Fable I.
Le Castor et l'Anta
A M le Baron Miollis
Ex préfet du Finistère
Digne organe des lois, vertueux magistrat,
Qui de tant de proscrits fus l'ange tutélaire!
Toi dont la conduite exemplaire
Peut servir de modèle à nos hommes d'état,
Dans cette fable, ami, reconnais ton ouvrage.
De tous ces arts industrieux,
Vers l'intérêt public, dirigés sous tes yeux.
Mon Castor retrace l'image.
Mais du second de mes acteurs
Peut-être ignores-tu l'habitude et les mœurs?
Apprends avec son nom l'instinct du personnage.
C'est aux rives de la Plata
Que vit ce quadrupède indépendant, sauvage,
Qu'au Paraguai l'on nomme Anta.
Des chasseurs avec soin il évite l'approche;
Car sa chair est pour eux un très friand morceau.
Il sait que, non content de le mettre à la broche,
L'homme recherche encor sa peau....
Mais au fait, d'après ma peinture,
Tu connais assez l'animal:
Je vais de l'un des siens te conter l'aventure,
Pour en venir au but moral.
Au bord d'un lac, par une nuit profonde,
Un jeune Anta prenait l'essor,
Lorsqu'en sa course vagabonde
Il fait rencontre d'un Castor.
L'animal amphibie était en sentinelle
Sur les confins de son état.
On sait que tout Castor, à son poste fidèle,
Est tour-à-tour maçon, charpentier, et soldat.
— Que fais-tu donc là, camarade?
Lui dit l'aventurier. — Ce que j'y fais? Eh quoi!
Ignorés-tu qu'ici nous vivons en peuplade?
— Pourquoi veilles-tu seul, puisque tout dort chez toi?
— Tout y dort: c'est pourquoi je veille.
Demain soir un des miens aura charge pareille;
Je fais pour lui ce qu'il fera pour moi.
— Quelle corvée, ô ciel! toujours sur le qui vive!
Ta nation est bien craintive.
— Dis plutôt prévoyante. Admire ces canaux,
Ces digues, et ces ponts, fruits de notre industrie.
— Hé bien! à quoi bon ces travaux?
— Pour l'intérêt de la mère-patrie.
Derrière ce rempart que respectent les eaux
Chacun de nous a sa cabane.
Là, nous bravons la foudre, les autans;
Là, sur un lit tissu des feuilles du platane,
Dorment en paix nos femmes, nos enfants.
Tu vois plus loin nos greniers d'abondance:
Provisions d'hiver, provisions d'été,
Sont là pour notre subsistance.
Or dis, tant de bonheur, par trop de vigilance,
Peut-il jamais être acheté?
— Pauvres gens! quels biens sont les vôtres?
Chacun de vous travaille pour les autres
Sans jouir de la liberté.
— Qu'as-tu dit? n'est-ce pas travailler pour soi-même
Que de se rendre utile à la société?
Vivre libre, àt'entendre, est le bonheur suprême;
Mais pour aller, venir, sans règie, sans objet,
Te crois-tu donc libre en effet?
Tu vis seul. Hé bien! je suppose
Qu'un ennemi veuille attaquer tes jours,
Quel défenseur est là pour soutenir ta cause?
Personne: aucun des tiens ne vole à ton secours.
Un ennemi plus redoutable encore
Peut survenir; c'est le besoin.
Si jamais la faim te dévore,
De te nourrir qui prendra soin?
Chez nous de tels fléaux ne se rencontrent guères:
Forts de notre union, nous vivons tous en frères.
D'un chef de notre choix respectant le pouvoir,
Chacun de nous s'occupe à son devoir...
Mais qui rôde en ces lieux, quand l'aube luit à peine?..
Ciel! des chasseurs armés! Serviteur, au revoir!
Mon pauvre Anta, gagne vite la plaine;
Moi, je vais éveiller les gens de mon manoir. —
Cela dit, le Castor, de sa queue aplatie,
Frappe la surface des eaux.
Attentive à ce bruit (c'est un de leurs signaux),
La troupe des Castors est soudain avertie.
Les uns, au fond du lac; les autres, dans leurs murs,
Tous ont trouvé des abris sûrs.
Il n'en est pas ainsi de l'Anta que l'on chasse;
On l'atteint: le voilà roide mort sur la place.
De l'état social, sujet tant épuisé,
J'ose encore en ces vers retracer l'avantage:
L'Anta, je crois, peint bien l'homme sauvage,
Et le Castor l'homme civilisé.
Fable II.
