I.
Le Roi des Animaux
A Monseigneur l'ancien evesque de Frejus
Fleuri, nouveau mentor d'un nouveau Telemaque,
Toi, qui le promenant par les siecles passez,
Pour le bonheur d'un autre Itaque,
Raproches sous ses yeux tant de faits dipersez.
Dans ces sedentaires voiages,
Tu le conduis sans crainte des nauffrages,
De païs en païs, cueillant partout des fleurs;
Formant, chemin faisant, son esprit et ses mœurs.
Tu sçais lui faire de l'Histoire
Une étude feconde où tout rit, où tout plaît;
Il s'instruit de la vraie et de la fausse gloire;
A chaque trait dont s'orne Sa memoire,
Dans son cœur quelque vertu naît.
Mais sçais-tu bien sur quoi j'espere
De tes leçons le succès le plus grand?
C'est qu'en instruisant, tu sçais plaire;
Tu sçais te faire aimer, et voilà mon garand.
Quand tes uages diucours l'invitent
A commencer en lui ce qu'il doit être un jour,
Tes graces, ta douceur obtiennent son amour;
Le maître plaît; les leçons en profitent.
Tu vois voler son estime et sa foi
Au devant des vertus qu'il confond avec toi.
Fais de cet ascendant un usage fidele.
L'amour qu'il te donne aujourd'hui,
Est la mesure et la source du zele
Que tout son Peuple aura pour lui.
* * * *
Lassez de vivre en Republique
Jadis les animaux essayerent d'un Roi;
Ils firent choix d'un bœuf surnommé Pacifique;
On se promit d'être heureux sous sa loi.
Le monarque nouveau, doux, bienfaisant, affable,
Se fit aimer; mais ce fut tout.
Il ne sçavoit que plaindre un miserable:
Falloit-il punir un coupable?
Tout son pouvoir étoit à bout.
Mille petits tirans desoloient sa Province;
Les Tigres, les Lions enlevoient ses Sujets;
Qu'y faisoit-il? Il leur prêchoit la paix:
C'étoit pitié qu'un si bon Prince.
Bienfaits tant qu'on vouloit, point de punition;
Partout, Indulgences Plenieres.
On le dépose enfin, pour choisir le Lion.
Le nom de Conquerant suit cette élection.
Bien-tôt le nouveau Roi recule ses frontieres,
Soûmet tous ses voisins à son ambition;
Fait trembler ses Sujets; plus de rebellion;
Mais aussi point d'amour; il n'inspiroit que crainte;
Sa Majesté cruelle et de sang toûjours teinte,
Effraioit jusqu'à ses flateurs;
Sur un soupçon, sur une plainte,
Malheur aux accusez, même aux accusateurs.
Qu'est ceci, dit le peuple? Et quel choix est le nôtre?
La diete a bien mal réüssi;
De deux Rois, pas un bon: nous ne craignions point l'autre;
Le moien d'aimer celui-ci?
Il ne connoît d'autre Loi que sa rage.
Enfin deseſseré d'un si dur esclavage,
Sur le Neron des bois tout le peuple courut.
Imaginez-vous le carnage;
Il en coûta du sang; mais le Tiran mourut.
Alors, ce bœuf si debonnaire,
Qu'on avoit déposé, sans qu'il en dit un mot,
Messieurs, dit-il, j'ai trouvé votre affaire;
Cet Elephant est votre vrai balot.
ll est bon comme moi, terrible comme l'autre;
Vous serez ses enfans; il vous défendra bien;
Je lui donne ma voix, joignez-y tous la vôtre;
Pour vous regir, que lui manque-t-il? Rien,
S'écria tout le peuple. On le choisit: son regne
Repara les malheurs passez.
Rois, qu'on vous aime et qu'on vous craigne:
L'un sans l'autre n'est pas assez.
II.
Le Pécheur et le
Meurier
Un Pécher, les amours et l'espoir de son maître,
Du jardin l'arbre favori,
Le Printemps ne faisant que naître.
S'applaudissoit d'être déja fleuri:
Il avise un Meurier tout aussi sec encore
Que dans les froids les plus cuisans.
Aucun signe de vie;on n'y voit rien éclore;
Füilles ni fleurs; ses rameaux languissans
Sont encor tout transis à la honte de Flore.
L'ami, dit le Pécher, qu te sert le Printemps?
Ta paresse le deshonore.
Déja de sa touchante voix,
Philomene l'annonce aux échos de ces bois.
Toute la nature s'éveille.
Dès le matin une Aurore vermeille,
Vient nous arroser de ses pleurs,
Nectar delicieux des arbres et des fleurs.
Cependant, paresseux, le Zephire a beau faire;
Tu dors, quand tout est éveillé?
Que ne m'imites-tu? Regarde, considere
Comme déja travaillé.
Me voilà tout fleuri; d'une belle esperance
Voilà déja mon maître regalé.
Je lui tiendrai parole, il peut compter d'avance
Qu'au nombre de mes fleurs mon fruit est égale.
A peine l'arbre a-t-il parlé,
Qu'un vent de bize souffle, et détruit tout l'ouvrage.
Du Pécher la fleur démenage,
Et tout espoir de fruit avec elle envolé,
Lui laisse à peine attendre un sterile feuillage.
Eh bien, dit le Meurier, avois-je donc grand tort
De ne me pas presser is fort?
Zephire a beau souffler, je crains encor la bize.
Sçache qu'il faut à temps commencer l'entreprise,
Quand on veut en venir à bout.
Limpatience gâte tout.
III.
L'Opinion
J'implore ton secours, invention divine.
Je ne puis travailler sur d'antiques tableaux.
Si je ne crée et si je n'imagine,
Je jette de dépit et couleurs et pinceaux.
Les fictions d'autrui n'excitent point ma veine;
Si le fonds n'est à moi, j'y bâtis avec peine.
Je craindrois toûjours que le dol
Ne m'en dépossedât ous ombre de justice,
Et qu'un jour le maître du sol
Ne revendiquât l'edifice.
Ne brodons point enfin le canevas d'autrui.
Jadis on inventoit; inventons aujourd'hui.
Nos peres l'ont bien fait; ne pourrions-nous le faire?
Non, me dit-on, les temps en sont passez.
Il falloit naître aux jours ou d'Esope ou d'Homere.
Mais vous venez trop tard. Imitez: c'est assez.
Je n'en suis point d'avis. Il semble à ce langage
Qu'e le monde soit decrepit,
Qu'il ait tout vû, qu'il ait tout dit:
Il s'en faut bien a il n'est qu'a la fleur de son âge;
Et c'est trop dire; il n'a que cinq ou six mille ans.
Or, près des millions d'années
Que vraisemblablement portent ses destinées,
Il ne fait que de naître; et nous sommes enfans.
Il y paroît; toûjours timides,
Nous n'osons avancer, si nous n'avons des guides.
Nous demandons à chaque pas:
A-t-on été par la? Non; n'y marchons donc pas.
Voilà bien le discours d'enfans tels que nous sommes.
Nous serons plus hardis, quand nous serons des hommes.
Que de terres encor restent à découvrir!
La fiction sur tout est un païs immense:
On ira loin, pourvû qu'on pense.
Les chemins manquent-ils? c'est à nous d'en ouvrir.
