Livre Quatrième
 

Livre Troisième
 

Les Singes et le Léopard
L'Inondation
Le Sanglier et les Rossignols
Le Rhinocéros et le Dromadaire
Le Rossignol et le Paon
Hercule au ciel
Le Lièvre, ses Amis et les deux Chevreuils
Les deux Bacheliers
Le Roi Alphonse
Le Renard déguisé
Le Dervis, la Corneille et le Faucon
Les Enfants et les Perdreaux
Le Castor et le Sanglier
La Balance de Minos
Le Renard qui prêche

 
Le Paon, les deux Oisons at le Plongeon
Le Hibou, le Chat, l'Oison et le Rat
Le Parricide
L'Amour et sa Mère
Le Perroquet confiant
L'Aigle et la Colombe
Le Lion et le Léopard

 

Fable I.
Les Singes et le Léopard


Des singes dans un bois jouaient à la main chaude;
       Certaine guenon moricaude,
Assise gravement, tenait sur ses genoux
La tête de celui qui, courbant son échine,
       Sur sa main recevait les coups.
       On frappait fort, et puis devine!
Il ne devinait point; c'était alors des ris,
       Des sauts, des gambades, des cris.
Attiré par le bruit du fond de sa tanière,
Un jeune léopard, prince assez débonnaire,
Se présente au milieu de nos singes joyeux.
Tout tremble à son aspect. Continuez vos jeux,
Leur dit le léopard, je n'en veux à personne:
       Rassurez-vous, j'ai l'âme bonne;
Et je viens même ici, comme particulier,
       A vos plaisirs m'associer.
       Jouons, je suis de la partie.
       Ah! Monseigneur, quelle bonté!
Quoi! Votre altesse veut, quittant sa dignité,
Descendre jusqu'à nous? — Oui, c'est ma fantaisie.
Mon altesse eut toujours de la philosophie,
Et sait que tous les animaux
       Sont égaux.
Jouons donc, mes amis; jouons, je vous en prie.
Les singes enchantés crurent à ce discours,
       Comme l'on y croira toujours.
       Toute la troupe joviale
Se remet à jouer: l'un d'entre eux tend la main,
       Le léopard frappe, et soudain
On voit couler du sang sous la griffe royale.
Le singe cette fois devina qui frappoit;
       Mais il s'en alla sans le dire.
Ses compagnons faisaient semblant de rire,
       Et le léopard seul rioit.
Bientôt chacun s'excuse et s'échappe à la hâte
       En se disant entre leurs dents:
       Ne jouons point avec les grands,
Le plus doux a toujours des griffes à la patte.


Fable II.
L'Inondation

Des laboureurs vivoient paisibles et contents
       Dans un riche et nombreux village;
Dès l'aurore ils alloient travailler à leurs champs,
       Le soir ils revenoient chantants
       Au sein d'un tranquille ménage;
       Et la nature bonne et sage,
Pour prix die leurs travaux, leur donnoit tousses ans
       De beaux blés et de beaux enfants.
Mais il faut bien souffrir, c'est notre destinée.
       Or il arriva qu'une année,
       Dans le mois où le blond Phébus
S'en va faire visite au brûlant Sirius,
       La terre, de sucs épuisée,
       Ouvrant de toutes parts son sein,
       Haletait sous un ciel d'airain.
       Point de pluie et point de rosée.
Sur un sol crevassé l'on voit noircir le grain;
Les épis sont brûlés, et leurs têtes penchées
       Tombent sur leurs tiges séchées.
       On trembla de mourir de faim;
La commune s'assemble. En hâte on délibère;
       Et chacun, comme à l'ordinaire,
       Parle beaucoup et rien ne dit.
Enfin quelques vieillards, gens de sens et d'esprit,
       Proposèrent un parti sage:
Mes amis, dirent-ils, d'ici vous pouvez voir
       Ce mont peu distant du village:
Là se trouve un grand lac, immense réservoir
Des souterraines eaux qui s'y font un passage.
Allez saigner ce lac; mais sachez ménager
       Un petit nombre de saignées,
Afin qu'à votre gré vous puissiez diriger
Ces bienfaisantes eaux dans vos terres baignées.
Juste quand il faudra nous les arrêterons.
Prenez bien garde au moins... Oui, oui, courons, courons,
       S'écrie aussitôt l'assemblée.
       Et voilà mille jeunes gens
Armés d'hoyaux, de pics, et d'autres instrumens,
Oui volent vers le lac: la terre est travaillée
Tout autour de ses bords; on perce en cent endroits
             À la fois:
D'un morceau de terrain chaque ouvrier se charge:
       Courage, allons! point de repos!
L'ouverture jamais ne peut être assez large.
Cela fut bientôt fait. Avant la nuit, les eaux,
Tombant de tout leur poids sui leur digue affaiblie.
       De partout roulent à grands flots.
Transports et complimens de la troupe ébahie,
       Qui s'admire dans ses travaux.
Le lendemain matin ce ne fut pas de même:
Ou voit flotter les blés sur ua océan d'eau,
Pour sortir du village il faut prendre un bateau;
Tout est perdu, noyé. La douleur est extrême,
On s'en prend aux vieillards. C'est vous, leur disait-on,
       Qui nous coûtez notre moisson;
Votre maudit conseil... Il était salutaire,
Répondit un d'entre eux; mais ce qu'on vient' de faîre
Est fort loin du conseil comme de la raison.
Nous voulions un peu d'eau, vous nous lâchez la bonde;
L'excès d'un très-grand bien devient un mal très-grand:
       Le sage arrose doucement,
       L'insensé tout de suite inonde.

