Fable I.
La Goutte d'eau
Un orage grondait à l'horizon lointain,
Lorsqu'une goutte d'eau, s'échappant de la nue,
Tombe au sein de la mer et pleure son destin.
»Me voilà dans les flots, inutile, inconnue.
Ainsi qu'un grain de sable au milieu des déserts.
Quand sur Taile du vent je roulais dans les airs.
Un plus bel avenir s'offrait & ma pensée:
J'espérais sur la terre avoir pour oreiller
L'aile du papillon ou la fleur nuancée,
Ou sur le gazon vert et m'asseoir et briller...«
Elle parlait encore: une huître, à son passage,
S'entr'ouvre, la reçoit, se referme soudain.
Celle qui supportait la vie avec dédain
Durcit, se cristallise au fond du coquillage,
Devient perle bientôt, et la main du plongeur
La délivre de l'onde et de sa prison noire;
Et depuis on l'a vue éclatante de gloire
Sur la couronne d'or d'un puissant empereur.
O toi, vierge sans nom, fille du prolétaire.
Qui retrempes ton âme au creuset du malheur,
Un travail incessant fut ton lot zur la terre;
Prends courage! ici-bas chacun aura son tour:
Dans les flots de ce monde, où tu vis solitaire,
Comme la goutte d'eau tu seras perle un jour...
Fable II.
Le Figuier stérile
Un jour, sur la montagne annonçant l'Évangile,
Jésus fut surpris par la faim;
S'écartant de la foule, il aperçut enfin
Un figuier... un figuier stérile.
»Apprends, dit le Seigneur, apprends, figuier maudit,
Que tout arbre stérile est indigne de vivre.
Et qu'aux feux éternels il faut que je te livre...«
En tremblant aussitôt le figuier réponditt:
»Révoquez, ô Seigneur, la fatale sentence!
Sur l'aride rocher je reçus l'existence;
Je courbai mille fois mes rameaux agités
Sous le vent des hivers, sous le feu des étés;
Jamais une onde fécondante
N'infiltra sous mes pieds une sève abondante;
Jamais la main du vigneron
Ne détruisit la ronce attachée à mon front:
Or, n'ayant rien reçu, que pourrais-je vous rendre!
Il dit; alors, sans plus attendre,
Jésus, de sa justice apaisant la rigueur,
L'arrache et le transporte au pied de la montagne.«
Où, prospérant bientôt sur un sol producteur,
Il donna par milliers des fruits au voyageur.
Combien de parias que la honte accompagne,
Sur le roc du malheur rameaux abandonnés,
?végéter sans fruits semblent prédestinés!
Loin de les condamner au vent de Tanathème,
De la manne des arts qui pleut sur vos élus.
Riches, versez sur eux Tineffable baptême:
Cultivez-les, vos soins ne seront pas perdus.
Fable III.
L'Ombre de Salomon et le
Laboureur
A certain laboureur le plus sage des rois
En songe apparut une fois:
»A tes pieds, lui dit-il, contemple
La fourmi, du travail suivant les saintes lois.
Et son activité te servira d'exemple.«
A ces mots, s'envola l'ombre de Salomon.
De la charrue alors saisissant le timon,
L'homme aux champs chaque jour allait avant l'auroro.
A quatre-vingt-dix ans il labourait encore,
Lorsqu'un soir reparut l'antique vision:
»Eh quoi! Jusqu'à la mort tu travailles? dit-elle.
— Vous m'offrîtes jadis la fourmi pour modèle…
— Mais, l'été, la fourmi fait sa provision
Pour vivre, dans l'hiver, à l'abri de l'orage:
L'hiver, c'est la vieillesse, et l'été, le jeune âge:
L'homme a droit au repos, ainsi que la fourmi...
— Sans relâche au travail la misère m'enchaîne,
Car le travail du jour au jour suffit à peine.
— N'as-tu pas quelque fils ou quelque jeune ami
Dont le bras vigoureux du travail te dispense?
— Gomme moi, pour compagne ils ont la pauvreté!
