Livre Troisième
 

Livre Second
 

La Mère, l'Enfant et les Sarigues
Le vieux Arbre et lé Jardinier
La Brebis et Je Chien
Le Bonhomme et le Trésor
Le Troupeau de Colas
Le Bouvreuil et le Corbeau
Le Singe qui montre la Lanterne magique
L'Enfant et le Miroir
Les deux Chats
Le Cheval et le Poulain
Le Grillon
Le Château de Cartes
Le Phénix
La Pie et la Colombe
L'Éducation du Lion

 
Le Danseur de corde et le Balancier
La jeune Poule et le vieux Renard
Les deux Persans
Myson
Le Chat et le Moineau
Le Roi de Perse
Le Linot

 

Fable I.
La Mère, l'Enfant et les Sarigues
A Madame de la Briche

Vous de qui les attraits, la modeste douceur,
Savent tout obtenir et n'osent rien prétendre,
Vous que l'on ne peut aimer sans devenir plus tendre,
Et qu'on ne peut voir sans devenir meilleur,
Je vous respecte trop pour parler de vos charmes,
       De vos talens, de votre esprit...
Vous aviez déjà peur: bannissez vos alarmes,
       C'est de vos vertus qu'il s'agit.
Je veux peindre en mes vers des mères le modèle,
Le sarigue, animal peu connu parmi nous,
       Mais dont les soins touchants et doux,
       Dont la tendresse maternelle,
       Seront de.quelque prix pour vous.
       Le fond du conte est véritable:
Buffon m'en est garant; qui pourrait en douter?
D'ailleurs tout dans ce genre a droit d'être croyable,
Lorsque c'est devant vous qu'on peut le raconter.

Maman, disait un jour à la plus tendre mère
Un enfant péruvien sur ses genoux assis,
Quel est cet animal qui, dans cette bruyère,
       Se promène avec ses petits?
Il ressemble au renard. Mon fils, répondit-elle,
       Du sarigue c'est la femelle;
       Nulle mère pour ses enfants
N'eut jamais plus d'amour, plus de soins vigilants.
La nature a voulu seconder sa tendresse,
       Et lui fit près de l'estomac
Une poche profonde; une espèce de sac,
Où ses petits, quand un danger les presse,
       Vont mettre à couvert leur faiblesse.
Fais du bruit, tu verras ce qu'ils vont devenir.
L'enfant frappe des mains: la sarigue attentive
       Se dresse, et d'une voix plaintive
Jette un cri; les petits aussitôt d'accourir,
       Et de s'élancer vers la mère,
En cherchant dans son sein leur retraite ordinaire.
       La poche s'ouvre, les petits
       En un moment y blottis,
Ils disparaissent tous; la mère avec vitesse
       S'enfuit emportant sa richesse.
La Péruvienne alors dit à l'enfant surpris:
       Si jamais le sort t'est contraire,
Souviens-toi du sarigue, imitc-le, mon fils:
L'asile le plus sûr est le sein d'une mère.

Fable II.
Le vieux Arbre et lé Jardinier

       Un jardinier, dans son jardin,
       Avait un vieux arbre stérile;
C'était un grand poirier qui jadis fut fertiles:
Mais il avait vieilli, tel est notre destin.
Le jardinier ingrat veut l'abattre un matin;
       Le voilà qui prend sa cognée.
       Au premier coup l'arbre lui dit:
Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit
       Que je t'ai donné chaque année.
La mort va me saisir, je n'ai plus qu'un instant;
       N'assassine pas un mourant
Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine,
Répond le jardinier; mais j'ai besoin de bois.
       Alors, gazouillant à la fois,
       De rossignols une centaine
S'écrie: épargne-le, nous n'avons plus que lui:
Lorsque ta femme vient s'asseoir sous son ombrage,
Nous la réjouissons par notre doux ramage;
Elle est seule souvent, nous charmons son ennui.
Le jardinier les chasse et rit de leur requête;
Il frappe un second coup. D'abeilles un essaim
Sort, aussitôt du tronc, en lui disant: Arrête,
       Ecoute-nous, homme inhumain:
       Si tu nous laisses cet asile,
       Chaque jour nous te donnerons
Un miel délicieux dont tu peux à la ville
       Porter et vendre les rayons;
Cela te touche-t-il? J'en pleure de tendresse,
       Répond l'avare jardinier:
Eh! que ne dois-je pas à ce pauvre poirier
       Qui m'a nourri dans sa jeunesse?
Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux;
C'en est assez pour moi: qu'ils chantent en repos.
Et vous qui daignerez augmenter mon aisance,
Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.
Cela dit, il s'en va, sûr de sa récompense,
       Et laisse vivre le vieux tronc.

       Comptez sur la reconnaissance
       Quand l'intérêt vous en répond.