L'Offrande à Apollon
Au pied de l'autel d'Apollon
Un sage de la Grèce avait offert un don,
Implorant ses bontés divines.
Les vœux qu'il adressait étaient des plus pressants;
Mais lorsque d'une main il prodiguait l'encens,
De l'autre il bouchait ses narines.
Un augure, qui vint à s'en apercevoir,
Lui dit: Crains-tu l'odeur qu'exhale l'encensoir?
— Sans doute, répondit le sage.
L'encens avec justice honore les autels;
Mais s'il est pour les dieux un légitime hommage,
C'est un poison poux les mortels.
Fable III.
Les deux Chiens
Deux Chiens vivaient dans le même logis,
Moustache et Folichon, l'un père, l'autre fils.
Chacun avait son ministère.
Moustache, franc lourdaud, ne sachant rien de rien,
Gardait la porte, et s'en acquittait bien;
Pour les voleurs c'était un vrai cerbère:
Mais comme il grisonnait un peu,
On lui laissait alors garder le coin du feu.
Folichon au contraire allait courant sans cesse,
Toujours souple, toujours dispos:
C'était un chien pétri de gentillesse;
Tantôt émerveillant la foule des badauds,
En s'élançant d'un pont au milieu de la Seine;
Tantôt faisant le mort, étendu sur l'arène,
L'oreille basse, les yeux clos;
Et puis il fallait voir ses sauts!
Sauts pour le roi, sauts pour la reine.
Bref, don Bertrand, premier du nom,
Jadis singe du pape, à ce que dit l'histoire,
Et qui faisait courir tout le monde à la foire,
N'aurait été qu'un gille auprès de Folichon.
A qui de ses talents devait-il la culture?
Au pétulant Victor, enfant de la maison.
Victor était comblé des dons de la nature,
Mais l'espiègle au jeu seul employait tout son temps,
Bien qu'il eût vu dix fois refleurir le printemps.
Fier des succès de son élève,
Victor veut entreprendre un jour
D'instruire Moustache à son tour.
Mais à quoi l'exercer? Un moment il y rêve.
— Allons, il sera fantassin. —
Et debout, contre un mur, il le dresse soudain;
Ensuite lui mettant un chapeau sur la tête,
Entre les pattes un fusil:
— Monsieur, attention, dit-il,
Et tenez bien votre arme prête. —
De prime abord, docile à la leçon,
L'animal reste ferme, et posé de façon
Qu'il a d'un vétéran l'attitude guerrière.
Mais tout-à-coup ses jambes de derrière
Refusent le service: il tombe lourdement,
En dépit du commandement.
On le relève, il tombe encore;
Et, relevé vingt fois, il retombe toujours.
— O le mauvais soldat! ô la franche pécore!
Dit l'enfant. Au bâton je vais avoir recours....
Çà, qu'on se remette à l'ouvrage;
Surtout qu'on m'obéisse, ou bien....
— Battez-moi, tuez-moi, répond le pauvre Chien;
Vous n'obtiendrez pas davantage.
Mais pourquoi me frapper? vous pouvez faire mieux:
Que mon exemple, hélas! tourne à votre avantage.
Le seul temps pour s'instruire est celui du jeune âge:
On n'apprend rien quand on est vieux.
Fable IV.
Le Singe qui se peint
Dans l'atelier d'un peintre florentin
Demeurait un vieux Singe, et, suivant l'ordinaire,
Ce Singe, appelé Fagotin,
S'amusait à tout contrefaire.
A l'instar de son maître il peignait donc parfois,
Le regardant même comme un confrère.
Or de son grotesque minois
Le fat esquisse un jour une ébauche légère.
L'essai fut trop heureux: c'était lui trait pour trait.
Jugez combien il était laid.
— Fi! dit-il, est-ce là ma mine,
Mon geste, mon maintien, et mon oeil vif et noir,
Et ma peau douce comme hermine?
Non: de par les dieux! je devine
Que la faute en est au miroir:
Peignons-nous d'après notre idée,
De peur de quelque affront nouveau. —
Il reprend alors le pinceau:
De son front aplati la peau jaune et ridée
Devient sous ses couleurs une très fine peau;
Le contour gracieux d'une bouche vermeille
A remplacé son baroque museau;
L'œil est grand, et le regard beau;
Une boucle flottante ombrage son oreille
Enfin, l'impertinent magot,
Mons Fagotin a fait une merveille
D'un minois digne de Calot.
A voir certaine espèce autre part qu'à Florence,
Cette fable n'est pas si fable que l'on pense.
Fable V.