— Au laboureur, grand Dieu, donne sa récompense
Dit l'ombre; accorde, en ta bonté,
Un travail fructueux à l'ardente jeunesse,
Et du repos à la vieillesse!...«
Fable IV.
L'Hirondelle et le
Chien
Octobre commençait; l'automne sur son aile
Ramenait les frimas précurseurs de Thiver,
Et Ton voyait déjà s'enfuir une hirondelle,
Quittant le toit propice à sa famille ouvert.
Un chien, de la maison active sentinelle,
Lui dit: »Tu pars, tu quittes ces lambris
Où tu trouvas de chauds abris,
Où chacun admirait ta naissante couvée,
Où par votre présence on se croyait béni,
Où comme un saint trésor on conserviait ton nid!...«
L'hirondelle répond: »L'époque est arrivée
Où sur ces toits hospitaliers
Fondent les ouragans que l'aquilon déchaîne
Où viennent des hivers les corbeaux familiers.
Mes compagnes et moi, nous allons par milliers
Cherchant pour la saison prochaine
Un vent plus frais, un ciel plus bleu.
Au retour du printemps nous reviendrons peut-ôtre:
Adieu!
— Pourmoi, que l'ouragan gronde aux toits de mon maître,
Ou que de beaux soleils lui donnent de beaux jours.
Soumis à son destin, je lui serai fidèle...«
Courtisans, faux amis, parasites, toujours,
Quand le ciel devient noir, imitent l'hirondelle.
Fable V.
La Vigne et l'Ormeau
»Laissez-moi m'attacher à votre tronc robuste,
Disait un jour la vigne à l'ormeau son voisin.
Sans vous, adieu ma tige, adieu mon doux raisin!
Je ne suis qu'un fragile arbuste
Que les bœufs fouleront sous leurs sabots pesants,
Et que viendra brouter quelque animal vorace.
Ormeau, pour que je vive, accueillez-moi, de gràce.
Et vous me verrez, tous les ans,
De mes pampres fleuris vous faire une couronne,
Et puis le vent de chaque automne
Faisant sur vos rameaux flotter mon fruit vermeil,
Vous serez Tormeau sans pareil...«
L'arbre plein de bonté reçut la jeune plante,
Qui longtemps vit éclore une moisson brillante,
Et grandit, vigoureuse, autour de son appui.
Quand de nombreux hivers eurent fondu sur lui,
Les aquilons, riant de sa faiblesse,
Contre son front ridé vinrent en menaçant;
Mais l'arbuste reconnaissant
Fut pour l'ormeau débile un bâton de vieillesse.
Fable VI.
La Poule et les
Cailloux
C'était vers le printemps: Cocotte, la poulette,
Du matin jusqu'au soir caquetait, caquetait,
Et tous les jours pondait.
Vainement sur ses œufs se fiait la pauvrette;
Isabeau, la fermière, au marché les portait:
Aussi Cocotte allait, criait, se lamentait.
Femmes qui me lisez, vous comprendrez sa peine.
Pour lui jouer un malin tour.
Un enfant sur le sable, un jour,
De cailloux blancs et ronds ramasse une douzaine,
Et les pose furtivement
Dans le nid de la désolée.
Il réussit parfaitement.
Voyant ces œufs menteurs, la poule, consolée,
Couve, couve, et s'écrie, en son ravissement:
»L'amoar n'est pas une chimère!
Enfin, enfin je serai mère,
Mère de beaux enfants qui feront mon bonheur!..«
Trop tôt s'évanouit cette flatteuse erreur,
Trop tôt l'espoir fit place à la douleur amère.
De ce récit ne riez pas, lecteur:
Notre société de pareils faits abonde.
Souvent bien des penseurs, aussi sages que vous,
Ont cru dans leur cerveau faire germer un monde,
Et n'ont couvé que des cailloux...
Fable VII.
La Locomotive et le
Cheval
Un cheval vit un jour sur un chimin de fer
Une machine énorme, à la gueule enflammée,
Aux mobiles ressorts, aux longs flots de fumée.
