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Livre VII.
Livre Septième
 
Les Jeux olympiques
Le Ver luisant et le Voyageur
Jupiter, le Lynx, le Chien, le Renard, et le Singe
La Salamandre et les Enfants
La Succession du Lion
Le Gland et le Champignon
L'Enfant, le Cheval, et le Taureau
L'Écureuil et le Renard
L'Ours et le Loup
Le Pêcheur-Chasseur
La Vieille et les Souris
Le Rossignol et d'autres Oiseaux
Canut, ses Courtisans, et la Mer
Les Chevaux et le Pourceau
La Vénus de Zeuxis

Fable I.
Les Jeux olympiques

       L'Élide célébrait ses jeux,
Vaste et brillante arène où la fleur de la Grèce,
Aux acclamations d'un peuple belliqueux,
Déployait à l'envi sa force et son adresse.
Deux athlètes bientôt fixent tous les regards.
       De l'Amour ils avaient la grace;
       Ils avaient la fierté de Mars.
       Déja leurs coursiers pleins d'audace
Font voler la poussière et dévorent l'espace.
Leurs chars semblent portés sur l'aile des Autans,
Et le feu qui jaillit de leurs essieux brûlants
Des héros disparus indique seul la trace.
       La victoire, incertaine encor,
       Quelque temps entre eux se balance.
D'un pas toujours égal l'un et l'autre s'avance:
Tel on nous peint Pollux à côté de Castor.
       Leur course était presque remplie,
Ils allaient partager la palme des héros,
       Quand l'un, de sa main affaiblie,
    Sent échapper les rênes des chevaux;
    L'autre se livre à des efforts nouveaux,
Touche au but le premier, et gagne la victoire.
Aussitôt dans les airs mille cris élancés
       Sont les trompettes de sa gloire.
       Le front morne, les yeux baissés,
Le vaincu se retire; il sort de la barrière.
Soudain vers lui s'avance un vieillard de Lesbos,
       Qui le console par ces mots:
       Jeune homme, un seul dans la carrière
       A pu surpasser tes travaux;
N'y songe point, mais songe à mille autres rivaux
       Que ton char a laissés derrière.

Fable II.
Le Ver luisant et le Voyageur

Un Voyageur s'égare au milieu de la nuit;
Il aperçoit de loin quelque chose qui luit,
Météore inconnu qu'il prend pour une étoile.
Il s'achemine donc vers cet astre nouveau;
Mais bientôt le mystère à ses yeux se dévoile,
Et l'astre, vu de près, n'est plus qu'un vermisseau.

Que d'insectes pareils ici-bas on voit luire,
Dont tout l'éclat.... Mais chut! ces vers-là peuvent nuire.

Fable III.
Jupiter, le Lynx, le Chien, le Renard, et le Singe

       Le Chien, le Lynx, et le Renard,
       Bien que des dons de la nature
       Ils eussent eu leur bonne part,
L'accusaient d'avoir trop épargné la mesure;
       Et même, pour s'en plaindre, un jour
Ils présentent requête à la céleste cour.
       Jupiter leur donne audience;
Les voilà parvenus aux pieds de sa grandeur.
       Maître Renard est l'orateur,
       Et c'est en ces mots qu'il commence:
Sire, nous connaissons le prix de vos bienfaits:
Aux yeux perçants du Lynx le mur le plus épais
       D'une gaze a la transparence;
Le Chien, dont l'odorat est réputé si fin,
    Sent le gibier d'une lieue à la ronde;
    Et si de moi j'ose parler enfin,
On sait qu'en traits d'esprit maître Renard abonde.
    Voici, seigneur, quel est notre souhait:
    Chacun de nous, pour être plus parfait,
Desire à ses talents joindre ceux des deux autres.
— J'y consens, dit Jupin à nos trois bons apôtres,
       Mais sous une condition:
       Chacun de vous, en cette affaire,
Perdra de ses talents égale portion
A celle qui lui doit échoir de son confrère:
       Faites-y bien attention.
— Ma foi! dit le Renard, le gain est manifeste.
       N'ai-je pas de l'esprit de reste?
— Moi, dit le Lynx, j'aurai toujours d'assez bons yeux. —
Le Chien pense de même, et tout leur semble au mieux:
Ils acceptent l'échange au moyen de la clause.
Jupiter fait un signe, ajoutant: C'est assez;
       Déja vos voeux sont exaucés.
Rejoignez vos pareils, et leur contez la chose. —
       Le trio part très satisfait.
Aussitôt dans les bois on prône la merveille.
       Les animaux, en y prêtant l'oreille,
Semblent d'abord jaloux du prétendu bienfait;
Mais dès le jour suivant tout a changé de face.
— Messieurs, dit un vieux Singe en faisant la grimace,
Observez le Renard, remarquez bien son air;
Cet animal si fin, en y voyant plus clair,
       Ne serait-il plus qu'une bête?
       C'est pis encore pour le Chien;
       Lui, si merveilleux pour la quête,
Voit le gibier qui passe, et son nez ne sent rien.
Quant à monsieur du Lynx, l'Argus de la contrée,
       Il lui faut un guide aujourd'hui.
Qu'a-t-il fait de ses yeux? Sa vue est égarée;
A peine s'il distingue un objet près de lui.

