Livre Cinquième
 

Livre Quatrième
 
Le Savant et le Fermier
L'Écureuil, le Chien et le Renard
Le Perroquet
L'Habit d'Arlequin
Le Hibou et le Pigeon
La Vipère et la Sangsue
Le Pacha et le Dervis
Le Laboureur de Castille
La Fauvette et le Rossignol
L'Avare et son Fils
Le Courtisan et le dieu Protée
La Guenon, le Singe et la Noix
Le Lapin et la Sarcelle
Pan et la Fortune
Le Philosophe et le Chat-huant

 
Les deux Chauves
Le Chat et les Rats
Le Miroir de la Vérité
Les deux Paysans et le Nuage
Don Quichotte
Le Voyage
Le Coq fanfaron

 

Fable I.
Le Savant et le Fermier

Que j'aime les héros dont je conte l'histoire!
Et qu'à m'occuper d'eux je trouve de douceur!
J'ignore s'ils pourront m'acquérir de la gloire,
       Mais je sais qu'ils font mon bonheur.
Avec les animaux je veux passer ma vie;
       Ils sont si bonne compagnie!
Je conviens cependant, et c'est avec douleur,
       Que tous n'ont pas le même cœur.
Plusieurs que l'on connaît, sans qu'ici je les nomme,
       De nos vices ont bonne part:
Mais je les trouve encor moins dangereux que l'homme;
Et, fripon pour fripon, je préfère un renard.
       C'est ainsi que pensait un sage,
       Un bon fermier de mon pays.
Depuis quatre-vingts ans, de tout le voisinage
On venait écouter et suivre ses avis.
Chaque mot qu'il disait était une sentence.
Son exemple surtout aidait son éloquence;
Et, lorsque environné de ses quarante enfants,
       Fils, petit-fils, brus, gendres, filles,
Il jugeait les procès ou réglait les familles,
Nul n'eût osé mentir devant ses cheveux blancs.
Je me souviens qu'un jour dans son champêtre asile
       Il vint un savant de la ville
Qui dit au bon vieillard: Mon père, enseignez-moi
       Dans quel auteur, dans quel ouvrage,
       Vous apprîtes l'art d'être sage.
Chez quelle nation, à la cour de quel roi,
       Avez-vous été, comme Ulysse,
       Prendre des leçons de justice?
Suivez-vous de Zenon la rigoureuse loi?
Avez-vous embrassé la secte d'Épicure,
Celle de Pythagore, ou du divin Platon?
Des tous ces messieurs-là je ne sais pas le nom,
Répondit le vieillard: mon livre est la nature;
       Et mon unique précepteur,
                  C'est mon cœur.
Je vois les animaux, j'y trouve le modèle
       Des vertus que je dois chérir:
La colombe m'apprit à devenir fidèle;
En voyant la fourmi, j'amassai pour jouir;
       Mes bœufs m'enseignent la constance,
Mes brebis la douceur, mes chiens la vigilance;
       Et, si j'avais besoin d'avis
       Pour aimer mes filles, mes fils,
La poule et ses poussins me serviraient d'exemplee
Ainsi dans l'univers tout ce que je contemple
M'avertit d'un devoir qu'il m'est doux de remplir.
Je fais souvent du bien pour avoir du plaisir,
J'aime et je suis aimé, mon ame est tendre et pure;
       Et, toujours selon ma mesure,
       Ma raison sait régler mes voeux:
       J'observe et je suis la nature,
       C'est mon secret pour être heureux.

Fable II.
L'Écureuil, le Chien et le Renard

Un  gentil écureil était le camarade,
       Le tendre ami d'un beau danois.
Un jour qu'ils voyageaient comme Oreste et Pylade,
       La nuit les surprit dans un bois.
En ce lieu point d'auberge; ils eurent de la peine
       À trouver où se bien coucher.
Enfin le chien se mit dans le creux d'un vieux chêne,
Et l'écureuil plus haut grimpa pour se nicher.
       Vers minuit, c'est l'heure des crimes,
       Long-temps après que nos amis,
En se disant bon soir, se furent endormis,
Voici qu'un vieux renard, affamé de victimes,
Arrive au pied de l'arbre; et levant le museau,
       Voit l'écureuil sur un rameau.
Il le mange des yeux, humecte de sa langue
Ses lèvres, qui de sang brûlent de s'abreuver.
Mais jusqu'à l'écureuil il ne peut arriver;
       Il faut donc, par une harangue,
L'engager à descendre; et voici son discours:
       Ami, pardonnez, je vous prie,
Si de votre sommeil j'ose troubler le cours;
Mais le pieux transport dont mon ame est remplie
Ne peut se contenir: je suis votre cousin
                 Germain;
Votre mère était sœur de feu mon digne père.
Cet honnête homme, hélas! à son heure dernière,
M'a tant recommandé de chercher son neveu,
       Pour lui donner moitié du peu
Qu'il m'a laissé de bien! Venez donc, mon cher frère,
       Venez, par un embrassement,
Combler le doux plaisir que mon ame ressent.
Si je pouvais monter jusqu'aux lieux où vous êtes,
Oh! j'y serais déjà, soyez-en bien certain.
       Les écureuils ne sont pas bûtes,
       Et le mien était fort malin.
       Il reconnaît le patelin,
Et répond d'un ton doux: Je meurs d'impatience
       De vous embrasser, mon cousin;
Je descends: mais , pour mieux lier la connaissance,
Je veux vous présenter mon plus fidèle ami,
Un parent qui prit soin de nourrir mon enfance;
Il dort dans ce trou-là: frappez un peu; je pense
Que vous serez charmé de le connaître aussi.
       Aussitôt maître renard frappe,
Croyant en manger deux: mais Je fidèle chien
       S'élance de l'arbre, le happe,
       Et vous l'étrangle bel et bien.

