-il quitté son pays de cocagne,
Qu'il traîne un charriot d'énorme pésanteur,
Et qu'on le livre aux travaux de campagne.
Dans cet état ignoble et pénible à-la-fois,
Avec douleur il se rappelle
Le char pompeux qu'il menait autrefois,
Les superbes harnois, la dorure si belle
Qui décorait son mors, des palfreniers le soin,
L'eau argentée et pure, et cet excellent foin,
Et cette orge rafraîchissante,
Et cette avoine succulente;
Enfin il regrettait tous ses anciens plaisirs,
Se lamentait, poussait de longs soupirs.
Un âne son voisin, compagnon de misère,
Entend ses plaintes, et veut le consoler:
Le chagrin fait du mal, et la santé s'altère,
Oublions tous nos maux, il n'en faut plus parler,
Lui dit-il. --- Mais comment ne pas être sensible
A mon malheur, à mes tourmens affreux?
--- Ces durs travaux, cet état malheureux,
J'éprouve comme toi ce qu'ils ont de pénible.
--- Tu n'as jamais connu le vrai bonheur,
Et la compassion est nulle.
--- Votre propos est ridicule,
Seigneur coursier; fi! de votre grandeur,
J'en fais peu de cas, je la brave;
Le bel honneur de n'être qu'un esclave!
Vous le Putes d'un courtisan,
Et moi d'un simple paysan.
Quand on est dans les fers, il n'est point de bien-être;
Supporte constamment le joug d'un nouveau maître;
Chasse de ton esprit des souvenirs fâcheux;
Cède au destin, ton sort sera moins malheureux.
IX.
La jeune Fille et
le Peintre
Je veux qu'on me peigne l'amour,
Disait à son peintre une fille,
Jeune, aimable autant que gentille,
Il lui répondit sans détour:
Dites-moi, s'il vous plaît, comment il faut le peindre?
Etonnée, elle croit que l'artiste veut feindre:
--- Vous ignorez quel est ce dieu charmant?
Ecoutez-moi, dans un moment
Vous apprendrez à le connaître.
D'un enfant peignez donc la grâce, la beauté;
Son visage riant respire la bonté:
Plus de bandeau, faites-le disparaître:
Celui qui sait lancer des traits si doux,
Ne fut jamais aveugle: un gracieux sourire
Est sur ses lèvres; il semble dire à tous:
Le plaisir est mon empire;
Je suis le dispensateur
De la volupté la plus pure,
Et sans moi dans la nature
Il n'est point de vrai bonheur.
Vous m'entendez? vîte que l'on commence,
Mon amitié sera la récompense.
La nymphe alors se tut. Le peintre répondit:
Trop aimable enfant, il suffit;
Mais c'est en vain que ma main trace
Ce portrait charmant, plein de grace:
Avant que mon pinceau vous ait montré l'amour
Tel que vous le voyez; peut-être en un seul jour,
Très-différent il pourrait vous paraître:
A peine s'est-il fait connaître,
Que son poison subtil se glisse en votre cœur.
Eprouvez quelque tems encore
Ce dieu perfide qu'on adore;
Si pour lui vous sentez toujours la même ardeur,
Je vous promets d'employer tout mon zèle
A vous tracer son image fidelle.
La bergère s'enfuit avec un peu d'humeur:
Elle disait: ce peintre est dans l'erreur.
Je veux qu'à; mon retour cette image chérie
M'appaise et nous réconcilie.
Hélas! bientôt il fallut renoncer
A cette douce espérance:
Les jeux, les ris, tout s'enfuit: l'inconstance
Bannit le beau portrait qu'elle avait su tracen.
L'amour n'est plus cet enfant de Cythère,
Le centre des plaisirs et de la volupté;
C'est un dieu vain, cruel, austère,
Qui lui fit éprouver les rigueurs, la fierté:
Ses beaux jours sont remplis de fiel et d'amertume.
Le peintre connaissant la fatale coutume
D'un fripon, qui sait plus d'un tour,
Conclut, ne voyant plus celle qui l'intéresse,
Que la crédule jeunesse
Est souvent dupe de l'amour.
X.
Le Villageois et
les Abeilles
Au printems, un essaim d'abeilles très-nombreux
Obéissait aux loix de la nature,
De quitter son berceau, de fuir à l'aventure,
Pour chercher un séjour qui pût remplir ses vœux.
Un villageois rusé médite sa conquête:
Par des sous deux, harmonieux,
A le fixer promptement il s'apprête.
L'essaim le suit, s'estime très-heureux
Dans l'habitation nouvelle
Qu'il choisit ou qu'il doit au zèle
De cet aimable villageois.