Le Cheval peint et
l'Ane
Pour excuser sa vanité,
Contons de Fagotin un nouveau trait d'histoire:
Comme ce trait tourne à sa gloire,
Il mérite d'être cité.
Fagotin, devenu très expert en peinture.
Avait peint récemment un superbe cheval.
Les animaux, chargés d'en faire la censure,
S'écriaient tous: Bravo! ma foi, de la nature
L'art se montre ici le rival.
— Oui, notre frère a fait merveilles,
Dit un Ane; mais l'art ne m'en impose point,
Et son cheval, pour être un chef-d'œuvre en tout point,
N'a pas d'assez longues oreilles.
Fable VI.
Le Voltigeur et
le Cul-de-jatte
Balancé dans les airs sur sa corde fragile,
Un Voltigeur, non moins hardi qu'agile,
D'un peuple immense attirait les regards;
Les bravos répétés volaient de toutes parts.
Au même lieu se trouve un Cul-de-jatte,
Qui plaint son malheureux destin,
Et maudit la nature ingrate
Qui lui donna des pieds en vain.
— Hélas! disait-il en lui-même,
Puisqu'il n'est pas en mon pouvoir
D'imiter ce sauteur, si je le voyais choir,
Que ma joie en serait extrême!
Le sort, par un étrange cas,
Fait arriver la chose ainsi qu'il le desire.
Le pied manque au sauteur; voilà mon homme à bas,
Et le Cul-de-jatte d'en rire
Aux éclats.
L'autre lui dit: Mon pauvre hère!
Je gémis sur ton sort; à quoi bon rire ainsi?
Pour un seul de mes tours qui n'a point réussi,
Penses-tu qu'au public j'en ai moins droit de plaire?
Va, crois-moi, cesse de railler;
Il ne sied pas d'ailleurs à qui ne sait rien faire
De se moquer des gens qui savent travailler.
Fable VII.
L'Horloge et le
Coq d'un clocher
Certaine Horloge, un jour, dit au Coq d'un clocher:
Tourner au moindre vent! quelle tête légère!
— Est-ce à toi, répond l'autre, à me le reprocher?
Marquer d'où le vent souille est mon unique affaire.
— C'est agir sans savoir. — Toi-même es dans ce cas.
— Comment? — Tu montres l'heure, et tu ne la sais pas.
A peine hors des bancs de l'école primaire,
Damon, singe de Vaugelas,
Ose enseigner la langue et fait une grammaire;
Il montre ce qu'il ne sait pas.
Fable VIII.
Le Bat et le Boulanger
Il faut bien égayer la fable quand on peut.
Celle-ci passera pour conte si l'on veut,
Tant je crains l'ombre du scandale.
J'ai tiré mon sujet d'un poëte allemand,
Qui, sans négliger la morale,
Au précepte toujours sut joindre l'agrément.
Dans un sac de farine arrivé de Sicile,
Un Rat des plus rusés fut transporté, dit-on,
Chez un Boulanger de Toulon.
Là notre pèlerin élit son domicile.
Bientôt le boulanger Thomas,
A ses pains écornés, à la trace des pas,
Soupçonne qu'un larron loge dans sa boutique.
Peu curieux d'avoir telle pratique,
Il l'épie un matin, vous le prend sur le fait,
Et le saisissant au collet:
— Je te tiens donc, dit-il, ô voleur domestique!
— Qui? moi, voleur! répond l'intrus;
Non, je le jure sur mon ame.
Je suis né de parents connus.
Pour eux comme pour moi le vol est chose infame;
Or doublement près de vous je réclame
Le droit des gens: car je suis Rat de bien,
Et de plus Rat sicilien.
— Tu serais du Japon ou de la Cochinchine,
Repart maître Thomas, je ris de tes raisons.
Quand tu rognes mon pain et gruges ma farine,
Pour toi le droit des gens est celui des fripons.
Meurs donc. — Le Rat, qui dans sa tête
A toujours quelque ruse prête,
Songe alors que son hôte est avare et jaloux.
Il en profite. — Hélas! dit-il, y pensez-vous?
Prononcer contre moi la fatale sentence,
Moi qui viens vous donner un avis d'importance!
— Comment? — Vous logez un lutin
Dont vous avez à craindre une perfide trame.
— Qui donc? — Votre garçon. Je l'ai vu ce matin
Contant fleurette à votre femme.
—Le scélérat! — Je dirai plus:
Votre femme avec lui fait danser vos écus.
— Mathurine!... Ah! d'abord, je veux punir le traître.
Le garçon venant à paraître,
Thomas, l'œil en fureur, sans lui dire un seul mot.
Détache un sarment de fagot,
Et le bat d'étrange manière.