Imaginons des faits; creons des personnages;
Si nous trouvons des critiques sauvages,
Allons toûjours, et laissons-les crier.
A l'honneur d'inventer Apollon nous convie;
Et nous sommes, malgré l'envie,
Createurs de nôtre métier.
En vertu de ce Privilege
Voici donc de nouveaux Acteurs,
Dame Ignorance et son cortege,
Paresse, Orgueil. Ecoutons ces Docteurs.
Ils font déja gronder tout le Peuple critique
Contre un conte metaphysique.
* * * *
Demoiselle Ignorance étoit grosse d'enfant.
Demandez-moi qui l'avoir abusée.
Je n'en sçais rien, mais on comprend
Qu'abuser l'Ignorance est chose bien aisée:
Elle étoit grosse enfin: le dernier mois couroit.
Sur cet évenement maint Oracle à la ronde
En termes pompeux déclaroit
Qu'elle alloit accoucher de la Reine du monde;
D'un enfant qui seroit des Rois, même des Dieux;
Qui regleroit lui seul tous les usages;
Et si vous voulez encor mieux,
Qu fonderoit des écoles de Sages;
Le monde deſormais verroit tout par ses yeux.
On accouche de peur; mais la pauvre Ignorance
Accoucha d'admiration:
L'Oracle s'accomplit. comment? par la naissance
De Demoiselle Opinion.
On fait venir l'Orgueil et la Paresse,
Parents de l'Ignorance, et de plus ses amis;
Et de nommer l'Enfant, l'honneur leur est remis.
La marraine l'admire, et lui sourit sans cesse;
Le parrain gravement, le flatte, le carresse;
Et de leur pleine autorité,
Ils l'appellent la Verité.
IV.
Les Chiens
Pour chercher sûrement fortune
Nombre de braves chiens se liguerent entr'eux.
De gloire et de butin faisons bourse commune,
Leur dit, monté sur la Tribune,
Un Dogue, Orateur vigoureux.
Vous l'eussiez entendu par sa docte harangue
Enflammer les Confederez,
Et leur étaler en sa langue
La concorde et ses droits sacrez:
Ce Dogue en un College avoit pris ses degrez.
Vous avez tous maint Hector à poursuivre,
Les Loups, les Sangliers: courez; je vous les livre,
Si de vôtre union vous serrez le lien:
Mais si quelqu'un hargneux et difficile à vivre
Met le trouble entre vous, et s'en va sur un rien
Traiter son compagnon de visage de chien,
Si vous donnez entrée à la guerre civile,
Vous perirez; et j'en atteste ici
Les manes querelleurs d'Achille:
Car, comme vous voyez, l'Orateur, Dieu merci,
Etoit sçavant et plagiaire aussi.
Sur sa figure pathetique
Nos ligués font serment de demeurer unis.
Du zele de la Republique
Contre tout interêt les voilà bien munis.
De ce pas nos Heros partirent,
Trouvent un Sanglier, l'attaquent, le déchirent;
Il n'est plus question que de le partager.
C'est le point delicat. Nos gens se desunirent.
Moi disoit l'un, j'en veux manger
Ma grosse part: j'ai renversé la bête.
L'autre, c'est moi qui viens de l'étrangler.
Pour ceux-ci, qui de loin ont regardé la fête,
Pensent-ils par se regaler
Comme les plus vaillans? qu'ils jeunent; à la quête
Pour leur compte ils peuvent aller.
Tant fut dit, que le feu leur montant à la tête,
Les voilà furieux, combatan pour les parts.
De moment en moment s'accroît leur barbarie;
La farouche Bellone et l'implacable Mars
Irritant encor la furie,
De carnage et de sang repaissent leurs regards.
Ce champ au peuple chien fut une autre Pharsale
Où n'écoutant qu'une rage brutale,
Parens contre parens, chacun se disputa
Le Sanglier dont aucun ne tâta:
Car, tandis qu'en ce choc leur fureur se déploye,
Que de s'entretuer ils se donnent la joie,
Ils virent accourir une troupe de loups.
Qui put s'enfuir, s'enfuit; mais ils ne purent tous:
Des loups le reste fut la proie.
Or, de cela deux vérités:
C'est l'Intérêt qui fait et qui rompt les traitez.
La Discorde sa fille enfante la Ruine.
En seize mille vers bien sonnans, bien comptez,
Plus n'en apprend l'Iliade divine.
V.
Le Portrait
Le monde est plein de faux censeurs.
Qu'on leur montre une bonne piéce;
Leur ignorante hardiesse
De son autorité la renvoie aux farceurs.
Ils n'y trouvent ni goût, ni force, ni justesse;
C'est ceci, cela qui les blesse;
Blâmant, proscrivant tout, et de par les neuf Sœurs.
Eh, Messieurs, c'est orgueil et non delicatesse:
Vous n'êtes qu'ignorans, soi disant connoisseurs.
* * * *
De se faire tirer certain homme eut envie.
Chacun veut être peint une fois en sa vie.
L'amour propre de son métier
Est ami des portraits: cet art qui nous copie
Semble aussi nous multiplier.
Ce n'est pas là notre unique folie.
Le portrait achevé, notre homme veut avoir
L'avis de ses amis, gens experts en peinture:
Regardez, il s'agit de voir
Si je suis attrapé, si c'est là ma figure.
Bon, dit l'un on vous a fait noir;
Vous êtes blanc. Cette bouche grimace,
Dit un autre. Ce nez n'est pas bien à sa place,
Reprend un tiers: je voudrois bien sçavoir
Si vous avez les yeux si petits et si sombres?
Et puis, en verité, que servent-là ces ombres?
Ce n'est point vous enfin; il faut tout retoucher.
Le Peintre en vain s'écrie; il a beau se fâcher;
Sur cet Arrêt il faut qu'il recommence:
Il travaille, fait mieux, réüssit à son choix,
Et gageroit tout son bien cette fois
Pour la parfaite ressemblance.
Les connoisseurs assemblez de nouveau
Condamnent encor tout l'ouvrage.
On vous allonge le visage;
On vous creuse la jouë; on vous ride la peau;
Vous êtes là laid et sexagenaire;
Et flaterie à part, vous êtes jeune et beau.
Eh bien, leur dit le Peintre, il faut encor refaire;
Je m'engage à vous satisfaire,
Ou j'y brûlerai mon pinceau.
Les connoisseurs partis, le Peintre dit à l'homme:
Vos amis, de leur nom s'il faut que je les nomme,
Ne sont que de francs ignorans;
Et si vous le voulez, demain je les y prends.
D'un semblable tableau je laisserai la tête,
Vous mettrez la vôtre en son lieu.
Qu'ils reviennent demain; l'affaire sera prête.
J'y consens, dit notre homme; à demain donc; adieu.
La troupe des Experts le lendemain s'assemble,
Le Peintre leur montrant le portrait d'un peu loin,
Cela vous plaît-il mieux? dites; que vous en semble?
Du moins j'ai retouché la tête avec grand soin.
Pourquoi nous rappeller, dirent-ils? Quel besoin
De nous montrer encore cette ébauche?
S'il faut parler de bonne foi,
Ce n'est point du tout lui, vous l'avez pris à gauche.
Vous vous trompez, Messieurs, dit la tête, c'est moi.
VI.
