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Livre III.
 

Livre II.
 
Les Abeilles et le Bourdon
Le Singe et son Maître
La Tortue et le Lièvre
Le Bouvreuil, le Moineau et l'Alouette
Le vieux Renard
Le Melon et le Jardinier
Le Chat et la Souris blanche
Médor et Raton
Le Juif et le Chrétien
Les Colombes et le Milan
Le Rossignol et l'Alouette
La Corneille et la Linotte
La Maison, la Chaumière et le Château
L'Épagneul et le jeune Chat
L'Ane et les Oies
Les deux Enfants et le Rosier
La Vache et la Chèvre
L'Homme et sa Chaussure
Le Rouge-Gorge et le Moineau franc
La Cigogne, la Grue et le Canard
 

Fable I.
Les Abeilles et le Bourdon

Les plus doux souvenirs de mes plus jeunes ans
Me rappellent mon goût pour la simple nature;
Le vol d'un papillon, le seul aspect des champs,
Plongeaient alors mon cœur dans une ivresse pure.
L'an, tout comme à présent, avait ses jours mauvais,
J'étais heureux, pourtant; j'étais jeune! et j'avais,
Pour lutter avec moi contre le sort contraire,
Un véritable ami, j'avais alors un frère!...
Je me laisse entraîner bien loin de mon sujet,
Essuyons quelques pleurs et venons à mon fait.

Par un beau jour de mai, j'admirais les merveilles
Qu'offre à l'observateur une ruche d'abeilles.
L'air était pur; sortie à l'aube du matin,
Chaque mouche au logis rapportait son butin.
Soudain, j'ouïs des cris de fureur et d'alarmes;
C'était un bruit, formé de mille bruits confus,
Des clameurs de vainqueurs et des cris de vaincus.
Un silence effrayant succède au bruit des armes.
De la ruche bientôt je vois jeter dehors
Des débris mutilés de mourants et de morts;
J'approche et reconnais les époux de ces dames.
J'avais bien lu jadis, dans quelque vieil auteur,
Que ces bourdons étaient massacrés par leurs femmes,
Mais je l'avais traité de calomniateur.
Plus de doute à présent, et de ces Danaides
Je voyais de mes yeux les exploits homicides.
Il est donc vrai, grands Dieux! il entre tant de fiel
Dans l'âme de la mouche à qui l'on doit le miel!
A ces mots, je m'éloigne et regagne mon gite,
Tout en réfléchissant sur le rare mérite
Que ce peuple sait joindre à tant de cruauté!

Au bout de quelques mois, le soir d'un jour d'été,
J'étais près de la ruche assis, lorsqu'il me semble
Entendre discuter des abeilles ensemble.
Plus attentif alors, j'écoute et, cette fois,
Je distingue une seule et suppliante voix,
Celle, hélas I d'un bourdon, leur époux et leur père.
Sans doute, à quelque ruse il devait son salut;
Ou bien, peut-être aussi qu'à l'amour il le dut,
Et je croirais assez qu'à son destin contraire
Une autre Hyperménestre avait su le soustraire.
»Est-ce à vous,« disait-il, »d'ordonner mon trépas!
Pouvez-vous oublier, hélas!
De si tendres amours! de si vives caresses!
Et mes serments, et vos promesses,
Et le jour et la nuit tant de soins attachants,
De douceur et de complaisance!
Ma mort en sera donc le prix!!« Ces mots touchants
S'adressaient aux mères, je pense.
Et vous, y ajoutait-il,« j'ai guidé votre enfance,
Éclairé vos esprits, j'ai cru former vos coeurs!
Ne pouvez-vous, en récompense,
Vous efforcer du moins de calmer ces fureurs:
Chacun de vous, plus qu'il ne pense,
Est redevable à mes soins bienfaisants.«
Sans doute que ceci s'adressait aux enfants.
Je me sentis ému de la triste éloquence
Et du cruel destin de ce pauvre animal.
Les enfants, cependant, dirent qu'il parlait mal
Et qu'il eût mieux fait de se taire.
Puis, sur le sort de l'époux et du père
Ils délibérèrent entr'eux.
Cela fut bientôt fait; je les entendais dire:
»Il faut tuer ce paresseux,
Qui consomme sans rien produire;
Il mangerait notre miel, notre cire.«
Les mères, d'une voix, proclamèrent sa mort,
Et les enfants encor plus fort!

Dans ce siècle de fer, où l'on ne considère
Ni le mérite, ni le rang,
Le cri de l'intérêt fait taire
Jusqu'à la voix de l'hymen et du sang.

