Livre Quatrième
 

Livre Troisième
 
La Vertu et la Conscience
Le Laboureur
Le Livre et l'Épée
Le Roi et les Mines d'or
Les Grenouilleset les Nuages
Le Cèdre da Liban
L'Homme et le Monieau
L'Homme et le Cadran solaire
Le Bouquet d'Églantine
La Pomme d'api et le Ver
Le Miroir double
La Réputation, la Gloire et le Génie
Le Gland et le Champignon
M. Jobard et le Nuage
Le Singe et l'Éléphant
Le petit Gourmand
Le Papillon, la Rose et le Pavot
Les deux Soeurs et le Coucou
La Cigale, la Fourmi et la Colombe
La Robe de l'lnnocence

 

Fable I.
La Vertu et la Conscience

Certain jour, la Vertu passait,
Répandant sur chaque souffrance
Le pain si doux de l'espérance.
A chaque cœur elle laissait
Le souvenir d'une caresse.
Le divin baume d'un bienfait:
Tous avaient part à sa tendresse.
Or, quand les justes dans leurs chants
Mêlaient leurs actions de grâces.
Les Vices ingrats et méchants
En blasphémant suivaient ses traces.
Mais tant que ces démons jaloux,
Lançant l'ôutrage et les cailloux.
Confondirent leurs cris de rage,
Une voix lui cria: Courage!
Une main essuya le sang
Qui baignait son corps fléchissant.
Jusqu'au sommet de son calvaire
Elle entendit la même voix.
Et la main douce et tutélaire.
Porta la moitié de sa croix.
»Accepte ma reconnaissance,
Dit en expirant la Vertu;
Mais, terrestre ou divine essence,
Ange ou femme, qui donc es-tu?
— Je suis... je suis la Conscience.«

Fable II.
Le Laboureur

D'un terrain rocailleux maudissant la culture,
Guillot laisse ses bœufs errer à l'aventure,
Brise et rejette au loin l'impuissant aiguillon,
S'assied, désespéré, sur un triste sillon,
Et dit: »Je ne veux plus, sur un sol infertile
Supporter les sueurs d'un labeur inutile;
Dans ces champs de cailloux, de ronces hérissés,
Vingt bœufs, avant le soir, tomberaient harassés;
Puis, les oiseaux du ciel, avant qu'ils soient en herbe,
Dévoreront les grains par ma main dispersés,
Et, plus tard, la tempête et les vents courroucés
Ne me laisseront pas récolter une gerbe...»
Aussitôt un passant, qui l'avait entendu,
Vient lui rendre en ces mots l'espoir qu'il a perdu:
»Tu t'imposas, sans doute, une pénible tâche;
Eh bien! jusqu'à la fin poursuis-la sans relâche;
Arrache, chaque jour, avec acharnement,
Les ronces, les cailloux qui causent ton tourment,
Et tu verras, malgré les oiseaux et l'orage,
D'abondantes moissons te payer ton courage...«

Vous qui de l'avenir creusez les vastes champs,
Et semez du progrès la semence céleste,
Si plus d'un épi meurt sous le pied des méchants,
De l'incrédulité si le souffle est funeste,
Sachez d'an dur labeur vaincre les longs ennuis;
Par la persévérance enfantez des prodiges.
De grandes vérités mûriront sur leurs tiges,
Dont les peuples un jour recueilleront les fruits.