Ceci prouve deux points: d'abord, qu'il est utile
Dans la douce amitié de placer son bonheur;
Puis, qu'avec de l'esprit, il est souvent facile
Au piège qu'il nous tend de surprendre un trompeur.

Fable III.
Le Perroquet

Un gros perroquet gris, échappé de sa cage,
       Vint s'établir dans un bocage;
Et là, prenant le ton de nos faux connaisseurs,
Jugeant tout, blâmant tout d'un air de suffisance,
Au chant du rossignol il trouvait des longueurs,
       Critiquait surtout sa cadence.
Le linot, selon lui, ne savait pas chanter;
La fauvette aurait fait quelque chose peut-être,
Si de bonne heure il eût été son maître,
       Et qu'elle eût voulu profiter.
Enfin aucun oiseau n'avait l'art de lui plaire:
Et, dès qu'ils commençaient leurs joyeuses chansons,
Par des coups de sifflet répondant à leurs sons,
       Le perroquet les faisait taire.
Lassés de tant d'affronts, tous les oiseaux du bois
Viennent lui dire un jour: Mais parlez donc, beau sire,
Vous qui sifflez toujours, faites qu'on vous admire;
Sans doute vous avez une brillante voix,
       Daignez chanter pour nous instruire.
       Le perroquet, dans l'embarras,
Se gratte un peu la tête, et finit par leur dire:
Messieurs, je siffle bien, mais je ne chante pas.

Fable IV.
L'Habit d'Arlequin

Vous connaissez ce quai nommé de la Ferraille;
Où l'on vend des oiseaux, des hommes et des fleurs:
A mes fables souvent c'est là que je travaille;
J'y vois des animaux, et j'observe leurs mœurs.
Un jour de mardi-gras j'étais à la fenêtre
       D'un oiseleur de mes amis,
       Quand sur le quai je vis paraître
Un petit arlequin leste, bien fait, bien mis,
Qui, la batte à la main, d'une grâce légère,
Courait après un masque en habit de bergère.
Le peuple applaudissait par des ris, par des cris,
       Tout près de moi, dans une cage,
Trois oiseaux étrangers de différent plumage,
       Perruche, cardinal, serin,
       Regardaient aussi l'arlequin.
La perruche disait: J'aime peu son visage;
Mais son charmant habit n'eut jamais son égal;
Il est d'un si beau vert! Vert! dit le cardinal:
       Vous n'y voyez donc pas, ma chère?
       L'habit est rouge assurément;
       Voilà ce qui le rend charmant.
       Oh! pour celui-là, mon compère,
Répondit le serin, vous n'avez pas raison.
       Car l'habit est jaune-citron;
Et c'est ce jaune-là qui fait tout son mérite.
— Il est vert. — Il est jaune. — Il est rouge, morbleu!
       Interrompt chacun avec feu;
       Et déjà le trio s'irrite.
Amis, apaisez-vous, leur crie un bon pivert;
       L'habit est jaune, rouge et vert.
Cela vous surprend l'ort, voici tout le mystère:
Ainsi que bien des gens d'esprit et de savoir,
Mais qui d'un seul côté regardent une affaire,
       Chacun de vous ne veut y voir
       Que la couleur qui sait lui plaire.