Dans ces campagnes charmantes,
Les mouches au bourdon trouvent tout-à-la-fois
Des fleurs, des herbes odorantes,
Que la nature offrit exprès
Pour les cueillir avec succès.
Mais le bonheur qui semblait leur partage,
Par des chaînes de fleurs présentait l'esclavage.
L'été paraît, et l'aride lion
Tarit les ruisseaux, les fontaines;
Et des autans les brillantes haleines,
En faisant mûrir la moisson,
Sèche l'herbe et les fleurs, tout périt sur la terre.
Le vigilant propriétaire
N'épargne nipeine, ni soin,
Pour procurer aux mouches précieuses
La fraîcheur d'un ruisseau qu'il conduit de très-loin.
Son crystal argentin les rendit fort heureuses:
Il arrosait les plantes et le thim
Qui composaient leur excellent butin.
Tous les jours en allant à ce joli pillage,
Sur les bords du charmant ruisseau,
Elles chantaient dans leur petit langage:
Aimons ce bienfaiteur nouveau;
C'est lui qui répand l'abondance
Par son travail industrieux;
Il est plus, qu'un mortel, il est égal aux dieux.
Ainsi vivant dans l'heureuse ignorance,
Nos insectes, hélas! ne pouvaient soupçonner
Que tant de soins n'avaient qu'un but perfide.
Un hiver rigoureux commenceà s'annoncer:
Borée arrive, à son tour il préside,
Chasse les zéphyrs, les autans,
Amène les glaçons, les frimats, les tourmens.
Le villageois, avec impatience,
Attendait le cruel moment
Qui comblerait son espérance:
Il apporte du feu, l'allume promptement.
Bientôt la ruche est entourée
D'une épaisse et noire fumée
Qui soudain enivre, étourdit
Les malheureuses abeilles.
Le corsaire fait son profit
Du fruit de leurs travaux, du fruit de tant de veilles;
En riant il emporte et la cire et le miel,
Et ne leur laisse à leur réveil
Que l'horreur des humains, de leur cruel empire.
Souvent le bienfait qu'on admire
N'est qu'un appât perfide, séducteur;
C'est un piège subtil qui fait votre malheur.
XI.
Le Taureau, le
Cheval, le Renard
et les autres animaux
Je vois en mainte occasion
Que la grande présomption
Fait tout au moins tourner en ridicule
Celui qu'elle rend trop crédule
Sur ses prétendus talens.
C'est dans l'sprit borné que l'orgueil prend sa source.
Un jour, sans raison ni bon sens,
Un taureau défit à la course
Un grand et superbe cheval.
Le dernier fut bientôt vainqueur de son rival.
Tous les animaux applaudirent
A ce triomphe, à cet honneur.
Le renard seul se taisait; ils lui dirent:
Imitez-nous: pourquoi ce silence moqueur?
Il répond: je ne peux chanter cette victoire;
Je hais l'adulateur, j'aime la vérité:
Je n'applaudirai qu'à la gloire
De l'animal dont la légereté
Passera le cerf en vitesse;
Lui seul obtiendra sans bassesse
Un hommage bien mérité.
XII.
Les
Yeux, les Lèvres de Zulima et l'Amour
Toujours à la beauté nous rendons notre hommage;
La jeune Zulima connut cet avantage;
Elle avait des yeux séduisans,
Des lèvres au charmant sourire;
Les cœurs les plus indifférens
Etaient bientôt sous son empire.
Tant que les lèvres et les yeux
En bons amis furent d'intelligence,
Leurs exploits toujours merveilleux
Triomphaient de la résistance.
L'affreuse Discorde arriva,
Qui secouant les serpeus de l'Envie,
Entre les yeux, les lèvres, suscita
Le poison de la jalousie.
La guerre survint à son tour.
Les yeux altiers, pleins d'arrogance,
Disaient avec fierté: le pouvoir de l'amour,
Ses charmes et les traits qu'il lance,
Ne partent-ils pas des yeux?
Vous ne jouez qu'un faible rôle:
Les cœurs sont vaincus, sont heureux,
Quand vous entrez par la parole
Dans la carrière ouverte par nos soins.
Les lèvres rompent le silence,
Et par ces mots répondent à l'offense:
Tous les amans seraient témoins
Que c'est notre joli langage
Qui nous donne tout l'avantage
De l'amour et de ses faveurs:
En vos regards peut-on mettre sa confiance?