Fable III.
Le Livre et l'Épée

Dans un réduit obscur, une longue rapière
Se couvrait, chaque jour, de rouille et de poussière.
Apercevant un livre, elle lui parle ainsi:
»Que je hais le repos où je languis ici!
Tu reçois les honneurs et chacun me délaisse;
Et je suis cependant plus utile que toi.
Tandis que dans les cœurs tu sèmes la mollesse.
Je vole droit au but; tout tremble devant moi.
Je voudrais, m'éloignant de ces froides murailles,
Vivre, comme autrefois, de sang et de batailles...«
Le livre lui répond: »Le glaive a fait son temps:
On ne convertit plus par la force brutale.
Ralentis, noble preux, ta valeur martiale;
Où je vois des amis, tu vois des combattants.
Tu portes en tous lieux la haine et la vengeance,
Et moi je prêche à tous paix, amour, espérance.
Quand tu vas promenant tes sanglantes fureurs,
Par de sages conseils je corrige les mœurs:
Allons, garde ta rouille et renonce à la guerre.
Voit-on le laboureur toujou'rs creuser la terre?
Il dételle ses bœufs, il pose l'aiguillon,
Et puis sa main répand le grain dans le sillon.
Ainsi comme le soc tu sus remplir ton rôle.
Moi, je vais désormais, répandant ma parole,
Faire germer pour tous des épis nourriciers:
Laisse-moi l'avenir, et dors sur tes lauriers.«

Fable IV.
Le Roi et les Mines d'or

Dans un pays fertile en mines d'or,
Un prince, à son orgueil donnant un libre essor,
      Disait: »Les mines du Potose,
Près des nôtres, ma foi, vaudraient fort peu de chose,
Et Crésus, entre nous, n'était qu'un mendiant.
      Les merveilles de l'Orient
Vont pâlir à ma voix ainsi qu'un vain fantôme:
Je veux que dès demain on pave mon royaume
De ce métal divin à l'éclat sans pareil;
Et que cent palais d'or éclipsent le soleil.
      Pauvres qui vous courbez sans cesse
Pour de maigres épis sur des sillons ingrats,
De plus nobles travaux réclament tous vos bras;
Dans les flancs de la terre est l'unique richesse!...«
Dès qu'un roi dit: Je veux! sans aucun examen
      Les courtisans disent: Amen!
Ils applaudirent tous à cette œuvre insensée.
La reine, alors, voyant la glèbe délaissée
      Pour une futile moisson;
Réserve a son époux une haute leçon:
Une femme a toujours quelque sainte pensée.
      Elle annonce pour certain jour
Un festin somptueux au monarque, â sa cour.
Le jour dit, au salon la foule qui s'avance
Des mets les plus exquis savoure l'espérance.
L'heure du banquet sonne, et l'on apporte enfin
Des plats tout chargés d'or, mais de l'or le plus fin,
Qu'on place en observant l'ordre et la symétrie.
»C'est, pensa-t-on d'abord, pure plaisanterie;
On veut par ces retards aiguiser notre faim;
Patience! les dents vont faire leur office.«
      On attend le second service:
Au second, au dernier, qu'apporte-t-on encor?
De l'or; puis au dessert? de l'or, toujours de l'or.
»Vous le voyez, seigneurs, dit la sage princesse,
Ce métal attrayant n'est qu'un fictil trésor,
Et sans l'agriculture il n'est pas de richesse!...«

Fable V.
Les Grenouilleset les Nuages

C'était un soir d'été; d'électriques nuages,
Apportant dans leur sein l'ouragan destructeur,
      Partout répandaient la terreur.
Les grenouilles soudain, du fond des marécages,
De leurs coassements font retentir les airs.
»C'est choisir à propos l'heure de vos concerts!
Leur dit un campagnard; osez-vous, inhumaines;
Chanter quand les torrents vont ravager nos plaines?
— Oui, nous chantons, en vérité,
Car l'ouragan par vous si redouté
Doit de flots bienfaisants enrichir nos domaines.«

Ainsi, toujours quelqu'un sait exploiter pour lui
Les désastres publics, la commune détresse;
Ainsi dans les larmes d'autrui
Quelqu'un trouve toujours des sujets d'allégresse.

