Livre I.
Prologue
Un mouton nommé Jean, mais mouton plein desprit,
Et qui de ses pareils ne portait que l'habit,
Enseignait jadis la morale.
Doux langage du cœur, tours fins et gracieux,
Simplicité sublime, et touche originale,
Tels étaient les dons précieux
Que Nature, envers Jean mère si liberale,
Versait à pleines mains sur ses riants tableaux,
Toujours vrais et toujours nouveaux.
Pour achever cette peinture,
Ajoutez seulement un trait,
J'entends une ame belle et pure;
Et voilà Jean comme il était.
Sous d'ingénieux badinages
Cachant l'austère vérité,
Ses leçons embrassaient tous les temps, tous les âges,
Et corrigeaient les mœurs, sans nuire à la gaieté.
Faut-il que le génie éprouve les outrages
De ce vieillard ailé qui, la faux à la main,
A l'avare Caron livre le genre humain!
Jean mouton était vieux; les Parques le frappèrent:
Le coup en retentit au fond de tous les cœurs;
Les Graces en deuil se voilèrent,
Et sur son monument répandirent des pleurs.
Long-temps régna cette tristesse.
Robin, jeune mouton, d'une moins rare espèce,
Qui de Jean n'avait pas les talents enchanteurs,
Voulut donner aussi des leçons de sagesse;
— Mais, hélas! disait-on,
Il n'est plus Jean mouton.
Robin, réprime un vain délire,
Ajoutait son meilleur ami;
J'applaudis volontiers au zèle qui t'inspire,
Mais le zèle peut-il suffire?
Ce n'est pas plaire assez que de plaire à demi.
Ne va pas plus avant, Robin, je le répète.
Qu'irais-tu faire au champ quand la moisson est faite?
— On y trouve encore à glaner,
Lui répondit Robin; Jean lui-même l'assure.
En dépit d'un fâcheux augure,
Je veux par mon penchant me laisser dominer.
Enfin, à la vertu si je puis ramener
Une ame flottante, incertaine,
Que le vice allait entraîner,
Me voilà payé de ma peine.
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