Souvent faux, dédaigneux, trompeurs;
Tendres par fois; possédant la science
De feindre, de verser des pleurs;
Puis tout-à-coup annoncer les fureurs:
Mais sitôt que l'amour s'exprime
Par les plus doux, lesplus tendres accens,
Qu'il promet tout et qu'il fait des sermens,
Le cœur se rend, charmé d'être victime.
La dispute dura long-tems:
Chacun faisait valoir son avantage;
Nul ne voulait céder; ferme en ses sentimens,
Bientôt on en vint à l'outrage.
La vengeance eut recours aux procédés affreux.
Les yeux exprimaient-ils quelque chose de tendre?
De la bouche il sortait des propos dédaigneux.
Les lèvres à leur tour voulaient se faire entendre,
Ou bien former un souris gracieux;
Alors les yeux s'armaient d'un regard très-sévère.
Ainsi toujours de sentiment contraire,
Ces ennemis, insensés, furieux,
Firent si bien qu'ils se nuisirent,
Et que bientôt ils éconduirent
Les jeux, les ris et les amans.
Zulima fut abandonnée:
Livrée à de cruels tourmens,
Dans le chagrin, dans la douleur plongée,
Elle porta ses plaintes à l'amour.
Ce dieu charmant, à ses maux très-sensible,
Promptement vole à son secour:
Il dit aux yeux: est-il possible
De vous livrer à la fureur,
Et qu'une basse jalousie
Altère en vous la beauté la douceur?
Aux lèvres: la funeste envie
Peut-elle vous faire oublier
Que des agrémens, le premier,
D'un beau visage est le charmant sourire,
Et qu'un propos séduisant et flatteur
Est le plus sûr chemin du cœur?
Ce n'est pas tout: je dois encor vous dire
Que c'est moi qui vous ai formés;
De mes traits vous êtes armés;
Placée joliment, il me semble,
Afin qu'étant d'accords ensemble,
Sans cesse vous soyez vainqueurs.
Des blessures faites aux cœurs,
Que l'effet soit toujours semblable,
Quoique lancés par des traits différens.
Si vous suivez mes conseils très-prudens,
Votre bonheur doit être inaltérable.
Il dit, et soudain s'envola.
La paix se rétablit; la discorde enragea,
S'enfuit; Zulima fut heureuse.
Que l'harmonie est précieuse!
Entre deux contendans, l'orgueil et la fierté,
Une injuste rivalité,
Suspendent les progrès d'une belle entreprise.
Le méchant applaudit, l'homme sensé méprise;
Mais le public, juge de l'action,
Souffre toujours de la division.
XIII.
Le Jasmin et le
Tournesol
Dans une haie, auprès d'un beau jardin,
Etait un odorant et modeste jasmin.
Un tournesol, tout fier de sa tige brillante,
L'insultait par ces mots: ta fleur humble et rampante
Se tient cachée au milieu d'un buisson,
Parmi la ronce, et c'est avec raison.
Que deviendrait ta couleur blanche et fade
Auprès de moi, d'un éclat sans pareil,
Puisque je suis l'image du soleil?
Vois-tu cette beauté qu'offre la promenade?
Elle tourne ses yeux sur moi pour m'admirer.
Pour toi, reste ignoré dans cette humble retraite:
Si l'on te voit, c'est pour te mépriser.
Ma gloire sera satisfaite;
On vient et c'est pour me cueillir.
Ainsi parlait cette plante
Trop arrogante:
Mais l'autre était modeste et bornait son desir,
Sans répondre à la querelle,
A répandre autour d'elle.
Un parfum délicieux.
La dame, jeune et charmante,
Séduite à l'odorat du jasmin précieux,
Voit cette fleur simple et touchante,
La cueille, en pare ses cheveux.
Le tournesol, d'une insolence extrême,
Méprisant le jasmin, fut méprisé lui-même.
XIV.
Le Berger et le
vieux Loup
Dans des autres profonds, sauvages, ténébreux,
Aux pieds des Alpes, monts fameux,
Vivaient des loups, guidés par les furies,
Pour désoler toutes les bergeries.
On ne parlait que de crimes nouveaux,
De moutons dévorés ou de tendres agneaux;
Et tous les jours cette troupe assassine,
Fondait sur les troupeaux sa funeste cuisine.
Les vœux stériles des pasteurs
Ne pouvaient des brigands arrêter les fureurs.
Parmi la troupe audacieuse,
Cruelle autant que dangereuse,
Se trouvait un vieux loup, auquel il ne restait
Ni force, ni dents, et n'osait
Assaillir les troupeaux, ni courir la campagne.
Un jour, rudement affamé,
Il vit de loin, gravissant la montagne,
Un berger, des moutons: je ne suis plus armé,
Disait-il; j'ai perdu ma force et mon adresse:
Tel est le fruit de la triste vieillesse.
