Fable I.
La Pipée
On appelle Pipée une chasse aux oiseaux,
Chasse innocente, et qui doit plaire
Même à la plus simple bergère:
Tout l'art consiste à tendre des gluaux,
Et dans cet art, aux champs comme à la ville,
Jeune fillette est toujours très habile.
Le ciel est-il pur et serein,
Au lever du soleil on commence la chasse
Pour la reprendre à son déclin.
C'est dans un bois taillis que la scène se passe:
Tant mieux lorsqu'un vignoble en est assez voisin;
Car la grive aime le raisin;
Elle suce la grappe, et n'est pas plus tôt grise,
Qu'au panneau d'emblée elle est prise.
Un arbre est le théâtre où les acteurs ailés
Par le pipeau sont appelés.
Vers la cime de l'arbre on abat le feuillage,
Et puis, de branchage en branchage,
On y fait mainte entaille, où gluaux à foison,
Légèrement posés de distance en distance,
Et d'un solide appui laissant voir l'apparence,
Trompent geai, roitelet, pie, et merle, et pinson.
Au pied de l'arbre une loge est formée,
Et c'est sous son toit de ramée
Que le chasseur en rampant s'introduit
Sans bruit.
Quelque temps il reste immobile.
Grand silence! tout est tranquille.
Le pipeau joue alors: il attire à l'instant
Des oiseaux la troupe crédule....
Mais terminons ce préambule,
Et sachons quel sort les attend.
Dans le tronc d'un vieux if logeait une Chouette.
Sur les bords fangeux d'un marais:
C'était une affreuse retraite;
Elle l'avait choisie exprès
Pour y vivre en anachorète,
Et ne plus être en butte à mille oiseaux criards
Qui l'obsédaient de toutes parts.
Là, depuis quelque temps elle dormait tranquille,
Quand par malheur un geai, son plus cruel tyran,
Vient à la découvrir au fond de cet asile,
Et contre elle aussitôt de la gent volatile
Convoque tout l'arrière-ban.
On la chasse, elle fuit; mais le merle et la pie
Cette fois ont juré sa mort.
En ce pressant danger, sous un buisson tapie,
Elle songe à son triste sort.
— D'où vient donc cette horreur secrète
Que j'inspire aux oiseaux? se disait la pauvrette.
Ai-je mangé quelqu'un de leurs petits?
Non: un lézard, qui rarement m'échappe,
Une souris, que plus souvent j'attrape,
Voilà de quoi je me nourris.
Mais je suis, disent-ils, un oiseau de ténèbres.
Toujours messager de malheur;
Mes cris sont des accents funèbres.
Enfin l'homme lui-même, ô comble de douleur!
Par mon nom désigne un voleur.
Je suis donc le rebut de la nature entière?
Mettons un terme à tant de maux;
J'ai trop sujet de haïr la lumière.
Oui, mourons... mais vengée. — En achevant ces mots,
La Chouette s'enfonce en un bois solitaire,
Où maint oiseleur, aux aguets,
D'une pipée avait fait les apprêts.
Elle connaît le piège, et déja sa prudence
Avait su l'éviter vingt fois;
Mais ce piège aujourd'hui peut servir sa vengeance,
Puisqu'on la réduit aux abois.
Victime dévouée, elle s'y précipite
En jetant de sinistres cris.
La tourbe des oiseaux d'arriver au plus vite:
Ils vont pour l'attaquer; dans le piège ils sont pris,
Ceux-ci par une patte, et ceux-là par une aile.
En vain de leurs confuses voix
Tous nos captifs font retentir le bois:
A grand bruit sur la loge ils tombent pêle-mêle.
C'est le tour du chasseur, et je laisse à penser
S'il est prompt à les ramasser;
Mais à peine il les tient: — Messieurs, dit la Chouette,
S'il faut mourir, du moins je mourrai satisfaite:
L'oiseleur m'a vengée. Adieu, jusqu'au revoir.
Voilà ce qu'il en coûté à mettre au désespoir
L'ennemi qui bat en retraite.
Fable II.