Les Gourmets
Mais n'est-il pas aussi des goûts sûrs? oüi sans doute:
Ils sont rares; mais il en est.
Heureux qui les rencontre! Heureux qui les écoute!
Plus heureux encor qui leur plaît!
Travaillons-y, quoiqu'il en coûte.
* * * *
Sur un vin frais cuvé le maître d'un Logis
Tenoit conseil, interrogeoit son monde;
La tasse couroit à la ronde;
Il vouloit que chacun en donnât son avis.
L'un le goûtant à vingt reprises,
Très élegamment décidoit
Qu'il étoit fait exprès pour les tables exquises;
Un autre en l'avalant opinoit du godet.
Ce vin tout d'une voix vaut la liqueur suprême
Dont les Dieux s'enivrent là-haut:
On eut defié Bacchus même
D'y trouver le moindre défaut.
Arrivent deux Gourmets, Docteurs en l'art de boire,
Le Marguillier Lucas et le Syndic Gregoire.
On leur en fait goûter. Eh bien, qu'en dites-vous?
Votre avis n'est-il pas le nôtre?
Il sent le fer, dit l'un: le cuir aussi, dit l'autre.
Bon, dit-on, quelle idée! et d'où viendroient ces goûts?
Le Bacchique Senat les croit devenus fous.
On les raille à l'envi; mais courte fut la joie;
L'évenement vint les justifier.
On trouve, en le vuidant, dans le fonds du cuvier,
Une petite clef pendant à sa courroie;
Et railla bien qui railla le dernier.
Auteurs, à mille gens votre ouvrage a sçû plaire;
On le dit excellent; ne vous y fiez pas.
Maint défaut échape au vulgaire,
Qu'appercevront les delicats.
VII.
Pandore
Vulcain tout frais banni du celeste cerdeau
Voulut à sa façon faire une creature.
D'abord, en emploïant la forge et le marteau.
Il imita du corps la secrette structure;
Puis en fit les dehors; et son adroit cizeau
Tailla, polit, acheva la figure.
Jupiter dit: L'ouvrage est beau;
Certes mon fils entend bien la sculpture:
D'humains il feroit presque une manufacture:
Mais après tout, ce n'est qu'un corps,
Qu'une statuë; il y faut joindre une ame,
Qui de l'ouvrage anime les ressorts.
Il dit. L'airain respire, et la statuë est femme.
Tout habitant du Ciel voulut lui faire un don.
Jugez quel fut son appanage;
Rien ne manquoit à son ménage;
De Graces et de Ris on lui fit sa maison.
Chaque Dieu la dota d'un nouvel avantage;
De charmes, de talens, d'adresse, de courage;
Et de là Pandore est son nom;
C'est-à-dire, tout don, ô le bel assemblage!
Mais le Dieu sournois de là-bas,
Pluton, s'en vint offrir une boëte à Pandore.
Tenez, dit-il; voici bien mieux encore;
C'est le plus grand trésor, si vous ne l'ouvrez pas.
La belle à ce discours trouva quelque embarras.
Elle étoit femme et partant curieuse;
L'œil toûjours sur la boëte on la voit soucieuse;
Ne point l'ouvrir, dit-elle! on se mocque de moi:
Plaisant trésor de qui la jouïssance
Est de n'en point user! Je m'y perds, plus j'y pense;
C'est une enigme: oh, par ma foi,
J'en aurai le cœur net. Il faut voir. Elle l'ouvre.
Dieux, qu'en sort-il? Qu'est-ce qu'elle découvre?
Quels maux affreux s'échapperent de-là?
La Douleur et la Mort: pis encor que cela:
Des vices odieux l'engeance toute entiere
Se produisit à la lumiere.
Or je demande en quel rang mettrons nous
La Curiosité qui fut mere de tous?
* * * *
A ce fait ancien joignons un peu du nôtre.
Je ne puis me guerir de l'émulation.
Cette Fable en enfante une autre:
C'toit mon avant scene; et voici l'action.
Nous voilà, se dirent les Vices,
Mais que deviendrons-nous? Songeons à nous loger.
Moi, dit l'Ambition, je n'ai point à songer:
Des grands je ferai les delices,
Et de ce pas je m'y vais heberger:
La Cour des rois sera mon gîte.
Et moi, dit l'Intérêt, je m'en vais au plus vite
Chez les negotians et Messieurs leurs Commis;
J'y ferai bien-tôt des amis.
Je veux leur enseigner à se tracer sur l'onde
Aux plus lointains climats mille chemins nouveaux:
Je veux que sur de bons vaisseaux,
Ils me promenent par le monde:
Je verrai le pays. La Débauche à son tour,
Dans la maison du riche établit son séjour.
Là, de rien elle n'aura faute;
Goûtant de plus d'un vin et de plus d'un amour,
Elle va regner chez son hôte.
L'Hipocrisie alors se logeoit encor mieux;
Ces gens au doux parler, au saint baissement d'yeux,
Pour elle ont des chambres garnies:
Elle sera dans les temples des Dieux
Maîtresse des ceremonies,
Quant à la Jalousie, où sera son quartier?
Peut-elle manquer de retraites?
Ne fût-il dans le monde entier
Que deux belles ou deux Poëtes?
Ainsi de se loger tout vice vint à bout.
La Vanité pourtant paroissoit sans domaine.
Et toi, lui dit quelqu'un? N'en soiez point en peine;
Moi, dit-elle, Messieurs, je logerai partout.
VIII.
Le Chat et la Souris
Finette, gentille Souris,
Avoit un jour donné dans une Souriciere.
Pour un morceau de lard la voilà prisonniere:
Par fois les plus sages sont pris.
Maître matou que cette odeur attire,
S'en vient flairer le trebuchet;
Il y voit la Souris et du lard à souhait:
Quel repas pour le Maître Sire!
Pour l'avoir, le rusé se met sur son beau dire.
Ma commere, dit-il d'un ton de papelard,
Mettons bas la vieille rancune;
C'est trop vivre ennemis; j'en suis las pour ma part;
Si comme moi la guerre t'importune,
Il ne tiendra qu'à toi que desormais
Nous ne vivions en pleine paix.
Du meilleur de mon cœur, lui répondit Finette.
Quoi, tout de bon, dit l'un? Oui, dit l'autre. Voions,
Reprit le Chat; pour faire alliance complette,
Ouvre-moi ton logis, que nous nous embrassions.
Volontiers; vous n'avez qu'à lever une planche
Qui le ferme de ce côté.
Ça, dit le Chat de bonne volonté,
Et qui déja croit tenir dans sa manche
Souris et lard tant convoité.
De ses deux griffes il attrappe
Le long morceau de bois où la planche pendoit.
Il se baisse, elle leve. Alors Finette échappe
Avec le lard qu'elle mordoit.
Le Chat court, mais trop tard, et bien loin de son compte,
N'eut ni lard ni Souris, n'eut que sa courte honte.
Le prudent sçait tirer son bien,
Même de l'ennemi qui pense à le détruire.
Autre morale y viendroit aussi-bien.
Tel nous sert en voulant nous nuire.
IX.
Les deux Livres
J'ai vû quelquefois un enfant
Pleurer d'être petit, en être inconsolable.
L'élevoit-on sur une table?
Le Marmot pensoit être grand.
