Livre VI.
Prologue en Forme d'Épitre
A M. le chevalier D***, ancien magistrat, commissaire royal,
etc.,
sur les agréments de sa maison de campagne.
Ce n'est point à l'homme d'état
Que ma muse trop faible ose offrir son hommage.
Je l'offre au philosophe, au sage
Qui vit absent des cours, sans faste, sans éclat;
Qui, possesseur d'un fertile domaine,
Vient y passer son printemps, son été,
Et, de quelques amis seulement visité,
Mêle à l'urbanité romaine
Cet atticisme si vanté
Parmi les beaux esprits d'Athène.
C'est là qu'heureux témoin de tes délassements,
J'ai joui, cher D***, du plaisir de t'entendre.
Aux mensonges d'Ésope, à ses jeux innocents,
Je t'ai vu quelquefois descendre.
Tu dois m'en croire, un souvenir si tendre
Ne sera point effacé par le temps.
Eh! comment, honoré de l'estime du maître,
Pourrais-je jamais oublier
Ses doctes entretiens, son accueil familier,
Et tous les agréments de sa maison champêtre?
O sites enchanteurs! ô magiques tableaux!
Que n'ai-je l'art de vous décrire!
Mais où trouver d'assez brillants pinceaux,
Lorsqu'à chaque objet qui m'attire,
Je me sens attiré par mille objets nouveaux?
Quel riche tapis de verdure
Ici se déroule à mes yeux!
Là dans toute sa pompe éclate la nature.
Quel superbe rideau, quelle immense ceinture
Forment de leurs bras vigoureux
Ces chênes, dont la voûte offre d'épais ombrages,
Et qui, vainqueurs des vents et des orages,
Balancent dans les airs leurs fronts majestueux!
Plus loin si je plonge ma vue,
Comment de l'horizon embrasser l'étendue?
Salut, délicieux coteaux;
Salut, vallons riants, où la Marne en silence
Epand son urne, et porte l'abondance
Aux fleurs, aux fruits, aux arbrisseaux!
Mais quel est, cher D***, cet endroit solitaire
Où vient de m'apparaître une nymphe légère?
— C'est, dis-tu, notre parc; la nymphe que tu vois
Est une jeune hamadryade
Qui, dans l'épaisseur de ce bois,
Nous invite à la promenade.
— Marchons; guide mes pas à travers ces sentiers.
Que vois-je?. . . un obélisque! . . .Ah! de nos preux
guerriers
Je voudrais y graver les glorieux faits d'armes;
Mais faut-il que tant de lauriers
Soient arrosés de tant de larmes!
Pour exprimer du moins le plus cher des souhaits,
Gravons-y ces mots: A la Paix.
Qu'aperçois-je plus loin? c'est une humble cabane.
Son mur, pétri d'argile, est lié d'ais vieillis.
Ne vois-je pas errer, sous cet antique plane,
L'ombre de Philémon et celle de Baucis?
J'entre. O surprise! une molle ottomane
M'invite aux douceurs du repos;
Le lambris est orné de gracieux tableaux
Et du Corrège et de l'Albane.
Là, toujours bon ami, poëte sans rivaux,
Comme au jour de sa mort, mais non dans la poussière,
Repose La Fontaine à côté de Molière.
— Fort bien! dis-je, aimable D***:
Je ne sais quoi me manque où n'est pas La Fontaine.
Au choix de ces auteurs, on devine sans peine
Et ta raison sévère et ton goût éclairé.
Ne vois-je pas encor Fénélon et Montagne?
— Oui; nous y reviendrons. Fixe tes yeux ailleurs;
Ami de la nature, observe la campagne
A travers ces vitraux de diverses couleurs.
Il est midi: vois-tu quelle scène changeante?
Ici la lumière est naissante;
Là jamais le soleil ne fut si radieux;
Plus loin il jette à peine une lueur mourante;
Et là, dans un nuage, il s'éclipse à nos yeux.
A toi le but moral. — Il s'offre de lui-même:
Des quatre âges de l'homme ô trop fidèle emblème!
Il naît, brille un moment, décline, et disparaît.
— Oui, du destin tel est l'arrêt.
L'heure fuit; jouissons: c'est le conseil d'Horace.
— Oh! combien il me plaît cet amant des neuf sœurs,
Qui, plein d'enjouement et de grace,
Nous conduit au tombeau par un chemin de fleurs!
Mais quel est ce cyprès, dont l'ombre tutélaire
Nous cache un monument pieux?...
Lisons: Au souvenir du plus vertueux père.
Hé quoi! des pleurs s'échappent de tes yeux?...
Viens, remontons vers la colline.
Apprends-moi quelle est cette tour
Qui, de ton château si voisine,
Semble encor menacer les hameaux d'alentour.
Une moitié n'est plus, l'autre tombe en ruine.
Ah! j'en juge par ces créneaux,
Par le débris de ces murailles,
Ce lieu fut un théâtre où de vaillants Renauds
Soutinrent d'illustres batailles
Conte-moi leurs exploits; dis les noms des héros.
— Si j'en crois de vieilles chroniques,
Là commandaient jadis des maîtres despotiques,
Orgueilleux seigneurs suzerains.
Cette tour recelait leurs armes;
C'est de là que, ligués contre leurs souverains,
Ils portaient en tous lieux le trouble, les alarmes....
— N'achève pas: j'ai toujours détesté
Ces sujets déloyaux dont parle trop l'histoire,
Fléaux des rois, du peuple, et de l'humanité.
Périsse à jamais leur mémoire!
Retirons-nous... mon cœur se sent trop agité.
Quai-je entendu?... ta meute aboie;
Voici ta basse-cour: la ferme n'est pas loin;
Allons la visiter; je veux être témoin
De la gaieté qui s'y déploie.
— Tu peux la reconnaître à ce modeste enclos.
— Ah! je sais mieux la reconnaître
A ces soins empressés, à ces naïfs propos
Qu'inspire aux bonnes gens l'approche d'un bon maître.
Que j'aime à voir, paissant sur l'émail de ce pré,
Ces troupeaux si nombreux, ces vaches si fécondes!
Leur lait et leur toison valent mieux à mon gré
Que tous les trésors des deux mondes.
Voilà le vrai bonheur; jouis-en, cher D***.
Retournons maintenant...— Où? — Vers l'orangerie:
Je veux y respirer le doux parfum des fleurs,
Entretenir ma rêverie
Au pied de ces saules pleureurs.
Qui ne s'attendrirait à leur muet langage?
A voir si mollement s'incliner leur feuillage
Jusques à ces humbles roseaux,
Ils semblent se mirer dans le cristal des eaux
Où se réfléchit leur image.
— Viens, dis-tu; de ce tertre on les voit encor mieux.
Allons nous asseoir à l'ombrage
De ce bosquet mystérieux.
Pour y lire des vers l'endroit est favorable.
Moi seul, et les oiseaux, voilà tes auditeurs.
Prends donc un siège, et conte-moi la fable
Dont la chasse d'hier t'a fourni les actenrs.
— Volontiers; mais il faut la décrire aux leeteurs.
Ecoute mon récit, je le crois véritable.
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