Fable II.
Le Singe et son Maître

»Avec cet élégant chapeau,
Avec cet habit et ce linge,
Mon ami Jocko, mon bon singe,
Que chacun va te trouver beau!
Prépare-toi, c'est demain fête,
Demain tout Paris te verra;
Tu vas faire mainte conquête,
Dont ton maître profitera,
Et ma bourse s'arrondira.
Tiens, marche de cette manière;
Fais tout ce que tu me vois faire:
Bien contrefaire l'homme est le point capital,
Pour enchanter la multitude.
Ainsi donc, mon pauvre animal,
Ce doit être là ton étude.«
» — Mais, mon cher maître, dans ce cas,
Pourquoi ce que je fais ne le faites-vous pas?
Alors vous n'auriez pour leur plaire
Nul besoin de vous contrefaire;
Vous agiriez tout naturellement,
Puisque vous êtes homme.« — »Et c'est pourquoi, vraiment,
Moi, pour les enchanter, c'est le singe, au contraire,
Mon ami, qu'il me faudrait faire.
Ne sais-tu pas que Mazurier*,
Dont tout Paris fut idolâtre,
Gagna jadis, sur un théâtre,
Cent mille francs, à ce métier?
Cela peut te paraître drôle:
Pour réussir, chacun doit, ici-bas,
Se déguiser, jouer un rôle,
Et paraître ce qu'il n'est pas.«

*
Célèbre acteur du théâtre de la porte Saint-Martin, qui jouait,
avec un succès prodigieux, le rôle de Jocko, dans le mélodrame
de ce nom
.

Fable III.
La Tortue et le Lièvre

Le lièvre et la tortue en un champ devisaient,
Par un beau jour; tous deux causaient, jasaient;
C'étaient, on s'en souvient, de vieilles connaissances.
» — Que vous êtes heureux! et quelles jouissances,«
Dit celle-ci, »j'éprouverais
Si par monts et par vaux, comme vous, je courais!«
» — Ma force est,« dit le lièvre, »aussi digne d'envie.«
La commère poursuit: »Mon cher, en vérité,
Pour avoir votre agilité,
Je donnerais la moitié de ma vie.
Malgré certain pari, je ne m'abuse point,
Et les Dieux m'ont traitée assez mal en ce point.«
» — Vous voudriez,« reprit l'autre, »j'espère,
Avoir, surtout, mou heureux caractère.
Et ma valeur, dont vous ne parlez pas,
Mérite bien aussi qu'un peu l'on s'en étonne.
Tudieu! je ne connais personne
Qui m'égale dans les combats!
Vous n'imaginez pas des prouesses pareilles:
Bien mieux qu'Achille je me bats;
L'ennemi meurt d'effroi, rien qu'à voir mes oreilles,
Et César... Biais d'un chien j'entends, je crois, la voix,
Pardon.« Et le héros, détalant au plus vite,
Cherche un refuge dans le bois,
Abandonnant la tortue et son gîte.
Heureusement, ce n'était pas un chien,
C'était le vent, ce n'était rien.
Tandis qu'à fuir il s'évertue,
» — Vraiment,« dit en riant notre bonne tortue,
»Plus ou moins, nous sommes tous fous.
Si le Ciel de ses dons fut prodigue envers nous,
Nous dédaignons maint réel avantage
Dont il a fait notre partage;
Mais, par cent propos superflus,
Nous cherchons à faire étalage
Des qualités qui nous manquent le plus.«

Fable IV.
Le Bouvreuil, le Moineau et l'Alouette

Une alouette, jeune et belle,
D'un moineau, vieux, maussade et laid,
S'amouracha; preuve nouvelle
Que l'amour est aveugle et ne sait ce qu'il fait.
Notre amant suranné, devenu fat risible,
Quoique tout pelé, tout plumé,
Se rengorgeait; et, se sachant aimé,
Se croyait tout de bon charmant, irrésistible.
Son rival malheureux, jeune et joli bouvreuil,
Lui dit: »Un tel succès t'inspire trop d'orgueil;
De ta beauté, dis-tu, c'est la preuve complète;
Mais pas du tout:
C'est la preuve que l'alouette
A mauvais goût.«