Tout homme est cet enfant. Les dignitez, les places,
La noblesse, les biens, le luxe et la splendeur,
C'est la table du Nain; ce sont autant d'échasses,
Qu'il prend pour sa propre grandeur.
Je demande à ce grand, qui me regarde à peine,
Et dont l'acueil même est dedain,
Qui peut fonder en lui cette fierté hautaine?
Est-ce sa race, ou son rang, ou son train?
Mais quoi? De tes ayeux la memoire honorable,
L'autorité de ton emploi,
Ton Palais, tes meubles, ta table,
Tout cela, pauvre homme, est-ce toi?
Rien moins; et puisqu'il faut qu'ici je t'aprétie,
Un cœur bas, un esprit mal-fait,
Une ame de vices noircie
Te voilà nud, mais trait pour trait.
Du surplus ton orgueil te trompe et nous surfait.
Il est quelques puissans que de leurs dons celestes
Les Dieux prennent plaisir d'orner:
L'orgueil à ceux-là seuls pourroit se pardonner;
Mais ceux-là sont les seuls modestes.
C'est un double exemple à donner.
* * * *
Côte à côte sur une planche,
Deux livres ensemble habitoient.
L'un neuf, en maroquin et bien doré sur tranche;
L'autre en parchemin vieux, que les vers grignotoient.
Le Livre neuf, tout fier de sa parure,
S'écrioit: qu'on m'ôte d'ici;
Mon Dieu, qu'il put la moisissure!
Le moien de durer auprês de ce gueux-ci?
Voyez la belle contenance
Qu'on me fait faire à côté du vilain!
Est-il œil qui ne s'en offense?
Eh! de grace, compere, un peu moins de dédain,
Lui dit le Livre vieux; chacun a son mérite,
Et peut-être qu'on vous vaut bien.
Si vous me connoissiez à fonds. . . Je vous en quitte,
Dit le Livre Seigneur. Un moment d'entretien,
Reprend son camarade. Eh non; je n'entends rien.
Souffrez du moins que je vous conte. . .
Taisez-vous; vous me faites honte;
Holà Mons du Libraire, holà,
Pour vôtre honneur, retirez-moi de là.
Un Marchand vient sur l'entrefaite,
Demande à voir des Livres; il en voit:
A l'aspect du bouquin, il l'admire et l'achéte;
C'étoit un auteur rare, un Oracle du droit.
Au seul titre de l'autre, ô la mauvaise emplette!
Dit le Marchand homme entendu.
Que faites-vous de ce Poëte
Extravagant ensemble et morfondu?
C'est bien du maroquin perdu.
Reconnoissez-les bien; faut-il qu'on vous les nomme,
Ceux dont en ces vers il s'agit?
Du sage mal vêtu le grand Seigneur rougit;
Et cependant l'un est un homme;
L'autre n'est souvent qu'un habit.
X.
L'Homme instruit
de Son Destin
Un homme avoit un jour obtenu du destin,
Que de son avenir il lui fit confidence.
Au livre de la providence,
Il lut donc tout son sort, ses progrès et sa fin.
Parmi de menus faits, de grandes avantures
Se deploierent à ses yeux.
Il devoit être Roi, puissant et glorieux,
Et puis captif, et puis mourir dans les tortures.
Ces revolutions sont le plaisir des Dieux.
De tous ces objets quelle idée
Occupe desormais mon pauvre curieux!
Sa mort le suit par tout; son ame intimidée
La souffre à toute heure, en tous lieux.
Ce Roi futur, que la fraieur consume,
Se voit dans son affreux chagrin,
Esclave comme Montezume,
Grillé comme Guatimosin.
Ah! par pitié, grands Dieux, ôtez-moi cette image,
S'écriat-t-il. Ses vœux sont exaucez.
Il ne voit plus la mort ni l'esclavage;
Dans son esprit ce sont traits effacez.
Le voilà donc qui voit en perspective
Ce Sceptre absolu qui l'attend:
En est-il mieux? le croiez-vous content?
L'impatience la plus vive
Lui fait un siecle d'un instant.
Quelque faveur que le ciel lui deploie,
Tout est insipide pour lui.
Où les autres mourroient de joie,
Ce Roi futur seche d'ennui.
Ciel, cria-t-il encor, retranchez les années
Qui me separent de mon bien.
Hâtez mes grandes destinées:
Hors de-là je ne goûte rien.
Çà dit le sort, malgré ton imprudence
Je ferai mieux que tu ne veux.
C'en est fait, tu va être heureux;
Je te rends à ton ignorance.
Bon lot! Bien à propos tout homme en fut pourvû.
Sans cela notre impatience
Feroit un mal d'un bien prévû;
Et le mal nous tueroit d'avance.
XI.
Les Arbres
Chez nos ayeux, à qui Dieu fasse paix,
Un Astrologue étoit un meuble necessaire.
Sans son avis on ne pouvoit rien faire.
La raison commandoit; il reste encore un mais;
Qu'est-ce que l'Astrologue augure de l'affaire?
Vouloit-on bâtir, voiager,
Vendre, aller faire des emplétes,
Se marier ou se purger?
Il vous falloit surtout le visa des planettes.
Tout Astrologue étoit prisé son pesant d'or,
Idiot préjugé, qui n'exceptoit personne.
L'homme est si sot, que je m'étonne
Que la mode n'en dure encor.
* * * *
Un grand seigneur ami du Jardinage,
Avoit des arbres à planter.
Son prédiseur qu'il s'en va consulter,
Fait son thême, étudie, et trouve pour l'ouvrage
Les Celestes aspects dont il faut profiter.
Allons, dit le Docteur, qu'on plante tout-à-l'heure;
Le Ciel ne veut ni delai, ni demeure;
Si l'on tarde un moment, ces arbres sont perdus.
Pour l'influence bienfaisante,
Je ne compte qu'une heure au plus
Soudain on obéït, on plante;
En moins de rien voilà nos arbres en état,
Munis d'un bon certificat.
Ils devoient atteindre un grand âge;
Grêle, pluie et vents en courroux,
Main d'homme n'y pourroit causer aucun dommage;
Le Ciel les protegeoit envers et contre tous.
A quelques jours de ce plantage,
Le Seigneur prend un nouveau Jardinier.
Le plan ne lui plut pas; il arracha l'ouvrage
Qui selon lui n'eut pû fructifier.
Quand le Seigneur le vit. Ah malheureux, ah traître,
Qu'as-tu fait là, dit-il au déplanteur?
Ces arbres auroient fait le plaisir de ton maître.
Mon Astrologue en ce point grand Docteur,
Avoit pour les planter pris l'instant bienfaicteur,
Où tout le Senat planetaire
M'étoit garand du succès de l'affaire.
Tout beau, dit le manant, à tort vous vous fâchez;
Je n'entends-rien, Monsieur, à votre Dialogue:
Mais vos arbres sont arrachez:
L'instant ne valoit rien; battez votre Astrologue.
XII.
Apollon et
Minerve, Medecins
A Monsieur de Fontenelle
Fontenelle, grand maître et de prose et de rime,
De qui l'esprit contient tous les esprits,
Et qui, doué d'une raison sublime,
Ne l'as point aux dépens des graces et des ris;
Je traite dans ces vers la science commune
Que personne n'apprend, que chacun croit sçavoir,
La Morale; et de peur qu'elle soit importune,
Sous des voiles rians je la fais entrevoir.