Au défaut de vigueur, il me faut employer,
Pour assouvir la faim qui me dévore,
La ruse auprès de ce berger,
Qui paraît simple et jeune encore.
Il s'avance et dit au pasteur:
Ami, faisons la paix: désormais je renonce
Au brigandage, à la fureur;
Je ne suis plus cruel, audacieux, voleur.
Rends-moi ton amitié; par l'honneur, je prononce
Le serment de t’être fidèle,
Et de n'écouter ma valeur
Que pour te servir avec zèle.
Songe à ton tour que de notre union
Résulte le bonheur et la paix du canton.
Je ne veux d'autre fruit d'une amitié si pure,
Que le faible secours d'un peu de nourriture.
Tranquille auprès de toi, tu me verras content.
Je ne désire en ce moment,
Pénétré de repentance,
Qu'expier mes forfaits et faire pénitence.
Le pasteur, quoique jeune, était assez prudent;
Il vit bien que ce loup dolent
N’était plus dangereux; il disait en lui-même:
Celui qui feint cette réforme extrême,
N'est qu'un fourbe, qu'un imposteur;
Et sa fausse pénitence,
Un artifice trompeur,
Le fruit de son impuissance
Et nonde sa volonté.
A l'artifice opposons l'artifice.
Monsieur le loup, dit-il, en vérité,
Je suis content de l'offre de service;
Dès ce moment je vais vous le prouver;
Pour cet effet, approchez, je vous prie;
Tous deux nous allons partager
Le produit de ma chasse et de mon industrie.
L'imbécille flatté de l'invitation,
Approche du berger. Un bon coup de bâton,
Bien assené droit sur la nuque,
Fit mordre la poussière à la bête caduque,
Envoya sans beaucoup d'efforts
Cet hypocrite chez les morts.
Les crimes sont pesés dans la juste balance:
Tôt ou tard les forfaits trouvent leur récompense.
XV.
La Villageoise et
l'Habitante de la ville
Un jour riant et serein du printems,
Que nos ayeux, dans tous les tems,
Consacraient au dieu de Cythère,
Une jeune et tendre bergère,
Par ses chants, sa danse et ses jeux,
Célébrait ce jour heureux.
Belle, charmante, vive et pure,
Sans art, sans ornement, que la simple nature;
Son regard exprimait le plus doux sentiment,
Son sourire était séduisant.
Licas, jeune pasteur, témoin de l'allégresse,
Livràit son cœur au feu de la tendresse;
Et ce pasteur, victime de l'amour,
Pour la bergère était pris sans retour;
Mais tout-à-coup une autre scène
Se présente à ce jeune amant,
Et lui fait éprouver un nouveau sentiment.
Une nymphe s'avance elle a le port de reine;
C'était une grave beauté,
Habitante de la cité.
De Junon elle avait la noblesse imposante,
De Vénus les attraits, la grace séduisante;
Cheveux cendrée, le plus beau vermillon
Brillait sur un teint de neige;
Des lèvres de corail; l'air, le geste, le ton,
Semblaient dire je vous protège;
Rien ne paraissait plus brillant
Que cet objet intéressant,
Qui venait à l'amour présenter son hommage.
Licas est ébloui, ne peut voir tant d'appas
Sans en être charmé: soudain il suit les pas
De cette nymphe, et d'un tendre langage
Formait des vœux, exprimait ses désirs,
Faisait entendre des soupirs.
La bergère éprouvant un trait de jalousie,
De l'amour exalté cruelle phrénésie,
Sentait les plus vives douleurs,
Rappellait son amant et répandait des pleurs:
Ingrat! après tant de promesses,
De sermens, de tendres carresses,
Vous me quittez donc sans retour
Mais on ne l'entend plus: dans l'excès de sa peine,
D'un pas léger elle court dans la plaine,
Et va porter ses plaintes à l'amour.
La dame, auteur de tant de trouble,
Arrive auprès du temple révéré.
Le pasteur la fixant d'un regard assûré,
Que tant de nouveauté redouble,
Reconnaît bientôt son erreur.
La nymphe qui de loin paraissait aussi belle
Que Junon, que Vénus, des grâces le modèle,
De près réfroidit son ardeur;
Il vit bien que sa chevelure
Etait postiche; observa que la sueur
Emportait de son teint les roses, la blancheur;
De ses sourcils ne vit que la peinture;
Il reconnut enfin l'artifice trompeur;
De la beauté, l'art faux et destructeur.