       Faut-il expliquer la morale?
La nature, en ses dons sagement inégale,
N'en rend que mieux justice à ses nombreux enfants;
On ne peut à-la-fois avoir tous les talents.

Fable IV.
La Salamandre et les Enfants

Venez voir! je la tiens! c'est une Salamandre!
       S'écriait un jeune garçon.
Les Enfants d'accourir. — Oh, oh! sans plus attendre
       Il faut la tuer, se dit-on;
Car tous, de père en fils, nous avons pu l'apprendre,
Cet animal impur distille le poison.
— Arrêtez, dit l'un d'eux: j'ai lu dans certain livre
Qu'au milieu d'un brasier ce reptile peut vivre;
       Il faut en juger par nos yeux.
— Oui, oui. —Chacun alors d'agir à qui mieux mieux.
On élève un bûcher. Déja le feu petille.
La Salamandre est là sur des tisons ardents,
       Qui s'agite, qui se tortille.
— Cessez, cessez, dit-elle, ô barbares Enfants!
Eh! ne voyez-vous pas que le feu me dévore?
Je l'ai juré d'ailleurs, et je le jure encore,
Oui, je suis sans poison; croyez-en mes serments,
Et sauvez-moi. — Non, non: vous êtes venimeuse,
Répond le groupe actif, nos pères nous Font dit;
Ainsi point de pardon. — La pauvre malheureuse
Souffrit encor long-temps, puis dans le feu périt.

       Combien d'erreurs aussi grossières
On commet tous les jours sur la foi de ses pères!

Fable V.
La Succession du Lion

Sultan Lion mourut sans laisser d'héritiers.
       La nouvelle étant répandue,
On députe, on accourt, et la diète est tenue;
Les prétendants au trône arrivent par milliers.
Certain loup sur les rangs figure des premiers.
       Quoi! cette bête déloyale
Ose aspirer au nom de majesté royale?
Sans doute; et pourquoi donc s'étonner de cela,
Quand nous avons tant vu de ces majestés-là?
       Sur une secrète cabale
       Messer loup fondait son espoir;
       C'est le ressort qu'il fait mouvoir.
Un renard, le fléau des campagnes voisines,
Grand partisan du loup, son confrère en rapines,
       S'en déclare le digne appui.
       Sycophante adroit, il le prône,
       Lui forge des titres au trône;
Dit qu'il est un phénix, qu'il réunit en lui
       Courage, esprit, bonté, clémence,
Justice enfin. Louer ces vertus dans un loup,
       C'était exagérer beaucoup.
       Aussi, qu'en pensa l'assistance?
Qu'un scélérat vantait un autre scélérat.
       Le loup fut rayé de la liste:
On se rit du héros et du panégyriste.

       Avis à tout homme d'état!
En certaine occurrence, au renard de la fable
       Il est plus d'un renard semblable,
       Il est plus d'un loup candidat.