Fable V.
Le Hibou et le Pigeon

Que mon sort est affreux! s'écriait un hibou:
Vieux, infirme, souffrant, accablé de misère,
       Je suis isolé sur la terre,
Et jamais un oiseau n'est venu dans mon trou
Consoler un moment ma douleur solitaire.
       Un pigeon entendit ces mots,
       Et courut auprès du malade:
       Hélas! mon pauvre camarade,
       Lui dit-il, je plains bien vos maux.
Mais je ne comprends pas qu'un hibou de votre âge
       Soit sans épouse, sans parons,
       Sans enfans ou pctits-enfans.
N'avez-vous point serré les noeuds du mariage
       Pendant le cours de vos beaux ans?
Le hibou répondit: Non, vraiment, mon cher Frère,
       Me marier! Et pourquoi faire?
       J'en connaissais trop Je danger.
Vouliez-vous que je prisse une jeune chouette
       Bien étourdie et bien coquette,
Qui me trahît sans cesse ou me fît enrager;
Qui me donnât des fils d'un méchant caractère,
       Ingrats, menteurs, mauvais sujets,
Désirant en secret le trépas de leur père?
       Car c'est ainsi qu'ils sont tous faits.
       Pour des pareils, je n'en ai guère,
Et ne les vis jamais: ils sont durs, exigeants,
       Pour le moindre sujet s'irritent,
       M'aiment que ceux dont ils héritent;
Encor ne faut-il pas qu'ils attendent long-temps.
Tout frère ou tout cousin nous déteste et nous pille.
       Je ne suis pas de votre avis,
Répondit le pigeon. Mais parlons des amis;
       Des orphelins c'est la famille:
Vous avez dû prés deux trouver quelque douceurs.
       — Les amis! ils sont tous trompeurs.
J'ai connu deux hiboux qui tendrement s'aimèrent
       Pendant quinze ans, et, certain jour,
       Pour une souris s'égorgèrent.
Je crois à l'amitié moins encor qu'à l'amour.
       — Mais ainsi, Dieu me le pardonne!
       Vous n'avez donc aimé personne!
       — Ma foi non, soit dit entre nous
— En ce cas-là, mon cher, de quoi vous plaignez-vous?

Fable VI.
La Vipère et la Sangsue

La vipère disait un jour à la sangsue:
       Que notre sort est différent!
On vous cherche, on me fuit: si l'on peut, on me tac;
       Et vous, aussitôt qu'on vous prend,
       Loin de craindre votre blessure,
       L'homme vous donne de son sang
       Une ample et bonne nourriture:
Cependant vous et moi faisons même piqûre.
       La citoyenne de l'étang
       Répond: Oh que nenni, ma chère;
La vôtre fait du mal, la mienne est salutaire.
Par moi plus d'un malade obtient sa guerison.
Par vous tout homme sain trouve une mort cruelle.
Entre nous deux, je crois, la différence est belle:
       Je suis remède, et vous poison.

       Cette fable aisément s'explique:
       C'est la satire et la critique.

Fable VII.
Le Pacha et le Dervis

Un Arabe, à Marseille autrefois, m'a conté
       Qu'un pacha turc dans sa patrie
Vint porter certain jour un coffret cacheté
Au plus sage dervis qui fût en Arabie.
Ce coffret, lui dit-il, renferme des rubis.
       Des diamans d'un très-grand prix:
       C'est un présent que je veux faire
       À l'homme que tu jugeras
       Être le plus fou de la terre.
       Cherche bien, tu le trouveras.
Muni de son coffret, notre bon solitaire
S'en va courir le monde. Avait-il donc besoin
                 D'aller loin?
L'embarras de choisir était sa grande affaire:
Des fous toujours plus fous venaient de toutes parts
       Se présenter à ses regards.
       Notre pauvre dépositaire
Pour l'offrir à chacun saisissait le coffret:
       Mais un pressentiment secret
       Lui conseillait de n'en rien faire,
       L'assurait qu'il trouverait mieux.
       Errant ainsi de lieux en lieux,
       Embarrassé de son message,
       Enfin, après un long voyage,
Notre homme et le coffret arrivent un matin
Dans la ville de Constantin.
       Il trouve tout le peuple en joie;
Que s'est-il donc passé? Rien, lui dit un iman;
C'est notre grand visir que le sultan envoie,
       Au moyen d'un lacet de soie,
       Porter au prophète un firman.
Le peuple rit toujours de ces sortes d'affaires;
       Et, comme ce sont des misères,
Notre empereur souvent lui donne ce plaisir.
— Souvent? — Oui. — C'est fort bien. Votre nouveau visir
Est-il nommé? — Sans doute, et le voilà qui passe.
Le dervis, à ces mots, court, traverse la place,
Arrive, et reconnaît le pacha son ami.
       Bon! te voilà! dit celui-ci:
Et le coffret? — Seigneur, j'ai parcouru l'Asie:
J'ai vu des fous parfaits, mais sans oser choisir.
       Aujourd'hui ma course est finie;
       Daignez l'accepter, grand visir.