Fable VI.
Le Cèdre da Liban

Un cèdre rabougri, véritable avorton,
D'un cèdre gigantesque indigne rejeton,
Végétait au Liban, inconnu, solitaire.
Mais, rêvant les honneurs d'un rang béréditaire,
L'orgueilleux se disait: »Si mon père autrefois
Orna de ses lambris les palais de nos rois,
Je puis des temples saints enrichir les portiques,
Ou, me transfigurant sous la main du sculpteur,
Déployer sur l'autel mes ailes séraphiques.«
Hélas! qu'il bâtissait un avenir menteur!
Bientôt, l'appréciant à sa juste valeur,
Le bûcheron armé sans pitié vint rabattre,
Et jusqu'à la racine extirpa le crétin.
Il en fit des fagots qu'il porta dans son âtre,
Où le cèdre expira, maudissant son destin.

Que du sang d'un héros naisse un lâche Thersite,
Qu'un homme de génie enfante un ignorant,
Au fils dégénéré donnera-t-on le rang
Que le glorieux père acquit par son mérite?

Fable VII.
L'Homme et le Monieau

Un homme, un beau matin, va visiter les champs;
C'est l'heure où les oiseaux font entendre leurs chants,
      Où des zéphirs la douce haleine
      Réveille les fleurs dans la plaine.
Un moineau cependant fait retentir les cieux
De ses battements d'aile et de ses cris joyeux.
»Ah! cet oiseau, dit l'homme, est la touchante image
      D'un cœur simple et religieux;
Avec quel saint transport il va de son hommage
      Saluer l'astre oriental,
      Et chanter, comme l'alouette,
Aux pieds de l'Éternel son hymne matinal!«
Notre homme dans sa poche avait une lorgnette;
      Vers le moineau la dirigeant,
Il voit, qaelle surprise! un essaim voltigeant
      De moucherons dont l'oiseau fait sa proie.
»Ah! je distingue mieux, dit-il, en ce moment,
D'où viennent ces transports et ces longs cris de joie.«

Tel poëte au moineau ressemble, assurément:
Son àme, dites-vous, loin des sentiers immondes,
Sur des ailes d'azur, visite d'autres mondes
      Et de célestes régions;
Vous croyez qu'elle a ceint la divine couronne,
Que c'est Dieu qui l'inspire et qu'elle s'abandonne
      A de sublimes visions...
Si vous le dépouillez de sa robe mystique,
Vous verrez s'envoler son Éden poétique
      Et vos douces illusions.
Voyez: il rit de ceux dont l'àme vierge encore
N'encense que la gloire et son trône immortel;
      L'or seul est le dieu qu'il adore;
Il n'a pas d'autre muse, il n'a pas d'autre autel...

Fable VIII.
L'Homme et le Cadran solaire

Un homme cheminant voit un cadran solaire.
Comme l'astre du jour en ce moment l'éclaire,
L'interprète du temps, d'un doigt indicateur,
      Annonce l'heure au voyageur.
      Plus tard, regagnant sa demeure,
Notre homme encore eût voulu savoir l'heure;
Mais autour du soleil un nuage passait,
      Et le cadran resta muet...

Le soleil, c'est la foi; le cadran, c'est notre âme.
Tant que la foi nous verse un rayon de sa flamme,
Nous marchons pleins de force, utiles, glorieux;
Mais quand pèse sur nous le doute ténébreux,
Notre âme, qui languit dans un sombre esclavage,
Attend, pour se reprendre à des jours plus heureux,
Que le vent de l'espoir ait chassé le nuage.

Fable IX.
Le Bouquet d'Églantine

      Victor, écolier paresseux,
Eût voulu sans étude acquérir la science.
Il admirait les beaux-arts, l'éloquence;
Mais pour lui le travail était un joug affreux.
      Son maître, homme plein de prudence,
Lui prépare, un beau jour, une utile leçon.
Il conduit dans les champs le petit polisson:
»Cueille-moi, lui dit-il, un bouquet d'églantines.«
Victor vole soudain au plus prochain buisson.
Il n'est pas, on le sait, de roses sans épines:
Il se pique les doigts et s'enfuit en pleurant.
      Son professeur, le rassurant,
Lui dit: »Arrache, enfant, une épine traîtresse,
Et de la fleur alors ta main sera maîtresse.«
Bientôt notre écolier; justement orgueilleux,
Revient en brandissant le bouquet périlleux
»J'ai su t'offrir par là, dit le professeur sage,
Des travaux de l'esprit une vivante image:
Veux-tu de la science atteindre les beautés?
Par un travail ardent surmonte avec courage
      L'étude et ses difficultés,
Ronces qui devant toi naissent de tous côtés.