Fable V.
Le vieux Renard

Un vieux renard eut l'audace, en plein jour,
De pénétrer dans une basse-cour.
C'était sur le midi, les gens étaient à table,
Et les chiens auprès d'eux. Une peur effroyable
Saisit, à son aspect, poules, coqs et dindons;
Chacun fuit sur le toit, la porte ou la fenêtre:
»Cet inconnu, que dans nos environs
Jamais, avant ce jour, nous n'avons vu paraître,
D'où vient-il? et qui peut-il être?«
Dit le peuple gloussant, d'abord épouvanté.
Notre matois prit un air affecté
De douceur et de modestie,
Et de la sorte, à peu près, s'exprima:
»Voué, dès ma jeunesse, à la philosophie,
Je suis un étranger, disciple de Brama.
Vous connaissez les Bramines, je pense?
Je vous rappellerai seulement, en deux mots,
Que de manger les animaux
Notre loi nous fait la défense.
La science de vos dindons,
La sagesse de vos chapons
Jusqu'en Orient est connue;
Leur réputation dans l'Inde est. parvenue,
Et j'ai voulu par moi-même en juger;
C'est le motif de ma venue.«
Les paroles de l'étranger
Font sur son auditoire un effet favorable:
»Pourquoi nous effrayer?« disent-ils; »quel danger
Peut nous faire courir un sage vénérable,
Un philosophe véritable?«
Et, rassurés d'ailleurs par sa religion,
De l'accueillir on prend la résolution,
Qu'à l'instant même on exécute.
Il en étrangla dix, en moins d'une minute;
Et le reste, à grand'peine, en lieu sûr parvenu,
Disait: »De ce malheur notre imprudence est cause;
A tous les périls on s'expose,
En se liant trop vite avec un inconnu.«

Fable VI.
Le Melon et le Jardinier

Un beau melon, charnu, rebondi, délicat,
Vrai cantaloup, flattait la vue et l'odorat;
Rien qu'en le regardant, l'eau venait à la bouche.
Aussi, trop fier de cet éclat:
» — Dois-je éternellement rester sur cette couche?«
»Et sur la paille, où je suis né,
Suis-je donc,« disait-il, »à mourir condamné?
Cet ignoble fumier, qui sans cesse me touche,
Et lequel, j'en rougis, se dit mon protecteur,
Étouffe mon parfum sous sa mauvaise odeur.
»Pourtant, par ma beauté, j'étais digne, je pense,
D'une plus brillante existence,
Et pourrais figurer, soit dit sans vanité,
En meilleure société.«

Travaillant près de là, selon son habitude,
Le jardinier ouït ces mots:
» — Peux-tu bien,« lui dit-il, »tenir de tels propos?
Le Ciel te punira de ton ingratitude.
Cette famille des melons
Est véritablement une mauvaise souche,
Comme dit le proverbe: il en est peu de bons.
Tu ne peux oublier pourtant que cette couche,
Qui te nourrit encore tous les jours,
Te reçut dans son sein, réchauffa ton enfance,
Et que de ta frêle existence
Seule elle a prolongé le cours.
Ainsi donc, dans ton injustice,
Tu méprises, ingrat, ta mère et ta nourrice.
Tu veux t'en séparer? Oui, tu la quitteras,
Dès ce jour, et bientôt tu t'en repentiras.«
Il disait vrai; cette journée
De notre ambitieux changea la destinée,
Et, de la couche enlevé doucement,
D'un souper, le soir même, il faisait l'ornement,
Parmi les fruits, les fleurs, les cristaux et les belles.
Quelles sensations nouvelles!
Quel doux transport et quel enivrement
Il éprouvait en ce moment!

» — Enfin,« se disait-il, »je suis donc à ma place,
Je jouis, grâce aux Dieux, d'un sort digne de moi,
Et de ce rustre la menace
A tort m'a causé quelqu'effroi.
Ce noble orgueil qui m'anime et m'embrase,
Le Ciel même a pris soin de le justifier... «
Il ne put achever sa phrase.
Un convive le prend, et, de son prisonnier
Exaltant la beauté, le caresse, le flaire,
Puis, usant tout à coup d'un traitement contraire,
Lui plonge dans le sein un homicide acier.

Enfants ingrats, des Dieux redoutez la colère;
On doit s'attendre aux malheurs les plus grands
Quand on méprise ses parents
Et qu'on abandonne sa mère.

Fable VII.
Le Chat et la Souris blanche

Il ne faut à trop rude épreuve
Mettre les gens; Raton en est la preuve.
C'était un chat savant, rempli d'instruction,
Miaulant avec art, sautant avec adresse;
Joignant à l'éducation
Douceur, propreté, politesse,
Honnêteté, délicatesse;
Enfin, une perfection.
Pourquoi, grands Dieux! faut-il que je le dise!
Longtemps par le devoir l'instinct fut combattu,
Mais un moment de gourmandise
Démentit six ans de vertu.
Notre chat donc était et l'orgueil et la joie
D'un pauvre enfant de la Savoie,
Lequel habitait dans Paris,
Sous les combles, une chambrette,
Sombre, étroite et froide retraite,
Qu'occupaient avec lui son chat et sa souris,
Une gentille souris blanche;
Tous deux du Savoyard étaient le gagne-pain:
Elle avait pour logis un coffre de sapin,
Assez mal couvert d'une planche.
Pour je ne sais quelle raison,
Il arriva que, dès la matinée,
Le maître s'absenta pour toute la journée,
Et le chat fut chargé de garder la maison:

»Mon cher Raton,« dit-il, »je confie à ta garde
Ce que j'ai de plus précieux.
Sois attentif, écoute bien, regarde;
Il faut sur ma souris surtout avoir les yeux.«
En achevant sa phrase, il quitte sa demeure,
Sans avoir dit un mot du déjeuner,
Dont pourtant avait sonné l'heure.
Raton en faction demeure,
Et tout va bien jusqu'au dîner:
Par mon maître oublié, faut-il donc que je meure
De besoin?« dit alors notre chat enfermé.
»Ma compagne pourtant est grasse et délicate:
Elle doit être exquise, et je suis affamé!
Tout ce logis est parfumé
D'une odeur de souris qui m'excite et me flatte:
Que je voudrais être enrhumé!
Mais je la sens, la vois, et je l'ai sous ma patte!«

Le diable à son malheur sans doute concourut.
Le couvercle tomba, notre souris courut,
Et Raton, à l'instant, la faisant prisonnière,
Sous sa griffe la tint, pendant une heure entière.
On le conçoit, son désir s'en accrut;
Bref, il devint si vif qu'à la fin il fallut
Que le chat en mourût d'envie,
Ou, sous sa dent, qu'elle perdît la vie.
Ce fut la souris qui mourut.
Le plus coupable, en cette circonstance,
N'est pas, à mon avis, l'auteur de l'attentat.
C'est plutôt le maître, je pense.
Il fallait, à la fin, que l'instinct l'emportât:
Laisser une-souris à la garde d'un chat
Me semble une extrême imprudence.

Fable VIII.
Médor et Raton

Sous même toit, Médor logeait avec Raton;
Tous deux se partageaient les faveurs de leur maître.
Médor, honnête chien, était fidèle et bon,
Et Raton, digne chat, était jaloux et traître.
Ce dernier, ne cherchant qu'à perdre son rival,
Voulut, sans s'exposer lui-même au moindre mal,
D'une bonne noirceur le rendre la victime,
Et résolut l'envoi d'une lettre anonyme.
Pour cela, d'une plume il ne fit point l'achat,
Sa patte lui suffit; les chats savent écrire
(Vous savez le proverbe: écrire comme un chat),
Et, quoique griffonnant, on parvient à les lire.
Son billet portait donc: »Vous êtes prévenu
Par quelqu'un, qui de vous veut rester inconnu,
Qu'un caniche enragé, ce matin, de bonne heure,
Pénétrant en votre demeure,
Vint attaquer Médor; Médor s'est défendu.
On ne peut affirmer qu'il ait été mordu;
Mais, dans votre intérêt, on pense
Devoir vous informer de cette circonstance.
Soyez prudent, vous ferez bien,
Et pendant quelque temps surveillez votre chien.«
Le perfide billet parvient à son adresse
Au moment que Médor, quêtant une caresse,
S'approchait de son maître; il en est repoussé.
Il veut lécher sa main; avec effroi chassé,
On l'enchaîne aussitôt: Médor, dans l'esclavage,
S'attriste; la tristesse est un fâcheux présage;
Il en perd l'appétit, grave indice du mal;
Enfin, notre pauvre animal,
Bien convaincu d'être atteint de la rage,
Du maître qu'il chérit reçoit le coup fatal.
Sire chat triomphait; courte fut sa victoire:
»Raton n'aurait-il pas lui-même été touché
Par Médor, houspillé, léché?«
Dit le maître, »aujourd'hui je ne l'ai pas vu boire.
Ne pas être prudent, ce serait un grand tort,
Dans une telle circonstance.«
Ce doute, en peu de temps, prit de la consistance;
Deux jours après, au sombre bord
Raton avait rejoint Médor.

On se blesse souvent avec ses propres armes;
La victoire au vainqueur coûte parfois des larmes,
Et l'on se perd soi-même, en perdant son prochain.
Quoi qu'il en soit, l'auteur d'une lettre anonyme
Devrait être l'objet d'un mépris unanime.
Nos bons aïeux disaient: C'est un fait de vilain
Que de jeter la pierre et de cacher la main.