Fable III.
Le Sanglier et les Rossignols

       Un homme riche, sot et vain,
Qualités qui parfois marchent de compagnie,
Croyait pour tous les arts avoir un goût divin,
Et pensait que son or lui donnait du génie.
Chaque jour à sa table on voyait réunis
Peintres, sculpteurs, savants, artistes, beaux esprits,
       Qui lui prodiguaient les hommages,
Lui montraient des dessins, lui lisaient des ouvrages,
Ecoutaient les conseils qu'il daignait leur donner,
Et l'appelaient Mécène en mangeant son dîner.
Se promenant un soir dans son parc solitaire,
Suivi d'un jardinier, homme instruit et de sens,
Il vit un sanglier qui labourait la terre,
Comme ils font quelquefois pour aiguiser leurs dents.
Autour du sanglier, les merles, les fauvettes,
Surtout les rossignols, voltigeant, s'arrêtant,
Répétaient à l'envi leurs douces chansonnettes,
       Et le suivaient toujours chantant.
L'animal écoutait l'harmonieux ramage
Avec la gravité d'un docte connaisseur,
Baisait parfois la hure en signe de faveur,
Ou bien, la secouant, refusait son suffrage.
       Qu'est ceci? dit le financier:
       Comment! les chantres du bocage
Pour leur juge ont choisi cet animal sauvage?
       Nenni, répond le.jardinier:
De la terre par lui fraîchement labourée
Sont sortis plusieurs vers, excellente curée
       Qui seule attire ces oiseaux;
       Ils ne se tiennent à sa suite
       Que pour manger ces vermisseaux,
Et l'imbécile croit que c'est pour son mérite.

Fable IV.
Le Rhinocéros et le Dromadaire

       Un rhinocéros jeune et fort
       Disait un jour au dromadaire:
    Expliquez-moi, s'il vous plaît, mon cher frère,
D'où peut venir pour nous l'injustice du sort.
L'homme, cet animal puissant par son adresse,
Vous recherche avec soin, vous loge, vous chérit,
       De son pain même vous nourrit,
       Et croit augmenter sa richesse
       En multipliant votre espèce.
       Je sais bien que sur votre dos
Vous portez ses enfants, sa femme, ses fardeaux;
Que vous êtes léger, doux, sobre, infatigable;
J'en conviens franchement: mais le rhinocéros
       Des mêmes vertus est capable.
Je crois même, soit dit sans vous mettre en courroux,
       Que tout l'avantage est pour nous:
       Notre corne et notre cuirasse
       Dans les combats pourraient servir;
       Et cependant l'homme nous chasse,
Nous méprise, nous hait, et nous force à le fuir.
       Ami, répond le dromadaire,
De notre sort ne soyez point jaloux;
C'est peu de servir l'homme, il faut encor lui plaire.
Vous êtes étonné qu'il nous préfère à vous:
Mais de cette faveur voici tout le mystère,
       Nous savons plier les genoux.

Fable V.
Le Rossignol et le Paon

L'aimable et tendre Philomèle,
Voyant commencer les beaux jours,
Racontoit à l'écho fidèle
Et ses malheurs et ses amours.

Le plus beau paon du voisinage,
Maître et sultan de ce canton,
Élevant la tête et le ton,
Vint interrompre son ramage.

C'est bien à toi, chantre ennuyeux,
Avec un si triste plumage;
Et ce long bec, et ces gros yeux,
De vouloir charmer ce bocage!

A la beauté teale il va bien
D'oser célébrer la tendresse:
De quel droit chantes-tu, sans.cesse?
Moi qui suis beau, je ne dis rîen.

Pardon, répondit Philomèle:
Il est vrai, je ne suis pas belle;
Et, si je chante dans ce bois,
Je n'ai de titre que ma voix.

Mais vous, dont la noble arrogance
M'ordonne de parler plus bas,
Vous vous taisez par impuissance,
Et n'avez que vos seuls appas.

Ils doivent éblouir sans doute;
Est-ce assez pour se faire aimer?
Allez, puisqu'Amour n'y voit goutte,
C'est l'oreille qu'il faut charmer.