Fable VI.
Le Gland et le Champignon

Tombé du haut d'un chêne, un Gland, par aventure,
       Etait gisant sur la verdure
       Côte à côte d'un Champignon.
— Faquin! dit le premier, d'où te vient cette audace
De me traiter ici de pair à compagnon?
Si près de ma personne occuper une place!
Eh! qui t'a donc permis de croître dans ces lieux
Que depuis deux mille ans illustrent mes aïeux,
Toi, race de fumier? — Je ne suis qu'une bête,
Répond le Champignon son chapeau sur la tête.
       Dire d'où je viens, qui je suis,
Franchement, je l'ignore, et n'ai qu'une manière,
    C'est de juger de l'arbre par les fruits:
Or j'ai des qualités, soit dit sans vous déplaire,
       Que prisent les gens délicats;
Et ces qualités-là, vous ne les avez pas.
       — Comment, maraud!... — Tout doux, moins de colère.
De l'homme sensuel je flatte le palais;
       Point de festins où je ne brille;
A la table des rois on admet ma famille,
Et l'on vient me chercher jusqu'au fond des forêts.
       Maintenant, répondez, beau sire,
       Vous, si fier, vous, si glorieux,
Vous êtes le régal de qui?... faut-il le dire? —
       A ce mot, le Gland furieux
Allait à son voisin insulter de plus belle,
    Quand, pour finir cette grande querelle,
       Don pourceau, qui rôdait par là,
       Saisit le Gland et l'avala.

Honneur aux rejetons d'une famille antique,
Lorsqu'en gloire, en vertus, ils savent l'égaler!
Mais, sans ce double titre, à quoi sert d'étaler
       Un arbre généalogique?

Fable VII.
L'Enfant, le Cheval, et le Taureau

Un Cheval vigoureux, monté par un Enfant,
Semblait s'en amuser au milieu d'une plaine,
Tantôt d'un pied léger rasant la terre à peine,
       Tantôt sautant, caracolant.
— Quoi! lui dit un Taureau mugissant de colère,
Un écuyer pareil te gouverne à son gré?
       Quelle honte! j'en suis outré;
       Va, fais-lui mordre la poussière.
       — Moi, répond le noble coursier,
Ce serait là vraiment un bel exploit de guerre!
       Aurais-je à me glorifier
       De jeter un Enfant par terre?

Fable VIII.
L'Écureuil et le Renard

Compère le Renard, en rôdant par la plaine,
Vit un jeune Écureuil qui prenait ses ébats,
Sautant de branche en branche à la cime d'un chêne.
C'était l'occasion de faire un bon repas;
Mais atteindre là-haut, Renard ne le peut pas;
       De l'aventure de la treille
Il lui souvient toujours. Or il dit à part soi:
Cet animal est fin, éveillé comme moi,
    Et notre queue est à peu près pareille;
Mettons donc à profit cet air de parenté,
       Pour l'attirer de mon côté.
    Ah, cher cousin! s'écrie alors le traître,
Depuis tantôt mille ans j'aspire à vous connaître;
       On m'a dit tant de bien de vous!
En effet, où trouver un parent plus aimable?
    O combien il me serait doux
De vous voir partager les plaisirs de ma table!
    J'ai des fruits de toute saison,
Force amandes surtout, et des noix à foison.
    — Grand merci! lui répondit l'autre.
Je suis flatté d'un si galant accueil;
Mais qui donc êtes-vous, et quel nom est le vôtre?
       — Mon nom? je m'appelle Écureuil,
Et de plus Écureuil fort à votre service.
Feu votre père (hélas! que le ciel le bénisse!)
       Était propre frère du mien:
       Jugez de notre étroit lignage.
Par le plus doux baiser serrons donc le lien
Qu'établit entre nous cet heureux cousinage. —
       L'autre, à ces mots, ne fait qu'un saut,
       Mais c'est pour remonter plus haut.
— Quoi! vous vous éloignez? dit le rusé compère.
       — Oui, mon très honoré cousin;
Et voici le conseil, s'il faut le dire enfin,
Que m'a donné cent fois votre tante, ma mère:
»Mon fils, entre parents qui se touchent de près
       S'élève toujours quelque noise:
Veux-tu donc avec eux n'avoir aucun procès,
Ne t'en laisse aborder que de plus d'une toise;
       C'est le moyen de vivre en paix.«

