I.
Achille et Chiron
A Monseigneur le maréchal de Villeroi
Illustre sang de Villeroi,
Second du nom dans l'important emploi
Dont ta vertu t'a fait un patrimoine;
Au Heros de la Macedoine
Tu vas faire un rival dans nôtre jeune Roi.
Tu feras mieux encor: aussi grand, mais plus sage,
Dans l'Inde il n'ira point chercher d'autres Porus;
Louïs sera toûjours maître de son courage;
L'autre du sien sur l'esclave, et rien plus.
Tu ne souffriras point qu'un mauvais alliage
Fasse baisser un jour le prix de ses vertus.
Songe que dans tes mains repose l'Espérance
Des peuples qu'il doit gouverner;
Des fruits qu'il fera moissonner.
Nous les promettre ainsi, c'est déja les donner.
Jouïs-en toi-même d'avance;
De ton auguste Eleve admirant les essais,
Previens les tems, et que ta prévoyance,
D'un heureux avenir te peigne les succès.
Dans la pitié dont le Prince sensible
A pour les malheureux senti les premiers traits,
Vois un autre Titus secourable, accessible,
Soulageant tous les maux, comblant tous les souhaits;
Pleurant même les jours vuides de ses bienfaits.
Cet Oracle sacré, ces paroles touchantes,
Où de Louïs mourant l'ame réside encore,
Son fils veut les avoir presentes;
Et son cœur tout entier s'attache à ce trésor.
De combien de vertus ce goût est la promesse!
Ne vois-tu pas déja la justice en maîtresse
Chassant de ses projets l'aveugle passion,
La paix sans luxe et sans molesse,
Tout un regne animé de la Religion?
Oui Villeroi, voilà le Maître
Qu'il t'appartenoit d'élever.
Le sang a commencé; c'est à toi d'achever:
Sçavoir faire un grand roi, c'est autant que de l'être.
Lis cette Fable; elle va le prouver.
* * * *
Jadis aux celestes demeures,
L'hymen joignit Pelée à la belle Thétis.
Neuf mois après leur vint un fils;
Tant l'Amour menagea les heures:
Il fallut l'élever; le temps court, et déja
La Raison commençoit à luire.
A qui remettra-non le soin de le conduire?
Ce fut Chiron qu'on en chargea:
Sage, noble, vaillant, plus encor que cela,
Juste; ce mot dit tout: c'est au juste d'instruirer
Voilà donc par ce maître Achille gouverné.
Chiron s'y prit si bien que dans l'ame roiale,
Chaque vertu bien-tôt eut son rang assigné;
Que d'une main sûre et loiale,
Tout vice en fut déraciné,
A la colere près; c'étoit un vice inné
Qui tint bon contre la morale.
Du reste, Achille étoit fort bien moriginé.
Des vertus du Heros les dieux ont tenu compte
Au Gouverneur; le vice fut la honte
Du prince seul; on n'avoit rien ôbmis
Pour l'en guerir; ainsi Chiron fut mis
Entre les Dieux; et c'est ce Sagittaire
Qu du Ciel encor nous éclaire,
Monument éternel par qui nous apprendrons
Comment nous avons part à la vertu des autres.
Les efforts genereux que nous leur inspirons
Nous sont comptés comme les nôtres.
Mais Villeroi, souffre qu'ici
J'ajoûte une note à ma Fable,
Achille eut un vice incurable;
Louïs n'en a point, Dieu merci.
A toutes les vertus, il offre un cœur docile;
Et le Ciel tout exprès l'a fait pour nôtre bien;
Tu vaux mieux que Chiron: Il est meilleurqu'Achille,
Et la consequence est facile:
Tu nous le dois parfaits nous n'en rabatrons rien.
II.
La Montre et le
Quadran Solaire
Un jour la Montre au Quadran insultoit,
Demandant quelle heure il étoit.
Je n'en sçais rien, dit le Greffier Solaire.
Eh! que fais-tu donc là, si tu n'en sçais pas plus?
J'attends, répondit-il, que le Soleil m'éclaires
Je ne sçais rien que par Phœbus.
Attends-le donc; moi je n'en ai que faire,
Dit la Montre; sans lui jevais toûjours mon train.
Tous les huit jours un tour de main,
C'est autant qu'il m'en faut pour toute ma semaine.
Je chemine sans cesse, et ce n'est point en vain
Que mon aiguille en ce rond se promene.
Ecoute; voilà l'heure. Elle sonne a l'instant.
Une, deux, trois et quatre. Il en est tout autant,
Dit-elle: mais, tandis que la Montre decide,
Phœbus de ses ardents regards,
Chassant nuages et broüillards,
Regarde le Quadran, qui fidele à son guide,
Marque quatre heures et trois quarts.
Mon enfant, dit-il à l'Horloge,
Va t'en re faire remonter.
Tu te vantes, sans hesiter,
De répondre à qui t'interroge:
Mais qui t'en croit peut bien se mécompter;
Je te conseillerois de suivre mon usage.
Si je ne vois bien clair, je dis: Je n'en sçais rien.
Je parle peu; mais e dis bien.
C'est le caractere du Sage.
III.
Les Lunettes
Toute tête abonde en son sens.
Nous sommes ainsi faits; n'en exceptons personne.
La façon dont je vois et celle dont je sens,
La maniere dont je raisonne,
Je vous soûtiens que c'est la bonne;
Tandis que selon vous je vois à contre sens.
Ce qui me paroît vrai, vous semble erreur extreme;
En rien nous ne sommes d'accord:
Mais comment, s'il vous plaît, prouvez-vous que j'ai tort?
En disant: J'ai raison. Je vous le dis de même:
La confiance est notre fort.
Qui de nous est l'opiniâtr?
Je ne me rends point; cédez-vous?
Je le repete encor; nous nous ressemblons tous:
De son opinion chacun est idolâtre.
* * * *
Jupin un jour, en pointe de Nectar,
Voulut faire un present à la nature humaine.
Momus en est porteur. Sur un rapide char
Des airs il traverse la plaine.