Le Mulot et le Rat
Le Mulot dit au Rat: Camarade, souvent
Je te vois grignoter, ronger maint et maint livre,
Et tu n'en deviens pas toutefois plus savant.
— Qu'importe? dit le Rat; je ne cherche qu'à vivre.
Fable III.
L'Enfant et l'Anguille
Aux bords d'un étang peu profond
Sautillait une Anguille au corps fluet et long.
Un enfant l'aperçoit, et, d'une main furtive,
Il la saisit au premier bond:
— Ma belle, je vous tiens; vous voici ma captive. —
Comme il disait ces mots, l'Anguille fugitive
S'agite, se replie, et glisse entre ses doigts.
Mon espiègle de la poursuivre.
Il la guette, il l'atteint une seconde fois,
Et cette fois encor l'Anguille se délivre.
— Si tu crois m'échapper, dit l'Enfant, c'est en vain;
Je l'ai mis dans ma tête, il faut que je te prenne. —
Et, pour accomplir son dessein,
D'une feuille de vigne il vient d'armer sa main;
Puis, tandis que l'Anguille à loisir se promène
Aux bords du cristal argentin,
Tantôt nage à fleur d'eau, tantôt s'enfonce et plonge,
Remonte, redescend, se ramasse, s'alonge;
L'Enfant adroit et malin
La suit de l'œil, et soudain
Enveloppe son corps de la feuille qu'il presse.
C'en est fait: de l'étang il déloge l'hôtesse,
L'attache au bout d'un long bâton,
Et, d'un air triomphant, l'emporte en sa maison.
Ne précipitons rien: par trop d'impatience
L'homme fait tous les jours avorter ses projets.
C'est le choix des moyens, c'est en persévérance,
Qui sont les garants du succès.
Fable IV.
La Vipère et la Sangsue
Nous piquons toutes deux, commère,
A la Sangsue un jour disait une Vipère,
Et l'homme cependant te recherche et me fuit;
D'où vient cela? — D'où vient? réplique la Sangsue;
C'est que ta piqûre le tue,
Et que la mienne le guérit.
Fable V.
L'Écolier et la
Fourmilière
Un fripon d'Écolier, capricieux, mutin,
Aimant d'ailleurs le jeu, comme on l'aime au collège,
Usait, Dieu sait! du privilège,
Et s'embarrassait peu du grec et du latin:
Or, plantant là Virgile, Horace, et même Homère,
Il faisait fréquemment l'école buissonnière.
Pour mieux prendre un jour ses ébats,
Il côtoyait une bruyère.
Par hasard à ses yeux s'offre une Fourmilière.
Ce peuple, comme on sait, dans ses petits états,
Ne souffre point de gens qui se croisent les bras.
Aussi dames fourmis remplissaient bien leur tâche:
C'était plaisir de les voir, sans relâche,
En forme de procession,
Apportant ou tramant mainte provision.
Témoin de tant d'efforts et de tant d'industrie,
Que fait notre vaurien? hélas! le croira-t-on?
Et quel excès de barbarie!
Le voilà tout-à-coup qui s'arme d'un bâton,
L'enfonce dans la Fourmilière,
Bouleverse, détruit, etlouvre et magasins,
Écrasant plus d'une ouvrière
Qui s'occupait encore à sauver quelques grains;
Et puis il rit de voir la république entière
Qui va, vient, se disperse, et s'enfuit par essaims,
Moins timide pourtant que ses autres compagnes,
Une fourmi s'arrête, et lui dit: Malheureux!
Tu causes notre perte.... A ce dégât affreux
Dis-nous au moins ce que tu gagnes.
— Moi! rien, lui répond le méchant,
Mais ce jeu-là m'amuse. — Il l'écrase à l'instant.
O pères! c'est à vous que ma fable s'adresse.
De ces jeux avec soin détournez la jeunesse.
Combien n'a-t-on pas vu de ces enfants vauriens
Qui, devenus plus grands, n'aspiraient qu'à détruire!
Pour être des Domitiens,
Que leur manquait-il?... un empire.
Fable VI.
L'Écolier,
l'Ermite et les Abeilles
(Suite de la fable précédente.)