Fable III.
La Brebis et Je Chien

La brebis et le chien, de tous les temps amis,
Se racontaient un jour leur vie infortunée.
Ah! disait la brebis, je pleure et je frémis
Quand je songe aux malheurs de notre destinée,
Toi, l'esclave de l'homme, adorant des ingrats,
       Toujours soumis, tendre et fidèle,
       Tu reçois, pour prix de ton zèle,
       Des coups et souvent le trépas.
       Moi qui tous les ans les habille,
Qui leur donne du lait et qui fume leurs champs,
Je vois chaque matin quelqu'un de ma famille
       Assassiné par ces méchants.
Leurs confrères les loups dévorent ce qui reste.
       Victimes de ces inhumains,
Travailler pour eux seuls, et mourir par leurs mains,
       Voilà notre destin funeste!
Il est vrai, dit le chien: mais crois-tu plus heureux
       Les auteurs de notre misère?
       Va, ma sœur, il vaut encore mieux
Souffrir le mal que de le faire.

Fable IV.
Le Bonhomme et le Trésor

       Un bon homme de mes parents,
       Que j'ai connu dans mon jeune âge,
Se faisoit adorer de tout son voisinage;
Consulte, vénéré des petits et des grands,
Il vivait dans sa terre en véritable sage.
       Il n'avait pas beaucoup d'écus,
Mais cependant assez pour vivre dans l'aisance;
       En revanche, force vertus,
       Du sens, de l'esprit par-dessus,
Et cette aménité que donne l'innocence.
       Quand un pauvre venait le voir,
S'il avait de l'argent, il donnait des pistoles;
Et, s'il n'en avait point, du moins par ses paroles
Il lui rendait un peu de courage et d'espoir.
       Il raccommodait les familles,
Corrigeait doucement les jeunes étourdis,
       Riait avec les jeunes filles,
       Et leur trouvait de bons maris.
       Indulgent aux défauts des autres,
Il répétait souvent: N'avons-nous pas les nôtres?
Ceux-ci sont nés boiteux, ceux-là sont nés bossus,
       L'un un peu moins, l'autre un peu plus:
       La nature de cent manières
Voulut nous affliger: marchons ensemble en paix,
       Le chemin est assez mauvais
       Sans nous jeter encor des pierres.
       Or il arriva certain jour
Que notre bon vieillard trouva dans une tour
       Un trésor caché sous la terre.
       D'abord il n'y voit qu'un moyen
       De pouvoir faire plus de bien;
       Il le prend, l'emporte et le serre.
Puis, en réfléchissant, le voilà qui se dit:
Cet or que j'ai trouvé ferait plus de profit
       Si j'en augmentais mon domaine;
J'aurais plus de vassaux, je serais plus puissant.
Je peux mieux faire encor: dans la ville prochaine
Achetons une charge, et soyons président.
       Président! oela vaut la peine.
Je n'ai pas fait mon droit, mais, avec mon argent,
On m'en dispensera, puisque cela s'achète.
       Tandis qu'il rêve et qu'il projette,
       Sa servante vient l'avertir
       Que les jeunes gens du village
Dans la cour du château sont à se divertir.
       Le dimanche, c'était l'usage,
Le seigneur se plaisait à danser avec eux.
Oh! ma foi, répond-il, j'ai bien d'autres affaires,
Que l'on danse sans moi. L'esprit plein de chimères
Il s'enferme tout seul pour se tourmenter mieux.
       Ensuite il va joindre à sa somme
Un petit sac d'argent, reste du mois dernier.
       Dans l'instant arrive un pauvre homme
       Qui, tout en pleurs, vient le prier
De vouloir lui prêter vingt écus pour sa taille:
Le collecteur, dit-il, va me mettre en prison,
       Et n'a laissé dans ma maison
       Que six enfants sur de la paille.
Notre nouveau Crésus lui répond durement
       Qu'il n'est point en argent comptant.
Le pauvre malheureux le regarde, soupire,
       Et s'en retourne sans mot dire.
Mais il n'était pas loin, que notre bon seigneur
       Retrouve tout à coup son cœur;
       Il court au paysan, l'embrasse,
       De cent écus lui fait le don,
       Et lui demande encor pardon.
Ensuite il fait crier que sur la grande place
Le village assemblé se rende dans l'instant.
       On obéit; notre bon homme
       Arrive avec toute sa somme,
       En un seul monceau la répand.
Mes amis, leur dit-il, vous voyez cet argent:
Depuis qu'il m'appartient, je ne suis plus le même,
Mon ame est endurcie, et la voix du malheur
       N'arrive plus jusqu'à mon cœur.
Mes enfants, sauvez-moi de ce péril extrême,
Prenez et partagez ce dangereux métal;
Emportez votre part chacun dans votre asile
Entre tous divise, cet or peut être utile:
Réuni chez un seul, il ne fait que du mal.
       Soyons contents du nécessaire
Sans jamais souhaiter de trésors superflus:
Il faut les redouter autant que la misère;
       Comme elle ils chassent les vertus.