Tu sçais à fonds cet art qu'à peine l'on effleure.
Avant de t'élever aux speculations,
Tu t'étois muni de bonne heure
Du principe des actions.
Prononce donc sur mes allegories;
Juges-en sans appel le fonds et le détail:
C'est à tes lumieres cheries
Que je soûmets tout mon travail:
Non pas qu'en tout j'espere gain de cause;
J'aurai tort en plus d'un endroit.
Ici la rime souffre, et plus loin c'est la chose;
Je n'irai pas peut-être à mon but assez droit;
Parfois un mot intrus d'un autre tient la place,
Et quelquefois le tour est vicieux;
Tantôt trop de foiblesse, et tantôt trop d'audace;
Même, où j'aurai bien fait, j'aurai manqué le mieux.
Mais quoi! ne sçai-tu pas quelle espéce est la nôtre?
Chacun de ses talens a beau s'enorgueillir;
Dès qu'on est homme, il faut faillir,
Et je suis homme en cela plus qu'un autre.
Apollon et Minerve étoient bannis des Cieux.
Pour quel sujet? Cela n'importe;
Passons-nous-en; le Souverain des Dieux,
Quand tel est son plaisir, met les gens à la porte:
On obéit, faute de mieux.
Que faire, dirent-ils? Sevrez de l'ambroisie
Il faut chez les mortels aller gagner sa vie.
Moi, dit le dieu, je sçais un bon métier.
J'ai bien aussi le mien, répondit la Déesse.
Ils firent choix d'une Ville de Grece,
Et s'établirent là, chacun en son quartier.
Apollon se fit empirique;
Guerissoit tous les maux du corps;
Des organes usez rajustoit les ressorts;
Pour chaque maladie avoit un specifique.
Quant à Minerve, elle exerçoit
Une plus haute medecine;
C'étoit l'ame qu'elle pensoit;
En extirpoit le mal jusques à la racine.
L'homme est ami du stile charlatan:
Bien le sçavoit la prudente Déesse.
Elle l'affecta donc, et comme orvietan,
Elle debitoit la Sagesse.
Son affiche portoit en caracteres d'or
Qu'à son art souverain rien n'étoit incurable.
Que l'on m'amene un scelerat, un diable,
Quelque chose de pis encor;
Je vous le rends blanc comme neige;
Je vous le gueris net d'un seul trait d'Elixir :
Au sortir de chez moi les vertus en cortege
Marcheront sur ses pas; il n'aura qu'à choisir.
Je vous redresse un esprit gauche;
Je vous netoie un cœur gangrene de débauche;
Fievre d'ambition, au feu toûjours nouveau,
Avec redoublement et transport au cerveau
Mensonge continu, malice inveterée,
Avarice desespérée,
Tous les vices en un monceau,
Je m'en joue, et cent fois j'ai fait semblables cures.
Et n'allez pas penser que ce soient impostures,
Usez de mon remede, et je n'en veux le prix
Que de ceux que j'aurai gueris.
Apollon faisoit mieux, on le payoit d'avance;
Avant la guerison il vendoit l'esperance.
Cependant tout couroit chez le Dieu Medecin;
Surchargé de pratique, il prenoit davantage;
La foule en augmentoit; on eût tout mis en gage,
Plutôt que de manquer le remede divin.
Il fut riche bien-tôt, comme un homme d'affaire,
Et Minerve n'étréna pas.
Les maux du corps font tout nôtre embarras:
Ceux de l'ame n'importent guere.
XIII.
Le Trésor
Un Prince voiageoit, cherchant les avantures,
Mais non pas tout à fait en chevalier errant;
Il marchoit avec suite, avoit pris ses mesures,
Sa cassete suivoit, bon trésor, sûr garand.
Contre mille besoins enfans des longues courses;
Le courage et l'argent, c'étoit là ses ressources.
Il apperçoit un jour, écrits sur un rocher,
Ces mots en vrai stile d'oracle:
Je mene au grand trésor qu'un Dieu voulut cacher;
Il est gardé par maint obstacle,
Et d'abord, pour premier miracle,
C'est par mon sein qu'il faut marcher.
Perçons-le, dit le Prince. On assemble mille hommes,
Travaillans jour et nuit, bien nourris, bien paiez;
Et moiennant de grosses sommes
En peu de jours les chemins sont fraiez.
Le rocher traversé, se presente un abîme.
Le Trésor est plus loin, dit un autre écriteau;
Comble-moi. Soit, comblons; dit l'Amadis nouveau;
Le Trésor, à ce que j'estime
Sur ces précautions, doit être un bon morceau.
Nouveau travail et nouvelles dépenses.
Mais l'abîme comblé, les belles esperances
Se reculent encor. D'une épaisse forêt
Un pin gravé lui dit: Le Trésor est tout prêt;
Mais pour aller jusqu'à sa niche,
Il faut abattre bien du bois.
Sur nouveaux frais, on travaille, on défriche;
La cassette du Prince est enfin aux abois.
Il arrive au travers de la futaie ouverte
Dans une campagne deserte.
Un seul dragon gardien du Trésor,
Lui dit: Ce n'est pas tout, il faut me vaincre encor.
Bon, dit l'autre; il s'agit maintenant de courage;
Ma bourse étoit à bout, ma valeur ne l'est pas.
Il fond sur le dragon, qui reveillant sa rage,
Et d'un regard terrible annonçant le trépas,
Vomissoit un affreux nuage
De fumée et de feux precurseurs du carnage.
Le Prince combat en Heros;
Le danger même l'évertuë.
Il porte mille coups; le sang coule à grands flots;
Il est blessé vingt fois; mais à la fin il tuë.
Enfin, voici, dit-il, le Trésor qu'on me doit.
Il appelle; on vient voir; on calcule la somme;
On trouve, sou pour sou, tout l'argent qu'à nôtre homme
Avoit coûté ce grand exploit;
Et d'un baume excellent deux petites mesures,
Juste, ce qu'il en faut pour guerir ses blessures,
Le dieu s'étoit joué du Chevalier errant.
Il vouloit par-là nous apprendre,
Qu'après bien des peines souvent
On n'est pas mieux qu'auparavant.
Heureux qui n'est pas pis! Ce sont graces à rendre.
XIV.
Le Chameau
Par pitié pour le fou souvent le Sage plie;
Pour vrai respect le fou prend sa pitié.
L'égard qu'on a pour la folie,
La rend plus folle de moitié.
Ce grand ne peut souffrir que l'on le contredise.
Eh bien, soit, vous avez raison.
Nous voilà pris au mot: pas le moindre soupçon
Qu'il vient de dire une sotise,
Et que notre menagement
Lui dit qu'il est sot doublement.
On voit un Auteur fanatique,
Sur chacun de ses vers prêt à s'extasier,
Palissant, fremissant à la moindre critique:
De peur de le mortifier,
Nous nous prétons à sa manie;
Un mot d'éloge échappe; et mon homme est perdu.
L'Idiot desormais se va croire un genie.
Vous l'avez dit: du moins, l'a-t-il bien entendu.
J'alleguerois sans peine un tas d'autres exemples;
La morale n'a point de matieres plus amples:
Mais je n'épuise rien; et de crainte d'ennui,
L'art demande que je m'arrête.