Fable IX.
L'Ours et le Loup

       Un Ours de cervelle profonde
Vivait en philosophe au milieu des forêts.
    Là, dégoûté des vains plaisirs du monde,
    Il se trouvait heureux à peu de frais.
       Son savoir, sa conduite austère,
       Ayant fait bruit dans le canton,
Chacun le regardait comme un autre Caton,
Et voulait consulter le pieux solitaire.
       Un Loup s'offre un jour à ses yeux.
Certe, on ne croira pas qu'en abordant ces lieux
       Il y vînt en pèlerinage;
Car c'était un brigand, avide de carnage:
Mais chassé, presque atteint par les gens du village,
       Il venait chez son cousin l'Ours
       Demander asile et secours.
A pareil hôte, moi, j'aurais fermé ma porte;
Le cousin, au rebours, songe à le convertir.
    En bon parent il le prêche, il l'exhorte
       A se livrer au repentir.
       Ici la bête carnassière
Soupire. Est-ce remords? je ne le pense guère.
L'Ours en juge autrement. Ce bon Ours (notez bien
       Qu'il est pythagoricien)
Lur parle avec ferveur de la métempsycose.
Enfin, pour le convaincre, il redouble d'efforts,
Ajoutant: Lame est tout, le reste peu de chose.
       Lorsque lame abandonne un corps,
       Admire la métamorphose!
C'est pour prendre logis chez quelque autre animal;
Et les dieux, en ce cas, terribles ou propices,
       Selon nos vertus et nos vices
       Logent nos ames bien ou mal.
    De ta conduite, ami, telle est la règle.
       Ainsi donc choisis au plus tôt,
De t' élever aux cieux sous la forme de l'aigle,
       Ou de ramper en vil crapaud. —
L'Ours, avant d'achever, lui prêche l'abstinence.
L'abstinence! A ce mot, on eût vu le vaurien
       Quitter son humble contenance.
Il ose insulter l'Ours, l'accuse d'ignorance,
Rejette sa doctrine, et dit qu'il n'en croit rien;
Puis il s'en va, roulant une ardente prunelle,
Épier dans la plaine un troupeau des plus gras.
    Il comptait faire un succulent repas;
Vain espoir! chiens, valets, étaient en sentinelle;
On évente aussitôt la trace de ses pas.
Vers le sommet d'un roc il dirige sa fuite;
       Mais chassé, poursuivi toujours,
    Le scélérat enfin se précipite,
Et son corps mutilé reste en proie aux vautours.
Quant à l'Ours philosophe, il n'en fut pas de même;
Il fit long-temps le bien, et puis mourut en paix,
       Certain à son heure suprême
       De ne laisser que des regrets.

A l'application. Telle est la différence
Entre la fin du sage et celle du méchant:
    L'un, dominé par son fatal penchant,
Comme accablé d'un poids, repousse l'existence:
       L'autre avec calme attend la mort;
       Sur l'avenir son cœur se fonde;
       Et lorsqu'il prend congé du monde,
       Il ne le fuit pas, il en sort.