Fable VIII.
Le Laboureur de Castille

Le plus aimé des rois est toujours le plus fort.
       En vain la fortune l'accable;
En vain mille ennemis, ligués avec le sort,
Semblent lui présager sa perte inévitable:
L'amour de ses sujets, colonne inébranlable,
       Rend inutile leur effort.
Le petit-fils d'un roi, grand par son malheur même,
Philippe, sans argent, sans troupes, sans crédit,
       Chassé par l'Anglais de Madrid,
       Croyait perdu son diadème.
Il fuyait presque seul, déplorant son malheur:
Tout à coup à ses yeux s'offre un vieux laboureur,
Homme franc, simple et droit, aimant plus que sa vie
Ses enfans et son roi, sa femme et sa patrie,
Parlant peu de vertu, la pratiquant beaucoup,
Riche, et pourtant aimé, cité dans les Castilles
       Comme l'exemple des familles.
       Son habit, filé par ses filles,
       Etait ceint d'une peau de loup.
Sous un large chapeau, sa tête bien à l'aise
Faisait voir des yeux vifs et des traits basanés,
       Et ses moustaches de son nez
       Descendaient jusque sur sa fraise.
Douze fils le suivaient, tous grands, beaux, vigoureux.
Un mulet chargé d'or était au milieu d'eux.
       Cet homme, dans cet équipage,
Devant le roi s'arrête, et lui dit: Où vas-tu?
       Un revers t'a-t-il abattu?
Vainement l'archiduc a sur toi l'avantage;
C'est toi qui régneras, car c'est toi qu'on chérit.
       Qu'importe qu'on t'ait pris Madrid?
Notre amour t'est resté, nos corps sont tes murailles;
Nous périrons pour toi dans les champs de l'honneur.
       Le hasard gagne les batailles;
Mais il faut des vertus pour gagner notre cœur.
Tu l'as , tu régneras. Notre argent, notre vie,
Tout est à toi, prends tout. Grâces à quarante ans
       De travail et d'économie,
Je peux t'offrir cet or. Voici mes douze enfants,
Voilà douze soldats: malgré mes cheveux blancs,
Je ferai le treizième; et, la guerre finie,
Lorsque tes généraux, tes officiers, tes grands,
Viendront te demander, pour prix de leur service,
       Des biens, des honneurs, des rubans,
Nous ne demanderons que repos et justice:
C'est tout ce qu'il nous faut. Nous autres pauvres gens,
Nous fournissons au roi du sang et des richesses;
       Mais, loin de briguer ses largesses,
       Moins il donne et plus nous l'aimons.
Quand tu seras heureux, nous fuirons ta présence,
       Nous te bénirons en silence:
       On t'a vaincu, nous te cherchons.
Il dit, tombe à genoux. D'une main paternelle
Philippe le relève en poussant des sanglots;
Il presse dans ses bras ce sujet si fidèle,
Veut parler, et les pleurs interrompent ses mots.
       Bientôt, selon la prophétie
  Du bon vieillard, Philippe fut vainqueur,
       Et sur le trône d'Ibérie
       N'oublia point le laboureur.

Fable IX.
La Fauvette et le Rossignol

       Une fauvette, dont la voix
Enchantait les échos par sa douceur extrême,
Espéra surpasser le rossignol lui-même,
Et lui fit un défi. L'on choisit dans le bois
Un lieu propre au combat: les juges se placèrent,
       C'étaient le linot, le serin,
       Le rouge-gorge et le tarin.
Tous les autres oiseaux derrière eux se perchèrent.
Deux vieux chardonnerets et deux jeunes pinsons
Furent gardes du camp; le merle était trompette,
Il donne le signal. Aussitôt la fauvette
       Fait entendre les plus doux sons;
       Avec adresse elle varie
De ses accents filés la touchante harmonie,
Et ravit tous les cœurs par ses tendres chansons;
L'assemblée applaudit. Bientôt on fait silence;
       Alors le rossignol commence:
       Trois accords purs, égaux, brillans,
Que termine une juste et parfaite cadence,
       Sont le prélude de ses chants.
       Ensuite son gosier flexible,
Parcourant sans effort tous les tons de sa voix,
Tantôt vif et pressé, tantôt lent et sensible,
       Étonne et ravit à la fois.
Les juges cependant demeuraient en balance;
Le linot, le serin, de la fauvette amis,
       Ne voulaient point donner de prix;
Les autres disputaient. L'assemblée en silence
       Ecoutait leurs doctes avis,
Lorsqu'un geai s'écria: Victoire à la fauvette!
       Ce mot décida sa défaite :
       Pour le rossignol aussitôt
L'aréopage ailé tout d'une voix s'explique.

       Ainsi le suffrage d'un sot
       Fait plus de mal que sa critique.

Fable X.
L'Avare et son Fils

Par je ne sais quelle aventure,
Un avare, un beau jour voulant se bien traiter,
       Au marché courut acheter
       Dos pommes pour sa nourriture.
       Dans son armoire il les porta,
       Les compta, rangea, recompta,
Ferma les doubles tours de sa double serrure,
       Et chaque jour les visita.
       Ce malheureux, dans sa folie,
       Les bonnes pommes ménageait;
Mais, lorsqu'il en trouvait quelqu'une de pourrie,
       En soupirant il la mangeait.
Son fils, jeune écolier, faisant fort maigre chère,
Découvrit à la fin les pommes de son père.
Il attrape les clefs, et va dans ce réduit,
Suivi de deux amis d'excellent appétit.
Or vous pouvez juger le dégât qu'ils y firent,
       Et combien de pommes périrent!
       L'avare arrive en ce moment,
       De douleur, d'effroi palpitant.
Mes pommes! criait-il: coquins, il faut les rendre,
       Ou je vais tous vous faire pendre.
Mon père, dit le fils, calmez-vous, s'il vous plait;
       Nous sommes d'honnêtes personnes:
       Et quel tort vous avons-nous fait?
       Bous n'avons mangé que les bonnes.