»En 'vain, s'écria-t-il, ô fille de l'enfer,
En vain tu voudrais nuire à notre renommée.
Une palme immortelle est promise à nos fronts,
Et toi, sous le hangar honteuse et délaissée,
Tu pleureras ta gloire en naissant éclipsée.
De vitesse avec moi veux-tu lutter? — Luttons!
Dit la machine; enfin ta vanité me lasse.«
Elle roule, elle roule, et dévore l'espace;
Il galope, il galope, et d'un sabot léger
Il soulève le sable et vole dans la plaine.
Mais il se berce, hélas! d'un espoir mensonger!
Inondé de sueur, épuisé, hors d'haleine,
Bientôt l'imprudent tombe et termine ses jours;
Et que fait sa rivale? elle roule toujours.
La routine au progrès veut disputer l'empire;
Le progrès toujours marche, et la routine expire.
Fable VIII.
La Folle
Sur la réalité malheureux qui s'appuie!
Ah! plutôt embrassons quelque fraîche utopie,
Ayons notre marotte, agitons nos grelots.
Pour le cœur des amants, pour l'âme des poëtes
La vie est un miroir aux brillantes facettes...
Il ne faut pas souffler sur leurs prismes si beaux.
Ni jeter de nuage entre leurs silhouettes...
Elle était vieille et folle, et les petits enfants
Tout le long du chemin la suivaient, triomphants.
Elle, fière au milieu de ce bruyant cortège.
Disait: »Mes bons amis, c'est moi qui vous protège;
Les plus grands empereurs redoutent mon pouvoir;
J'ai des palais d'azur, je suis reine du monde...«
Les passants curieux s'arrêtaient pour la voir.
Elle traînait en pompo une livrée immonde,
One robe fangeuse et de noirs oripeaux;
Des plumes ondoyaient sur son chapeau de paille,
Sa droite balançait un sceptre de roseaux.
Longtemps elle dansa dans la foule qui raille,
Et les passants émus glissèrent dans sa main
Quelques pièces de cuivre et des miettes de pain.
Pauvre femme! parmi tant de riants mensonges,
Parmi tant de puissance et de félicité
Dont l'optique en ton cœur déroule les doux songes.
Seule, ton indigence est une vérité.
O vous, sages du siècle, ô vous, fils d'Epidaure,
Qui traitez son erreur de folles visions,
Ah! laissez-lui son rêve et ses illusions,
Car, rêver au bonheur, c'est du bonheur encore!...
Fable IX.
L'Ane et son Maître
Généreux, bienfaisant, un maître prétendait
Devoir du bat honteux affranchir son baudet.
On dit que l'animal lui parla de la sorte:
»Depuis que je suis né, chaque jour je le porte;
Mon père et mes aïeux le portèrent aussi.
Et, certes, ces gens-là me valaient. Dieu merci!
Je refuse vos dons; j'aurais mauvaise grace,
Moi, baudet misérable, à renier ma race…..«
Combien voit-on de gens sottement entêtés
Qui, nés avec le bât, veulent mourir bâtés!
Fable X.
Le Roi et le Peuple
Un peuple gémissait, accablé de détresse;
Le prince ayant appris ces revers affligeants,
Résout de visiter ses sujets indigents.
Pour mettre un terme au mal qui les oppresse,
Et pour doter sa patrie aux abois
De plus riches travaux et de plus sages lois.
Quoiqu'il voulût, en honmie sage.
Surprendre incognito le malheur sur les lieux.
Ses courtisans officieux,
Aux champs, dans les cités, annoncent son passage,
Et les plus pauvres aussitôt,
A l'envi simulant une gaité parfaite,
Pour la première fois mettent la poule au pot,
Remplacent leur pain noir par des gâteaux de fête
Sous leurs plus frais haillons cachent leur nudité.