Fable VI.
Hercule au ciel

Lorsque le fils d'Alcmène, après ses longs travaux,
Fut reçu dans le ciel, tous les dieux s'empressèrent
De venir au-devant de ce fameux héros.
Mars, Minerve, Vénus, tendrement l'embrassèrent;
Junon même lui fit un accueil assez doux.
Hercule transporté les remercioit tous,
Quand Plutus, qui vouloit être aussi de la fête,
Vint d'un air insolent lui présenter la main.
Le héros irrité passe en tournant la tête.
       Mon fils, lui dit alors Jupin,
Que t'a donc fait ce dieu? D'où vient que la colère,
       À son aspect, trouble tes sens?
       — C'est que je le connais, mon père,
       Et presque toujours, sur la terre,
       Je l'ai vu l'ami des méchants.

Fable VII.
Le Lièvre, ses Amis et les deux Chevreuils

       Un lièvre de bon caractère
Voulait avoir beaucoup d'amis.
Beaucoup! me direz-vous, c'est une grande affaire;
       Un seul est rare en ce pays.
J'en conviens; mais mon lièvre avait cette marotte,
       Et ne savait pas qu'Aristote
Disait aux jeunes Grecs à son école admis:
       Mes amis, il n'est point d'amis.
Sans cesse il s'occupait d'obliger et de plaire;
S'il passait un lapin, d'un air doux et civil,
Vite il courait à lui: Mon cousin, disait-il,
J'ai du beau serpolet tout près de ma tanière,
De déjeûner chez moi faites-moi la faveur.
S'il voyait un cheval paître dans la campagne,
Il allait l'aborder: Peut-être monseigneur
A-t-il besoin de boire; au pied de la montagne
       Je connais un lac transparent
Qui n'est jamais ridé par le moindre zéphyre:
       Si monseigneur veut, dans l'instant
       J'aurai l'honneur de l'y conduire.
       Ainsi, pour tous les animaux,
       Cerfs, moutons, coursiers, daims, taureaux,
Complaisant, empressé, toujours rempli de zèle;
Il voulait de chacun faire un ami fidèle,
Et s'en croyait aimé parce qu'il les aimait.
Certain jour que, tranquille en son gîte, il dormait,
Le bruit du cor l'éveille, il décampe au plus vite;
       Quatre chiens s'élancent après,
       Un maudit piqueur les excite,
Et voilà notre lièvre arpentant les guérets.
Il va, tourne, revient, aux mêmes lieux repasse,
       Saute, franchit un long espace
Pour dévoyer les chiens, et prompt comme l'éclair,
       Gagne pays, et puis s'arrête:
       Assis, les deux pattes en l'air,
L'oeil et l'oreille au guet, il élève la tête,
Cherchant s'il ne voit point quelqu'un de ses amis.
       Il aperçoit dans des taillis
Un lapin que toujours il traita comme un frère;
Il y court: par pitié, sauve-moi, lui dit-il,
       Donne retraite à ma misère,
Ouvre-moi ton terrier; tu vois l'affreux péril...
Ah! que j'en suis fâché! répond d'un air tranquille
Le lapin: je ne puis t'offrir mon logement,
       Ma femme accouche en ce moment,
Sa famille et la mienne ont rempli mon asile;
       Je te plains bien sincèrement;
Adieu, mon cher ami. Cela dit, il s'échappe,
       Et voici la meute qui jappe.
Le pauvre lièvre part. À quelques pas plus loin,
Il rencontre un taureau que, cent fois au besoin,
Il avait obligé; tendrement il le prie
D'arrêter un moment cette meute en furie
       Qui de ses cornes aura peur.
Hélas! dit le taureau, ce serait de grand cœur:
       Mais des génisses la plus belle
Est seule dans ce bois, je l'entends qui m'appelle:
Et tu ne voudrais pas retarder mon bonheur.
Disant ces mots, il part. Notre lièvre, hors d'haleine,
Implore vainement un daim, un cerf dix cors,
Ses amis les plus sûrs; ils l'écoutent à peine,
       Tant ils ont peur du bruit des cors.
Le pauvre infortuné, sans force et sans courage,
Allait se rendre aux chiens, quand du milieu du bois
Deux chevreuils reposant sous le même feuillage
       Des chasseurs entendent la voix:
L'un deux se lève et part; la meute sanguinaire
       Quitte le lièvre et court après.
       En vain le piqueur en colère
Crie, et jure, et se fâche; à travers les forêts
       Le chevreuil emmène la chasse,
Va faire un long circuit, et revient au buisson
       Où l'attendait son compagnon,
       Qui dans l'instant part à sa place.
Celui-ci fait de même; et, pendant tout le jour,
Les deux chevreuils lancés et quittés tour à tour
       Fatiguent la meute obstinée.
       Enfin les chasseurs tout honteux
Prennent le bon parti de retourner chez eux.
       Déjà la retraite est sonnée,
Et les chevreuils rejoints. Le lièvre palpitant
S'approche, et leur raconte, en les félicitant,
Que ses nombreux amis, dans ce péril extrême,
L'avaient abandonné. Je n'en suis pas surpris,
Répond un des chevreuils: à quoi bon tant d'amis?
       Un seul suffit quand il nous aime.