Fable V.
Le Troupeau de Colas

Dès la pointe du jour, sortant de son hameau,
Colas, jeune pasteur d'un assez beau troupeau,
       Le conduisait au pâturage.
       Sur sa route il trouve un ruisseau
Que, la nuit précédente, un effroyable orage
Avait rendu torrent; comment passer cette eau?
Chien, brebis et berger, tout s'arrête au rivage.
En faisant un circuit l'on eût gagné le pont;
C'était bien le plus sûr, mais c'était le plus long:
Colas veut abréger. D'abord il considère
       Qu'il peut franchir cette rivière;
       Et, comme ses béliers sont forts,
       Il conclut que, sans grands efforts,
Le troupeau sautera. Cela dit, il s'élance;
Son chien saute après lui, béliers d'entrer en danse,
À qui mieux mieux, courage, allons!
       Après les béliers, les moutons;
Tout est en l'air, tout saute; et Colas les excite
En s'applaudissant du moyen.
Les béliers, les moutons, sautèrent assez bien:
Mais les brebis vinrent ensuite,
Les agneaux, les vieillards, les faibles, les peureux,
       Les mutins, corps toujours nombreux,
Qui refusaient le saut ou sautaient de colère,
       Et, soit faiblesse, soit dépit,
       Se laissaient choir dans la rivière.
Il s'en noya le quart; un autre quart s'enfuit.
       Et sous la dent du loup périt.
       Colas, réduit à la misère,
S'aperçut, mais trop tard, que pour un bon pasteur
       Le plus court n'est pas le meilleur.

Fable VI.
Le Bouvreuil et le Corbeau

Un bouvreuil, un corbeau, chacun dans une cage,
       Habitaient le même logis.
       L'un enchantait par son ramage
La femme, le mari, les gens, tout le ménage:
L'autre les fatiguait sans cesse de ses cris;
Il demandait du pain, du rôti, du fromage,
       Qu'on se pressait de lui porter,
       Afin qu'il voulût bien se taire.
Le timide bouvreuil ne faisait que chanter,
Et ne demandait rien: aussi, pour l'ordinaire,
       On l'oubliait; le pauvre oiseau
       Manquait souvent de grain et d'eau.
Ceux qui louaient le plus de son chant l'harmonie
       N'auraient pas fait le moindre pas
       Pour voir si l'auge était remplie.
Ils l'aimaient bien pourtant, mais ils n'y pensaient pas.
Un jour on le trouva mort de faim dans sa cage.
Ah! quel malheur! dit-on: las! il chantait si bien!
       De quoi donc est-il mort? Certes, c'est grand dommage,
       Le corbeau crie encore et ne manque de rien.

Fable VII.
Le Singe qui montre la Lanterne magique

Messieurs les beaux esprits, dont la prose et les vers
Sont d'un style pompeux et toujours admirable,
Mais que l'on n'entend point, écoutez cette fable,
       Et tâchez de devenir clairs.
Un homme qui montrait la lanterne magique
       Avait un singe dont les tours
       Attiraient chez lui grand concours;
Jacqueau, c'était son nom, sur la corde élastique
       Dansait et voltigeait au mieux,
       Puis faisait le saut périlleux,
Et puis sur un cordon, sans que rien le soutienne,
       Le corps droit, fixe, d'à-plomb,
       Notre Jacqueau fait tout du long
       L'exercice à la prussienne.
Un jour qu'au cabaret son inaître était resté!
        (C'était, je pense, un jour de fête)
        Notre singe en liberté
        Veut faire un coup de sa tête.
Il s'en va rassembler les divers animaux
        Qu'il peut rencontrer dans la ville;
        Chiens, chats, poulets, dindons, pourceaux,
        Arrivent bientôt à la file.
Entrez, entrez, messieurs, criait notre Jacqueau;
C'est ici, c'est ici qu'un spectacle nouveau
Vous charmera gratis. Oui, messieurs, à la porte
On ne prend point d'argent, je fois tout pour l'honneur.
        A ces mots, chaque spectateur
       Va se placer, et l'on apporte
La lanterne magique; on terme les volets,
       Et, par un discours fait exprès,
       Jacqueau prépare l'auditoire.
       Ce morceau vraiment oratoire
       Fit bâiller; mais on applaudit.
Content de son succès, notre singe saisit
Un verre peint qu'il met dans la lanterne.
       Il sait comment on le gouverne,
Et crie en le poussant: Est-il rien de pareil?
       Messieurs, vous voyez le soleil,
       Ses rayons et toute sa gloire.
Voici présentement la lune; et puis l'histoire
       D'Adam, d'Eve et des animaux....
       Voyez, messieurs, comme ils sont' beaux!
       Voyez la naissance du monde;
Voyez.... Les spectateurs, dans une nuit profonde,
Écarquillaient leurs yeux et ne pouvaient rien voir;
       L'appartement, le mur, tout était noir.
Ma foi, disait un chat, de toutes les merveilles
       Dont il étourdit nos oreilles,
       Le fait est que je ne vois rien.
       Ni moi non plus, disait un chien.
Moi, disait un dindon, je vois bien quelque chose;
       Mais je ne sais pour quelle cause
       Je ne distingue pas très-bien.
Pendant tous ces discours, le Cicéron moderne
Parlait éloquemment et ne se lassait point.
       Il n'avait oublié qu'un point,
       C'était d'éclairer sa lanterne.