Fable XI.
Le Courtisan et le dieu Protée

       On en veut trop aux courtisans.
On va criant partout qu'à l'État inutiles,
Pour leur seul intérêt ils se montrent habiles.
       Ce sont discours de médisans.

J'ai lu, je ne sais où, qu'autrefois en Syrie
Ce fut un courtisan qui sauva sa patrie.
       Voici comment. Dans le pays
       La peste avait été portée,
Et ne devait cesser que quand le dieu Protée
       Dirait là-dessus son avis.
Ce dieu, comme l'on sait, n'est pas facile à vivre:
Pour le faire parler il faut long-temps le suivre,
       Prés de son antre l'épier,
       Le surprendre, et puis le lier,
       Malgré la figure effrayante
       Qu'il prend et quitte à volonté.
Certain vieux courtisan, par le roi député,
Devant le dieu marin tout à coup se présente.
       Celui-ci, surpris, irrité,
Se change en noir serpent: sa gueule empoisonnée
Lance et retire un dard messager du trépas,
Tandis que dane sa marche oblique et détournée,
Il glisse sur lui-même et d'un pli fait un pas.
Le courtisan sourit: Je connais cette allure,
Dit-il, et mieux que toi je sais mordre et ramper.
       Il court alors pour l'attraper:
       Mais le dieu change de figure;
Il devient tour à tour loup, singe, lynx, renard.
       Tu veux me vaincre dans mon art,
Disait le courtisan: mais, depuis mon enfance,
Plus que ces animaux avide, adroit, rusé,
Chacun de ces tours-là pour moi se trouve usé.
Changer d'habit, de mœurs, même de conscience,
       Je ne vois rien là que d'aisé.
       Lors il saisit le dieu, le lie,
Arrache son oracle, et retourne vainqueur.

       Ce trait nous prouve, ami lecteur,
Combien un courtisan peut servir la patrie.

Fable XII.
La Guenon, le Singe et la Noix

       Une jeune guenon cueillit
       Une noix dans sa coque verte;
Elle y porte la dent, fait la grimace... Ah! certe,
       Dit-elle, ma mère mentit
Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes.
Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes
Qui trompent la jeunesse! Au diable soit le fruit!
Elle jette la noix. Un singe la ramasse,
       Vite entre deux cailloux la casse,
       L'épluche, la mange, et lui dit:
       Votre mère eut raison, ma mie,
Les noix ont fort bon goût; mais il faut les ouvrir.
       Souvenez-vous que, dans la vie,
Sans un peu de travail on n'a point de plaisir.