Fable IX.
Le Juif et le Chrétien

Ce que je te propose, ami, tu peux m'en croire,
Est dans ton intérêt je n'obtiens qu'un refus;
Demain tu le voudras, je ne le voudrai plus.
Il faut qu'à ce sujet je te conte une histoire:

Non loin de Bassora, si j'ai bonne mémoire,
Un soir, deux commerçants, l'un juif, l'autre chrétien,
Au bord d'un puits, avaient un entretien.
Le juif s'y laissa choir, et, dans cette aventure,
Quoique le puits fût étroit et profond,
Sans se faire aucune blessure,
Sur ses deux pieds, notre homme arrive au fond.
Pour le tirer de là, le chrétien, dans son zèle,
Veut, d'un arbre voisin coupant quelques rameaux,
En faire une sorte d'échelle.
L'israélite le rappelle:
»Ne sais-tu pas, dit-il, que des moindres travaux
Le Seigneur aujourd'hui s'offense?
C'est samedi, jour du sabbat.
Je veux, m'armant de patience,
Jusqu'à demain matin rester dans cet état;
Je te demanderai pour lors ton assistance,
Dont je ne veux pas aujourd'hui.«
Le lendemain, dès que le jour a lui:
»Maintenant, lui dit-il, coupe une forte branche,
Et tu me la tendras, pour me tirer d'ici.«
» — Me préserve le Ciel de travailler ainsi,
Lui répond le chrétien, c'est aujourd'hui dimanche.«

Fable X.
Les Colombes et le Milan

S'allier aux méchants, c'est assurer sa perte.

Les colombes et le milan
Vivaient, depuis longtemps, dans une guerre ouverte;
Mais l'oiseau de Vénus, par son rapide élan,
Les détours de son vol, la force de ses ailes,
Échappait aux serres cruelles.
Voyant bien qu'autrement il ne peut réussir,
Le ravisseur a recours à l'adresse.
Au peuple roucoulant, en ces mots, il s'adresse:
»Faut-il donc toujours nous haïr?
Rester jour et nuit sous les armes
Et vivre ainsi dans les alarmes?
Un intérêt commun devrait nous réunir.
Choisissez-moi pour roi; ma force, ma puissance,
Vous défendront de toute offense;
Vous pourrez en repos boire, manger, dormir.«

La colombe est simple et crédule:
Chacune accepte avec empressement.
Le tyran, les tenant enfin sous sa férule,
En croque une premièrement,
Pour célébrer le jour de son avènement;
Le lendemain une autre; ainsi de son empire
Chaque jour est marqué par quelque cruauté,
Et d'un meurtre nouveau son bec ensanglanté.
Ses sujets gémissants étaient forcés de dire:
»Le Ciel, hélas! dans sa rigueur,
Nous punit justement de notre imprévoyance
Et d'une coupable alliance;
Nous méritons notre malheur.«

Fable XI.
Le Rossignol et l'Alouette

»Chantez, ma chère, un peu plus près du sol,«
A l'alouette un jour disait le rossignol,
»Et de vos doux concerts égayez nos bocages.
Quand vous vous élevez jusque dans les nuages,
Personne ici ne vous entend.«

De l'Hélicon aussi daignez quitter les cimes,
Abaissez votre vol, poètes trop sublimes;
Personne ici ne vous comprend.

Fable XII.
La Corneille et la Linotte

Nous savons tous que les corneilles
Des bêtes vivent les plus vieilles,
Et qu'elles font profession
De dire la bonne aventure.
Leur art n'est pas une imposture,
Et les Romains croyaient à leur prévision;
J'y crois aussi, pourquoi voudrais-je m'en défendre?
Imiter les Romains n'est pas un déshonneur.

Une linotte jeune et tendre,
N'osant interroger son coeur,
Vint consulter l'une de ces sibylles,
Des plus vieilles, des plus habiles.
Dans les ruines d'une tour
Elle avait fixé son séjour.
Ayant de l'innocente examiné la patte
Et de sa naissance la date,
La vieille lui parle en ces mots:

»Ma chère enfant, le plus beau des linots
Avec ardeur en ce moment vous aime.
Mon art me dit que vous l'aimez de même,
Et que bientôt le lien le plus doux
De cet heureux amant doit faire votre époux.
Pourquoi faut-il, hélas! qu'aussi je vous révèle
Qu'il doit plus tard devenir infidèle!
Vos chers enfants, de votre affliction
Seront la consolation:
Longtemps autour de vous je vois leur troupe ailée,
Mais enfin un beau jour, ou plutôt jour de deuil!
Du logis maternel ils franchissent le seuil
Et pour toujours ils prennent leur volée.
Et, vieille alors, sans enfants, sans secours,
Dans l'abandon vous finirez vos jours.«
La linotte, à ces mots, laisse couler ses larmes;
Puis, bientôt essuyant ses yeux,
Lui dit: »Serait-il vrai! par quel art, par quels charmes
Pénétrez-vous dans les secrets des Dieux?
Gomment dans l'avenir ainsi pouvez-vous lire?«
» — Mon secret, je vais vous le dire,«
Reprit la Pythonisse, »et d'abord, j'ai cent ans.
D'un oeil observateur Jupiter m'a pourvue.
Quand, successivement, s'offrirent à ma vue
Dix générations d'oiseaux de tous les rangs,
Dans ces diverses existences,
En somme, j'ai trouvé de faibles différences.
Dans ces dix générations,
Ce sont toujours les mêmes passions;
Selon l'âge et l'espèce, à peu près mêmes choses;
Mêmes effets, produits par mêmes causes.
Aussi, dans mes prévisions,
Par l'expérience servie,
Ce que je vous prédis n'est que le sort commun;
Et ce que vous croyez l'histoire de chacun,
N'est que l'histoire de la vie.«

Fable XIII.
La Maison, la Chaumière et le Château

Fière d'avoir plus d'un étage,
Certaine maison de village
Insultait ainsi tous les jours
Les chaumières des alentours:
Vraiment vous ne pouvez, dans le siècle où nous sommes,
Que servir de retraite à quelques animaux;
Ou, si vous abritez des hommes,
Ce sont donc des Lapons, ou bien des Esquimaux.«
Lecteurs, je vous entends m'arrêter à ces mots:
»Peste! votre maison sait la géographie!«
Me direz-vous. — Oui, le fait est certain,
N'en soyez pas surpris; pour peu qu'on l'en défie,
Cette maison vous parlera latin:
C'est celle du maître d'école.
Mais, puisqu'on m'interrompt par un propos frivole,
De mon récit j'abrégerai le cours.
Donc, avec la chaumière insolente, orgueilleuse,
Notre maison devient modeste, obséquieuse,
Du moment qu'au château s'adressent ses discours.

Chacun en fait autant, c'est comme à la grand'messe,
Où chacun, tour à tour, se redresse ou se baisse.
Le vicaire d'abord encense le curé;
Puis, remplissant le même ministère,
Un sous-diacre, ou bien un simple tonsuré,
Vient à son tour encenser le vicaire;
Puis à l'autre; il n'est pas jusqu'à l'enfant de chœur
Qui, du bedeau, je crois, n'obtienne cet honneur;
Les rôles changent à la ronde.
Concluons-en que, dans ce monde,
Curé, bedeau, vicaire, et chaumière, et maison,
Rien n'est grand, ou petit, que par comparaison.

Fable XIV.
L'Épagneul et le jeune Chat

A Minet, gai matou, qui jouait et sautait,
Comme un jeune chat qu'il était,
Un épagneul, jadis rempli de gentillesse,
Mais, à présent, touchant à la vieillesse,
Un jour en ces termes parlait:
»Notre jeune et belle maîtresse
Autrefois de moi raffolait,
Et des marques de sa tendresse
A chaque moment m'accablait.
Alors, à la fleur de mon âge,
Joueur, insoucieux, volage,
Souvent, à sa vive amitié
Je ne répondais qu'à moitié.
Aujourd'hui, que je l'apprécie
Et que l'âge et le jugement
Ont doublé mon attachement;
Que je l'aime plus que ma vie!
J'en obtiens à peine un regard.
Quel changement, à mon égard,
Chaque jour je remarque en elle!
Hier, comme elle fut cruelle!
Quand je voulus lécher sa main,
Elle la retira soudain;
J'en ressentis une douleur mortelle.
Dès qu'elle repose, sans bruit,
En dehors, je fais sentinelle;
Hélas! aux pieds de l'infidèle
Autrefois je passais la nuit!
En vain je redouble de zèle,
Mes soins n'obtiennent aucun prix.
De vous seul son coeur est épris;
Sa main vous caresse à toute heure,
Et pourtant dans cette demeure
Vous êtes un nouveau venu.
Par quel secret, quel artifice,
A plaire êtes-vous parvenu?
D'où vient une telle injustice?«

» — Je suis jeune,« reprit Minet,
Pour plaire c'est tout mon secret.
Avec les qualités de l'esprit et de l'âme,
A captiver un coeur il vous faut renoncer;
La jeunesse! voilà ce qui séduit, enflamme,
Et que rien ne peut remplacer!
De vaincre votre amour il faut vous efforcer;
Il faut du moins le cacher et le taire.
Ridicule aux yeux de chacun,
Un amant suranné ne peut qu'être importun;
Il n'est permis d'aimer qu'à l'âge où l'on peut plaire.«

»Ah! si mon coeur pouvait encor se renflammer,«
A dit mon maître en l'art des fables*!
Loin de former des voeux semblables,
J'en fais, moi, pour ne plus aimer;
Pour voir, sans être ému, tant d'objets adorables!
Il n'est pas de plus grand malheur
Que d'être, en vieillissant, jeune encor par le cœur.
La grâce, la beauté, sont, hélas! peu durables
Et se hâtent de nous quitter;
L'âme ne vieillit point; il faut lutter, combattre,
A son penchant sans cesse résister;
Dompter ce cœur, qui ne cesse de battre
Que quand on cesse d'exister!