Fable VIII.
L'Enfant et le Miroir

Un enfant élevé dans un pauvre village
Revint chez ses parents, et fut surpris d'y voir
                Un miroir.
       D'abord il aima son image;
Et puis par un travers bien digne d'un enfant,
       Et même d'un être plus grand,
       Il veut outrager ce qu'il aime,
Lui fait une grimace, et le miroir la rend.
       Alors son dépir est extrême;
       Il lui montre un poing menaçant,
       Il se voit menacé de même.
Notre marmot fâché s'en vient, en frémissant,
Battre cette image insolente;
Il se fait mal aux mains. Sa colère en augmente;
       Et, furieux, au désespoir,
       Le voilà, devant ce miroir,
       Criant, pleurant, frappant la glace.
Sa mère, qui survient, le console, l'embrasse,
       Tarit ses pleurs, et doucement lui dit:
N'as-tu pas commencé par faire la grimace
À ce méchant enfant qui cause ton dépit?
— Oui. — Regarde à présent: tu souris, il sourit;
Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même;
Tu n'es plus en colère, il ne se fâche plus:
De la société tu vois ici l'emblème;
       Le bien, le mal, nous sont rendus.

Fable IX.
Les deux Chats

Deux chats qui descendaient du fameux Rodilard,
Et dignes tous les deux de leur noble origine,
Différoient d'embonpoint: l'un étoit gras à lard,
       C'étoit l'ainé; sous son hermine
       D'un chanoine il ayoit la mine,
Tant il était dodu, potelé, frais et beau:
       Le cadet n'avoit que la peau
       Collée à sa tranchante épine.
Cependant ce cadet, du matin jusqu'au, soir,
       De la cave à la gouttière
       Trottait, courait, il fallait voir!
       Sans en faire meilleure chère.
       Enfin, un jour, au désespoir,
       Il tint ce discours à son frère:
       Explique-moi par quel moyen,
       Passant ta vie à ne rien faire,
Moi travaillant toujours, on te nourrit si bien,
       Et moi si mal. La chose est claire,
Lui répondit l'aine: tu cours tout le logis
Pour manger rarement quelque maigre souris....
— N'est-ce pas mon devoir? — D'accord, cela peut être:
       Mais moi, je reste auprès du maître.
       Je sais Tamuser par mes tours.
Admis à ses repas sans qu'il me réprimande,
Je prends de bons morceaux, et puis je les demande
       En faisant patte de velours;
       Tandis que toi, pauvre imbécile,
       Tu ne sais rien que le servir.
       Va, le secret de réussir,
       C'est d'être adroit, non d'être utile.

Fable X.
Le Cheval et le Poulain

Us bon père cheval, veuf, et n'ayant qu'un fils,
       L'élevait dans un pâturage
       Où les eaux, les fleurs et l'ombrage
Présentaient à la fois tous les biens réunis.
Abusant pour jouir, comme on fait à cet âge,
Le poulain tous les jours se gorgeait de sainfoin;
       Se vautrait dans l'herbe fleurie,
Galopait sans objet, se baignait sans envie,
       Ou se reposait sans besoin.
Oisif et gras à lard, le jeune solitaire
S'ennuya, se lassa de ne manquer de rien:
Le dégoût vint bientôt; il va trouver son père:
Depuis long-temps, dit-il, je ne me sens pas bien;
       Cette herbe est malsaine et me tue,
Ce trèfle est sans saveur, cette onde est corrompue;
L'air qu'on respire ici m'attaque les poumons;
       Bref, je meurs si nous ne partons.
Mon fils, répond le père, il s'agit de ta vie,
       À l'instant même il faut partir.
Sitôt dit, sitôt fait, ils quittent leur patrie.
Le jeune voyageur bondissait de plaisir:
Le vieillard, moins joyeux, allait un train plus sage;
Mais il guidait l'enfant, et le faisait gravir
Sur des monts escarpés, arides, sans herbage,
       Où rien ne pouvait le nourrir.
       Le soir vint, point de pâturage;
       On s'en passa. Le lendemain,
Comme l'on commençait à souffrir de la faim,
On prit du bout des dents une ronce sauvage.
On ne galopa plus le reste du voyage;
À peine, après deux jours, allait-on même au pas.
       Jugeant alors la leçon faite,
Le père va reprendre une route secrète
       Que son fils ne connaissait pas,
       Et le ramène à la prairie,
Au milieu de la nuit. Dès que notre poulain
       Retrouve un peu d'herbe fleurie,
Il se jette dessus: Ah! l'excellent festin,
La bonne herbe! dit-il: comme elle est douce et tendre!
       Mon père, il ne faut pas s'attendre
       Que nous puissions rencontrer mieux;
Fixons-nous pour jamais dans ces aimables lieux;
Ouel pays peut valoir cet asile champêtre?
Comme il parlait ainsi, le jour vint à paraître:
Le poulain reconnaît le pré qu'il a quitté;
Il demeure confus. Le père, avec bonté,
Lui dit: Mon cher enfant, retiens cette maxime:
Quiconque jouit trop est bientôt dégoûté;
       Il faut au bonheur du régime.