Fable X.
Le Pêcheur-Chasseur

Un manant, qui péchait le long dune rivière,
Donnait en même temps la chasse aux oisillons:
Il comptait mieux par là garnir sa gibecière.
       On eût ri de voir sa manière:
       De peur d'éloigner les poissons,
Il n'oserait marcher; sur la terre il se traîne,
       Et retient jusqu'à son haleine;
       Puis, sur ses talons redressé,
       Dans l'attitude d'un vrai gille,
       Bouche ouverte, corps avancé,
       Comme un terme il reste immobile.
Mais quel son l'a frappé? c'est le chant d'un oiseau.
— Bon, bon! laissons dormir ma ligne au fond de l'eau
       Pour épier la volatile.
       C'est une perdrix, de par Dieu!
       La chair est fine, délicate;
       Vite, amorçons — En j oue, et feu;
       Mais par malheur son fusil rate:
Dame perdrix s'envole, et le Chasseur confus
La suit en vain de l'œil; il ne l'atteindra plus.
       Revenant au peuple de l'onde,
Il a repris sa ligne, il épie à la ronde,
       On ne mord point à l'hameçon.
De la tanche au faisan, de l'anguille à la caille,
Il passe tour-à-tour. Qu'obtient-il? Rien qui vaille:
       Pas un oiseau, pas un poisson.
Cependant la nuit tombe; il faut quitter la place,
Et le diable toujours loge dans sa besace.
Alors, jetant de rage et ligne et mousqueton:
— Pour réussir, dit-il, on doit moins entreprendre,
       Et le proverbe a bien raison:
       Tout échappe à qui veut tout prendre.

Fable XI.
La Vieille et les Souris

Des appas de sa chatte un certain homme épris
En devint fou, dit-on, car il en fit sa femme:
Pourquoi donc s'étonner qu'une certaine daine
       Ait été folle de souris?
    Elle était vieille, et de plus en veuvage:
Les souris à foison trottaient dans son logis.
Grugeaient-elles ses noix, son lard, ou son fromage?
— Misères que cela; voyez le beau dommage!
Puis on ne vit pas d'air, et, pour être petit,
       On n'en a pas moins d'appétit. —
Les Souris là-dessus tiennent conseil entre elles.
       — Oui-da! manger fromage et lard,
Ce n'est rien; faisons mieux. — Sur quoi, les demoiselle?
       S'en vont rongeant de toute part
       Hardes, linge, voire dentelles.
La veuve d'accourir: — Dieux! qu'aperçois-je là?...
Mais c'est ma faute aussi.... fatale négligence!
J'aurais bien dû sous clef renfermer tout cela....
A ces mots, le courroux fait place à l'indulgence.
Nos Souris aux aguets reparaissent soudain.
       Dès le soir même nouveau train:
Armoire, lit, buffet, tout, jusqu'à la muraille,
Cède au museau pointu de la gent ronge-maille.
Madame veut gronder; on lui montre les dents,
Et madame n'est plus maîtresse de céans.
       L'heure où d'ordinaire on sommeille,
       Minuit sonne; autre passe-temps:
Il faut voir les souris au chevet de la Vieille,
Trotter, batifoler; l'une fuit sous ses draps;
       L'autre lui chatouille l'oreille;
Une autre jusqu'au sang ose la mordre au bras:
       Cette dernière était Finette,
La bien-aimée. Aussi l'hôtesse cette fois
       Maudit le peuple souriquois,
Et jure ses grands dieux d'en faire maison nette.
       Or elle appelle un maître chat,
Qui fond sur les Souris, et s'en donne à cœur-joie;
       L'une après l'autre il les envoie
       Chez Pluton faire leur sabbat.

       Je ne blâme point l'indulgence:
Moi-même le premier n'en ai-je pas besoin?
Mais l'excès est nuisible, il tire à conséquence;
       Craignons de la pousser trop loin.

Fable XII.
Le Rossignol et d'autres Oiseaux

       Par ses accents mélodieux
Philomèle égayait les échos d'un bocage,
Et mille Oiseaux, à qui mieux mieux,
Applaudissaient à son ramage.
— Le Rossignol sans doute est grand musicien,
S'écria, d'un champ d'orge, une voix glapissante;
Oui, sa méthode est excellente:
Mais le chant de la caille, à mon gré, vaut le sien. —
L'avis était d'un sot; l'auditoire s'en raille.
Quel était ce juge?... Une caille.