Dire tout au Lecteur, cela n'est pas honnête:
C'est trop se défier de lui.
* * * *
Pour mille bons endroits, les chameaux ont un vice;
Ce n'est pas trop; le pied leur glisse;
Ils sont sujets à s'écarter.
Ceci posé, je puis conter
Comme un Chameau, d'ailleurs fort sage et fort honnête,
S'enorgueillit d'un cas qui lui tourna la tête.
Avec ce Monsieur-là, ceux qui le conduisoient
Alloient passer un mont fort rude.
Le Chameau patissoit; ses pieds s'y refusoient;
Nos gens sont en inquietude;
Pour rendre le chemin moins glissant et plus beau,
Ils mettoient des tapis sous les pieds du Chameau.
A la précaution qu'il prend pour déférence,
Le Chameau se rengorge; il vous fait le gros dos;
Compte ses pas, comme un pedant ses mots,
Et marche gravement ainsi qu'une Eminence.
A passer la montagne il met le jour entier;
Et la nuit toute entiere il rêve
A l'honneur du tapis; le sommeil n'y fait trêve;
Il ne dort point, de peur de l'oublier.
Mais quand, le lendemain, on veut qu'à l'ordinaire,
Pour recevoir sa charge il baisse les genoux,
Qu'est-ce, Messieurs? êtes-vous fous,
Dit le superbe Dromadaire?
N'est-ce pas moi qu'hier vous traitiez en Seigneur?
Suis-je aujourd'hui d'une autre espéce?
Ses Maîtres à grands coups guerissent son yvresse,
Allons, bas; maître raisonneur;
Le tapis t'a gâté: ce n'étoit pas honneur;
C'étoit égard pour ta foiblesse.
XV.
Les Amis trop d'Accord
Il étoit quatre amis qu'assortit la Fortune;
Gens de goût et d'esprit divers.
L'un étoit pour la blonde, et l'autre pour la brune;
Un autre aimoit la Prose, et celui-là les vers.
L'un prenoit-il l'endroit? l'autre prenoit l'envers.
Comme toûjours quelque dispute
Assaisonnoit leur entretien,
Un jour on s'échauffa si bien,
Que l'entretien devint presque une lutte.
Les poumons l'emportoient; Raison n'y faisoit rien.
Messieurs, dit l'un', quand on s'aime,
Qu'il seroit doux d'avoir même goût, mêmes yeux!
Si nous sentions, si nous pensions de même,
Nous nous aimons beaucoup, nous nous aimerions mieux.
Chacun étourdiment fut d'avis du problême;
Et l'on se proposa d'aller prier les Dieux
De faire en eux ce changement extrême.
Ils vont au temple d'Apollon
Presenter leur humble Requête;
Et le dieu sur le champ, dit-on,
Des quatre ne fit qu'une tête:
C'est-à-dire, qu'il leur donna
Sentimens tout pareils et pareilles pensées;
L'un comme l'autre raisonna.
Bon, dirent-ils, voilà les disputes chassées
Oui, mais aussi voilà tout charme évanouï;
Plus d'entretien qui les amuse.
Si quelqu'un parle, ils répondent tous, Oüi.
C'est desormais entr'eux le seul mot dont on use.
L'ennui vint: l'amitié s'en sentit alterer.
Pour être trop d'accord nos gens se desunissent.
Ils cherchent enfin, n'y pouvant plus durer,
Des amis qui les contredissent.
C'est un grand agrément que la diversité.
Nous sommes bien comme nous sommes.
Donnez le même esprit aux hommes;
Vous ôtez tout le sel de la société.
L'Ennui nâquit un jour de l'Uniformité.
XVI.
La Paix
Entre les Dieux jadis survint un incident
Les uns vouloient perdre une Ville,
Les autres la sauver; ils s'échaufent la bile;
Peu de raisons, grand bruit, et couroux imprudent:
On se raille, on s'outrage, et rien ne se decide;
Déja, l'un l'autre s'excedant,
Pluton branle sa fourche, et Pallas son Ægide,
Et Sieur Neptune son trident.
Quoi, Messieurs, dit Jupin; quoi, pour une autre Troie,
La guerre encor s'éleveroit chez vous?
Voulez-vous toûjours qu'on vous croie
Des Dieux capricieux et fous?
N'a-t-on pas dit assez de sotises de nous?
Hola, la Paix, dit-il, la Paix. Point de nouvelles;
La Paix n'étoit au Ciel; il fallut la chercher.
Va, Mercure, ajuste tes aîles;
J'ignore où cette Paix peut s'être allé cacher;
Cherche-la vîte et me l'amene.
Mercure part, arrive, et le tout d'une haleine.
Le voilà d'abord à la Cour.
On sçait que politesse habite ce séjour :
Le Dieu croit tenir son affaire.
On s'y loue, on s'embrasse, on s'empresse à se plaire;
Offres, soins obligeans, complimens faits au tour.
Bon, n'allons pas plus loin; mais il se désabuse;
Il voit bien-tôt que c'est traitresse ruse,
Que tout est divisé, qu'on se hait, qu'on se nuit,
Que la guerre est réelle, et le reste un vain bruit.
Aux Tribunaux Mercure se transporte;
Non pas qu'il crût trouver la Paix chez les plaideurs,
Mais chez les Magistrats. Gravité les escorte;
La Paix regne en leur air, et semble être en leurs cœurs.
Mais il s'y trompe encor; Themis embarrassée
Ne peut les accorder sur le sens de ses loix;
Chacun plaide pour sa pensée;
Chicane brouille tout, les avis et les droits.
Des Tribunaux Mercure court aux Temples;
Leurs Ministres, dit-il, doivent les bons exemples;
J'y trouverai la Paix. Non pas la Paix, je croi,
Monsieur le Dieu; mais bien Discorde continuë,
Sentimens opposez, haine, mauvaise foi.
L'un soûtient son Oracle, et l'autre sa Statuë;
Chacun veut tout tirer à soi.
Voyons chez les sçavans; car la science est une,
Dit le Dieu; ces messieurs doivent être d'accord.
Point du tout; jalouse Rancune
Au milieu d'eux est comme dans son fort.
Dispute à l'infini; procédé malhonnête;
Modernes, anciens, sont toûjours en procès.
Homere étoit un Dieu. Non, c'étoit une bête,
Dit l'autre: et des deux parts excès.
Mercure de ce pas s'en va dans les familles.
Que trouve-t-il chez les époux?
Prudes et débauchés, coquêtes et jaloux,
Maris caducs, femmes qu'on laisse filles,
Et s'en vengeant peut-être; enfin les beatilles
De l'Himenée, ennuis, chagrins, dégoûts:
L'un dit blanc, l'autre noir; voilà comme ils sont tous.
Entre freres autre discorde;
Jalousie, interêt, et toûjours démêlez.
Ne trouverai-je donc personne qui s'accorde?
Tous les cerveaux sont-ils troublez,
Dit Mercure? Du moins les enfans et les peres . . .
Autre erreur, et nouveaux debats.
Il les trouve appointez contraires;
Ou les peres sont durs, ou les enfans ingrats.
O juste Ciel! J'ai fait une belle ambassade,
Disoit déja Mercure, en retournant aux Cieux:
Mais comme en son chemin il détournoit les yeux,
Il voit la Paix assise, ainsi qu'une Naiade,
Au bord d'une fontaine et sous de verds rameaux.