Le prince croit réelle une fausse richesse;
Il prend pour du bonheur cette feinte allégresse,
Si bien qu'en son palais il retourne, enchanté
D'avoir, au lieu de la tristesse,
Vu partout tant de joie et de félicité.
Voilà comme les rois savent la vérité:
Courtisans de malheur, engeance diabolique.
Quand un roi, par hasard, veut faire son devoir,
Ne couvrez pas de fleurs l'infortune publique.
Afin qu'il ne puisse la voir!
Fable XI.
Le Voyageur
Un homme, gravissant des montagnes arides,
Ne voyait depuis trois longs jours
Que des rocs escarpés, les ailes des vautours,
Des abîmes profonds et des torrents rapides.
Sentant ses pieds meurtris aux ronces du chemin.
Et voulant terminer de pénibles voyages.
Il maudit le sort inhumain
Qui l'abandonne ainsi sur des rochers sauvages.
Et demande à la mort ua plus beau lendemain.
Il allait s'élancer au fond des précipices,
Quand un pâtre l'arrête, et, lui tendant la main,
Lui dit: »Vivez sous de meilleurs auspices;
Frère, de votre cœur chassez le désespoir.
Courage! suivez-moi; ce soir,
De ces monts sourcilleux nous gagnerons le faite.
Sous un manteau de fleurs, sous des habits de fête,
La terre y voit régner un printemps éternel.
Là vous partagerez, sous un toit fraternel,
Le lait de nos brebis et Teau de nos fontaines;
Vous verrez sous vos pieds les terrestres domaines.
Et sur vous passeront les étoiles du ciel.«
Peuple, dont le pied saigne aux buissons de la route,
Ainsi tu marches, et, sans doute,
Dans les sentiers mauvais tu saigneras encor.
Garde que ton courage aux cailloux ne se brise:
Bientôt tu parviendras à le terre promise
Où doit briller pour tous un nouvel âge d'or.
Fable XII.
Les Enfants et le
Papillon
Aux mains des échansons rendons nos coupes d'or:
Dans rivresse toujours notre raison s'endort!
Jeunesse qui poursuis une beauté frivole,
En froissant sa couronne, auréole de fleurs,
Arc-en-ciel aux mille couleurs,
Tu sens sous les plaisirs ton bonheur qui s'envole!...
Un jour, le papillon, ce fils de l'Orient,
Sur ses ailes de moire étalait, en fuyant,
Une vivante mosaïque.
Hiéroglyphes d'or, alphabet fantastique
Que Dieu seul épèle à son gré;
Et puis on le voyait, le papillon volage,
Effeuillant chaque rose éclose à son passage,
Pressant chaque fleur qu'il trouvait dans un pré,
Des enfants accourus vers l'insecte qui brille,
Le saisissent enfin, de sueur tout trempés,
Et puis son aile tombe, et les enfants trompés
Ne pressent sous leurs doigts qu'une informe chenille...
Fable XIII.
La Cloche et le Bourdon
de Notre-Dame
Am
Aug. Chaho de Navarre
Aux tours de Notre-Dame une cloche sonnant,
Tintant, carillonnant,
Aux offices communs appelait les fidèles;
Mais elle se taisait aux fêtes solennelles.
Près de là, le bourdon, grave, majestueux,
Dès longtemps gardait le silence.
La babillarde, un jour, d'un ton plein d'insolence,
Lui dit: »Lourd fainéant, tu t'endors en ces lieux
Tandis que de mes chants retentissent les cieux!«
Ebranlant les échos des poudreuses murailles,
»C'est vrai, dit le bourdon, je sonne rarement;
Mais j'annonce toujours d'augustes funérailles;
Toujours ma voix se mêle à l'airain des batailles
Et toujours je salue un grand événement...«
Fable XIV.
Le Serpent et l'Oasis
Le calife Alraschid et Giafar le vizir
Allaient par le pays déguisés en derviches.
Répandre des bienfaits était leur seul plaisir:
Ce devrait être aussi le seul plaisir des riches.
Les royaux pèlerins virent près d'un palais
Un homme à coups de pied chassé par des valets.
