Livre IV.
Prologue
A mon ancien ami de collège, M. le chevalier Bodard de
Tezai,
ex-consul de France aux échelles du Levant et à Gènes.
Des jeux de notre premier âgé,
Sans doute, cher Bodard, il te souvient encor.
Quel heureux temps pour nous! c'était le siècle d'or:
Il a fui sitôt; quel dommage!
Guidés par les mêmes penchants,
Et soumis aux leçons des Duclos, des Moysants,
Oh! comme avec ardeur, à l'école d'Horace,
Nous formions nos jeunes talents,
Jaloux de dérober quelques fleurs au Parnasse!
Dieux! j'en frémis encor... quelle témérité!
Nous comptions trois lustres à peine,
Que, follement épris de la célébrité,
Nous mîmes en société
Les prémices de notre veine,
Dans le commun espoir de l'immortalité.
Mais pour notre âge aussi quel courage stoïque!
Tu sais que par nous-même indignement traité,
Notre cher enfant poétique
Alla bientôt rouler dans les flots du Léthé.
Cependant des neuf sœurs tu restes idolâtre:
Que dis-je? tu deviens un de leurs favoris.
Il en est temps, parais sur un plus grand théâtre.
L'amitié par ma voix t'appelait à Paris:
Là, ta muse, à son gré sérieuse ou folâtre,
Excita tour-à-tour et les pleurs et les ris.
Comblé de ses faveurs, tu lui fus infidèle;
Le Parnasse te crut ingrat,
Mais une carrière nouvelle
Réclamait tes talents pour le bien de l'état.
A Smyrne, tu soutins nos droits et notre gloire,
Et Gênes de ton consulat
Doit chérir long-temps la mémoire.
Ah! dans l'ami de mon pays
Que j'aime à retrouver celui de mon enfance,
Qui, malgré les honneurs, l'intervalle et l'absence,
Fut constamment pour moi le meilleur des amis!
Qu'il m'est doux de le voir, du sein de la retraite,
Jeter encor quelques regards
Vers le sanctuaire des arts!
On se souvient toujours d'avoir été poëte.
C'est vainement que ta lyre est muette:
Les beaux vers à tes yeux n'en ont pas moins de prix.
Combien de fois ne t'ai-je pas surpris,
Seul, à l'ombre de ces platanes
Qui bordent tes vergers chéris,
Lisant Virgile, Homère, et Delille, et Fontanes!
Mais après ces grands noms sur le Parnasse inscrits,
Encor tout pénétré du feu de leurs écrits,
Cher Bodard, voudras-tu m'entendre,
Et trouver quelque charme à mes simples récits?
Oui, si ce n'est l'auteur, l'ami doit y prétendre:
La fable que je vais conter
N'est-elle pas ton propre ouvrage?
Aux bords de l'Hellespont, témoin d'un grand naufrage,
Tu pris plaisir à l'inventer,
Et je l'ai mise en vers pour t'en offrir l'hommage.
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