Fable XI.
Le Grillon

       Un pau re petit grillon
       Cache dans l'herbe fleurie
       Regardait un papillon
       Voltigeant dans la prairie.
L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs;
L'azur, le pourpre et l'or éclataient sur ses ailes;
Jeune, beau, petit-maître, il court de fleurs en fleurs,
       Prenant et quittant les plus belles.
Ah! disait le grillon, que son sort et le mien
       Sont différents! Dame nature
       Pour lui fit tout, et pour moi rien.
Je n'ai point de talent, encor moins de figure;
Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici bas:
       Autànt vaudrait n'exister pas.
       Comme il parlait, dans la prairie
       Arrivé une troupe d'enfants:
       Aussitôt les voilà courants
Après ce papillon dont ils ont tous envie.
Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper.
L'insecte vainement cherche à leur échapper,
       Il devient bientôt leur conquête.
L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps;
Un troisième survient, et le prend par la tête:
       Il ne fallait pas tant d'efforts
       Pour déchirer la pauvre bête.
Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché;
Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde!
       Pour vivre heureux vivons caché.

Fable XII.
Le Château de Cartes

Un bon mari, sa femme et deux jolis enfants,
Coulaient en paix leurs jours dans le simple ermitage
Où, paisibles comme eux, vécurent leurs parens.
Ces époux, partageant les doux soins du ménage,
Cultivaient leur jardin, recueillaient leurs moissons;
Et le soir, dans l'été soupant sous le feuillage,
       Dans l'hiver devant leurs tisons,
Ils prêchaient à leurs fils la vertu, la sagesse,
Leur parlaient du bonheur qu'ils procurent toujours;
Le père par un conte égayait ses discours,
       La mère par une caresse.
L'aîné de ces enfants, ne grave, studieux,
       Lisait et méditait sans cesse;
Le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse,
Sautait, riait toujours, ne se plaisait qu'aux jeux.
Un soir, selon l'usage, à côté de leur père,
Assis près d'une table où s'appuyait la mère,
L'aîné lisait Rollin: le cadet, peu soigneux
D'apprendre les hauts faits des Romains ou des Parthes,
Employait tout son art, toutes ses facultés,
A joindre, à soutenir par les quatre côtés
       Un fragile château de cartes.
Il n'en respirait pas d'attention, de peur.
       Tout à coup voici le lecteur
Qui s'interrompt: Papa, dit-il, daigne m'instruire
Pourquoi certains guerriers sont nommés conquérants,
       Et d'autres fondateurs d'empire:
       Ces deux noms sont-ils différents?
Le père méditait une réponse sage.
Lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
Après tant de travail, d'avoir pu parvenir
       A placer son second étage,
S'écrie: Il est fini! Son frère murmurant
Se fâche, et d'un seul coup détruit son long ouvrage;
       Et voilà le cadet pleurant.
       Mon fils, répond alors le père,
       Le fondateur c'est votre frère,
       Et vous êtes le conquérant.

Fable XIII.
Le Phénix

       Le phénix venant d'Arabie,
       Dans nos bois parut un beau jour:
Grand bruit chez les oiseaux; leur troupe réunie
Vole pour lui faire sa cour.
       Chacun l'observe, l'examine:
Son plumage, sa voix, son chant mélodieux,
       Tout est beauté, grâce divine,
       Tout charme l'oreille et les yeux.
Pour la première fois on vit céder l'envi
Au besoin de louer et d'aimer son vainqueur.
Le rossignol disait: Jamais tant de douceur
       N'enchanta mon ame ravie.
Jamais, disait le paon, de plus belles couleurs
       N'ont eu cet éclat que j'admire,
Il éblouit mes yeux et toujours les attire.
Les autres répétaient ces éloges flatteurs,
       Vantaient le privilège unique
De ce roi des oiseaux, de cet enfant du ciel,
Qui, vieux, sur un bûcher de cèdre aromatique,
Se consume lui-même, et renaît immortel.
Tendant tous ces discours la seule tourterelle,
       Sans rien dire, fit un soupir.
       Son époux, la poussant de l'aile,
       Lui demande d'où peut venir
       Sa rêverie et sa tristesse:
De cet heureux oiseau désires-tu le sort?
       — Moi! mon ami, je le plains fort;
       Il est le seul de son espèce.

Fable XIV.
La Pie et la Colombe

       Une colombe avait son nid
       Tout auprès du nid d'une pie.
Cela s'appelle voir mauvaise compagnie,
D'accord; mais de ce point pour l'heure il ne s'agit.
       Au logis de la tourterelle
       Ce n'était qu'amour et bonheur;
       Dans l'autre nid toujours querelle,
       Œufs cassés, tapage et rumeur.
Lorsque par son époux la pie était battue,
       Chez sa voisine elle venait,
       Là jasait, criait, se plaignait,
       Et faisait la longue revue
       Des défauts de son cher époux;
Il est fier, exigeant, dur, emporté, jaloux;
De plus, je sais fort bien qu'il va voir des corneilles;
       Et cent autres choses pareilles
       Qu'elle disait dans son courroux.
       Mais vous, répond la tourterelle,
Etes-vous sans défauts? Non, j'en ai, lui dit-elle;
       Je vous le confie entre nous:
En conduite, en propos, je suis assez légère,
Coquette comme on l'est, parfois un peu colère,
Et me plaisant souvent à le faire enrager;
Mais qu'est-ce que cela? —C'est beaucoup trop, ma chère;
       Commencez par vous corriger;
Votre humeur peut l'aigrir... Qu'appelez-vous, ma mie?
       Interrompt aussitôt la pie:
Moi de l'humeur! Comment! je vous conte mes maux,
Et vous m'injuriez! Je vous trouve plaisante.
       Adieu, petite impertinente:
       Mélez-vous de vos tourtereaux.