Fable XIII.
Le Lapin et la Sarcelle

       Unis dès leurs jeunes ans
       D'une amitié fraternelle,
       Un lapin, une sarcelle,
       Vivaient heureux et contens.
Le terrier du lapin était sur la lisière
       D'un parc bordé d'une rivière.
       Soir et matin nos bons amis,
       Profitant de ce voisinage,
Tantôt au bord de l'eau, tantôt sous le feuillage,
       L'un chez l'autre étaient réunis.
Là, prenant leurs repas, se contant des nouvelles,
       Ils n'en trouvaient point de si belles
Que de se répéter qu'ils s'aimeraient toujours.
Ce sujet revenait sans cesse en leurs discours.
Tout était en commun, plaisir, chagrin, souffrance:
Ce qui manquait à l'un, l'autre le regrettait;
Si lun avait du mal, son ami le sentait;
Si d'un bien au contraire il goûtait l'espérance,
       Tous deux en jouissaient d'avance.
Tel était leur destin, lorsqu'un jour, jour affreux!
Le lapin, pour dîner venant chez la sarcelle,
Ne la retrouve plus: inquiet, il l'appelle;
Personne ne répond à ses cris douloureux.
Le lapin, de frayeur l'ame toute saisie,
Va, vient, fait mille tours, cherche dans les roseaux,
       S'incline par-dessus les flots;
Et voudrait s'y plonger pour trouver son amie.
Hélàs! s'écriait-il, ra'entends-tu? réponds-moi,
       Ma sœur, ma compagne chérie,
       Ne prolonge pas mon effroi:
Encor quelques momens, c'en est fait de ma vie:
J'aime mieux expirer que de trembler pour toi.
       Disant ces mots, il court, il pleure,
       Et, s'avançant le long de l'eau,
       Arrive enfin près du château
       Où le seigneur du lieu demeure.
       Là, notre désolé lapin
       Se trouve au milieu d'un parterre,
       Et voit une grande volière
Où mille oiseaux divers volaient sur un bassin.
       L'amitié donne du courage.
Notre ami, sans rien craindre, approche du grillage
Regarde, et reconnaît .... ô tendresse! ô bonheur!
La sarcelle: aussitôt il pousse un cri de joie;
Et, sans perdre de temps à consoler sa sœur,
       De ses quatre pieds il s'emploie
       À creuser un secret chemin
Pour joindre son amie, et, par ce souterrain,
Le lapin tout à coup entre dans la volière,
Comme un mineur qui prend une place de guerre.
Les oiseaux effrayés se pressent en fuyant.
Lui court à la sarcelle, il l'entraîne à l'instant
Dans son obscur sentier, la conduit sous la terre,
Et, la rendant au jour, il est prêt à mourir
             De plaisir.
Quel moment pour tous deux! Que ne sais-je le peindre
       Comme je saurais le sentir!
Nos bons amis croyaient n'avoir plus rien à craindre;
Ils n'étaient pas au bout. Le maître du jardin
En voyant le dégât commis dans sa volière,
Jure d'exterminer jusqu'au dernier lapin:
Mes fusils, mes furets! criait-il en colère.
       Aussitôt fusils et furets
               Sont tout prêts.
Les gardes et les chiens vont dans les jeunes tailles,
       Fouillant les terriers, les broussailles;
Tout lapin qui paraît trouve un affreux trépas:
Les rivages du Styx sont bordés de leurs mânes:
       Dans le funeste jour de Cannes,
       On mit moins de Romains à bas.
La nuit vient; tant de sang n'a point éteint la rage
Du seigneur, qui remet au lendemain matin
       La fin de l'horrible carnage.
       Pendant ce temps notre lapin,
Tapi sous des roseaux auprès de la sarcelle,
       Attendait, en tremblant, la mort,
Mais conjurait sa sœur de fuir à l'autre bord,
       Pour ne pas mourir devant elle.
Je ne te quitte point, lui répondait l'oiseau;
Nous séparer, serait la mort la plus cruelle.
       Ah! si tu pouvais passer l'eau!
Pourquoi pas? Attends-moi... La sarcelle le quitte,
       Et revient traînant un vieux nid
Laissé par des canards; elle l'emplit bien vite
De feuilles de roseau, les presse, les unit
Des pieds, du bec, en forme un batelet capable
       De supporter un lourd fardeau;
       Puis elle attache à ce vaisseau
    Un brin de jonc qui servira de câble.
       Cela fait, et le bâtiment
Mis à l'eau, le lapin entre tout doucement
Dans le léger esquif, s'assied sur son derrière,
Tandis que devant lui la sarcelle nageant
Tire le brin de jonc, et s'en va dirigeant
       Cette nef à son cœur si chère.
On aborde, on débarque, et jugez du plaisir!
       Non loin du port on va choisir
Un asile où, coulant des jours dignes d'envie,
       Nos bons amis, libres, heureux,
       Aimèrent d'autant plus la vie,
       Qu'ils se la devaient tous les deux.

Fable XIV.
Pan et la Fortune

Un jeune grand seigneur à des jeux de hasard,
Avait perdu sa dernière pistole,
       Et puis joué sur sa parole;
       Il fallait payer sans retard:
       Les dettes du jeu sont sacrées.
       On peut faire attendre un marchand,
       Un ouvrier, un indigent,
       Qui nous a fourni ses denrées,
Mais un escroc? l'honneur veut qu'au même moment
       On le paie, et très-poliment.
       La loi par eux fut ainsi faite.
Notre jeune seigneur, pour acquitter sa dette,
       Ordonne une coupe de bois.
       Aussitôt les ormes, les frênes,
Et les hêtres touffus, et les antiques chênes,
       Tombent l'un sur l'autre à la fois.
Les faunes, les sylvains, désertent les bocages;
Les dryades en pleurs regrettent leurs ombrages;
       Et le dieu Pan, dans sa fureur,
Instruit que le jeu seul a causé ces ravages,
S'en prend à la Fortune: O mère du malheur!
       Dit-il, infernale furie!
Tu troubles à la fois les mortels et les dieux,
Tu te plais dans le mal, et ta rage ennemie.....
       Il parlait, lorsque dans ces lieux
       Tout-à-coup paraît la déesse.
Calme, dit-elle à Pan, le chagrin qui te presse;
       Je n'ai point causé tes malheurs:
Même aux jeux de hasard, avec certains joueurs,
   Je ne fais rien. — Qui donc fait tout? — L'adresse.