*
La Fontaine: fable des Deux Pigeons.

Fable XV.
L'Ane et les Oies

Ma mère l'oie avait l'ambition
D'élever comme il faut son garçon et sa fille:
»A l'esprit naturel qui dans mes enfants brille
Je veux,« dit-elle un jour, »joindre l'instruction.
Mon voisin le baudet a de l'intelligence,
De l'esprit, de la gravité,
Une certaine dignité,
Pour précepteur il convient fort, je pense.«
L'âne accepta ce titre et, d'un air d'importance,
Il promit de faire, dans peu,
De l'oison un puits de science
Et de la jeune oie un bas-bleu.

Mon cher lecteur, l'histoire est véritable.
— Mon cher auteur, moi je t'arrête là,
Je ne puis te passer cela,
La chose est trop invraisemblable;
De pareils écoliers! de tels instituteurs!...
— Je veux demain, lecteur, afin que tu me croies,
Te montrer dans Paris vingt ânes précepteurs,
Enseignant gravement des oies.

Fable XVI.
Les deux Enfants et le Rosier

Pour nos petits jardins, mon père, à ma demande,
Nous a donné les fleurs de cette plate-bande,
Qu'il ajoute à son potager;
Entre nous deux, ma soeur, il faut les partager.
Voici deux pieds d'oeillets; bon, c'est chacun le nôtre.
Tiens, prends cette anémone et moi je prendrai l'autre.
Mais, au milieu, cet unique rosier,
Je puis bien le garder, moi qui fis la demande?«
» — Non, Paul, je suis l'aînée et je suis la plus grande,
Ce sont des droits que tu ne peux nier.«
» — Des droits! allons, vous êtes folle;
Je ne veux pas vous le céder.«
Le rosier, prenant la parole:
»Paul,« dit-il au garçon, »tout se peut accorder
Plus aisément que tu ne l'imagines.
Prends-moi ta bêche et, d'un coup vigoureux,
Sépare-moi; fort bien, les deux parts ont racines,
D'un pied tu viens d'en faire deux.
Maintenant, mes enfants, sans dispute et sans trouble,
Satisfaites votre désir.
Je suis l'emblème du plaisir:
En se partageant il se double.«

Fable XVII.
La Vache et la Chèvre

Une vache, une chèvre et trois jeunes enfants
Sous un rustique toit vivaient en même temps.
Biquette, jeune encor, dans ces lieux misérables
Avait reçu le jour, hélas! pour son malheur,
Et des enfants impitoyables
Elle était le souffre-douleur.
Tantôt, de linge enveloppée,
La fille en faisait sa poupée,
Et, tantôt, le pauvre animal
Aux garçons servait de cheval.
On lui tirait l'oreille, on lui pinçait la queue,
Et sa chair était toute bleue
Des coups dont nos morveux, très-libéralement,
L'accablaient à chaque moment.
Près de la vache, dans l'étable,
Biquette couchait chaque soir.
Or, une nuit qu'au désespoir,
Elle accusait les dieux de son sort déplorable:

»Osez-vous, près de moi, parler de vos douleurs,«
Dit, en l'interrompant, sa compagne indignée;
»Que sont vos maux chétifs auprès de mes malheurs!
J'ai vu périr la plus belle lignée;
Trois fois notre maître inhumain
A massacré mes fils, arrachés de mon sein.
Jupiter a marqué ma triste destinée
Du sceau de la fatalité,
Et, de l'homme éprouvant aussi la cruauté,
Au boucher je suis destinée.
Voilà de vrais malheurs, les vôtres ne sont rien.«
» — Sans vouloir comparer votre sort et le mien,«
Reprit la chèvre, »il faut plaindre aussi mes misères;
Il n'est point, croyez-moi, de souffrances légères,
Quand elles renaissent toujours.
Je compatis aux maux de votre vie,
Quelques affreux chagrins en ont marqué le cours;
De coups moins douloureux le sort m'a poursuivie,
Mais ma peine est de tous les jours.«

La chèvre avait raison sans doute;
Les grands malheurs, à tort, savent seuls nous toucher.
Souvent, sans les briser, le torrent dans sa route
Roule sur les cailloux; mais, tombant goutte à goutte,
L'eau perce à la fin le rocher.