De cet insigne garnement
Je n'ai point achevé l'histoire.
Bientôt de sa malice noire
Il fut puni; voici comment.
Tout fier de son exploit, et méditant encore
Un nouveau tour de son métier,
Le jeune apprenti flibustier
Voit un riant jardin paré des dons de Flore.
Un clos est attenant, domaine de Cérès,
Avec une chaumière auprès,
Asile fortuné d'un sage anachorète
Qui, dans sa paisible retraite,
Des mets de l'âge d'or vivait à peu de frais.
A l'amour du prochain sacrifiant ses veilles,
Il rendait ses voisins heureux,
Et, nouvel Aristée, entretenait pour eux
Des essaims dejeunes Abeilles.
Sur les confins de son réduit
Le bon Ermite alors bêchait un coin de terre.
L'Écolier en profite; il se glisse sans bruit
Jusqu'au milieu de son parterre,
Et fait partout main-basse, arrachant fleur et fruit.
Aux Abeilles ensuite il veut livrer la guerre;
Mais quel objet frappe ses yeux surpris!
Au pied de chaque ruche il lit ces mots écrits:
»O mortel! c'est pour toi que l'Abeille compose
Son doux nectar extrait du lis et de la rose;
Respecte les travaux de ces filles du ciel.
Laisse la ruche, et prends le miel.«
— Les respecter! pour quelle cause?
Dit l'Écolier. Non, non; j'abattrai leur palais,
Sauf à manger le miel après. —
Déja donc, pour atteindre au sommet d'une ruche,
Il met pierre sur pierre, il monte, étend les bras;
Mais son pied glisse, il trébuche,
Et voilà mon sot à bas.
L'alarme au camp devient universelle.
A grand bruit de la citadelle
Un escadron ailé vient à sortir soudain,
Qui fond sur l'agresseur, le pique, et le harcelle.
Le poltron veut fuir; c'est en vain:
Il heurte en s'agitant une ruche voisine
D'où s'élance un nouvel essaim,
Qui de ses dards le perce, l'assassine,
S'attache à son visage, à ses mains, à son cou,
En un mot le rend presque fou.
Il pousse les hauts cris, jure, trépigne, et peste,
Atteint de cuisantes douleurs.
L'Ermite accourt.... O ciel! plus de fruits, plus de fleurs!
Il devine aisément le reste.
Tout autre, en pareil cas, de ce désastre affreux
Aurait maudit l'auteur; mais le bon solitaire
Dans le coupable enfant ne voit qu'un malheureux,
Le plaint, et, lui portant un secours généreux,
Verse sur chaque plaie un baume salutaire.
Cela fait, il lui dit: Corrige-toi, mon fils,
Le règne des méchants, crois-moi, ne dure guère,
Et tôt ou tard ils sont punis:
Mal arrive à qui mal veut faire.
Fable VII.
La Lanterne et la
Chandelle
Une Chandelle un jour disait à la Lanterne:
Pourquoi de ton foyer me faire une prison?
Ton vilain œil de bœuf rend ma lumière terne;
Ouvre-toi, qu'à mon gré j'éclaire l'horizon. —
La Lanterne obéit; l'autre, qu'y gagne-t-elle?
Bonsoir, un coup de vent a soufflé la chandelle.
Fable VIII.
Le Brocheton
Un Brocheton fort jeune, et partant vif, alerte,
A l'improviste un jour tombe dans un filet.
Muni de bonnes dents, il détache un lacet,
En ronge un autre; bref, il évite sa perte.
— Ah! bien fin le pêcheur, dit-il, s'il m'y reprend!...
Mais qu'aperçois-je là qui flotte au gré de l'onde?
C'est sans doute un morceau friand;
La foule s'y jette à la ronde.
N'en cédons point ma part. — Et l'avide poisson
S'élance sur la proie.... il gobe un hameçon.
Quelle ample matière à la glose!
L'homme ne fait pas autre chose.
Qu'est-ce , hélas! que sa vie? un long cercle d'erreurs;
Toujours faute sur faute. En vain l'âge s'avance:
Ni l'âge, ni l'expérience,
Ne peuvent corriger nos mœurs.