Fable XV.
Le Philosophe et le Chat-huant

Persécutè, proscrit, chasse de son asile,
Pour avoir appelé les choses par leur nom,
Un pauvre philosophe errait de ville en ville,
Emportant avec lui tous ses biens, sa raison.
Un jour qu'il méditait sur le fruit de ses veilles,
C'était dans un grand bois, il voit un chat-huant
       Entouré de geais, de corneilles,
       Qui le harcelaient en criant:
       C'est un coquin, c'est un impie,
       Un ennemi de la patrie;
Il faut le plumer vif : oui, oui, plumons, plumons,
       Ensuite nous le jugerons.
Et tous fondaient sur lui; la malheureuse bête,
Tournant et retournant sa bonne et grosse tête,
Leur disait, mais en vain, d'excellentes raisons.
Touché de son malheur, car la philosophie
       Nous rend plus doux et plus humains,
Notre sage fait fuir la cohorte ennemie,
Puis dit au chat-huant: Pourquoi ces assassins
       En voulaient-ils à votre vie?
Que leur avez-vous fait? L'oiseau lui répondit:
Rien du tout, mon seul crime est d'y voir clair la nuit.

Fable XVI.
Les deux Chauves

        Un jour deux chauves dans un coin
Virent briller certain morceau d'ivoire:
Chacun d'eux veut l'avoir; dispute et coups de poing.
Le vainqueur y perdit, comme vous pouvez croire,
Le peu de cheveux gris qui lui restoîent encor.
        Un peigne était le beau trésor
        Qu'il eut pour prix de sa victoire.

Fable XVII.
Le Chat et les Rats

         Un angora que sa maîtresse
         Nourrissait de mets délicats
         Ne faisoit plus la guerre aux rats;
Et les rats, connaissant sa bonté, sa paresse,
Allaient, trottaient partout, et ne se gênaient pas.
Un jour, dans un grenier retiré, solitaire,
Où notre chat dormait après un bon festin,
         Plusieurs rats viennent dans le grain
         Prendre leur repas ordinaire.
L'angora ne bougeait. Alors mes étourdis
Pensent qu'ils lui font peur; l'orateur de la troupe
         Parle des chats avec mépris.
         On applaudit fort, on s'attroupe,
         On le proclame général.
Grimpé sur un boisseau qui sert de tribunal:
Braves amis, dit-il, courons à la vengeance.
De ce grain désormais nous devons être las,
Jurons de ne manger désormais que des chats:
On les dit excellents, nous en ferons bombance.
A ces mots, partageant son belliqueux transport,
Chaque nouveau guerrier sur l'angora s'élance,
         Et réveille le chat qui dort.
Celui-ci, comme on croit, dans sa juste colère,
         Couche bientôt sur la poussière
         Général, tribuns et soldats.
         Il ne s'échappa que deux rats
Qui disaient, en fuyant bien vite à leur tanière:
         Il ne faut point pousser à bout
         L'ennemi le plus débonnaire;
On perd ce que l'on tient, quand on veut gagner tout.

Fable XVIII.
Le Miroir de la Vérité

Dans le beau siècle d'or, quand les premiers humains,
        Au milieu d'une paix profonde,
        Coulaient des jours purs et sereins,
        La Vérité courait le monde
        Avec son miroir clans les mains.
Chacun s'y regardait, et le miroir sincère
Retraçait à chacun son plus secret désir
        Sans jamais le faire rougir:
        Temps heureux, qui ne dura guère!
L'homme devint bientôt méchant et criminel.
        La Vérité s'enfuit au ciel
En jetant de dépit son miroir sur la terre.
        Le pauvre miroir se cassa.
Ses débris, qu'au hasard la chute dispersa,
        Furent perdus pour le vulgaire.
Plusieurs siècles après on en connut le prix;
Et c'est depuis ce temps que l'on voit plus d'un sage
        Chercher avec soin ces débris,
Les retrouver parfois; mats ils sont si petits,
        Que personne n'en fait usage.
        Hélas! le sage le premier
        Ne s'y voit jamais tout entier.

Fable XIX.
Les deux Paysans et le Nuage

        Guillot, disait un jour Lucas
        D'une voix triste et lamentable,
        Ne vois-tu pas venir là-bas
Ce gros nuage noir? C'est la marque effroyable
Du plus grand des malheurs. Pourquoi? repond Guillot.
— Pourquoi? Regarde donc; ou je ne suis qu'un sot,
        Ou ce nuage est de la grêle
Qui va tout abîmer; vigne, avoine, froment;
        Toute la récolte nouvelle
        Sera détruite en un moment.
Il ne restera rien, le village en ruine
        Dans trois mois aura la famine,
Puis la peste viendra, puis nous périrons tous.
La peste! dit Guillot: doucement, calmez-vous;
        Je ne vois point cela, compère:
Et, s'il faut vous parler selon mon sentiment,
        C'est que je vois tout le contraire;
        Car ce nuage assurément
Ne porte point de grêle, il porte de la pluie.
        La terre est sèche dès long-temps,
        Il va bien arroser nos champs;
Toute notre récolte en doit être embellie.
        Nous aurons le double de foin,
Moitié plus de froment, de raisins abondance;
        Nous serons tous dans l'opulence,
Et rien, hors les tonneaux, ne nous fera besoin.
C'est bien voir que cela! dit Lucas en colère.
Mais chacun a ses yeux, lui répondit Guillot.
— Oh! puisqu'il est ainsi, je ne dirai plus mot,
        Attendons la fin de l'affaire:
Rira bien qui rira le dernier. — Dieu merci,
Ce n'est pas moi qui pleure ici.
Ils s'échauffaient tous deirx; déjà, dans leur furie,
Ils allaient se gourmer, lorsqu'un souffle de vent
Emporta loin de là le nuage effrayant:
Ils n'eurent ni grêle ni pluie.