Il retourne confus à sa tendre bergère,
Qui d'abord veut s'armer d'une noble fierté;
Mais hélas! tant de cruauté
Dans les champs est arme étrangère:
Quand on voit d'un amant les pleurs, le repentir,
Et qu'on aime, on pardonne avec bien du plaisir.
Sexe charmant, toute beauté factice
Séduit les yeux dans un moment d'erreur:
L'amour connaît peu l'artifice,
Ses traits sont émoussés par un masque imposteur.
XVI.
Les deux Chats
Nonchalamment étendu
Sur le bord d'une croisée,
Un chat lisse et bien dodu
Rappellait à sa pensée,
Avec un très-grand plaisir,
Le bonheur d'appartenir
A son aimable maîtresse,
Qui le comblait de carresse,
Le nourrissait de mets succulens, délicats;
Enfin il se trouvait le plus heureux des chats.
Il était donc sur la fenêtre,
Ce nouveau Rominagrobis,
Qui ne daignait jamais chasser rats et souris.
De-là, bientôt il vit paraître
Un chat maigre et fort chétif,
Se promenant d'un air pensif:
Tantôt il fixait la terre,
Et tantôt s'arrêtait en faisant le gros dos.
Une souris paraît, il s'élance à propos,
L'attrape, la saisit, la croque sans mystère.
Après ce premier exploit,
D'un saut il grimpe sur un toit,
S'établit près d'une gouttière,
S'étend, reste immobile et contrefait le mort.
Un oiseau simple et sans expérience,
Approche, examine, s'avance:
Les curieux ont souvent tort.
Ce voltigeur ne songeant à la ruse,
Au méchant s'abandonne, et sans précaution:
Cette faute était sans excuse.
Le traître chat saisit l'occasion,
Fondit sur l'imprudent avec tant de vitesse,
Qu'il ne put jamais déployer
Ses ailes pour s'envoler.
L'autre matou témoin de ce beau tout d'adresse,
De finesse, d'esprit et de légereté,
Disait tout-bas en lui-même,
J'admire la dextérité,
La ruse de ce chat et son talent suprême:
Ne puis-je pas pour mon amusement,
Et sans tirer à conséquence,
Apprendre un art qui me semble plaisant?
Il dit au chat: mon ami ta science
Me plaît beaucoup: j'aime à voir cette ardeur;
Leste, habile, rusé, je voudrais bien connaître
Quel fut ton instituteur;
Sois le mien, volontiers je te prends pour mon maître.
Le maître, répond le chasseur,
Qui conduit la main de l'artiste,
Enseigne tous les arts, et donne la valeur
Et le courage qui persiste
A vaincre le sommeil, les dangers, tous les maux;
Ce maître est le besoin qui prescrit mes travaux.
L'ayant appris, je crois que votre seigneurie
Ne voudra plus d'une telle industrie.
XVII.
L'Hirondelle et le
Moucheron
Après les jours heureux du plus doux hymenëe,
Une hirondelle infortunée
Pleurait le sort de son mari,
Qui fut si tendrement chéri,
Et qu'un oiseau de proie, impitoyable race,
Déchirait sans pitié dans sa fureur vorace.
Barbare! qui pouvait allumer ton courroux?
Quelle injure t'a fait mon malheureux époux?
A lui donner la mort pouvais-tu te résoudre?
Dit-elle; que le ciel t'écrase de sa foudre,
Vil et trop cruel assassin!
Si Jupiter, qui commande au destin,
Et qui sur l'univers répand sa bienfaisance,
Jette un coup-d'œil compâtissant
Sur l'opprimé, sur l'innocent,
Combien ne dois-tu pas exciter sa vengeance!
Certain moucheron, sous un toit,
Qui sagement se tenait coit,
Du fond de sa retraite obscure,
De la veuve écoutant les soupirs et les pleurs,
Lui dit: je conçois tes douleurs:
Ta plainte est légitime, elle est dans la nature;
Et les foudres du ciel, les tourmens de l'enfer,
Ne te rendront jamais l'époux qui te fut cher.
Mais Jupiter, que l'univers contemple,
Manifeste par cet exemple
Que c'est un dieu plein d'équité.
Ton mari fut cruel, il a bien mérité
Le sort qui pour toi se prépare.
L'un et l'autre méchant, barbare,
Ne vous parant que de fausses vertus,
Combien de fois ne vous a-t-on pas vus
Voltiger dans les airs, le parcourir sans cesse,
Pour dévorer tous ceux de mon espèce?
Tel qui se plaint au ciel, dans sa vive douleur,
Du sort le plus affreux dont le destin l'accable,
Ne voit pas que lui-même il fut impitoyable,
Et qu'il a mérité cet excès de rigueur.
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