Fable VIII.
Les deux Bacheliers

Deux jeunes bacheliers logés chez un docteur
       Y travaillaient avec ardeur
À se mettre en état de prendre leurs licences.
Là, du matin au soir, en public disputant,
       Prouvant, divisant, ergotant
       Sur la nature et ses substances,
L'infini, le fini, l'ame, la volonté,
Les sens, le libre arbitre et la nécessité,
Ils en étaient bientôt à ne plus se comprendre:
Même par-là souvent l'on dit qu'ils commençaient;
       Mais c'est alors qu'ils se poussaient
Les plus beaux argumens; qui venait les entendre,
       Bouche béante demeurait,
Et leur professeur même en extase admirait.
Une nuit qu'ils dormaient dans le grenier du maître
Sur un grabat commun, voilà mes jeunes gens
       Qui, dans un rêve, pensent être
       À se disputer sur les bancs.
Je démontre, dit l'un. Je distingue, dit l'autre.
Or, voici mon dilemme. Ergo, voici le nôtre.....
À ces mots, nos rêveurs, criants, gesticulants,
Au lieu de s'en tenir aux simples arguments
D'Aristote ou de Scot, soutiennent leur dilemme
       De coups de poing bien assenés
                  Sur le nez.
Tous deux sautent du lit dans une rage extrême,
       Se saisissent par les cheveux,
Tombent et font tomber pêle-mêle avec eux
Tous les meubles qu'ils ont, deux chaises, une table,
Et quatre in-folios écrits sur parchemin.
Le professeur arrive, une chandelle en main,
       À ce tintamarre effroyable:
Le diable est donc ici! dit-il tout hors de soi:
Comment! sans y voir clair et sans savoir pourquoi,
Vous vous battez ainsi! Quelle mouche vous pique?
Nous ne nous battons point, disent-ils; jugez mieux,
       C'est que nous repassons tous deux
       Nos leçons de métaphysique.

Fable IX.
Le Roi Alphonse

Certain roi qui régnait sur les rives du Tage,
       Et que l'on surnomma le Sage,
       Non parce qu'il était prudent,
       Mais parce qu'il était savant,
Alphonse, fut surtout un habile astronome.
Il connaissait le ciel bien mieux que son royaume,
       Et quittait souvent son conseil
       Pour la lune ou pour le soleil.
Un soir qu'il retournait à son observatoire,
       Entouré de ses courtisans,
Mes amis, disait-il, enfin j'ai lieu de croire
       Qu'avec mes nouveaux instruments
Je verrai, cette nuit, des hommes dans la lune.
       Votre majesté les verra,
Répondait-on; la chose est même trop commune,
       Elle doit voir mieux que cela.
Pendant tous ces discours, un pauvre, dans la rue,
S'approche en demandant humblement, chapeau bas,
Quelques maravédis; le roi ne l'entend pas,
Et sans le regarder son chemin continue.
Le pauvre suit le roi , toujours tendant la main,
Toujours renouvelant sa prière importune:
Mais, les yeux vers le ciel, le roi, pour tout refrain,
Répétait: Je verrai des hommes dans la lune.
       Enfin le pauvre le saisit
Par son manteau royal, et gravement lui dit:
Ce n'est pas de là haut, c'est des lieux où nous sommes
       Que Dieu vous a fait souverain.
Regardez à vos pieds; là vous verrez des hommes,
       Et des hommes manquant de pain.

Fable X.
Le Renard déguisé

Un renard plein d'esprit, d'adresse, de prudence,
A la cour d'un lion servait depuis long-temps;
       Les succès les plus éclatants
Avaient prouvé son zèle et son intelligence.
Pour peu qu'on l'employât, toute affaire allait bien.
On le louait beaucoup, mais sans lui donner rien;
Et l'habile renard était dans l'indigence.
       Lassé de servir des ingrats,
De réussir toujours sans en être plus gras,
Il s'enfuit de la cour dans un bois solitaire.
       Il s'en va trouver son grand-père,
Vieux renard retiré, qui jadis fut visir.
Là, contant ses exploits, et puis les injustices,
       Les dégoûts qu'il eut à souffrir,
Il demande pourquoi de si nombreux services
       N'ont jamais pu rien obtenir.
Le bon-homme renard, avec sa voix cassée,
Lui dit: Mon cher enfant, la semaine passée,
Un blaireau, mon cousin, est mort dans ce terrier:
       C'est moi qui suis son héritier,
J'ai conservé sa peau; mets-la dessus la tienne,
Et retourne à la cour. Le renard avec peine
Se soumit au conseil: affublé de la peau
       De feu son cousin le blaireau,
Il va se regarder dans l'eau d'une fontaine,
Se, trouve l'air d'un sot, tel qu'était le cousin.
Tout honteux, de la cour il reprend lé chemin.
Mais quelques mois après, dans un riche équipage,
Entouré de valets, d'esclaves, de flatteurs,
       Comblé de dons et de faveurs,
Il vient de sa fortune au vieillard faire hommage:
Il était grand visir. Je te l'avais bien dit,
       S'écrie alors le vieux grand-pére;
Mon ami, chez les grands quiconque voudra plaire
       Doit d'abord cacher son esprit.