Nous convenons de nos défauts,
Mais c'est pour que l'on nous démente.

Fable XV.
L'Éducation du Lion

Enfin le roi lion venoit d'avoir un fils;
Partout dans ses États on se livroit en proie
Aux transports éclatants d'une bruyante joie:
       Les rois heureux ont tant d'amis!
       Sire lion, monarque sage,
Songeoit à confier son enfant bien-aimé
Aux soins d'un gouverneur vertueux, estimé,
Sous qui le lionceau fît son apprentissage.
       Vous jugez qu'un choix pareil
       Est d'assez grande importance
       Pour que long-temps on y pense.
Le monarque indécis assemble son conseil:
       En peu de mots il expose
Le point dont il s'agit, et supplie instamment
Chacun des conseillers de nommer franchement
Celui qu'en conscience il croit propre à la chose.
Le tigre se leva: Sire, dit-il , les rois
       N'ont de grandeur que par la guerre;
Il faut que votre fils soit l'effroi de la terre:
       Faites donc tomber votre choix
       Sur le guerrier le plus terrible,
Le plus craint après vous des hôtes de ces bois.
Votre fils saura tout, s'il sait éire invincible.
L'ours fut de cet avis: il ajouta pourtant
       Qu'il fallait un guerrier prudent,
Un animal de poids, de qui l'expérience
Du jeune lionceau sût régler la vaillance
       Et mettre à profit ses exploits.
       Après l'ours, le renard s'explique,
       Et soutient que la politique
       Est le premier talent des rois;
Qu'il faut donc un Mentor d'une finesse extrême
Pour instruire le prince et pour le bien former.
       Ainsi chacun, sans se nommer,
       Clairement s'indiqua soi-même:
De semblables consoils sont communs à la cour.
       Enfin le chien parle à son tour:
Sire, dit-il, je sais qu'il faut faire la guerre,
Mais je crois qu'un bon roi ne la fait qu'à regret;
       L'art de tromper ne me plaît guère;
       Je connais un plus beau secret
Pour rendre heureux l'Etat, pour en être le père.
Pour tenir ses sujets, sans trop les alarmer,
       Dans une dépendance entière;
       Ce secret, c'est de les aimer.
Voilà pour bien régner la science suprême;
Et si vous désirez la voir dans votre fils,
       Sire, montrez-la lui vous-même.
Tout le conseil resta muet à cet avis.
Le lion court au chien: Ami, je te confie
Le bonheur de l'Etat et celui de ma vie;
Prends mon fils, sois son maître, et, loin de tout flatteur,
       S'il se peut, va former son cœur.
Il dit, et le chien part avec le jeune prince.
D'abord à son pupille il persuade bien
Qu'il n'est point lionceau, qu'il n'est qu'un pauvre chien,
Son parent éloigné. De province en province
Il le fait voyager, montrant à ses regards
Les abus du pouvoir, des peuples la misère,
Les lièvres, les lapins mangés par les renards,
Les moutons pas les loups, les cerfs par la panthère,
       Partout le faible terrassé,
       Le bœuf travaillant sans salaire,
       Et le singe récompensé.
Le jeune lionceau frémissait de colère:
Mon père, disait-il, de pareils attentats
Sont-ils connus du roi? Comment pourraient-ils l'être?
Disait le chien: les grands approchent seuls du maître,
       Et les mangés ne parlent pas.
Ainsi, sans raisonner de vertu, de prudence,
Notre jeune lion devenait tous les jours
Vertueux et prudent; car c'est l'expérience
       Qui corrige, et non les discours.
À cette bonne école il acquit avec l'âge
       Sagesse, esprit, force et raison.
       Que lui fallait-il davantage?
Il ignorait pourtant encor qu'il fût lion;
Lorsqu'un jour qu'il parlait de sa reconnaissance
       À son maître, à son bienfaiteur,
Un tigre furieux, d'une énorme grandeur,
Paraissant tout à coup, contre le chien s'avance.
       Le lionceau plus prompt s'élance,
Il hérisse ses crins, il rugit de fureur,
Bat ses flancs de sa queue, et ses griffes sanglantes
Ont bientôt dispersé les entrailles fumantes
       De son redoutable ennemi.
À peine il est vainqueur qu'il court àson ami:
Oh! quel bonheur pour moi d'avoir sauvé ta vie!
       Mais quel est mon étonnement!
Sais-tu que l'amitié, dans cet heureux moment,
M'a donné d'un lion la force et la furie?
Vous l'êtes, mon cher fils, oui, vous êtes mon roi,
       Dit le chien tout baigne de larmes.
Le' voilà donc venu, ce moment plein de charmes,
Où, vous rendant enfin tout ce que je vous dois,
Je peux vous dévoiler un important mystère!
Retournons à la cour, mes travaux sont finis.
Cher prince, malgré moi, cependant je gémis,
Je pleure, pardonnez, tout l'État trouve un père,
       Et moi je vais perdre mon fils.