Alraschid dit au maître: »Est-ce ainsi que Ton traite
Celui qui vient au nom de l'hospitalité?
Tu dois au voyageur sous tes murs arrêté
Le froment pour sa faim, le chevet pour sa tête.
As-tu vu par ses mains ton palais dévasté?«
Le riche répondit: »Non pas, en vérité;
Mais c'est un étranger maudit par le prophète,
Un de ces vils chrétiens ennemis du Coran…«
Le calife poursuit: »Le pauvre est notre frère!
Ecoute un apologue et sois plus tolérant:
Un jour à l'oasis le serpent en colère
Disait: »Aveuglément tu prodigues tes eaux,
L'ombre de tes bosquets, le chant de tes oiseaux.
Et tes rayons de miel et tes fruits si suaves;
L'impie et le croyant, les rois et les esclaves.
Les méchants et les bons, tous indistinctement
Viennent dans tes trésors puiser abondamment...
— C'est vrai, dit Toasis; j'offre à tous un refuge
Contre la faim, la soif et l'ardeur du soleil;
C'est vrai, car à mes dons tous ont un droit pareil.
Je suis leur bienfaiteur: Allah seul est leur juge!«
Or, le riche écouta la fable en souriant.
Et puis en son palais menant le mendiant,
Il lui fit par ses soins oublier son outrage.
Et les deux pèlerins reprirent leur voyage.
Fable XV.
Les deux Moineaux
Vers la fin du printemps, saison des pâquerettes
Saison riche pour les poëtes,
Mais bien pauvre pour les oiseaux,
Aux champs habitaient deux moineaux.
Bientôt, n'ayant plus de quoi vivre,
Au désespoir le plus jeune se livre.
L'autre lui dit: »Je vais au loin
Pourvoir à ce pressant besoin;
Sans doute le ciel aura soin
De veiller à notre existence.
Que des grains ou des fruits tombent en ma puissance,
Je les cueille et viens sans retard
T'apporter la meilleure part:
En atteâdant, prends patience.
Adieu!« Disant ces mots, il part.
Longtemps il vole en vain; rien ne s'offre à sa vue.
Sur le soir, cependant, il trouve un cerisier;
Or, les fruits étant mûrs, il mange à plein gosier
Il mange, le glouton, jusqu'à la nuit venue.
Et, trop vite oubliant que son frère avait faim.
Il s'endort jusqu'au lendemain.
Au lever du soleil, vers le nid il se hâte.
Portant des fruits au bec, des fruits à chaque patte.
Il vole, vole, arrive; hélas! il n'est plus temps.
Car son frère était mort depuis quelques instants.
Tel, issu des rangs populaires,
Au pain des grandeurs s'engraissa.
Qui laisse dans l'oubli le nid qui le berça,
Et dans leur infortune abandonne ses frères.
Fable XVI.
Le Baquet d'eau
Pour frapper sur l'enclume et tirer le soufflet,
Un forgeron à son service
Avait pris un garçon fort gros, mais fort novice.
Il faut que je le prouve; écoutez, s'il vous plaît:
»Un beau jour notre Nicodème,
Voyant son maître asperger le foyer,
Et, par enchantement, les charbons flamboyer,
Aussitôt se dit en lui-même:
Si quelques gouttes d'eau forment un si grand feu.
Versons-y le baquet, et nous verrons beau jeu...«
De son invention s'émerveillait le sire.
Bientôt le maître se retire.
Et l'autre, sans perdre un moment.
Vous inonde la forge, et, comme on peut le croire.
Eteint le feu fort proprement.
»Eh bien! me dira-t-on, que nous prouve l'histoire
De ton gros imbécile et de son baquet d'eau?«
Patience, je vous en prie;
Ecoutez jusqu'au bout; c'est une allégorie:
L'amour et l'amitié sont armés d'un flambeau.
Une froideur légère, un caprice de l'âme,
Souvent fournissent à la flamme
Une étincelle ardente, un élément nouveau;
Mais qu'un affront mortel soudain vienne l'atteindre,
On la voit pâlir et s'éteindre.