Venez, s'écria-t-il, venez heureux humains;
Jupin ouvre pour vous ses bienfaisantes mains;
Il vous fit la vûë un peu basse;
Mais voici bien de quoi réparer ce défaut.
Il ouvre sa male aussi-tôt;
Et lunettes alors de tomber sur la place:
Humains de ramasser. Il s'en trouva pour tous;
Chacun en rapporta sa paire,
Rendant grace à Jupin d'avoir trouvé pour nous
Ce supplement à notre luminaire.
Les lunettes pourtant faisoient voir les objets
Sous de menteuses apparences.
Celui-là les voit bleus; celui-ci violets;
Qui blancs, qui noirs; enfin de toutes les nuances.
Mais, malgré la diversité,
Chacun charmé de sa Lunette,
Compta d'avoir attrapé la plus nette;
Et goûta dans la fausseté
Le plaisir de la vérité.
IV.
Les deux Pigeons
En certains lieux les Pigeons sont couriers.
Deux de ces couriers là faisant contraire route,
Se rencontrent dans l'air. Hola, compere, écoute,
S’écria l'un des deux. Vien-t'en sous ces palmiers;
Jasons un peu; quelle nouvelle?
Ta maîtresse persiste-t-elle
A nous aimer? Par nous, j'entends Damon;
(C'étoit le maître du Pigeon.)
Si nous l'aimons! vraiment je lui porte une lettre,
Répondit l'autre; et je puis te promettre
Que c'est de bon amour, et du meilleur qui soit.
Sur quoi le juges-tu, toi qui ne sçais pas lire?
J'en suis sûr par plus d'un endroit,
Repartit-il. En la voyant écrire,
J'observois avec soin Iris.
Ses yeux changeoient à chaque ligne;
Tantôt ardens; quelquefois adoucis:
Je devinois à plus d’un signe
Sa pensée et ses mots; j'en sçai tout le précis.
Quelquefois c'est reproche; aussi-tôt c'est excuse
Projet de n'aimer plus; serment d'aimer toujours;
Crainte que Damon ne l'abuse,
Et puis crédule espoir de fixer ses amours.
Tu vois bien que sans sçavoir lire,
De la lettre d'Iris je te rends la teneur.
J'oubliois qu'elle est longue; et s'il faut tout te dire,
Elle n'y rêvoit point, et tout partoit du cœur.
Que je plains donc Iris, lui répond son compere?
Damon est à ce compte un ingrat achevé.
Iris va par cet ordinaire
Recevoir un billet, mais court; et pour le faire
Le pauvre homme a long-tems rêvé.
Vive des passions l'éloquence soudaine:
Ne cherchons point ailleurs l'air vif, original;
L'esprit les imite avec peine.
Encor le plus souvent les imite-t-il mal.
Quant au pigeon si fort en conjecture,
Où prenoit-il cet art? Où? Dans son colombier.
Les Pigeons sont amans d'état et de nature;
Chacun doit sçavoir son métier.
V.
Les Grenouilles
et les Enfans
A Vous le dé, Messieurs les Princes.
Vous vous picquez de nobles sentimens.
Vous voulez batailler, conquerir des Provinces;
Ce sont là vos amusemens.
Mais sçavez-vous bien que nous sommes
Les victimes de ces beaux jeux?
Bon, il n'en coûte que des hommes,
Dites-vous. N'est-ce rien? Vous comptez bien les sommes;
Mais, pour les jours des malheureux,
C'est zero: Belle Arithmetique
Qu'introduit votre politique!
* * * *
Des Grenouilles vivoient en paix,
Barbotant, croassant au gré de leur envie.
Une troupe d'enfans sur les bords du marais
Vint troubler cette douce vie.
Ça, dit l'un d'eux, j'imagine entre nous
Un jeu plaisant, une innocente guerre.
Qui lancera plus loin sa pierre,
Sera nôtre Roi. Tope. Ils y consentent tous.
Pierres volent soudain. Chacun veut la victoire.
L'enfant n'est il pas homme? Il aime aussi la gloire.
Bien-tôt tout le marais est couvert de cailloux;
Et Grenouilles pour fuir n'ont pas assez de trous.
L'une a dans le moment l'epaule fracassée;
L'autre se plaint d'une côte enfoncée;
Celle-ci, comme eût dit le Chantre d'Ilion,
Reçoit une contusion
Dans l'endroit où le col se joint à la poitrine;
Celle-là meurt d'un grand coup sur l'échine.
Enfin la plus brave de là
Leve la tête, et dit: Messieurs, holà;
De grace allez plus loin contenter votre envie;
Choisissez-vous un maître à quelque jeu plus doux,
Ceci n'est pas un jeu pour nous;
Vos plaisirs nous coûtent la vie.
Rois, serons-nous toûjours des Grenouilles pour vous?
VI.
Le Castor et le Bœuf
Nos Seigneurs les Castors tenant le Canada,
Se piquent d'être un peuple libre,
Tel que le fut aux bords du Tibre
Ce peuple conquerant que Romulus fonda.
Un de ces Messieurs Amphibies,
Par certain Bœuf un jour fut traité de grossier.
Grossier! Mon ami, tu t'oublies,
Dit le Castor: mais sans t'injurier,
Raisonne un peu. Sur quoi fondes-tu ton reproche?
Et quelle est à ton sens notre grossiereté?
C'est, dit le Bœuf, que vous fuyez l'approche
De l'homme vrai Docteur de la civilité.
Entre vous nuls traitez; aucunes alliances:
C'est pourtant l'animal favori des Sciences.
Les autres animaux, les plus sages s'entend,
Chez lui vont prendre leurs licences;
Il en sçait plus que nous; partant,
Vivre avec lui, c'est se polir d'autant.
Il est vrai que de vous on compte des merveilles,
Et tous les jours à mes oreilles
On en dit tant que je n'y conçois rien.
Ils disent tous que vous bâtissez bien;
Que c'est plaisir de voir votre petit menage,
Et vos maisons à triple étage.