Ah, te voilà; dit-il? J'habite ces hameaux,
Lui répond-elle, avec ce solitaire.
Fort bien! reprit Mercure, à ce que je puis voir,
Non plus que nous, l'homme a beau faire,
Il faut être seul pour t'avoir.
Encor avec soi-même a-t-on plus d'une affaire.
XVII.
Le Cheval et le Lion
Doutez, Mortels, doutez; car vous ne sçavez rien.
Je ris, quand je vous vois prendre l'affirmative;
Je ris quand je vous vois tenir la negative:
Doutez, vous dis-je encor; cela seul vous sied bien.
Point de questions decidées;
Vous n'avez qu'un petit cerveau,
Où voltigent quelques idées
Qui ne sont pas du vrai l'infaillible flambeau.
Il est ailleurs un ocean immense
De veritez qui ne vous luisent point;
Et votre être même est un point
Que vous sentez sans connoissance.
Après cela, pourriez-vous bien
En croire sur le reste un orgueil qui vous flatte?
Apprenez seulement ce que sçavoit Socrate:
Sçachez que vous ne sçavez rien.
* * * *
Certain Cheval natif de la Norvege,
Voiageur d'inclination,
Etoit sorti de son climat de neige
Pour voir le monde; il passe en Albion;
Puis en France, en Espagne, et poussant son voiage,
Aborde enfin à l'Africaine plage.
C'étoit-là que Sire Lion,
Prince absolu du voisinage,
Donnoit son sens, son appetit pour loi.
L'Etranger sçavoit vivre, et pour lui rendre hommage,
Il se fait presenter au Roi.
L'Audience est des plus superbes;
Le Lion est assis sur un haut Trône d'herbes ;
Et sous un riche dais de rameaux enlassez:
Ses courtisans nombreux autour de lui placez,
Sur l'air du Souverain composoient leurs visages.
Soyez le bien venu, dit-il, et commencez
A me raconter vos voiages.
J'ai du loisir; parlez, et me réjouïssez.
Sire, dit le Cheval faisant la revérence,
Sachez d'abord la difference
De mon païs à celui-ci,
Les hommes y sont blancs; je les vois noir ici.
Là les campagnes et les arbres
Brillent d'une blanche toison,
Que le Ciel y verse à foison.
Les fleuves durs comme les marbres,
Se traversent à pied, portent d'énormes poids. . . . .
O l'insolent menteur! interompt le Monarque?
Me croit-il une dupe? en ai-je quelque marque?
Est-ce ainsi qu'on impose aux Rois?
Nôtre voiageur quadrupede
Veut repartir; il n'est plus tems.
Au diable le trompeur de gens,
Cria toute la Cour: on vous le chasse; il cede.
Aux coups de cornes et de dents.
Tel esprit fort, soi disant infaillible,
Nie avec même orgueil, tout ce qui le surprend.
Je ne le conçois point; donc il est impossible.
Vrai sillogisme d'ignorant.
XVIII.
Les Animaux Comediens
A Monsieur Gillot
Gillot, mon frere en Apollon,
Car ce n'est pas par fantaisie
Que la Peinture avec la Poësie
Fraternise au sacré vallon;
Leur origine en effet est pareille;
L'une et l'autre est un don des Cieux;
Ce que par les discours l'une peint à l'oreille,
L'autre par les couleurs sçait le conter aux yeux.
Les animaux qui parlent dans mes Fables,
Doivent agir dans tes tableaux.
Montre-les sous des traits naïfs et veritables;
Que sous ta main, Quadrupedes, Oiseaux,
Insectes, que tout prenne une ame.
Vole plûtôt au Ciel y dérober la flame
Dont Promethée autrefois anima
Le corps humain que lui-même il forma.
Argumente par ton genie
Contre l'orgueil Cartesien
Dont la Logique aux animaux denie
Crainte, desir et tout: je n'y souscris en rien.
Je les fais raisonner; et ton art, je m'en flate,
M'empêchera de paroître menteur:
Tout animal par toi va dire au spectateur:
Qu'en pensez-vous? suis-je automate?
* * * *
Les animaux, un jour jouoient la Comedie.
Theâtre artistement formé de rameaux verds;
Dans les entr'actes simphonie
D'oiseaux, de rossignols experts.
Le plus beau cependant n'étoit pas l'harmonie.
Ce qui se faisoit plus loüer,
C'étoit l'assortiment des rôles au genie
Des Acteurs qui devoient joüer.
Le Lion fait le Roi; Roi qu'il étoit lui-même,
Doute-t-on que sa majesté
Ne soûtint bien l'honneur du diadême?
Qu'il ne prît, comme il faut, le ton d'autorité?
Le Taureau fait l'amant; air noble, mine haute,
Et vive flâme dans les yeux;
Passion ne lui faisoit faute;
Sentant ce qu'il disoit, sentant même encor mieux.
Le chien prudent et plein de zele,
Etoit de l'amoureux le confident fidele.
La Genisse à la blanche peau,
Parée encor de sa jeunesse,
Faisoit le rôle de Princesse,
Recevant fierement les soupirs du Taureau.
Le Tigre pour regner menageoit une ligue;
D'un vrai conspirateur il avoit le maintien;
Bref, afin qu'il n'y manquât rien,
Le Renard conduisoit l'intrigue.
Le beau spectacle que c'étoit
Qu'un choix de tels Acteurs, tous dans leur caractere!
Etoit-ce une action que l'on representoit?
Non, c'étoit le vrai même; on ne pouvoit mieux faire;
C'étoit la bonne troupe: aussi l'on s'y portoit.
Mais, un Singe un beau jour en levant les épaules,
O, dit-il, les pauvres Acteurs!
Il gagea que lui seul joueroit tous les rôles,
Et raviroit les Spectateurs.
On vous le prend au mot; il joue,
Contrefait tout en moins de rien:
Mais que servent ses sauts, sa grimace et sa mouë?
En faisant tout, il ne fait rien de bien.
Pour imiter le Roi, sur ses pieds il se hausse,
Il fronce le sourcil, crie haut, fait l'emporté,
Et ne met qu'une grandeur fausse
En place de la Majesté.
Il fait l'amant sans grace et sans delicatesse;
Le confident sans zele et sans discretion;
Met dans le rôle de Princesse
Force mines, faux airs, mainte affectation;
Dans le seditieux ne fait voir que bassesse,
Ne mêle aucun courage avec l'ambition.
Enfin au lieu d'un intriguant habile,
Il ne montra qu'un étourdi.
De siflets redoublez l'Acteur est assourdi.
Que ne se donnoit-il pour bouffon, pour agile:
Dans la farce on l'eut applaudi.
La vie humaine est une piece,
Où nous avons nôtre rôle à jouer.
Chacun a le sien propre où Nature le dresse.
En veut-on prendre un autre? On se fait bafouer.
XIX.
Le Tiran devenu Bon
Non, il n'est rien de ce que nous voions
Qui ne parle et ne nous instruise.
Tout est matiere à nos réflexions;
Tout évenement moralise.
Sçachons donc refléchir, mediter, raisonner;
Sans ce point là l'Homme et la Bête
Sont même chose: on pourroit les donner
L'un pour l'autre, tête pour tête.