Fable XIII.
Canut, ses Courtisans, et la Mer

       Dans les fastes de l'Angleterre
On vante avec raison le règne de Canut:
Car c'était un bon roi, si jamais il en fut;
Non moins sage au conseil qu'intrépide à la guerre,
Il fut pieux encore, et je n'ai pas appris
       Que son royaume en allât pis.
    Or écoutez un trait de son histoire
Que j'ai lu quelque part. Où?... je n'en sais plus rien:
       Mais qu'importe l'historien?
    Voici le fajt, si j'ai bonne mémoire.

       Sur les bords de la mer, un jour,
Canut se promenait escorté de sa cour.
— Que j'aime à contempler cette liquide plaine! —
Disait-il, et flatteurs de répondre à-la-fois:
       O roi, le plus puissant des rois!
       C'est un fief de votre domaine.
— Quoi! ce vaste Océan.... — Est soumis à vos lois.
       — Mais lorsqu'il s'agite et qu'il gronde,
Qui pourrait arrêter la fureur de son onde?
       — Vous seul pouvez lui mettre un frein,
Sire: dites un mot, il s'apaise soudain. —
Canut est indigné de tant de flatterie;
       Pour les en punir, il s'écrie:
Ainsi donc de la Mer je suis le souverain!
Essayons mon pouvoir; l'occasion est belle,
Voici le flux. — Oui, sire. Éloignons-nous. — Pourquoi?
       Il ferait beau voir qu'à son roi
       Un sujet se montrât rebelle!
Silence.— On se regarde, et chacun reste coi.
Canut fait apporter son fauteuil, sa couronne,
S'assied; puis, étendant son sceptre vers les flots,
       A la Mer il parle en ces mots:
— O Mer! retire-toi, ton maître te l'ordonne. —
       Le flux va toujours s'élevant;
       Il a bientôt couvert la plage.
Quand le roi sous ses pieds sent le sable mouvant,
       Force est de quitter le rivage.
Notez que ces messieurs avaient pris le devant.
Canut leur tient alors ce sévère langage:
       Par vos discours insidieux
       Vous croyez m'abuser peut-être:
Apprenez que la Mer ne reconnaît qu'un maître.
Ce maître, c'est celui de la terre et des cieux.
Le plus puissant des rois n'est qu'un homme à ses yeux,
Et l'homme un vermisseau que sa bonté fit naître;
       Mais abrégeons de vains discours:
Vil troupeau de flatteurs! c'en est fait, je vous chasse.
       Vous êtes le fléau des cours.
Ah! puissent mes pareils se rappeler toujours
       Mon exemple et votre disgrace!

Fable XIV.
Les Chevaux et le Pourceau

Don Pourceau s'engraissait dans une basse-cour.
Suivant son appétit on réglait sa pitance.
Là, comme un gras chanoine, ayant lesté sa panse,
       Il dormait le reste du jour.
L'ennui vint l'accabler au sein de l'indolence.
       Un attelage de chevaux,
       Que dès l'aurore matinière
Il voyait occupés des plus rudes travaux,
A ses réflexions offrit ample matière:
Ils lui semblaient si gais en dépit de leurs maux!
Comme ils se disposaient à quitter la litière,
Le Porc va les trouver et leur tient ce propos:
Amis, expliquez-moi comment il peut se faire
Que je tombe en langueur, moi dont l'unique affaire
Est de manger, Dieu sait! de ronfler tout mon soû,
Tandis que vous, sans cesse à la misère en proie,
Toujours la selle au dos et le collier au cou,
       Vous donnez des signes de joie;
       Qu'ai-je dit? hélas! en tout temps
       Je vous vois dispos et contents. —
Le doyen des Chevaux, hérissant sa crinière,
       Lui dit: O roi des fainéants!
    Veux-tu savoir en deux mots le mystère?
    C'est que l'ennui naît de l'oisiveté,
       Et que le travail seul est père
       De la joie et de la santé.