Par vous, digue, chaussée, ont toutes leurs façons;
Vous portez terre et bois, par tout où bon vous semble;
Vous êtes, dit-on, tout ensemble,
Les civieres et les maçons.
Mais que sert tout cela? malgré tant d'ouvertures,
On ne peut vous civiliser;
L'homme qui vient à bout des têtes les plus dures
Dit qu'il perd son latin à vous apprivoiser.
Là voila donc notre rudesse?
Dit le Castor. C'étoit mon sens,
Reprit le Bœuf. Apprends que c'est Sagesse,
Dit le Republicain. Comment sans cette adresse,
Pourrions-nous vivre independans?
Si nous faisions comme vous autres,
Et qu'avec l'homme un jour nous fussions familiers,
Il nous feroit servir en valets d'atteliers,
A bâtir ses toits, non les nôtres.
Eh! Qui ne connoît pas vos jougs et vos colliers?
Nous prévoyons nos malheurs par les vôtres.
Ne point s'apprivoiser avec gens trop puissans,
N'est grossiereté; c'est bon sens.
VII.
Les deux Sources
Filles d'une même montagne,
Deux sources commençoient leur cours.
L'une, à flots resonnans, tomboit dans la campagne;
L'autre, plus lentement rouloit des flots plus sourds.
Ma sœur, dit la source bruyante,
De ce train-là tu n'iras pas bien loin.
Tu vas tarir dans peu; tandis que triomphante,
Entre les fleuves moi je vais tenir mon coin.
A trois cens pas d'ici je gage
Que déja je porte bateau;
Puis étendant mon lit, reculant mon rivage,
Je veux qu'au loin, sur mon passage,
Il ne soit bruit que de mon eau.
Je vais par le commerce appeller la fortune
Dans tous les lieux de mon département;
Et puis, majestueusement
J'irai porter mon tribut à Neptune.
Adieu, pour remplir mon destin,
Il faut un peu de diligence.
Pour toi, tu ne seras qu'un ruisseau clandestin;
Adieu, ma sœur; prends patience.
L'autre ne sçait répondre à ce discours hautain,
Que d'aller doucement son train.
Elle s'ouvre un chemin, descend dans les prairies,
Appelle dans son lit mille petits ruisseaux
Qui serpentoient sur les rives fleuries;
Et poursuivant son cours, elle en grossit ses eaux.
La voilà parvenue aux honneurs des rivieres;
Elle a des Mariniers, se voit déja des ponts;
Nourrit un peuple de poissons;
Abreuve de ses eaux les campagnes entieres:
Puis des rivieres même enflant encor son cours,
La voilà fleuve enfin à force de secours.
Tandis que la source orgueilleuse,
Qui sans aide croyoit suffire à sa grandeur,
Demeurant un ruisseau, se trouva trop heureuse
De se jetter enfin dans les bras de sa sœur.
En vain le sot orgueil s'applaudit et s'admire;
N'attendez rien de grand de qui croit se suffire.
VIII.
La Chenille et la
Fourmi
N'Ecrire que pour amuser,
Autant vaudroit ne pas écrire.
Du langage c'est abuser,
Que de parler, pour ne rien dire.
Auteurs, j'en ai honte pour vous,
Vous gâtez le métier par ce vain batelage.
Je crois voir des farceurs qu'applaudissent des fous,
Tandis qu'ils sont siflez du Sage.
Riches de mots, pauvres de sens,
Tous vos discours ne sont que tours de passe-passe,
Bons pour charmer la populace;
La populace ici comprend bien des puissans.
Je n'irai pas leur dire en face;
Je ne le dis, discret auteur,
Qu'à l'oreille de mon Lecteur.
Mais ne croyez-vous pas qu'on vous en doit de reste,
Lorsque vous contentant de vaines fictions,
Vous n'allez pas orner d'un agrément funeste
Les vices et les passions?
Vraiment, je vous trouve admirables:
Vous n'êtes pas les plus coupables;
Donc vous êtes des gens de bien?
La consequence ne vaut rien.
Je punirois l'Auteur qui ne cherche qu'à nuire,
Comme un perturbateur de la Société.
Je chasserois aussi pour l'inutilité
Celui qui ne sçait pas instruire.
Tout citoyen doit servir son pays;
Le soldat de son sang; le prêtre de son zele;
Le Juge maintient l'ordre, il sauve les petits
De la grife des grands; et le Marchand fidele
Garde à tous nos besoins des secours assortis.
Or, qu'exige la republique
De mes confreres les rimeurs?
Que de tous leurs talens, chacun d'entr'eux s'applique
A cultiver l'esprit, à corriger les mœurs.
Malheur aux Ecrivains frivoles,
Atteints et convaincus de negliger ce bien!
Quel fruit attendent-ils de leurs vaines paroles?
Rien n'est-il pas le prix de rien?
Je voudrois lever ce scandale,
Et je tâche du moins à faire mon métier.
J'orne, comme je puis, quelques traits de morale.
Qu'un autre fasse mieux; je serai le premier
A l'en aller remercier.
* * * *
Desmoiselle fourmi trottant par la campagne,
Rencontre une Chenille à peine remuant.
L'aide du ciel vous accompagne,
Dit le Ver, en la saluant:
Si tant est cependant que Chenille saluë.
Mais la Fourmi ne s'en remuë,
Et d'un air dédaigneux recevant l'amitié,
Pauvre animal que tu me fais pitié!
Dit-elle: entre nous la nature
En te faisant a bien manqué.
Qui voudroit te compter pour une creature?
Tu n'en es qu'un essai croqué.
Dieu soit loué, puisqu'à me faire,
Nature a voulu mettre un peu plus de façon.
Je vais, je viens d'une jambe legere;
Je . . . mais c'est trop jaser pour une menagere;
Adieu, l'ami rampant: je cours à la moisson.
L'humble Chenille est muete à l'outrage;
S'enferme dans sa coque, y vaque à son ouvrage;
Puis au moment qu'elle en devoit sortir,
L'orgueilleuse fourmi par cet endroit repasse;
Le ver sort Papillon. Arrête un peu de grace,
Dit-il à la Fourmi! je voudrois t'avertir
Qu'il ne faut mépriser personne.