Fable XI.
Le Dervis, la Corneille et le Faucon

       Un de ces pieux solitaires
Oui, détachant leur coeur des choses d'ici bas,
Font voeu de renoncer à des biens qu'ils n'ont pas,
       Pour vivre du bien de leurs frères,
Un dervis, en un mot, s'en allait mendiant
               Et priant;
Lorsque les cris plaintifs d'une jeune corneille,
Par des parens cruels laissée en son berceau,
Presque sans plume encor, vinrent à son oreille.
Notre dervis regarde, et voit le pauvre oiseau
Allongeant sur son nid sa tête demi-nue:
       Dans l'instant, du haut de la nue,
       Un faucon descend vers ce nid;
       Et, le bec rempli de pâture,
       Il apporte sa nourriture
       À l'orpheline qui gémit.
O du puissant Alla providence adorable!
S'écria le dervis: plutôt qu'un innocent
Périsse sans secours, tu rends compatissant
       Des oiseaux le moins pitoyable!
Et moi, fils du Très-Haut, je chercherais mon pain!
       Non, par le prophète j'en jure,
Tranquille désormais, je remets mon destin
A celui qui prend soin de toute la nature.
Cela dit, le dervis, couché tout de son long,
       Se met à bayer aux corneilles,
De la création admire les merveilles,
       De l'univers l'ordre profond.
       Le soir vint; notre solitaire
Eut un peu d'appétit en faisant sa prière:
Ce n'est rien, disait-il; mon souper va venir.
Le souper ne vient point. Allons, il faut dormir,
Ce sera pour demain. Le lendemain, l'aurore
       Paraît, et point de déjeûner.
       Ceci commence à l'étonner;
       Cependant il persiste encore,
Et croit à chaque instant voir venir son dîner.
Personne n'arrivait; la journée est finie,
Et le dervis à jeun voyait d'un œil d'envie
       Ce faucon qui venait toujours
       Nourrir sa pupille chérie.
Tout à coup il l'entend lui tenir ce discours:
       Tant que vous n'avez pu, ma mie,
       Pourvoir vous-même à vos besoins,
       De vous j'ai pris de tendres soins;
       À présent que vous voilà grande,
Je ne reviendrai plus. Alla nous recommande
       Les faibles et les malheureux;
       Mais être faible, ou paresseux,
       C'est une grande différence.
       Nous ne recevons l'existence
Qu'afin de travailler pour nous ou pour autrui.
De ce devoir sacré quiconque se dispense
       Est puni de la providence
       Par le besoin ou par l'ennui.
Le faucon dit et part. Touché de ce langage,
Le dervis converti reconnaît son erreur,
       Et, gagnant le premier village,
       Se fait valet de laboureur.

Fable XII.
Les Enfants et les Perdreaux

Deux enfants d'un fermier, gentils, espiègles, beaux,
       Mais un peu gâtés par leur père,
       Cherchant des nids dans leur enclos,
       Trouvèrent de petits perdreaux
       Qui voletaient après leur mère.
Vous jugez de leur joie, et comment mes bambins
       À la troupe qui s'éparpille
       Vont partout couper les ehemins,
       Et n'ont pas assez de leurs mains
       Pour prendre la pauvre famille!
La perdrix, traînant l'aile, appelant ses petits,
       Tourne en vain, voltige, s'approche;
       Déjà mes jeunes étourdis
       Ont toute sa couvée en poche.
Ils veulent partager, comme de bons amis;
Chacun en garde six, il en reste un treizième:
   L'aîné le veut, l'autre le veut aussi.
— Tironsau doigt mouillé. — Parbleu non. — Parbleu si.
— Cède, ou bien tu verras. — Mais tu verras toi-même.
De propos en propos, l'aîné, peu patient,
       Jette à la tête de son frère
Le perdreau disputé. Le cadet, en colère,
       D'un des siens riposte à l'instant.
       L'aîné recommence d'autant;
Et ce jeu qui leur plaît couvre autour d'eux la terre
       De pauvres perdreaux palpitants.
Le fermier, qui passait en revenant des champs,
       Voit ce spectacle sanguinaire,
       Accourt, et dit à Ses enfants:
Comment donc! petits rois, vos discordes cruelles
Font que tant d'innocens expirent par vos coups!
De quel droit, s'il vous plaît, dans vos tristes querelles,
       Faut-il que l'on meure pour vous?