Grand tumulte! grands cris! pendant le démêlé,
Maître Rat avait détalé.
Que Dieu garde à présent la pauvre boulangère!
C'est peu que l'homme, en proie à la colère,
Se laisse duper aisément;
Il pardonne au coupable, il punit l'innocent,
Et voilà le pis de l'affaire.
Fable IX.
Le Villageois et le
Champ
Au décès de son père, un rustre eut en partage
Un Champ assez borné, mais d'excellent rapport.
A peine le père est-il mort,
Que le fils empressé va voir son héritage.
— Oh! par ma foi, dit alors ce nigaud,
Le vieillard n'était guère habile
De n'avoir pas porté ses récoltes plus haut;
Car, Dieu merci, le terrain est fertile.
Chaque année, au lieu d'une fois,
Que ne l'ensemençait-il trois?
Il eût par ce moyen triplé son bénéfice.
Le bon-homme n'est plus: que le ciel le bénisse!
Moi, je veux exploiter ce champ à ma façon. —
Et, dans cette folle pensée,
Sans consulter si la saison
Est tardive ou bien avancée,
Il fouille son terrain de l'un à l'autre bout,
En change la face partout,
Le sème, le resème, et le lasse, et l'épuise,
Tant qu'il ne rapporta plus rien.
Le maître désolé n'en tira, pour tout bien,
Qu'une preuve de sa sottise.
Cette fable renferme une utile lecon:
Lorsque l'esprit humain est encor dans l'enfance,
Y versez-vous trop de semence,
Vous en étouffez la moisson.
Fable X.
Le Pèlerin égaré
La nuit sur l'univers avait jeté ses voiles.
On ne voyait plus luire aux cieux
Ni la lune ni les étoiles;
L'ombre enfin régnait en tous lieux.
Un Pèlerin alors errait à l'aventure,
Ne sachant où guider ses pas.
Il marchait égaré dans cette nuit obscure,
A travers des chemins qu'il ne connaissait pas.
Soudain brille à ses yeux une faible lumière
Qui vacille dans le lointain.
Cette clarté l'attire. O malheureux destin!
Il tombe en un marais, la tête la première,
Et de là jusqu'au Styx fait bientôt le trajet.
Cette lumière, hélas! n'était qu'un feu follet.
Ne nous fions jamais à ces clartés douteuses.
C'est ainsi qu'en suivant des routes ténébreuses,
Plus d'un sage s'est écarté
Du chemin de la vérité.
Fable XI.
L'Oison et le Serpent
En Hespérie ainsi qu'en France
Pullule une certaine engeance
Qui veut faire et fait tout, sans exceller en rien.
Écoutons là-dessus une muse espagnole:
Cette muse, sur ma parole,
En prose comme en vers se connaissait très bien.
Il était un Oison, bête suivant l'usage,
Mais orgueilleux; le croirait-on?
Oui, puisque c'était un Oison:
La bêtise et l'orgueil ont étroit parentage.
— Que de dons à-la-fois je reçus en partage!
S'écriait-il; poissons, quadrupèdes, oiseaux,
Oui, je suis le phénix de tous ces animaux.
Suis-je las de marcher, mon aile se déploie,
Et je deviens l'hôte des airs.
Ensuite avec la carpe on voit commère l'oie
Dans l'onde s'égayer, faire cent tours divers.
Un Serpent l'écoutait: — O tête des plus folles!
Lui dit-il; misérable Oison!
Tu marches, il est vrai, tu nages, et tu voles;
Mais aussi de quelle façon!
Avec ton allure sans grace,
Tu ne peux égaler le cerf au pied léger;
L'alouette au vol te surpasse,
Et le brochet enfin mieux que toi sait nager.
Fable XII.
L'Ane gourmand
Avant de quitter sa maison
Pour s'en aller au loin régler certaine affaire,
Un meunier dans un clos mît paître son grison.
— Çà, dit-il, je m'absente une semaine entière.
Il est bon de t'en avertir:
Grave-le bien dans ta mémoire.
Congé durant ce temps. Tu peux te divertir.
Je te laisse à souhait de quoi manger et boire:
Ici, trèfle, sainfoin; là, tout près, un ruisseau
Qui t'abreuvera de son onde.
Souviens-toi seulement que ta part à la ronde
Ne doit point excéder la longueur du cordeau
Qui te retient captif au pied de cet ormeau. —
Le maître a dit: il se met en voyage.
L'âne était à-la-fois paresseux et gourmand:
Or de la langue et de la dent
Le voilà qui soudain fait rage.