Le méprisé prend quelquefois l'essor.
Tel qui rampoit s;éleve et nous étonne.
Me voilà dans les airs, et tu rampes encor.
IX.
Les Mouches et les
Elephans
En presence étoient deux armées,
Qui d'un courage égal toutes deux animées,
Differoient seulement de force et de secours.
Un long rang d'Elephans qui sur de hautes tours,
De soldats bons Archers portoit mainte cohorte,
Servoit à l'une de rempart.
L'autre armée est plus foible, et n'a contre la forte
Que bon courage pour sa part.
L'instant fatal arrive; on a sonné la charge;
Les Elephans de se mouvoir,
Et les traits mortels de pleuvoir.
Quelque tems on tient ferme; et puis on prend le large.
Par tout devant les tours les escadrons plioient;
La Victoire déja de son aile divine
Couvroit la troupe Elephantine;
Et les monstres vainqueurs jusqu'au Ciel envoyoient
Mille cris dont au loin les échos s'effraioient.
Par bonheur un essain de mouches
Eut pitié des vaincus, prit en aversion
Les Elephans et leurs clameurs farouches.
Ça, punissons un peu cette ostentation,
Dirent-elles. Fondons sur ces superbes masses,
Et que l'on parle aussi de nous.
Ce ne fut pas vaines menaces;
Et sur les Elephans les picqueurs fondent tous.
Il n'est peau si dure qui tienne;
Le fut-elle encor plus, Messieurs, vous en aurez,
Bourdonnent-ils; vous apprendrez
A qui le destin veut que la gloire appartienne.
Soudain de leurs traits acerez
Ils blessent coup sur coup les yeux de nos colosses;
Dans l'une ou l'autre oreille, ou dans la trompe entrez,
Ils les harcellent tant, que devenus feroces,
Les Elephans desesperez
Retournent en arriere, en foule se renversent
Sur le parti qu'ils troublent, qu'ils dispersent.
Par l'effroi des vainqueurs les vaincus rassurez
Reviennent au combat; la valeur tourne en rage;
Ils frappent, percent tout, ce n'est plus qu'un carnage;
Ils font litiere enfin d’ennemis massacrés.
Un florissant empire ainsi changea de face
Le Roi fut dépouillé; l'étranger eut sa place.
Sur cette révolution
L'Histoire a debité maintes raisons subtiles.
Les vaincus estoient malhabiles;
Ils ne firent pas bien leur disposition;
Le vainqueur prudent comme Ulisse
Dans l'Armée ennemie avoit des gens à soi;
C'est de ces gens que vint le desordre et l'effroi;
Et cent contes pareils que Dame Histoire glisse,
Et qu'on croit cependant comme article de foi.
Des mouches, pas un mot. Pourquoi?
Aux grands évenemens il faut de grandes causes;
Voilà son sistême, fort bien:
Mais qui sçauroit au vrai les choses,
Verroit souvent que ce n'est rien.
X.
La Brebis et le Buisson
Quelques-uns veulent que la Fable
Soit courte: ils ont raison; mais l'excès n'en vaut
rien.
Qui dit trop peu, ne dit pas bien;
L'aride n'est point agreable.
Esope même étoit trop sec;
Je m'en étonne; car tout Grec
Est grand parleur: témoin notre divin Homere.
Ces deux conteurs ne se ressemblent guerre.
L'un par des vers sans fin dit qu'il faut s'accorder.
A l'autre allez le demander;
En deux mots il vous expedie.
Ces deux extremitez ne sont point de mon goût.
Evitez, c'est bienfait, la longue rapsodie;
Ne dites rien de trop; mais aussi dites tout.
La Fontaine a bien fait d'étendre
Son laconique original.
Tout fleurit dans ses vers; le plus vil animal
Est éloquent: c'est plaisir de l'entendre;
Tout prend des sentimens, des mœurs;
Tout converse; on y croit être avec ses semblables.
Le precepte à loisir se coule sous les fleurs;
Sans cela que servent les Fables?
Voilà mon maître, et j'en fais vanité;
Sur son exemple et son autorité,
Je donne à mes recits toûjours quelque étenduë.
Voici pourtant une Fable plus nuë,
Pour le seul intérêt de la variété.
* * * *
Une Brebis choisit, pour éviter l'orage,
Un buisson épineux qui lui tendoit les bras.
La Brebis ne se moüilla pas;
Mais sa laine y resta. La trouvez-vous bien sage?
Plaideur, commente ici mon sens.
Tu cours aux tribunaux pour rien, pour peu de chose.
Du temps, des frais, des soins; puis tu gagnes ta cause.
Le gain valoit-il les dépens?
XI.
Le Lion, le Renard
et le Rat
Le Lion et le tigre aIant eu longue guerre,
Le Lion enfin fut vainqueur.
Devant lui se taisoit la terre;
Et le monde animal reconnut Son Seigneur.
De chaque espece aussi-tôt on députe,
Pour aller rend re hom mage au Roi.
Ainsi qu'un autre Ulisse, après quelque dispute,
De Harangueur le Renard eut l'emploi.
Il loua donc sa majesté Lionne;
Lui dit que son front seul meritoit la couronne;
Que semblable à Jupin, qui sur son Trône assis,
Ebranle tout le Ciel quand il meut ses sourcis,
Du mouvement de sa criniere,
Lui Lion, il faisoit trembler la terre entiere;
Puis, du petit au grand, vient du grand au petit;
Lui dit qu'il n'a de loi que son seul appetit;
Que pour son Souverain chaque espece l'avoue;
Quils sont ses fideles vassaux;
Et qu'il peut se jouer des autres animaux,
Comme du Rat le Chat se joue.
Le trait déplut au Rat qui même en fit la moue.
Sire Lion trouvant que Renard disoir d'or,
Lui fit expedier une bonne Ordonnance
Paiable a certaine écheance,
Par le Dragon, garde de son trésor.
Le Singe, comme Secretaire
En bonne forme mit l'affaire.