Fable XIII.
Le Castor et le Sanglier

Une hermine, un castor, un jeune sanglier,
Cadets de leur famille, et partant sans fortune,
       Dans l'espoir d'en acquérir une,
Quittèrent leur forêt, leur étang, leur hallier.
Après un long voyage, après mainte aventure,
       Ils arrivent dans un pays
       Où s'offrent à leurs yeux ravis
       Tous les trésors de la nature,
Des prés, des eaux, des bois, des vergers pleins de fruits.
Nos pèlerins, voyant cette terre chérie,
       Eprouvent les mêmes transports
Qu'Enée et ses Troyens en découvrant les bords
       Du royaume de Lavinie.
Mais ce riche pays était de toutes parts
       Entouré d'un marais de bourbe,
       Où des serpents et des lézards
       Se jouait l'effroyable tourbe.
Il fallait le passer, et nos trois voyageurs
S'arrêtent sur le bord, étonnés et rêveurs.
L'hermine la première avance un peu la patte;
       Elle la retire aussitôt.
       En arrière elle fait un saut,
En disant: Mes amis, fuyons en grande hâte;
Ce lieu, tout beau qu'il est, ne peut nous convenir:
Pour arriver là bas il faudrait se salir;
       Et moi je suis si délicate,
       Qu'une tache me fait mourir.
Ma sœur, dit le castor, un peu de patience;
On peut, sans se tacher, quelquefois réussir;
Il faut alors du temps et de l'intelligence:
Nous avons tout cela: pour moi, qui suis maçon,
Je vais en quinze jours vous bâtir un beau pont
Sur lequel nous pourrons, sans craindre les morsures
De ces vilains serpens, sans gâter nos fourrures,
Arriver au milieu de ce charmant vallon.
       Quinze jours! ce terme est bien long,
Répond le sanglier: moi, j'y s serai plus vite:
Vous allez voir comment. En prononçant ces mots,
       Le voilà qui se précipite
Au plus fort du bourbier, s'y plonge jusqu'au dos,
À travers les serpens, les lézards, les crapauds,
Marche, pousse à son but, arrive plein de boue,
       Et là, tandis qu'il se secoue,
Jetant à ses amis un regard de dédain,
Apprenez, leur dit-il, comme on fait son chemin.

Fable XIV.
La Balance de Minos

       Minos, ne pouvant plus suffire
Au fatigant métier d'entendre et de juger
Chaque ombre descendue au ténébreux empire,
       Imagina, pour abréger,
       De faire faire une balance,
Où dans l'un des bassins il mettait à la fois
  Cinq ou six morts, dans l'autre un certain poids
       Qui déterminait la sentence.
Si le poids s'élevait, alors plus à loisir
       Minos examinait l'affaire;
       Si le poids baissait au contraire
       Sans scrupule il faisait punir.
La méthode était sûre, expéditive et claire;
Minos s'en trouvait bien. Un jour en même temps,
       Au bord du Styx la Mort rassemble
Deux rois, un grand ministre, un héros, trois savants.
       Minos les fait peser ensemble:
       Le poids s'élève; il en met deux,
Et puis trois, c'est en vain; quatre ne font pas mieux.
Minos, un peu surpris, ôte de la balance
Ces inutiles poids, cherche un autre moyen,
Et, près de là voyant un pauvre homme de bien
Qui dans un coin obscur attendait en silence,
       Il le met seul en contre-poids:
Les six ombres alors s'élèvent à la fois.

Fable XV.
Le Renard qui prêche

Un vieux renard cassé, goutteux, apoplectique,
       Mais instruit, éloquent, disert,
       Et sachant très-bien sa logique,
       Se mit à prêcher au désert.
Son style était fleuri, sa morale excellente.
Il prouvait en trois points que la simplicité,
       Les bonnes moeurs, la probité,
Donnent à peu de frais cette félicité
       Qu'un monde imposteur nous présente,
Et nous fait payer cher sans la donner jamais.
Notre prédicateur n'avait aucun succès;
Personne ne venait, hors cinq ou six marmottes,
       Ou bien quelques biches dévotes
Qui vivaient loin du bruit, sans entour, sans faveur,
Et ne pouvaient pas mettre en crédit l'orateur.
Il prit le bon parti de changer de matière,
Prêcha contre les ours, les tigres, les lions,
       Contre leurs appétits gloutons,
       Leur soif, leur rage sanguinaire.
Tout le monde accourut alors à ses sermons;
Cerfs, gazelles, chevreuils, y trouvaient mille charmes;
L'auditoire sortait toujours baigné de larmes;
Et le nom du renard devint bientôt fameux.
           Un lion, rot de la contrée,
Bon homme au demeurant, et vieillard fort pieux,
       De l'entendre fut curieux.
Le renard fut charmé de faire son entrée
À la cour: il arrive, il prêche, et cette fois,
Se surpassant lui-même, il tonne, il épouvante
       Les féroces tyrans des bois,
Feint la faible innocence à leur aspect tremblante,
Implorant chaque jour la justice trop lente
       Du maître et du juge des rois.
Les courtisans, surpris de tant de hardiesse,
       Se regardaient sans dire rien;
       Car le roi trouvait cela bien.
La nouveauté parfois fait aimer la rudesse.
Au sortir du sermon, le monarque enchanté
Fit venir le renard: Vous avez su me plaire,
Lui dit-il; vous m'avez montré la vérité:
       Je vous dois un juste salaire;
Que me demandez-vous pour prix de vos leçons?
Le renard répondit: Sire, quelques dindons.