Fable XV.
La Vénus de Zeuxis

       Aux yeux de la Grèce charmée,
       Zeuxis, de son brillant pinceau,
Venait de faire éclore un chef-d'œuvre nouveau.
       — Rien n'égale ta renommée,
Lui dit-on; désormais il faut peindre Vénus;
       Mais peins sa grace enchanteresse,
Son aimable sourire, et ses traits ingénus;
Rends enfin le tableau digne de la déesse.
       — J'y consens, dit-il: je suis prêt;
Mais vous, amenez-moi vos filles les plus belles;
       Que des traits de chacune d'elles
       Je saisisse le plus parfait:
Puis-je mieux de Vénus composer le portrait? —
       On lui présente cinq modèles:
       La voluptueuse Zélis,
       Aglaure, à la taille légère,
Et la vive Thémire, et la tendre Glicère,
       Enfin la modeste Anaïs.
Le peintre, à leur aspect, est transporté d'ivresse:
Il voit dans ces beautés l'élite de la Grèce.
       — Oui, j'en jure par les appas
       Dont vous éblouissez ma vue;
Oui, dit-il, à Vénus vous ne le cédez pas.
Mais quoi! dans mon tableau Vénus doit être nue;
Comment l'offrir aux yeux digne d'elle et de vous,
Si vous ne quittez pas ces vêtements jaloux?
— Les quitter! non, jamais. — C'est toute leur réponse
       J'en excepte pourtant Zélis.
Son cœur dément tout bas ce gue leur bouche annonce
Être peinte en Vénus, et peinte par Zeuxis,
Quel triomphe! on dira: Zélis n'a point d'égale;
    Elle a servi de modèle aux beaux-arts;
    Vénus en elle a trouvé sa rivale.
    Au même instant à ses pieds sont épars
Et voile, et bracelets, et tunique, et ceinture.
    Zélis enfin n'offre plus aux regards
    Que les trésors de la simple nature.
       Bientôt l'exemple est imité
       Par Thémire, Aglaure, et Glicère.
       Une secrète vanité
Leur dit: Comme Zélis vous avez droit de plaire.
       Laquelle en effet préférer?
Zeuxis est en extase; il a beau comparer
       Mille appas que son œil dévore,
Incertain sur le choix, il ne sait qu'admirer;
       Et ce qu'il admire, il l'adore.
Cependant Anaïs restait les yeux baissés.
       — Plairiez-vous moins que Zélis ou qu'Aglaure?
Lui dit-il tendrement; oh! non. Vous rougissez?
Imitez-les plutôt. — Moi, que je les imite!
Ah! dût-on m'adjuger la pomme de Paris,
Je la refuserais, offerte au même prix. —
       A ces mots elle prend la fuite.

       Mais la toile va s'animer.
       Chaque modèle est à sa place.
       L'artiste vient de s'enflammer,
    Et déja même, au dessin qu'il en trace,
    De Cythérée on devine la grace.
Son pinceau délicat ose enfin l'exprimer:
       O prodige! Vénus respire;
       Elle sourit, et semble dire:
»Venez, heureux mortels; j'enseigne l'art d'aimer.«

Zeuxis avait à peine achevé son ouvrage;
On l'expose soudain aux yeux des amateurs.
       Quel concert d'éloges flatteurs!
Chacun avec transport lui donne son suffrage;
       Ses rivaux n'en sont point jaloux;
       L'un d'eux même, l'un d'eux s'écrie:
— O Venus! digne objet de notre idolâtrie,
Je te vois, je t'adore, et tombe à tes genoux. —
       Loin de partager ce délire,
Zeuxis sur son tableau jette un œil inquiet,
L'en détourne, y revient, et se tait, et soupire.
Un connaisseur lui dit: Pourquoi cet air distrait?
       Quand la Grèce entière l'admire,
Voudrais-tu seul juger ton ouvrage imparfait?
— Oui, répond-il. — Erreur. Détaillons chaque trait;
Pouvais-tu rendre mieux la jambe de Thémire,
Et la taille d'Aglaure, et le sein de Zélis?
       Je vois Glicère me sourire;
       Non, je me trompe, c'est Cypris.
Cher ami, c'est en vain que tu flattes Zeuxis:
Ce qui manque à Vénus manquait à mes modèles;
       Ce charme pur, ce fard des belles....
       — Quoi donc? — La pudeur d'Anaïs.