Il remet au Renard le roial parchemin,
Signé Lion, et plus bas, Fagotin.
Le Renard desormais comptant sur sa fortune,
Croit qu'il achetera les pouletà au marché;
Mais l'argent n'étoit pas touché;
D'ailleurs le Rat n'étoit passans rancune.
Le trait de l'Oraison lui tenoit fort au cœur;
Il brûloit d'en tirer vengeance.
Il se glissa chez l'Orateur,
Et lui róngea son Ordonnance.
Ce que Lion flaté vouloit fairede' bien,
Rat offensé le reduisit à rien.
XII.
Pluton et Proserpine
De's que l'ardent Pluton eut ravi Proserpine,
Cerès en jetta les hauts cris.
Pour s'en plaindre, elle vôle aux celestes lambris:
Jupin, souffriras-tu que Pluton m'assassine?
Je perds ma fille; helas! Si ce bien m'est osté,
Ote-moi donc aussi mon immortalité.
Vôtre affaire est embarassante,
Répondit Jupin à Cerés;
Ce cadet là n'a pas l'humeur accommodante;
Il tient bien ce qu'il tient: mais calmez vos regrets:
Afin d'avoir la paix dans ma famille,
J'imagine un traité que le Sort scellera.
Que six mois de l'année il garde vôtre fille;
Et les six autres mois pour vous elle vivra.
Voilà mon Arrêt; toi, Mercure,
Va le porter au Dieu des Morts.
L'Huissier Celeste part, arrive aux sombres bords;
Instruit Pluton. L'Arrêt excite son murmure.
Qioi, mon frere, dit-il, attente à mes desirs!
Prétend-il donc me tailler mes plaisirs?
Nous lui laissons ses biens; qu'il nous laisse les nôtres.
Je n'aurois que six mois cette chere beauté!
Eh! comment vivre les ſix autres?
Est-ce pour l'adorer trop de l'éternité?
Vous êtes à plaindre sans doute;
Lui dit Mercure, en reprenant sa route:
Mais c'est l'ordre du Sort: tel qu'il est, le voilà;
Il faut bien en passer par là.
Proserpine est donc épousée.
Grande fête aux enfers; tout supplice y cessa.
On dit qu'ainsi que l'Elisée,
Tout le Tartare à la nôce dança.
Au bout de quinze jours Pluton dit à sa femme:
On va vous ravir à ma flame;
Enfin le terme approche où vous m'allez quitter.
Ici nous ne pouvons compter
Ni les jours ni les mois: nos astres immobiles
Ne sçauroient mesurer le temps:
Mais je sens bien depuis que mes vœux sont tranquilles,
Qu'il s'est passe bien des instans.
On va nous separer: ô regrets inutiles!
Le terme est loin pourtant. Il falloir deux saisons.
Autre quinzaine passe, et Pluton s'en étonne.
Qui, dit-il en bâillant, six mois sont donc bien longs!
Autre mois passe encor; alors le Dieu soupçonne
Que Jupiter le trompe, et qu'enfreignant ses loix,
Il ne veut pas tenir la clause des six mois.
Il s'en plaint; mais sa plainte eut beau se faire entendre;
Avec sa Proserpine il lui fallut attendre
Qu'il plût au terme d'arriver.
Quand Mercure vint la reprendre,
Nôtre époux sentira la rendre,
Plus de plaisir qu'à l'enlever.
Dans un bien souhaité quels charmes on suppose!
Vient-on à jouïr de ce bien?
Tous les jours il décroît, perd toûjours quelque chose;
Il devient mal en moins de rien.
XIII.
Le Jugement, la Memoire
et l'Imagination
Imagination, Mémoire, et Jugement;
Qiels étranges acteurs, dit-on, pour une Fable!
Qu fera critique semblable,
N'a pas les crois asseurément.
Jugement lui diroic que ces crois personnages
Valent bien le Renard et le Loup et l'Agneau;
Et qu'il s'agit de voir ſs j'ai de ces images
Pû composer un bon tableau.
Tout est bon, pourvû que du conte
Il resulte une verité.
La Fable git dans la moralité;
Quand l'Auteur y va droit, le Lecteur a son compté.
S'il chicane, tant pis; il a le goût gâté.
Les Acteurs n'y font rien, j'en-attesté l'usage.
Mais quand il me contrediroit,
Je soûtiens toûjours qu'il faudroit
En appeller au Juge le plus sage,
Au bon sens; et s'il n'y souscrit,
Je refuse de me soûmettre.
D'ailleurs, qui suit toûjours une regle à la letre,
En viole souvent l'esprit.
* * * *
Dom Jugement, Dame Memoire
Et Demoiselle Imagination,
Qioique n'en dise rien la Fable ni l'Histoire,
Avoient jadis même habitation.
Ils vivoient en commun, enfans de même pere;
Quelque temps de la paix on goûta les douceurs;
Mais l'union ne dura guéré;
L'humeur broüilla bien-tôt lefreré et les deux sœurs.
Imagination cédoit à ses saillies;
Memoire babilloit toûjours;
Las de caquet et de folies,
Jugement murmuroit: ainsi passoient leurs jours.
C'étoit sans cesse entr'eux quelque parole;
Brouillerie au moindre incident:
A leur dire, l'une étoit fole,
L'autre une babillarde, et l'autre un vrai pedant.
Il faut nous separer, mes sœurs; que vous en semble,
Leur dit Jugement leur aîné?
Nous ne seaurions durer ensemble;
Pour vivre apart chacun de nous est né.
Imagination trouva le conseil sage;
Pour trois têtes, dit-elle, est-ce assez d'un bonnet?
Les trois fils de Saturne autorisent le fait,
Reprend Memoire en un long verbiage,
Dont le resultat fut que las de leur menage,
Ils s'étoient separez tout net.
aL'exemple étoit auguste; on le met en usage;
On se quitte; adieu, bon voiage;
Chacun emporte son paquet.
Les voilà donc tous trois qui cherchent domicile.