Fable XVI.
Le Paon, les deux Oisons at le Plongeon

Un paon faisoit la rone, et les autres oiseaux
       Admiroient son brillant plumage.
Deux oisons nasillards du fond d'un marécage
       Ne remaïquoieat que ses défauts.
Regarde, disoit l'un ta jambe est faite,
       Comme set pieda sont plats, hideux.
Et son cri, disait l'autre, est ai mélodieux,
       Qu'il fait fuir jusqu'à la chouette.
Chacun riait alors du mot qu'il avait dit.
       Tout à coup un plongeon sortit:
Messieurs, leur cria-t-il, vous voyez d'une lieue
Ce qui manque à ce paon: c'est bien voir, j'en conviens;
Mais votre chant, vos pieds, sont plus laids que les siens,
       Et vous n'aurez jamais sa queue.

Fable XVII.
Le Hibou, le Chat, l'Oison et le Rat

De jeunes écoliers avaient pris dans un trou
               Un hibou,
Et l'avaient élevé dans la cour du collège.
       Un vieux chat, un jeune oison,
Nourris par le portier, étaient en liaison
Avec l'oiseau; tous trois avaient le privilège
D'aller et de venir par toute la maison.
       À force d'être dans la classe,
       Ils avaient orné leur esprit,
  Savaient par cœur Denys d'lialicarnasse
Et tout ce qu'Hérodote et Tite-Live ont dit.
Un soir, en disputant, (des docteurs c'est l'usage)
Ils comparaient entre eux les peuples anciens.
Ma foi, disait le chat, c'est aux Égyptiens
Que je donne le prix: c'était un peuple sage,
Un peuple ami des lois, instruit, discret, pieux,
       Rempli de respect pour ses dieux;
Cela seul à mon gré lui donne l'avantage.
       J'aime mieux les Athéniens,
Répondit le hibou: que d'esprit! que de grâce!
       Et dans les combats quelle audace!
Que d'aimables héros parmi leurs citoyens!
A-t-on jamais plus fait avec moins de moyens?
       Des nations c'est la première.
       Parbleu, dit l'oison en colère,
       Messieurs, je vous trouve plaisans:
       Et les Romains, que vous en semble?
       Est-il un peuple qui rassemble
Plus de grandeur, de gloire et de faits éclatans?
       Dans les arts, comme dans la guerre,
       Ils ont surpassé vos amis.
       Pour moi, ce sont mes favoris:
Tout doit céder le pas aux vainqueurs de la terre.
Chacun des trois pédans s'obstine en son avis,
Quand un rat, qui de loin entendait la dispute,
Rat savant, qui mangeait des thèmes dans sa hutte,
Leur cria: Je vois bien d'où viennent vos débals,
       L'Égypte vénérait les chats,
Athènes les hibous, et Home, au Capitole,
Aux dépends de l'État nourrissait des oisons:
Ainsi notre intérêt est toujours la boussole
       Que suivent nos opinions.

Fable XVIII.
Le Parricide

       Un fils avait tué son père.
       Ce crime affreux n'arrive guère
Chez les tigres, les ours; mais l'homme le commet.
Ce parricide eut l'art de cacher son forfait,
Nul ne le soupçonna: farouche et solitaire,
Il fuyait les humains et vivait dans les bois,
Espérant échapper aux remords comme aux lois.
Certain jour on le vit détruire, à coups de pierre,
       Un malheureux nid de moineaux.
       Eh! que vous ont fait ces oiseaux?
Lui demande un passant: pourquoi tant de colère?
   Ce qu'ils m'ont fait? répond le criminel:
Ces oisillons menteurs, que confonde le ciel,
Ye reprochent d'avoir assassiné mon père.
Le passant le regarde: il se trouble, il pâlit,
       Sur son front son crime se lit:
Conduit devant le juge, il l'avoue et l'expie.

       O des vertus dernière amie,
Toi qu'on voudrait en vain éviter ou tromper,
Conscience terrible, ou ne peut t'échapper!

Fable XIX.
L'Amour et sa Mère

Quand la belle Vénus, sortant du sein des mers,
Promena ses regards sur la plaine profonde,
Elle se crut d'abord seule dans l'univers:
Mais près d'elle aussitôt l'Amour naquit de l'onde.
Vénus lui fit un signe, il embrassa Vénus;
Et se reconnaissant, sans s'être jamais vus,
Tous deux sur un dauphin voguèrent vers la plage.
       Comme ils approchaient du rivage,
L'Amour, qu'elle portait, s'échappe de ses bras,
Et lance plusieurs traits, en criant: Terre! terre!
Que failes-vous? mon fils, lui dit alors. sa mère.
Maman, répondit-il, j'entre dans mes États.