Fable XVII.
Les Dindons
C'était fête à Paris: vers les Champs-Elysées,
Des dindons s'ébattant,
S'égosillant, sautant,
Du peuple excitaient les risées.
»Ce groupe, dit quelqu'un, doit être bien content:
Par des cris et des bonds comme sa joie éclate!
— Les malheureux, réplique un autre spectateur,
nt un fer rouge sous la patte.«
rûlés au fer chaud du malheur,
Femmes, poëtes, prolétaires,
N'avons-nous pas souvent, bouffons involontaires,
Le sourire à la bouche et des larmes au cœur?
Fable XVIII.
La Forêt et la Lumière
Dans une forêt sombre, aux sentiers tortueux,
Un voyageur marchait, triste et silencieux.
La nuit, comme un manteau répandant les ténèbres,
Promène dans les airs ses fantômes funèbres.
Il entend le hibou hurler sur les ormeaux,
Et l'aquilon mugira travers les rameaux;
Il réveille, en passant, des reptiles sans nombre,
Et sur les rocs aigus se déchire dans l'ombre.
Dans ce noir labyrinthe il attend le trépas,
Lorsqu'au loin dans les bois scintille une lumière;
Feu follet décevant, ou lampe hospitalière,
N'importe, vers ce phare il dirige ses pas.
Le nocturne flambeau ranimant son courage,
Il oublie à l'instant les tourments du voyage;
Il marche, marche, arrive à l'objet de ses vœux;
Mais un fossé béant les engloutit tous deux.
Le voyageur, c'est l'homme exilé sur la terre;
La forêt, c'est la vie; et le lointain flambeau,
C'est, pour le malheureux pleurant et solitaire,
L'espoir qui devant lui brille jusqu'au tombeau.
Fable XIX.
Le Dogue
Un gros dogue passait; un lourdaud le rencontre;
Aussitôt il lui montre
Une pierre, et lui dit: »Apporte! ou de ma main
Tu seras sanglé d'importance.«
Le chien ne s'émeut pas de cette impertinence;
Il fait la sourde oreille et poursuit son chemin.
Mais un petit enfant lui fait signe; il s'arrête.
L'enfant cueille une rose, et, joyeux, la lui jette.
Le dogue avec rapidité
S'élance,
Et sans peine il accorde à l'amabilité
Ce qu'il refuse à l'insolence.
Fable XX.
Homère
Un soir, quand du soleil le flambeau se reflète
Sur les cités et les hameaux,
Homère sommeillait, et sa lyre muette
Pendait aux branches des ormeaux.
Tout à coup un son vague arrive à son oreille.
Ce murmure inconnu l'éveille;
Il voit un papillon sur le luth arrêté,
Dont l'aile, en frémissant, cherche la liberté,
»Il a perdu, dit-il, la poussière divine
Qui soutenait son vol aux cieux;
Mais il mourra sur la corde argentine,
Parmi des sons délicieux...
Voilà l'image de ma vie;
En chantant j'ai brisé l'essor
Qui mène vers les biens une foule ravie,
Et rindigence fut mon sort.
Eh bien! j'expirerai dans le plus beau délire,
En célébrant les dieux, la gloire, la beauté,
Et peut-être la brise, en passant sur ma lyre,
Portera mes concerts à l'immortalité... «
Fable XXI.
Les Champignons
»Qui yeut des champignons? s'écriait une femme;
J'ai des rouges, des bruns, des jaunes et des blancs;
Prenez, vous en ferez des ragoûts excellents!...
— Gardez vos champignons! dit quelqu'un; sur mon àme,
Souvent les plus exquis sont des empoisonneurs.«
Un ministère tombe, un roi descend du trône;
Pour siéger au conseil, pour ceindre la couronne,
S'offrent des prétendants de toutes les couleurs.
Moi, je les crains comme la peste,
Car le meilleur de tous est un mets indigeste.
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