Ne comptons point sur les avis d'autrui:
Ils ne causent souvent que colere ou qu'ennui.
De tout Censeur, quel qu'il puisse être,
Le sermon nous est odieux;
Quand on se parle, on s'écoute bien mieux;
Pour être bon disciple, il faut être son maître.
Pourquoi cela? demande-t-on.
En voici, je croi, la raison.
C'est qu'on ne sent quand un autre nous blâme
Que la honte d'être en son tort:
Sentiment douloureux que repousse nôtre ame,
Et qui lui seul epuise son effort.
Mais, quand soi-même on sçait se faire entendre
Que la raison nous doit donner la Loi,
On sent l'honneur de se reprendre,
Et le plaisir de ne ceder qu'à soi.
Ce qu'un autre nous dit se grave sur le sable;
Ce que nous nous disons se grave sur l'airain.
Ainsi fut fait l'esprit humain;
Et vous l'allez voir par ma Fable.
* * * * *
Il étoit un Tiran, l'horreur de ses vassaux,
Qui se joua long-temps au gré de son envie,
De leur honneur, de leurs biens, de leur vie.
Guerre, famine, peste, et s'il est d'autres maux,
Tous ensemble eussent moins affligé la Province,
Que ne faisoit ce méchant Prince.
Il changea pourtant un beau jour.
Le Tiran se transforme en Prince debonnaire;
Neron devint Titus, et son Peuple eut un pere:
Il en étoit l'horreur; il en devint l'amour.
Un de ses courtisans lui demandant la cause
De cet étrange changement,
Tout étrange qu'il est, dit le Roi, peu de chose
L'a produit en un seul moment.
Un jour que j'étois à la chasse,
J'apperçus un Renard, qui de gaieté de cœur,
Etrangloit un Poulet qui lui demandoit grace:
Soudain accourt un Loup d'aussi mauvaise humeur,
Qui vous met le Renard en quartiers sur la place.
Je vois un Tigre au même-temps,
Qui sur le Loup assouvissant sa rage
Vous le dechire à belles dents;
Et le Tigre après ce carnage,
Alla tomber plus loin sous les traits de mes gens.
Je m'avisai de trouver là l'image
De mes tyranniques penchans;
Et je me rappellai cette vengeance sage,
Qui garde en ses trésors un salaire aux méchants.
Le bien ou le mal se moissonne,
Selon qu’on seme ou le mal ou le bien.
Cette réflexion fit naître en moins de rien
Tout le changement qui t'étonne.
Sans qu'il en voulût être instruit,
On l'avoit mille fois étourdi de ce thême;
Mais la leçon porta son fruit,
Dès qu'il se la donna lui-même.
XX.
La Victime
D'une blanche Genisse, honneur de son troupeau,
On fit choix pour un Sacrifice.
Le Dieu que par l'offrande on veut rendre propice,
N'avoit jamais goûté d'un si friand morceau.
Le front orné de saintes bandelettes,
Elle brilloit des plus riches couleurs.
La tête couverte de fleurs,
Elle marche au son des trompettes;
Grande musique à plusieurs chœurs.
Que de ceremonie! eh! que puis-je connoître,
Dit la Genisse, à tout ceci?
Serois-je donc Déesse? et pourquoi non? peut-être.
Aux respects qu'on me fait paroître,
Il faut bien qu'on le pense: Eh bien, pensons-le aussi.
Elle entre au Temple, en raisonnant ainsi.
Nouveaux honneurs; à l'Autel on la meine;
Le feu sacré s'allume; on fait fumer l'encens.
De sa Divinité la voilà plus certaine;
N'en doutons plus, dit-elle; je me sens;
Ils m'adorent ces bonnes gens.
Par le Stix je paierai leur peine.
Certaine Mouche alors, fort incivilement,
Bourdonne autour de la Genisse;
Tais-toi; ne vois-tu pas que ton bourdonnement,
Dit la nouvelle Io, trouble le Sacrifice?
A mon Apotheose est-ce à toi de souffler?
Pardon, je ne veux rien troubler
Dit la Mouche; j'attends seulement qu'on t'immole,
Pour te savourer à loisir.
Le mets est bon sur ma parole;
Ces Messieurs sçavent bien choisir.
Seule, tu vaux un Hecatombe. . .
La Mouche parle encor, que la Genisse tombe.
Le fer sacré termine ses erreurs;
De son sang la terre est couverte.
Ainsi les insensez s'applaudissent d'honneurs
Qui les menent droit à leur perte.
XXI.
Les Moineaux
Notre cœur veut avoir sa pleine liberté;
L'ombre de contrainte le blesse;
Et c'est un Roi jaloux de son autorité,
Jusques à la delicatesse.
Cet objet me plaît; mais surtout
Ne m'obligez pas de m'y plaire.
Ordonnez-moi ce que je voulois faire;
Vous allez m'en oster le goût.
Eh! pourquoi cette loi m'est-elle rigoureuse
En me liant à mon plaisir?
C'est que je n'y sens plus cette douceur flateuse,
Que je goûtois à le choisir.
En choisissant, je croi du diadême
Exercer les droits souverains.
Quelque ordre survient-il? je ne suis plus le même;
Le sceptre me tombe des mains.
Je songe alors à secouer ma chaine,
Impatient de rentrer dans mes droits:
L'objet de mon plaisir le devient de ma peine;
Ma dépendance est tout ce que j'y vois.
Tout beau, me dira-t-on; reprimez ce langage;
Nos devoirs selon vous sont donc un esclavage?
La loi qui les prescrit nous devroit allarmer?
Non pas; car elle est pour le sage
La beauté même qui l'engage;
Et c'est choisir que de l'aimer.
* * * *
Dans un bois habité d'un million d'oiseaux,
Spacieuse cité du peuple volatille,
L'amour unissoit deux moineaux
Amour constant, quoique tranquile;
Caresse sur caresse, et feux toûjours nouveaux,
Ils ne se quittoient point. Sur les mêmes rameaux
On les eût vûs percher toute la matinée,
Vôler ensemble à la dinée,
S'abreuver dans les mêmes eaux,
Celebrer tout le jour leur flâme fortunée,
Et de leurs amoureux duos
Attendrir au loin les échos.
Même roche la nuit est encor leur hôtesse;
Ils goûtent côte à côte un sommeil gracieux;
L'une sans son amant, l'autre sans sa maîtresse,
N'eût jamais pû fermer les yeux.
Ainsi dans une paix profonde,
De plaisirs assidus nourrissant les amours,
Entre tous les oiseaux du monde
Ils se choisissoient tous les jours.
Tous deux à l'ordinaire allant de compagnie,
Dans un piege se trouvent pris;
En même cage aussi-tôt ils sont mis.
Vous voilà, mes enfans; passez-là votre vie;
Que vous êtes heureux d'être si bons amis!
Mais dès le premier jour il semble
Que le couple encagé ne s'aime plus si fort;
Second jour, ennui d'être ensemble,
Troisiéme, coups de bec; puis on se hait à mort.
Plus de duos; c'est musique nouvelle;
Dispute et puis combat pour vuider la querelle
Qui les appaisera? pour en venir à bout,
Il fallut separer le mâle et la femele.
Leur flame en liberté devoit être éternelle;
La necessité gâta tout.
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