Fable XVI.
Le Danseur de corde et le Balancier

Sur la corde tendue un jeune voltigeur
Apprenait à danser; et déjà son adresse,
       Ses tours de force, de souplesse,
       Faisaient venir maint spectateur.
Sur son étroit chemin on le voit qui s'avance.
Le balancier en main, l'air libre, le corps droit.
       Hardi, léger autant qu'adroit;
Il s'élève, descend, va, vient, plus haut s'élance,
       Retombe, remonte en cadence.
       Et, semblable à certains oiseaux
Qui rasent en volant la surface des eaux,
       Son pied touche, sans qu'on le voie,
À la corde qui plie et dans fair le renvoie,
Notre jeune danseur, tout fier de son talent,
Dit un jour: À quoi bon ce balancier pesant
       Qui me fatigue et m'embarrasse?
Si je dansais sans lui, j'aurais bien plus de grâce,
       De force et de légèreté.
Aussitôt fait que dit. Le balancier jeté,
Notre étourdi chancelle, étend les bras et tombe.
Il se cassa le nez, et tout le monde en rît.
Jeunes gens, jeunes gens, ne vous a-t-on pas dit
Que sans règle et sans frein tôt ou tard on succombe?
La vertu, la raison, les lois, l'autorité,
Dans vos désirs fougueux vous causent quelque peine:
       C'est le balancier qui vous gène,
       Mais qui fait votre sûreté.

Fable XVII.
La jeune Poule et le vieux Renard

Une poulette jeune et sans expérience,
      En trottant, cloquetant, grattant,
      Se trouva, je ne sais comment,
Fort loin du poulailler, berceau de son enfance.
Elle s'en aperçut qu'il étoit déja tard.
Comme elle y retournoit, voici qu'un vieux renard
      À ses yeux troublés se présente.
      La pauvre poulette tremblante
      Recommanda son ame à Dieu.
      Mais le renard, s'approchant d'elle,
      Lui dit: Hélas! mademoiselle,
      Votre frayeur m'étonne peu;
      C'est la faute de mes confrères,
Gens de sac et de corde, infàmes ravisseurs.
      Dont les appétits sanguinaires
      Ont rempli la terre d'horreurs.
Je ne puis les changer, mais du moins je travaille
      À préserver par mes conseils
      L'innocente et foible volaille
      Des attentats de mes pareils.
Je ne me trouve heureux qu'en me rendant utile;
Et j'allois de ce pas jusque dans votre asile
Pour avertir vos sceurs qu'il court un mauvais bruit,
Cest qu'un certain renard, méchant autant qu'habile
      Doit vous attaquer cette nuit.
Je viens veiller pour vous. La crédule innocente
      Vers le poulailler le conduit;
      À peine est-il dans ce réduit,
Qu'il tue, étrangle, égorge, et sa griffe sanglante
Entasse les mourants sur la terre étendus,
Comme fit Diomède au quartier de Rhésus.
      Il croqua tout, grandes, petites,
Coqs, poulets et chapons; tout périt sous ses dents.

La pire espèce de méchants
Est celle des vieux hypocrites.

Fable XVIII.
Les deux Persans

Cette pauvre raison dont l'homme est si jaloux,
N'est qu'un pâle flambeau qui jette autour de nous
       Une triste et faible lumière;
Par-delà c'est la nuit. Le mortel téméraire
Qui veut y pénétrer marche sans savoir où.
Mais ne point profiter de ce bienfait suprême,
Eteindre son esprit, et s'aveugler soi-même,
       C'est un autre excès non moins fou.

       En Perse il fut jadis deux frères,
Adorant le soleil, suivant l'antique loi.
       L'un d'eux, chancelant dans sa foi,
       N'estimant rien que ses chimères,
Prétendait méditer, connaître, approfondir
       De son dieu la sublime essence;
Et du matin au soir, afin d'y parvenir.
L'œil toujours attaché sur l'astre qu'il encense,
Il voulait expliquer le secret de ses feux.
Le pauvre philosophe y perdit les deux yeux,
Et dès-lors du soleil il nia l'existence.
       L'autre était crédule et bigot;
       Effrayé du sort de son frère,
Il y vit de l'esprit l'abus trop ordinaire,
Et mit tous ses efforts à devenir un sot:
On vient à bout de tout; le pauvre solitaire
       Avait peu de chemin à faire,
       Il fut content de lui bientôt.
Mais, de peur d'offenser l'astre qui nous éclaire,
Et portant jusqu'à lui des regards indiscrets,
       Il se fit un trou sous la terre,
Et condamna ses yeux à ne le voir jamais.
Humains, pauvres humants, jouissez des bienfaits
D'un dieu que vainement la raison veut comprendre,
Mais que l'on voit partout, mais qui parle à nos cœurs.
Sans vouloir deviner ce qu'on ne peut apprendre,
Sans rejeter les dons que sa main sait répandre,
Employons notre esprit à devenir meilleurs.
Nos vertus au Très-Haut sont le plus digne hommage,
       Et l'homme juste est le seul sage.