Fable XVIII.
L'Homme et sa Chaussure

D'après ses goûts, chacun approuve ou blâme
Et nos penchants et nos affections;
Chacun prétend juger de nos sensations
Comme s'il lisait dans notre âme.

Plutarque conte qu'un Romain,
Qui cependant passait pour sage,
Après cinq ou six ans d'hymen,
Voulut rompre son mariage.
Tous ses amis l'en blâmaient hautement
Et lui disaient incessamment:
»Pourquoi répudier une épouse fidèle?
Vous la sacrifiez à vos voeux inconstants.
N'est-elle pas encore jeune et belle?
Enfin, n'avez-vous pas eu d'elle
Des enfants beaux et bien portants?«
Le Romain répondit en montrant sa chaussure:
»Elle est neuve,« dit-il, »bien faite, et, dans l'instant,
Vous en avez loué la forme et la couture;
Elle ne laisse pas de me blesser, pourtant.«

Fable XIX.
Le Rouge-Gorge et le Moineau franc

Un rouge-gorge, autrefois,
Avait eu, dans son enfance,
Une faible et douce voix,
Et chantait bien la romance.
Plus tard, la prétention
Lui survenant, avec l'âge,
L'oiseau, par ambition,
Changea d'airs et de langage.
Rien par lui ne fut trouvé
Pour sa voix trop difficile;
Rien n'était trop élevé,
Tant il se croyait habile!
Dieu sait comme il se tira
De ces grands airs d'opéra!
Il mettait, s'il faut le dire,
Toutes les fois qu'il chantait,
Son auditoire au martyre.
Plus d'un s'impatientait;
Le plus court était d'en rire.
Un moineau franc, bravement,
Osa parler franchement
Et lui tenir ce langage:
»Mon cher, tu le prends trop haut,
C'est là vraiment ton défaut.
Sois plus modeste et plus sage;
Car c'est toujours un travers,
Fût-on un grand personnage,
De prendre de trop grands airs.«

Fable XX.
La Cigogne, la Grue et le Canard

Une cigogne ayant eu des malheurs
(Elle avait spéculé sur la rente d'Espagne),
Soit par économie, ou pour cacher ses pleurs,
Alla s'ensevelir au fond d'une campagne.
Dans ce lieu ne vivaient que de pauvres oiseaux
De l'espèce la plus commune:
Des geais, des pinsons, des moineaux,
Gens sans naissance et sans fortune.
Une grue, un canard, cependant l'habitaient,
Et de l'endroit les gros bonnets étaient.
La grue à l'arrivante alla rendre visite;
Or, cette grue, à parler franchement,
Etait bête, mais bonnement,
Ne se croyant pas du mérite,
Et ne prétendant pas que pour fine on la prit.
La visiteuse, en personne discrète,
Après quelques instants, fit sagement retraite.
Pendant ce peu de temps, elle avait, sans esprit,
Dit quelques mots du beau temps, de la pluie,
De la façon d'accommoder un plat,
De ces riens sur lesquels la ménagère appuie.
Tout ce discours pouvait être assez plat,
Mais point méchant; elle était bonne,
Et n'avait dit aucun mal de personne.

»Je m'en arrangerai,« dit, après son départ,
Notre cigogne; »elle n'est pas habile,
Son entretien est commun et futile,
Mais, où chercher ici de l'esprit et de l'art!
J'en tirerai quelque recette utile,
Et, d'ailleurs, je pourrai, sans craindre son caquel,
Avec elle, le soir, faire un cent de piquet.«
A peine elle achevait, quand d'un air intrépide,
Le canard se présente. Encore plus stupide
Que notre grue, il se croyait très-fin,
Glosait sur tout; c'était enfin
Le parleur le plus fat et le plus insipide.
Pendant plus d'une heure durant
Bavarda ce sot ignorant;
Parlant toujours pour ne rien dire,
Ou pour dire du bien de lui
Et du mal du prochain. Bâillant, mourant d'ennui,
La cigogne était au martyre.
»Mon cher monsieur canard,« lui dit-elle, en courroux,
»A l'avenir, veuillez rester chez vous.
Je puis fort bien m'arranger d'une bête,
Quand elle est bonne et sans prétention,
Et qu'elle a la discrétion
De ne me pas rompre la tête;
Mais un bavard, un idiot
Qui cligne l'oeil, se sourit quand il cause,
Et s'applaudit à chaque mot,
Je l'évite, et ne sais au monde pire chose
Que d'être condamnée à vivre avec un sot.«