Dans l'herbe enfoncé jusqu'au cou,
Il s'y vautre à plaisir, en prend si bien son soù,
Que dès la fin du jour il n'a plus de quoi paître.
Mais à peine sur l'horizon
Phébus vient-il à reparaître,
Qui reste sot? c'est le grison.
En vain avec ses yeux son appétit s'éveille;
Il regarde, il ne voit, hélas! autour de lui
Rien que le dégât de la veille.
Pour surcroît de peine et d'ennui,
Le cordeau le plus ferme arrête la pécore.
Que faire désormais? jeûner;
Mais comment s'y déterminer?
Comment pouvoir atteindre à la sixième aurore
Sans manger? L'âne se souvient
Qu'on avait fait sa part pour toute la semaine.
Réflexion tardive! aussi fut-elle vaine;
Le glouton était mort quand son maître revint.
C'est vous, dissipateurs, que ma fable dépeint.
Fable XIII.
Le Renard et le Singe
LE SINGE
J'en fais le défi: qu'on me cite
Un seul des animaux que mon geste n'imite.
LE RENARD
Et toi, pourrais-tu nous citer
Un seul des animaux qui daigne t'imiter?
Fable XIV.
Le Loup et le Hérisson
Les animaux, entre eux las d'exercer la guerre,
Mirent enfin un terme à leurs sanglants débats.
La paix étant conclue, on s'embrasse, on se serre,
Et le calme renaît au sein de leurs états.
Un Loup, secret moteur des premières querelles,
Tient alors ce langage au prudent Hérisson:
Ami, plus de rancune; elle est hors de saison;
Nous avons étouffé nos haines mutuelles,
Et la foi du traité doit bannir tout soupçon;
Ne sois donc plus armé de tes pointes cruelles. —
L'animal porte-dard répondit: J'y consens;
Mais toi, commence donc par t'arracher les dents.
Fable XV.
La Chèvre et les
Moutons
Sur la cime d'un mont pendant en précipice
Barbe la Chèvre un jour voulut monter,
Non par fanfaronnade ou par un vain caprice,
Mais bien à dessein d'y brouter.
La route en était peu battue,
L'abord tout hérissé de ronces, de buissons.
C'est là que Barbe s'évertue:
Sentiers scabreux, ravins profonds,
Rien ne l'arrête; elle saute, elle grimpe,
Et fait si bien qu'après cent et cent bonds,
Tranquille, elle respire au haut de cet Olympe.
— Combien l'air est pur en ces lieux!
Quel doux parfum! s'écria-t-elle. —
Colomb ne fut pas plus joyeux
Lorsqu'il eut découvert une terre nouvelle.
Là tout se rencontre à souhait;
Herbe tendre et fin serpolet:
Or vous jugez comme elle broute.
Un troupeau de Moutons apercevant d'en bas
La dame au pied fourchu qui prenait ses ébats,
Veut se frayer la même route.
— Chers compagnons, suivez mes pas,
Dit l'un des chefs de la bande timide;
C'est moi qui servirai de guide.
— Soit, répond le plus jeune agneau. —
Et ce mot entraîna le reste du troupeau.
Déja de tous côtés on monte à l'escalade.
La Chèvre s'avance vers eux,
Leur tend sa patte blanche: — Amis, point d'incartade;
Approchez.... par ici.... Que faites-vous, ô dieux!
Prenez sur la droite, vous dis-je....
Quel entêtement!... quel vertige!
Vous trouverez à gauche un précipice affreux.... —
De ses conseils on ne tient aucun compte:
— De l'aide à nous! fi donc! ce serait une honte.
Nous sommes lestes, Dieu merci!
Et nous monterons seuls aussi. —
Eux soudain de grimper, de faire la culbute;
Puis de grimper encor; puis de tomber toujours.
Robin, le seul Robin, effraye de leur chute,
Sent qu'il a besoin de secours;
Il fait donc un signe de tête
A la Chèvre: aussitôt l'officieuse bête
Accourt, guide sa marche à travers les détours;
Bref, aplanit partout l'obstacle qui l'arrête.
Après avoir franchi mille pas périlleux,
Voilà Robin qui touche au terme du voyage.
Il bondit au sommet du rocher sourcilleux,
D'où regardant alors l'inférieure plage,
Il voit ses compagnons essoufflés, haletants,
Et tout-à-coup dégringolants,
Dupes de leur orgueil, descendre au noir rivage.
Malheur au talent jeune encor,
Lorsqu'il ne prend conseil que de sa seule audace!
Mais qu'une habile main dirige son essor,
Il est plus sûr d'atteindre au sommet du Parnasse.
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