Fable IX.
Le Ver luisant et
le Crapaud
A l'auteur des Deux Gendres, etc.
Où trouver des couleurs? sous quels traits peindre aux yeux
Un monstre des plus odieux?
J'entends le démon de l'envie.
Ce mortel ennemi des vertus, des talents,
Ne marche que dans l'ombre, escorté de serpents,
Et de ceux qu'il attaque empoisonne la vie.
Jeune favori des neuf sœurs,
Toi qu'a persécuté ce démon implacable,
Devais-tu donc, Etienne, exciter ses fureurs?
Oui.... Je le prouve par ma fable.
Un de ces phosphores vivants
Qui, dans les nuits d'automne, illuminent nos champs,
Se reposait sur la verdure.
Rival du diamant, il en avait les feux;
Mais trop d'éclat est parfois dangereux.
Non loin de là gisait au creux d'une masure
Cet animal, rebut de la nature,
Le dirai-je? un Crapaud hideux.
Il frémit à l'aspect de la vive lumière.
Soudain vers l'insecte éclatant
Le voilà qui se traîne, écumant de colère,
Et de tout son poison le couvre au même instant.
— Hélas! lui dit le Ver, je ne nuis à personne;
De ton venin pourquoi donc me souiller? —
L'autre répond: La question est bonne!
Qu'avais-tu besoin de briller?
Fable X.
L'Éléphant,
l'Hirondelle, et la Pie
Messire l'Éléphant, sans suite ni fracas,
Par un beau jour d'été visitait ses états.
Comme il allait à pied, il veut reprendre haleine,
Et s'arrête à l'ombre d'un chêne.
Sur la cime de l'arbre une Pie habitait,
Et plus bas, dans un creux, logeait mère Hirondelle.
La dame de là-haut, babillarde éternelle,
Du matin au soir caquetait,
Comme une Margot qu'elle était.
A peine a-t-elle vu l'altesse éléphantine:
Oh! bon Dieu! qu'aperçois-je là?
Va-t-elle dire à sa voisine.
Le vilain monstre que voilà!
Sur ma foi, le chameau, malgré sa double bosse,
Est moins hideux que ce colosse.
Je ne dis rien de ses pieds mal tournés,
De sa queue en fuseau, de sa pesante allure;
Mais regarde un peu sa figure;
Quels petits yeux, et quel long nez!
Qui ne rirait du nez d'un pareil sire? —
L'Hirondelle lui répondit:
Il a de petits yeux, mais ils sont pleins d'esprit.
Quant à l'objet dont tu veux rire,
C'est une trompe que Dieu fit,
Ou plutôt une main: vois avec quelle adresse
Il la fait mouvoir en tout sens,
L'alonge, ou la resserre, ou la courbe, ou la dresse.
Mais qu'est-ce que cela? parlons de ses talents....
— Oui-da! reprend Margot, tu dirais des merveilles;
Bonsoir. Finissons l'entretien.
Louer est ton plaisir, et ce n'est pas le mien.
Tout éloge d'autrui me blesse les oreilles. —
Le dirai-je, hélas! je connais
Un homme de ce caractère:
Avez-vous des talents, il n'en parle jamais;
Des défauts, c'est une autre affaire:
Il tait ce qu'on doit dire, et dit ce qu'on doit taire...
Mais là-dessus point de procès;
A trop de gens j'aurais à faire.
Fable XI.
Le Roi de Perse
et le Courtisan
Possesseur d'un trésor immense,
Mais plus riche encore en vertus,
Un monarque persan, émule de Titus,
Signalait chaque jour son auguste puissance
Par mille traits de bienfaisance.
Instruit dans son conseil qu'un mal contagieux
De ses états alors ravageait la frontière,
Il y vole soudain, veut tout voir par ses yeux.
Sa première visite est pour l'humble chaumière.
Combien d'infortunés il arrache au trépas!
Soulager le malheur est son unique affaire;
Il croit n'avoir rien fait tant qu'il lui reste à faire.