Ils trouvent bien-tôt un azile
Chez trois voisins brouillez qui ne se voioient point:
Circonstance pour eux qui venoit bien a point.
Celui chez qui logea Memoire,
Devint sçavant, Dieu sçait; et du train qu'il alla,
Langues, opinions, usages, Fable, Histoire,
Il apprit tout, et par de-là.
Imagination sit bien-tôt de son homme
Un Poëte hardis mais des plus effrenez,
Extravagant, entousiaste, en somme
Grand inventeur d'objets mal enchaisnez;
Grand marieur de mots l'un de l'autre étonnez.
Il s'entendoit a faire une Ode
Pindarique et sans suite; il sçavoit s'en garder.
Le caprice étoit sa methode,
Et son art, de tout hazarder.
Dom jugement, maître d'une autre étoffe,
De son hôte obligeant prit un soin empressé:
En moins de rien il devint Philosophe;
Je disois mal; il fut homme sensé:
Selon son prix, jugeant de chaque chose;
Ami du vrai, du juste, allant toûjours au bien:
Ne decidant jamais de rien
Qu'avec connoissance de cause.
Nos voisins sentirent bien-tôt
Qu'ils pouvoient l'un pour l'autre être de quelque usage.
Les faits chez le sçavant étoient tous en dépot;
Et là, s'alloient fournir le Poëte et le Sage.
Des fougues de l'Auteur le Sage s'amusoit;
Le bon sens veut qu'on se délasse.
Le Poëte aussi s'avisoit
De prendre ses conseils dont parfois il usoit;
Tant mieux alors pour le Parnasse.
Pour l'Erudit, il méprisoit,
Qui? tout le monde; et ses voisins? Sans doute:
Mais il falloit jazer. Où chercher qui l'écoute?
Chez ses voisins. Il le faioit.
C'est pour le commun avantage
Qu'ici tous les talens ne sont point d'un côté:
Aucun ne les a tous; mais ce même partage
Est le lien de la Société.
XIV.
Le Soc et l'Epée
Autrefois le soc et l'Epée
Se rencontrerent dans les champs.
De sa noblesse elle tout occupée,
Ne sembloit pas appercevoir les gens.
Le Soc donne un salut, sans que l'autre le rende.
Pourquoi, dit-il, cette fierté?
L'ignores-tu? Belle demande!
Tu n'es qu'un roturier, je suis de qualité.
Eh! d'où prends-tu, dit-il, ra gentilhommerie?
Tu ne fais que du mal s je ne fais que du bien:
Mon travail et mon industrie
De l'homme entretiennent la vie;
Toi, tu la lui ravis, bien souvent sur un rien.
Petit esprit, ame rampante,
Dit l'Epée; est-ce ainsi que pensent les grand cœurs?
Oui, répondit le Soc; on a vû des vainqueurs
Remettre à la charuë une main triomphante:
Témoins les Romains, nos Seigneurs.
Mais sans moi, dit la Demoiselle,
Ces Romains eussent-ils subjugué l'Univers?
Rome n'étoit qu'un bourgson n'eut point parlé d'elle,
Si mon pouvoir n'eut mis le monde dans ses fers.
Tant pis; elle eut mieux fait de se tenir tranquille
Répondit maître Soc; belle necessité,
Que l'Univers devint l'esclave d'une ville;
Que de sa vaste cruauté
Elle effraiât l'Europe et l'Afrique et l'Asie!
Eh! pourquoi, s'il vous plait, à quelle utilité?
Pour en passer sa fantaisie.
Trouve-tu donc cela digne d'être vanté?
L'Epée au bout de sa Logique,
Appelle enfin maître Soc en duel.
Te voilà; battons-nous: c'est tout ton rituel,
Dit le Soc. Quant à moi, ce n'est pas ma pratique;
Je travaille et ne me bats point:
Mais, un tiers entre nous pouroit vuider ce point.
Prenons la Taupe pour arbitre;
Comme Themis elle est sans yeux,
L'air grave et robe noire; on ne peut choisir mieux.
Chacun au Juge expose alors son titre.
La nouvelle Themis les entend de son trou;
Et le tout bien compris, prononce cet adage:
Qui forgea le Soc étoit Sage,
Et qui fit l'Epée étoit fou.
XV.
Les deux Chiens
A Madame la Marquise de Lambert
Lambert, mon cœr à chaque instant me dit
Que ma Muse te doit un tribut qui te plaise.
Il en parle bien a son aise;
Le plaisir est pour lui, la peine est pour l'esprit.
Tant bien que mal je puis décrire
Ton bon goût, ta raison, tes vertus, tes talens:
Mais parmi de certaines gens,
Semblables veritez sont fascheuses à dire.
Les Sages sont des Dieux qui refusent l'encens.
Ne te loüons donc point, quoique le cœur m'en dise.
J'aime mieux te feliciter,
Prendre part à la joie exquise,
Qu'avec de vrais amis tu sçais si bien goûter.
Sçavoir, Politesse, Genie,
Guidez par l'Amitié, se rassemblent chez toi.
Ils ont trouvé leur Uranie:
Ils l'aiment: en ce point je parle aussi de moi.
Qu'on demande a chacun de ces amis d'élite
Quel lien te l'arrache et quel est son attrait:
A ton tableau chacun mettra son trait:
Somme totale, on aura tout merite,
Et par consequent ton portrait.
Le mot m'est échappe. Tu rougis; mais pardonne;
Mon intention étoit bonne:
De ne te point louer j'avois pris mon parti:
Mais quand le cœur veut quelque chose,
C'est en vain que l'esprit s'oppose;
Il a toûjours le dementi.
Lis ma Fable; le fait est de ta competence:
J'y peins la disgrace d'un chien
Quii fera voir à tous ce que tu sçais si bien,
Qu'amitié veut de la Prudence.
* * * *
Maître Brifaut, chien fort doux, fort civil,
En son chemin rencontra de fortune
Aboiard, chien hargneux, un autre la Rancune.