Fable XIX.
Myson

       Myson fut connu dans la Grèce
       Par son amour pour la sagesse;
Pauvre, libre, content, sans soins, sans embarras,
Il vivait dans les bois, seul, méditant sans cesse,
       Et parfois riant aux éclats.
       Un jour deux Grecs vinrent lui dire:
De ta gaîté, Myson, nous sommes tous surpris:
       Tu vis seul; comment peux-tu rire?
Vraiment, répondit-il, voilà pourquoi je ris.

Fable XX.
Le Chat et le Moineau

       La prudence est bonne de soi;
Mais la pousser trop loin est une duperie:
       L'exemple suivant en fait foi.
Des moineaux habitaient dans une métairie.
Un beau champ de millet, voisin de la maison,
       Leur donnait du grain à foison.
Ces moineaux dans le champ passaient toute leur vie
Occupés de gruger les épis de millet.
Le vieux chat du logis les guettait d'ordinaire,
Tournait et retournait; mais il avait beau faire,
Sitôt qu'il paraissait, la bande s'envolait.
Comment les attraper? Notre vieux chat y songe,
       Médite, fouille en son cerveau,
Et trouve un tour tout neuf. Il va tremper dans l'eau
       Sa patte dont il fait éponge.
Dans du millet en grain aussitôt il la plonge;
       Le grain s'attache tout autour.
Alors à cloche-pied, sans bruit, par un détour,
       Il va gagner le champ, s'y couche
       La patte en l'air et sur le dos,
       Ne bougeant non plus qu'une souche.
Sa patte ressemblait à l'épi le plus gros:
L'oiseau s'y méprenait, il approchait sans crainte,
Venait pour becqueter: de l'autre patte, Crac!
       Voilà mon oiseau dans le sac.
       Il en prit vingt par cette feinte.
Un moineau s'aperçoit du piège scélérat,
       Et prudemment fuit la machine;
       Mais dès ce jour il s'imagine
Que chaque épi de grain était patte de chat.
       Au fond de son trou solitaire
       Il se retire, et plus n'en sort,
       Supporte la faim, la misère,
       Et meurt pour éviter la mort.

Fable XXI.
Le Roi de Perse

       Un roi de Perse certain jour
       Chassoit avec toute sa cour.
       Il eut soif, et dans cette plaine
       On ne trouvoit point de fontaine.
Près de là seulement étoit un grand jardin
Rempli de beaux cédrats, d'oranges, de raisin:
       A Dieu ne plaise que j'en mange!
Dit le roi, ce jardin courroit trop de danger:
Si je me permettais d'y cueillir une orange,
Mes visirs aussitôt mangeraient le verger.

Fable XXII.
Le Linot

       Une linotte avait un fils
       Qu'elle adorait selon l'usage;
C'était l'unique fruit du plus doux mariage,
Il le plus beau linot qui fût dans le pays.
Sa mère en était folle, et tous les témoignages
Que peuvent inventer la tendresse et l'amour
Etaient pour cet enfant épuisés chaque jour.
Notre jeune linot, fier de ces avantages,
Se croyait un phénix, prenait l'air suffisant,
       Tranchait au petit important
       Avec les oiseaux de son âge:
Persiflait la mésange ou bien le roitelet,
       Donnait à chacun son paquet,
Et se faisait haïr de tout le voisinage.
Sa mère lui disait: Mon cher fils, sois plus sage,
Plus modeste surtout. Hélas! je conçois bien
Les dons, les qualités qui furent ton partage;
       Mais feignons de n'en savoir rien,
       Pour qu'on les aime davantage.
       À tout cela notre linot
       Répondait par quelque bon mot;
La mère en gémissait dans le fond de son ame.
       Un vieux merle, ami de la dame,
Lui dit: Laissez aller votre fils au grand bois,
       Je vous réponds qu'avant un mois
Il sera sans défauts. Vous jugez des alarmes
De la mère, qui pleure et frémit du danger;
Mais le jeune linot brûlait de voyager,
       Il partit donc malgré ses larmes.
       À peine est-il dans la forêt,
       Que notre petit personnage
       Du pivert entend le ramage,
       Et se moque de son fausset.
Le pivert, qui prit mal cette plaisanterie
Vient à bons coups de bec plumer le persifleur,
       Et, deux jours après, une pie
Le dégoûte à jamais du métier de railleur.
Il lui restait encor la vanité secrète
       De se croire excellent chanteur;
       Le rossignol et la fauvette
       Le guérirent de son erreur.
       Bref, il retourna chez sa mère
Doux, poli, modeste et charmant.

Ainsi l'adversité fit, dans un seul moment,
Ce que tant de leçons n'avaient jamais pu faire.