Aussi comme on bénit la trace de ses pas!
Au milieu de la nuit le Roi veillait encore:
— Reposez-vous enfin, seigneur, il en est temps,
Lui dit un de ses courtisans.
Demain, au lever de l'aurore,
Vous reviendrez.... — Non pas, répond le souverain.
Ne différons jamais d'obliger le prochain;
Car on n'a pas toujours occasion pareille.
Le bien que l'on a fait la veille
Fait le bonheur du lendemain.
Fable XII.
Le Berger et le Chien
Parmi les divers animaux,
Le Chien, je l'avouerai, fut toujours mon héros;
Oui, mon héros; et certe il en vaut hien un autre.
Pour la bonté, le zèle, et la fidélité,
Trop souvent son espèce a fait honte à la nôtre;
Mais le Chien de ma fable en doit être excepté.
Quel fut son père? un loup, sans doute; il faut le croire
Qu'on en juge, voici l'histoire.
Guillot se reposait du soin de son troupeau
Sur la foi de Rustan qui faisait sentinelle;
Et ce Rustan, chien infidèle,
Qui logeait un loup dans sa peau,
Sous les apparences du zèle
Faisait sauter le pas à maint et maint agneau.
Le Berger trouve enfin du mécompte à leur nombre.
Il veut dès le jour même épier son voleur,
Et, près d'un bois, au fort de la chaleur,
Guillot feint de dormir à l'ombre.
C'est alors qu'à loisir il voit son Chien glouton
Dans l'épaisseur du bois entraînant un mouton.
Il accourt, mais trop tard pour sauver la victime.
Indigné, furieux, et levant son bâton,
Il est prêt à punir le crime,
Quand l'odieux brigand lui demande pardon:
— Moi! disait-il, valet d'un si bon maître,
Je périrais de votre main!
Ah! pour le loup réservez cette fin;
Il est féroce. — Il n'est pas traître,
Répond Guillot en l'assommant;
Et ce fut là son digne châtiment.
Qu'un ennemi s'annonce avec la haine ouverte,
On peut le fuir ou le braver;
Mais quel rempart peut-on trouver
Contre un perfide ami dont la fraude est couverte?
Fable XIII.
Le Hibou et l'Écho
Certain Hibou, d'orgueil pétri,
Du creux d'un arbre, à la nuit close,
Faisait retentir l'air de son lugubre cri,
Et se croyait un virtuose.
— Dans ce bois, disait-il, quel silence profond!
Faut-il en demander la cause? Non, sans doute:
Je chante, et la nature écoute. —
A quoi soudain l'Écho répond:
Et la nature écoute. — Oh, oh! quelle merveille!
S'écria-t-il; bravo! bravo! —
Bravo, lui répète l'Écho.
— Le chant du rossignol peut bien charmer l'oreille,
Poursuit-il; mais, ma foi, je n'en suis point jaloux:
Le mien est mille fois plus doux. —
L'officieux Écho de répéter encore
Est mille fois plus doux. — Ah! reprend la pécore,
Pour m'accorder la palme il n'est plus qu'une voix,
Et je suis l'amphion des bois.
De leurs talents imaginaires
Ainsi se pavanent les sots,
Et Dieu sait s'ils manquent d'échos
Pour entretenir leurs chimères!
Fable XIV.
Le Lapin et les
Chasseurs
Il était un Lapin comme l'on en voit peu,
Faisant parade de prouesses;
Embuscades, bâtons, n'étaient pour lui qu'un jeu;
Du renard, à l'entendre, il avait les finesses:
Aussi l'appelait-on capitaine Janot.
Un jour donc, notre capitaine
S'égayait dès l'aurore au milieu d'une plaine,
Lorsqu'il voit accourir la troupe de Brifaut.
Que faire? décamper. Mais que dirait l'histoire?
Pour soutenir son grade il veut avoir la gloire
De mettre les chiens en défaut.
Ceux-ci de lui donner la chasse;
Janot de partir comme un trait,
Franchissant maint fossé, traversant maint guèret;
Puis de s'arrêter court au bout d'un long espace,
En attendant la meute avec un air d'audace;
Puis de recommencer les sauts,
Et, par mille bonds inégaux,
De faire évaporer le fumet de sa trace.