Il l'acoste humblement. Pardonnez, lui dit-ils
Peut-être jevous trouble en vôtre rêverie;
Mais si vous vouliez compagnie,
Je suis à vous, je m'offre de bon cœur;
Et je tiendrai la grace à grand honneur.
Aboiard n'étoit pas dans son accès farouche:
Les plus brutaux ont leurs instans.
Nos chiens font amitié: dans la patte on se touche;
On s'embrasse; on se traite en amis de tout temps.
Nos freres suivent leur voiage.
Confidences trotoient de la part de Brifaut,
Racontant ses emplois, ses amours, son menage;
(Amitié fraische à ce défaut
Qu'elle jase plus quil ne saut)
Le tout, Pour amuser le grave personnage,
Qui parloit peu, qui sembloit s'ennuier,
Plus on pretendoit l'égayer.
Ils arrivent bien-tôt au plus prochain village.
Là nôtre la Rancune aboie à tous les chiens;
Attaque l'un, puis l'autre, et se fait mille affaires;
Tant qu'enfin le tocsin sonne sur nos deux freres,
Qui sont, l'un portant l'autre, ajustés en vauriens.
Pauvre Brifaut en fut pour ses oreilles,
Ni plus ni moins que Seigneur Aboiard.
L'un attira les coups, et l'autre en eut sa part;
Je l'en plains; mais choses pareilles
Menacent qui choisit ses amis au hazard.
XVI.
Le Conquerant
et la pauvre Femme
Rois, vous aimez gloire; et c'est bien fait à vous.
Il ne s'agit que-de l'a bien connoître;
Soiez ce que vous devez être;
Elle va vous offrir ce qu'elle a de plus doux.
Mais que devez-vous être? et qu'est-ce qu'un Monarque?
C'est plûtôt un Pasteur qu'un maître du troupeau;
C'est le nocher qui gouverne la barque,
Non le possesseur du vaisseau.
Vôtre empire s'étend du couchant à l'aurore;
Cent peuples suivent vôtre loi:
Vous n'êtes que puissant encore;
Gouvernez bien; vous voilà Roi.
Le fameux vainqueur de l'Asie
N'étoit pas Roi: c'étoit un voiageur armé,
Qui, pour passer sa fantaisie,
Voulut voir en courant l'Univers allarmé
De bonne heure Aristote auroit dû le convaincre
Qu'au bien de ses Etats un Roi doit se donner.
Il perdit tout son temps à-vaincre,
Et n'en eut pas pour gouverner.
Si Dieu sur vôtre front grava sa ressemblance,
C'est moins en égalant vôtre pouvoir au sien,
Qu'en vous faisant pour nôtre bien
Substituts de sa Providence.
Veillez donc à ce bien qu'il veut vous confier;
Mettez-là vôtre gloire, et n'en cherchez point d'autre.
Craindre, aimer, obeïr, voilà nôtre métier;
Et nous rendre heureux, c'est le vôtre.
* * * *
Certain Sophi, tenant Bellone à son service,
Conquerant de profession,
Bon homme pourtant et sans vice,
Exceptez-en l'ambition,
Si c'en est un; qu'on le demande
A Messieurs les Heros; ils n'en conviendront point;
C'est la marque d'une ame grande.
Point de bruit avec eux; et passons-leur ce point.
Le Monarque Persan de conquête en conquête,
Voioit tous ses voisins domtez;
Vingt couronnes ceignoient sa tête,
Et sous ses loix couloient cent fleuves bien comptez.
Il usoit bien de ses victoires;
Et vouloit que partout la justice fleurît;
Il écoutoit les gens, il lisoit leurs memoires.
L'innocent triomphoit, l'injuste étoit proscrit.
Sur cette bonne renommée,
Des bornes de son vaste Etat,
Une vieille femme opprimée
Vint apporter sa plainte aux pieds du Potentat.
Sire, parle droit dela guerre,
Ma fille et moi nous sommes vos vassaux;
On l'a deshonorée; on a pillé ma Terre;
Sous un bon Roi doit-on souffrir ces maux?
C'est vous, Sire, que je reclame.
Que je vous plains, ma pauvre femme;
Dit le Prince. Je veille à maintenir les Loix;
Mais de si loin que puis-je faire?
Puis-je songer à tout? L'astre qui nous éclaire,
Eclaire-t-il tout le monde à la fois?
Il n'cst pas étonnant que si loin de mon Trône
Mes bons ordres soient mal suivis.
Eh! pourquoi donc, Seigneur, répondit la matrone,
Ne pouvant nous regir, nous avez-vous conquis?
XVII.
Les deux Dandins
A Caen pays de Sapience,
Vivoient Messieurs Dandins, Avocats, pere et fils.
Le Pere consultoit; le fils à l'Audience
Endormoit quelquefois Themis.
Qui l'eût cru d'une ame Normande!
Le Pere accommodoit les anciens procès;
Ilſauvoit aux Plaideurs les dépens 6c l'amande;
Il sauvoit aux plaideurs les dépens et l'amende;
Le fils admiroit ses succès:
Mais à ses gains encor il portoit plus d'envie.
C'étoit de jour en jour nouveau remerciment;
L'un lui devoit les biens, l'autre devoit la vie;
La poule et le ducat au bout du compliment.
Le fils affriandé, sur les traces du pere,
Se met en train de tout accommoder.
Ami de l'un, et de l'autre compere,
Il veut guerir, dit-il, les normands de plaider.
Déja sur la moindre querelle,
Il assemble les contestans,
Leur prêche la paix fraternelle,
Deteste des procès la longueur éternelle:
Ennuis, chagrins, travaux, ruine au bout du temps.
Bien prêché, dit une partie;
Mais Pierre est un fripon, Monsieur.
Les fripons sont chez toi, reprend l'autre crieur.
De repartie en repartie
Chacun se quitte en s'outrageant;
Laisse Dandin, court au Sergent.
D'un démenti reçu notre juge novice
Veut décider. On lui conte le fait;
Mais en presence de Justice,
Le dementi tout frais est paié d'un soufflet.
Pour de si beaux succès, point d'honneur, point d'épice;
Pas le moindre petit poulet.
