Livre V.
Prologue
et Fable Premiere
La Corneille au congrès des Oiseaux
J'étais nonchalamment assis
Sous le dôme touffu d'un chêne vénérable
Qui dominait au loin sur des coteaux fleuris.
Là, je méditais une fable
Contre ces hommes vains qui, géants à leurs yeux,
Malgré leur taille de pygmée,
Courent après la renommée,
Et bravent les affronts pour faire parler d'eux.
Soudain la république ailée
Vient de mon chêne occuper les rameaux;
Elle vient y tenir ses états-généraux.
L'aigle présidait l'assemblée.
Moi, qui connais un peu la langue des oiseaux,
Je veux leur emprunter mon sujet d'apologue:
Entre eux et moi se lie un dialogue,
Et j'entame ainsi le propos.
— Oiseau de Jupiter, dis-je à l'aigle intrépide,
Que j'aime à te suivre des yeux,
Lorsque, dans ton essor rapide,
Tu parcours les sphères des cieux!
Pour le regard perçant, la force, le courage,
Que sont auprès de toi tous ces oiseaux divers?
Aussi te rendent-ils hommage
En tappelant le roi des airs.
Favori de Junon, j'admire ton plumage.
Tu n'as point d'égal en beauté;
Mais on t'accuse, et c'est dommage,
D'avoir un grain de vanité.
Qu'entends-je? c'est la voix céleste
Du rossignol mélodieux;
En charmant notre oreille, il se cache à nos yeux:
Voilà bien le talent modeste.
Je serais injuste envers toi,
Douce et sensible tourterelle,
Si je ne vantais pas ta candeur et ta foi:
Du plus parfait amour n'es-tu pas le modèle? —
C'est ainsi qu'aux oiseaux je parlais tour-à-tour;
Mais je demeurais bouche close
Sur le milan, sur le vautour,
Et l'on en devine la cause.
J'allais enfin quitter ce bocage attrayant;
Tout-à-coup devant moi s'abat une Corneille,
Qui, prenant la parole avec un ton bruyant,
Fait retentir ces mots à mon oreille:
— Tu cajoles si bien les hôtes de ces bois;
Sur la Corneille, ami, n'aurais-tu rien à dire?
— Non, madame. — Pourquoi? — Je blâme la satire.
— Je t' entends.... A défaut de voix,
J'ai d'autres qualités qui valent mieux peut-être.
— Serait-il vrai? — Mais.... je le crois.
— En ce cas, fais-les-moi connaître.
— Apprends que nous vivons un siècle, et par-delà,
Ce qui n'arrive guère aux gens de ton espèce.
— Le beau mérite que voilà,
S'il n'est accompagné d'une haute sagesse!
— N'entends-tu pas dire sans cesse:
»La Corneille a prédit cela.«
Donc la Corneille est prophétesse.
— Oui, de malheur. — J'ajoute encor
Que la Corneille a du courage.
Livre-t-on des combats, vers les champs du carnage
Nos épais bataillons dirigent leur essor.
Pour fonder notre gloire en faut-il davantage? —
Je l'arrête à ces derniers mots.
Se comparer à des héros,
C'était le comble de l'outrage.
— O noire fille d'Atropos!
Cesse, lui répliquai-je, un indigne propos.
Toi, courageuse! ô ciel!... Si tu suis les batailles,
On sait, hélas! à quel dessein:
Tu ne vis que de morts; les jours de funérailles
Sont pour toi des jours de festin.
Mais je n'ose achever. —Ose, me répond-elle;
Beaucoup d'éclat surtout: c'est m'obliger. — En quoi?
— Je veux faire du bruit pour me rendre immortelle.
Peins-moi donc, s'il te platt, comme un objet d'effroi,
Traite-moi de Harpye, appelle-moi Mégère;
Enfin dis blanc ou noir; il ne m'importe guère,
Pourvu que dans le monde on s'occupe de moi.
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