Livre VII.
 

Livre VII.

Prologue dialogué

                          Un Critique

Quoi! des fables encore, et des fables toujours?

                      L'Auteur

       Je n'ai pas fourni ma centaine:
       Aux fabulistes de nos jours
C'est le nombre prescrit.

                          Le Critique

                                 Passe pour La Fontaine;
       On ne compte pas après lui:
Ses récits les plus longs n'apportent nul ennui;
En relisant les vers échappés de sa veine,
Certain charme secret vous touche, vous entraîne;
Bref il a triomphé de tous ses devanciers,
Et le bonhomme est mort sans laisser d'héritiers.

                          L'Auteur

Holà! censeur, holà! soyez plus équitable.
La Fontaine sans doute est le dieu de la fable;
       Mais sur cette matière enfin
Raisonnons un moment. Vous admirez Molière?

                          Le Critique

Qui ne l'admire pas? c'est un auteur divin.

                          L'Auteur

La place qu'il occupe est aussi la première;
Mais pour mieux l'honorer ferma-t-on la carrière
A Regnard, à Destouche, à Piron, à Colin?
Si Corneille et Racine, au faîte du Parnasse,
L'un près de l'autre assis, tiennent la même place,
Après eux Crébillon et Voltaire....

                          Le Critique

                                                       Alte-là!
       Il s'agit bien de tout cela,
       Quand on parle de l'apologue!
Vos modernes conteurs, par leur froid dialogue,
M'ont si fort ennuyé. ...

                          L'Auteur

                              Les avez-vous bien lus?

                          Le Critique

Si bien que j'ai promis de ne les lire plus.

                          L'Auteur

Vous n'en citez aucun: permettez que j'en nomme
       Dix ou douze.

                          Le Critique

Pourquoi pas cent?

                          L'Auteur

       Le choix serait embarrassant:
Citons-en moins. A part nous mettons le bonhomme.
Avouez que Richer parfois est ingénu.

                          Le Critique

A force d'être simple il me paraît trop nu.

                          L'Auteur

Soit. Passons à La Motte.

                          Le Critique

                                 Oh! La Motte, il m'assomme
Avec ses longs discours; du reste, ingénieux;
Il créa ses sujets, c'est ce qu'il fit de mieux.

                          L'Auteur

Que direz-vous d'Aubert?

                          Le Critique

                                 Il me plaît davantage;
       Je le trouve moins apprêté.
Le sentiment chez lui n'éteint pas la gaieté,
Et la raison toujours s'y mêle au badinage.
       Florian m'intéresse aussi:
Même il a grande part à cet éloge-ci.

                          L'Auteur

Fort bien; ces deux auteurs ont donc votre suffrage?
Poursuivons  s'il vous plaît. Dorat et Pesselier,
Je ne dois pas les oublier:
Qu'en pensez-vous?

                          Le Critique

                                D'esprit l'un et l'autre petille;
Mais Jean n'en eut pas moins, et sut mieux le cacher.
Or ces deux messieurs-là, soit dit sans vous fâcher,
       Ne sont point gens de sa famille.
Vive un conteur naïf!

                          L'Auteur

                         Parlons de Le Monnier.

                          Le Critique

       Volontiers: j'aime ce dernier;
Il a du naturel; pardonnons à sa muse
D'être parfois bourgeoise, et même un peu diffuse:
       Que son Enfant bien corrigé
Donne de bons avis aux enfants, à leurs mères!...

                          L'Auteur

Je vous y prends; voilà des éloges sincères.
       Allons, je suis moins affligé:
Par vous-même entre nous le procès est jugé.
On peut donc faire encor des fables?

                          Le Critique

                                            Oui, mais guères.

                          L'Auteur

O l'excellent conseil! Hé bien, je le suivrai.
Le Monnier vous a plu; par lui je finirai
Voici le mot que dit à l'un de ses confrères
Ce fabuliste tonsuré:
»La Fontaine est notre curé;
Mais on peut trouver place au rang de ses vicaires.«