Fable XX.
Le Perroquet confiant

Cela ne sera rien, disent certaines gens,
       Lorsque la tempête est prochaine,
Pourquoi nous affliger avant que le mal vienne?
Pourquoi? Pour l'éviter, s'il en est encor temps.
       Un capitaine de navire,
       Fort brave homme, mais peu prudent,
       Se mit en mer malgré le vent.
       Le pilote avait beau lui dire
       Qu'il risquait sa vie et son bien,
       Notre homme ne faisait qu'en rire,
Et répétait toujours: Cela ne sera rien.
       Un perroquet de l'équipage,
       A force d'entendre ces mots,
Les retint, et les dit pendant tout le voyage.
Le navire égaré voguait au gré des flots,
       Quand un calme plat vous l'arrête.
       Les vivres liraient à leur fin;
Point de terre voisine, et bientôt plus de pain.
Chacun des passagers s'attriste, s'inquiète;
       Notre capitaine se tait.
Cela ne sera rien, criait le perroquet.
Le calme continue; on vit vaille que vaille,
       Il ne reste plus de volaille:
On mange les oiseaux, triste et dernier moyen!
Perruches, cardinaux, cataliois, tout y passe;
       Le perroquet, la tête basse,
Disait plus doucement: Cela ne sera rien.
Il pouvait encor fuir, sa cage était trouée;
Il attendit, il fut étranglé bel et bien,
Et, mourant, il criait d'une voix enrouée:
       Cela . . . Cela ne sera rien.

Fable XXI.
L'Aigle et la Colombe
A Madame de Montesson

Ovous qui sans esprit plairiez par vos attraits,
Et de qui l'esprit seul suffirait pour séduire,
Vous qui du blond Phébus savez toucher la lyre,
       Et de l'Amour lancer les traits,
       Toute louable que vous êtes,
Je ne vous louerai point; allez, rassurez-vous:
       Ce serait vous mettre en courroux,
Je le sais; cependant les belles, les poètes
Aiment assez l'encens; vous êtes tout cela,
Et vous ne l'aimez point: j'en resterai donc là;
       Mais, ne vous fâchez pas, si j'ose
Parler toujours de vous en parlant d'autre chose.

Un aigle, fils des rois de l'empire de l'air,
       Sur le soleil fixant sa vue,
Ne vivait, ne planait qu'au-delà de la nue,
Et ne se reposait qu'aux pieds de Jupiter.
Cet aigle s'ennuyait; le soleil et l'olympe,
       Lorsque sans cesse l'on y grimpe,
       Finissent par être ennuyeux.
       Notre aigle donc, lassé des cieux,
Descend sur un rocher. Prés de lui vient se rendre
Une blanche colombe, aux yeux doux, à l'air tendre,
Et dont le seul aspect faisait passer au cœur
Ce calme qui toujours annonce le bonheur.
L'aigle s'approche d'elle, et, plein de confiance,
       Lui raconte son déplaisir.
La colombe répond: Petite est ma science,
Mais je crois cependant que je peux vous guérir;
       Daignez me suivre dans la plaine.
Elle dit l'aigle part. La colombe le mène
Dans les vallons fleuris, au bord des clairs ruisseaux,
       Lui montre mille objets nouveaux,
       Le fait reposer sous l'ombrage,
Ensuite le conduit sur de rians coteaux,
       Et puis le ramène au bocage,
       Où du rossignol le ramage
       Faisait retentir les échos:
       Ce n'est tout, elle sait encore
Doubler chaque plaisir de son royal amant
       Par le charme du sentiment.
       De plus en plus, l'aigle l'adore;
       Bientôt ils s'unissent tous deux;
       Leur félicité s'en augmente;
       Et, lorsque notre aigle amoureux
Voulait remercier son épouse charmante
D'avoir enfin trouvé l'art de le rendre heureux,
   Il lui disait d'une voix attendrie:
       Le bonheur n'est pas dans les cicux;
       Il est près d'une bonne amie.

Fable XXII.
Le Lion et le Léopard

Un valeureux lion, roi d'une immense plaine,
Désirait de la terre une plus grande part,
Et voulait conquérir une forêt prochaine,
       Héritage d'un léopard.
L'attaquer n'était pas chose bien difficile;
Mais le lion craignait les panthères, les ours
Qui se trouvaient placés juste entre les deux coure
Voici comment s'y prit notre monarque habile:
Au jeune léopard, sous prétexte d'honneur,
       Il députe un ambassadeur;
C'était un vieux renard. Admis à l'audience,
Du jeune roi d'abord il vante la prudence,
Son amour pour la paix, sa bonté, sa douceur,
       Sa justice et sa bienfaisance;
Puis, au nom du lion, propose une alliance
       Pour exterminer tout voisin
       Qui méconnaîtra leur puissance.
Le léopard accepte; et, dès le lendemain,
       Nos deux héros, sur leurs frontières,
Mangent, à qui mieux mieux, les ours et les panthères:
Cela fut bientôt fait; mais, quand les rois amis,
       Partageant le pays conquis,
       Fixèrent leurs bornes nouvelles,
       Il s'éleva quelques querelles:
Le léopard lésé se plaignit du lion;
       Celui-ci montra sa denture
       Pour prouver qu'il avait raison:
Bref, on en vint aux coups. La fin de l'aventure
       Fut le trépas du léopard:
       Il apprit alors, un peu tard,
Que, contre les lions, les meilleurs barrières
Sont les petits États des ours et des panthères.