Fable XX.
Don Quichotte

Contraint de renoncer à la chevalerie,
Don Quichotte voulut, pour se dédommager,
        Mener une plus douce vie,
        Et choisit l'état de berger.
Le voilà donc qui prend panetière et houlette,
Le petit chapeau rond garni d'un ruban vert
        Sous le menton faisant rosette.
        Jugez de la grâce et de l'air
De ce nouveau Tircis! Sur sa rauque musette
Il s'essaie à charmer l'écho de ces cantons,
        Achète au boucher deux moutons,
Prend un roquet galeux, et, dans cet équipage,
Par l'hiver le plus froid qu'on eût vu de long-temps,
Dispersant son troupeau sur les rives du Tage,
Au milieu de la neige il chante le printemps.
Point de mal jusque là: chacun, à sa manière,
        Est libre d'avoir du plaisir.
Mais il vint à passer une grosse vachère;
Et le pasteur, pressé d'un amoureux désir,
Court et tombe à ses pieds: O belle Timarette,
Dit-il, toi que l'on voit parmi tes jeunes sœurs
        Comme le lis parmi les fleurs,
Cher et cruel objet de ma flamme secrète,
Abandonne un moment les soins de tes agneaux,
        Viens voir un nid de tourtereaux
        Que j'ai découvert sur ce chêne.
Je veux te le donner: hélas! c'est tout mon bien.
Ils sont blancs: leur couleur, Timarette, est la tienne;
Mais, par malheur pour moi, leur cœur n'est pas le tien.
        À ce discours, la Timarette,
        Dont le vrai nom était Fanchon,
Ouvre une large bouche, et, d'un œil fixe et bête,
Contemple le vieux Céladon,
Quand un valet de ferme, amoureux de la belle,
Paraissant tout à coup, tombe à coups de bâton
        Sur le berger tendre et fidèle,
        Et vous l'étend sur le gazon.
        Don Quichotte criait: Arrête,
        Pasteur ignorant et brutal;
Ne sais-tu pas nos lois? Le cœur de Timarette
Doit devenir le prix d'un combat pastoral;
Chante et ne frappe pas. Vainement il l'implore,
L'autre frappait toujours, et frapperait encore,
Si l'on n'était venu secourir le berger
        Et l'arracher à sa furie.

Ainsi guérir d'une folie,
Bien souvent ce n'est qu'en changer.

Fable XXI.
Le Voyage

Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route,
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi;
Voir sur sa tète alors amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas,
Courir, en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain où l'on n'arrive pas;
Détrompé vers le soir, chercher une retraite,
Arriver haletant, se coucher, s'endormir:
On appelle cela naître, vivre et mourir;
        La volonté de Dieu soit faite!

Fable XXII.
Le Coq fanfaron

        Il fait bon battre un glorieux:
Des revers qu'il éprouve il est toujours joyeux;
Toujours sa vanité trouve dans sa défaite
        Un moyen d'être satisfaite.

        Un coq, sans force et sans talent,
        Jouissait, on ne sait comment,
        D'une certaine renommée.
Cela se voit, dit-on, chez la gent emplumée,
Et chez d'autres encore. Insolent comme un sot,
Notre coq traita mal un poulet de mérite.
        La jeunesse aisément s'irrite;
Le poulet offensé le provoque aussitôt,
Et le cou tout gonflé sur lui se précipite.
        Dans l'instant le coq orgueilleux
Est battu, déplume, reçoit mainte blessure;
Et, si l'on n'eût fini ce combat dangereux,
        Sa mort terminait l'aventure.
Quand le poulet fut loin, le coq, en s'épluchant,
Disait: cet enfant-là m'a montré du courage;
        J'ai beaucoup ménagé son âge,
        Mais de lui je suis fort content.
Un coq, vieux et cassé, témoin de cette histoire,
        La répandit et s'en moqua.
        Notre fanfaron l'attaqua,
Croyant facilement remporter la victoire.
Le brave vétéran, de lui trop mal connu,
En quatre coups de bec lui partage la crête,
Le dépouille en entier des pieds jusqu'à la tête,
        Et le laisse là presque nu.
        Alors notre coq, sans se plaindre,
Dit: C'est un bon vieillard; j'en ai bien peu souffert:
        Mais je le trouve encore vert;
Et, dans son jeune temps, il devait être à craindre.