Le voilà maintenant rentré dans son palais,
Le pied levé, l'œil aux aguets,
L'oreille tendue au qui vive.
La troupe de Chasseurs en même temps arrive,
Et dresse à l'entour ses filets.
Je doute cette fois que le drôle s'esquive;
Car Miraut, vieux chien de relais,
A juré par sa barbe grise
Que la bête allait être prise;
En pareil cas il ne mentit jamais.
Chasseurs et chiens, tout garde le silence.
Une heure passe, deux, et pas le moindre bruit:
Il faut à ce métier beaucoup de patience.
Mais que fait le Lapin dans son obscur réduit?
Il croit enfin qu'on a levé le siège.
Il veut s'en assurer, s'avance au bord du trou:
L'étourdi tombe dans un piège;
Le piège se détend, et lui serre le cou.
Il eut beau dire, il eut beau faire,
Le Chasseur affamé fut sourd à sa prière,
Ainsi que le pêcheur à celle du carpeau:
Après en avoir fait grand chère
On fit un manchon de sa peau.
Avoir plus de prudence et moins de vaillantise,
Du sage telle est la devise.
Fable XV.
A M. Auger,
De l'Académie française.
Juge éclairé des bons écrits,
Qui devins pour moi-même un sévère Aristarque,
Prête encore l'oreille à mes simples récits.
Tu verras, à plus d'une marque,
Combien j'ai profité de tes sages avis.
Le Renard prédicateur
Il était un lion, ami de la morale,
Qui, pour arrêter les progrès
De la licence générale,
Jugea qu'il était temps de prêcher ses sujets.
A qui confiera-t-il ce grave ministère?
Son conseil là-dessus opine, délibère.
D'abord on songe à l'ours: c'est un grand orateur,
Dit-on; mais dans le caractère
On lui trouve un peu de hauteur;
Puis sa doctrine est trop austère;
Et puis on se souvient qu'un jour
Il osa proposer la réforme à la cour.
On passe au singe: il a bien de quoi plaire,
Son esprit est malin; mais, pour faire un sermon,
Force est de convenir qu'il est un peu bouffon.
Rhinocéros, éléphant, dromadaire,
Sont cités à leur tour: mais c'est ceci, cela.
Qui donc choisir enfin? Il faut en venir là.
Certain Renard, fertile en fleurs de rhétorique,
Et qui naguère du feu roi
Avait fait le panégyrique,
Est chargé de remplir cet épineux emploi.
Vous eussiez vu mon drôle endosser la soutane,
Prendre le bonnet doctoral,
Et sommer la troupe profane
De comparaître au tribunal.
Le cas était urgent; Renard manquait de chaire:
Le tronc d'un vieux pin fit l'affaire.
Je doute que nos gens, pour accourir au bal,
Eussent mis plus de diligence.
Étant donc assemblés, et tous faisant silence,
Le Renard, avant son début,
Honore d'un triple salut
Cette vénérable assistance,
Roule ensuite des yeux dévots
Qui vont de tous côtés mendiant les suffrages;
Car il connaissait les usages.
Cela fait, il entre en propos.
Dès son exorde il prend l'essor d'Icare,
Prêche sur le ton de Pindare,
Recherche avec soin ces grands mots
Dépourvus de bon sens, mais bruyants, mais sonores,
Et qui plaisent toujours à l'oreille des sots.
Hyperboles sur métaphores,
Apostrophe, exclamation,
Rien ne manque dans son sermon;
Rien, hors un point, mais point si nécessaire,
Que de lui seul dépend tout l'art de plaire:
J'entends la persuasion.
Aussi le Renard eut beau faire,
Son discours trop guindé ne put être senti;
Chacun des auditeurs regagna son repaire
Sans avoir été converti.
Parlez toujours ainsi que parle la nature,
O vous, chargés du soin de réformer nos mœurs.
Pour captiver l'oreille et subjuguer les cœurs,
Il n'est point de route plus sûre.
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