Jeannot Dandin court à son pere;
Qu'est-ceci, lui dit-il? Comment pouvez-vous faire?
Arbitre des procès, vous accommodez tout.
Au diable le premier dont Jeannot vienne à bout.
J'en veux prevenir un, j'en fais renaître quatre
J'ai beau dire; ils veulent plaider.
Eh! sot; que n'attends-tu pour les accommoder
Que les gens soient las de se battre.
XVIII.
L'Estomac
Jadis un Estomac de gourmande mémoire,
Et pour qui, je croi, le premier,
Fut inventé l'art de manger et boire
Plus que ne veut Besoin nôtre vrai cuisinier,
Nôtre vrai Medecin, si nous sçavions l'en croire.
Cet Estomac étoit amoureux du ragoût,
De potages farcis et de fines entrées,
De piquants entremets, sophistiques denrées,
Qui font à l'appetit survivre encor le goût.
L'insatiable donc s'en donnant au cœur joie,
Ne disoit jamais: C'est assez.
Tant bien que mal il digeroit sa proie;
Puis, sans rien dire, il vous envoie
Mauvais chile, et de-là se forme mauvais sang;
Sang qui bien-tôt du corps rend toutes les parties
Languissantes, appesanties:
Toutes s'en trouvoient mal; chacune avoit son rang.
Tantôt c'étoit bons maux de tête;
Tantôt colique, ou bien douleurs de reins;
Poitrine embarassée, ou rhumatisme en quête
De l'une ou l'autre épaule, et pour combler la fête,
Dame Goute entreprend et les pieds et les mains.
Qu'est-ceci, dit l'homme malade?
Qui cause tout cela? Ce n'est pas moi du moins,
Dit l'Estomac; je vous rends bien mes soins,
Et ne vous fais point d'incartade.
Vous fais-je mal? tâtez; faut-il d'autres témoins?
La Poitrine ma camarade,
N'est pas si fidele que moi:
La tête rêve trop; le pied, de bonne foi,
Ne fait pas assez d'exercice:
Le calomniateur donne à chacun son vice;
On n'est bien servi que de lui.
Le malade le crut: ainsi, ce fut autrui
Que l'on punit des fautes du perfide.
Topiques aux endroits où la douleur reside;
Puis, bistouris en dance; enfin la fievre prend;
Tout le corps y succombe, et le voilà mourant.
C'est fait, pauvre estomac, dites vos patenôtres;
Les Medecins par les regles de l'art,
Des membres et de vous ont conclu le départ.
Nous avons beau jetter nos fautes sur les autres;
Nous en patissons tôt ou tard.
XIX.
L'Amour et la Mort
Loin, Lecteurs dont la critique
Souffle le chaud et le froid,
Qui répandez sur tout une bile caustique,
Sans distinguer ni le tort, ni le droit.
Toute perfection chez vous s’appelle vice.
Est-on sublime? On est guindé.
Est-on simple? On est bas. Tout art est artifice,
Et tout ce qui plaistt est fardé.
Si je hazarde quelque conte,
Qui vous semble un peu fort de sens,
Eh quoi! direz-vous, quelle honte
De proposer ces traits à des enfans!
Mais, s'il vous plaît, la Fable est-elle l'ennemie
Du profond et du fin, quand il vient à propos?
La prenez-vous pour une mie,
Qui ne sçait rien qu'endormir des marmots?
Bien-tôt vous allez vous dédire
Au premier trait commun que j'oserai rimer.
N'est-ce qu'à des enfans qu'il veut se faire lire?
C'est bien la peine d'imprimer.
C'est ainsi que chaque rencontre
Vous voit changer de mesure et de poids;
Disant blanc ou noir; pour ou contre;
Vous contredisant mille fois
Pour vous sauver d'approuver une.
Eh bien, n'approuvez pas; qui veut vous y forcer?
Pour moi, me remettant du tout à la fortune.
J'irai mon train sans m'en embarrasser.
J'avertis seulement d'avance,
Que je me propose en effet
D'instruire et d'amuser l'enfance;
Mais sans oublier l'homme fait.
Je voudrois qu'en mes vers tout âge pût apprendre;
J'imagine et j'écris pour tous.
Laissez à vos enfans ce qu'ils en pourront prendre;
Et gardez le reste pour vous.
* * * *
La Mort fille du Temps, et l'enfant de Paphos,
Jadis, comme aujourd'hui, voyageoient par le monde.
Tous deux l'arc à la main, le carquois sur le dos,
Ils faisoient ensemble leur ronde.
Jupiter vouloit que l'Amour
Blessant les jeunes cœurs, mit des humains au jour;
Et que la mort frappant la vieillesse imbecile,
Délivrât l'univers d'une charge inutile.
C'étoit là l'ordre; et tout devoit aller
Selon ce plan que semble exiger l'âge.
Cloto, disoit l'Amour, aura de quoi filer;
Nous lui taillerons de l'ouvrage;
Et moi, disoit la Mort, je m'en vais occuper
Sa sœur Atropos à couper:
Qu'elle ait de bons cizeaux, pour moi j'ai bon courage.
Nos voyageurs, au coin d'un bois,
Se reposant un jour fatiguez du voiage,
Ils mettent bas et l'arc et le carquois,
Confondent tout leur équipage;
Et quand il faut partir, le reprennent sans choix.
De l'enfant le Squelete avoit pris maintes fleches;
L'amour parmi ses traits méla ceux de la Mort.
L'une au cœur des vieillards fit d'amoureuses breches;
L'autre des jeunes gens alla trancher le sort.
Jupiter rit de la méprise,
Et n'y mit de remede en rien:
Il pensa que de leur sotise
Il pouvoit naître quelque bien.
Si notre espece en effet étoit sage,
Depuis ce troc nous craindrions,
Malgré la force ou la langueur de l'âge,
Et la Mort et les passions.
Sans ce danger que je soûtiens propice,
Dans la vigueur des ans, ou bien sur leur declin,
Le vice n'auroit point de frein,
Et la vertu point d'exercice.
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