Fable X.
La Pomme d'api et le Ver

Une pomme d'api brillait dans un verger;
Jamais dessert de roi n'en eut de plus jolie.
Pour voir son incarnat, sa peau fraîche et polie,
Les papillons près d'elle aimaient à voltiger.
Maints polissons, revenant de l'école,
      A coups de pierre, à coups de gaule,
L'auraient mise en quartiers; mais des buissons touffus
Opposaient un rempart à nos gamins confus.
Qu'elle est fière! des fruits elle se croit la reine.
Vanité! car bientôt la jeune souveraine
Se sentit dévorer par un ver assassin,
Qu'un soleil de printemps fit éclore en son sein.

Sous le sort le plus beau, sous les biens qu'on envie,
Le plus souvent se cache une douleur,
      Hélas! et sans qu'on le convie,
A nos joyeux festins vient s'asseoir le malheur.

Fable XI.
Le Miroir double

      Où va cette femme parée
De beauté, de jeunesse et de brillants atours?
Elle part pour un bal, élégante soirée,
Où l'attendent les jeux, la danse, les amours.
      Elle sortait, lorsqu'une glace,
Miroir à double face,
S'offrant à ses regards, reproduit, traits pour traits,
      Et sa parure et ses attraits,
Et l'émail de ses dents et les lys de sa joue,
Le panache onduleux où le zéphyr se joue,
Le collier de rubis, la couronne de fleurs,
Et la robe de soie aux riantes couleurs.
Mais retournant la glace, ô ciel! qu'aperçoit-elle?
      Elle aperçoit, dérision cruelle!
      Crins hérissés, longs poils, pores béants,
Etalage sans nom sur une tète énorme,
Dents longues, nez affreux, bref, une masse informe,
      Un de ces types de géants
Que Gulliver trouva dans ses voyages...
Elle crie, elle pleure, et brisant le miroir:
»Tu ressembles, dit-elle, à certains personnages
Qui, toujours recouverts d'un masque à deux visages,
Disent oui, disent non, disent blanc, disent noir,
Caressent le matin et déchirent le soir.«

Fable XII.
La Réputation, la Gloire et le Génie

La Réputation, la Gloire et le Génie,
A Paris, un beau jour, allaient de compagnie.
      L'un d'eux s'écrie: »Avant d'entrer
Dans cette ville immanse où l'on peut s'égarer,
Où des siens, malgré soi, l'on se voit séparer,
Indiquons-nous, amis, quelque place connue,
Quelque grand édifice élancé vers la nue,
Centre où chacun de nous aille se rencontrer.«
La Gloire dit: »Pour moi, si je vous abandonne,
Vous me retrouverez au pied delà Colonne.
— Et moi, dit le Génie, auprès du Panthéon.
      — Moi, dit ia Réputation,
Je ne vous quitte pas, car ceux qui m'ont perdue
Une fois seulement ne m'ont jamais revue.«

Fable XIII.
Le Gland et le Champignon

Un gland tombe d'an chêne et blesse un champignon.
      Celui-ci lui dit: »Compagnon,
      Tu pouvais bien prendre la peine
      De tomber quelques pas plus loin...«
      Le gland répond: »Est-il besoin
      Que le fils d'un antique chêne
Respecte un avorton méprisable, inconnu,
On ne sait pas comment sur un fumier venu?
      — Je te vaux bien, je l'imagine,
Reprend le champignon; et, quoique sans aïeux,
Je suis un mets délicieux,
Et quand j'irai des rois enrichir la cuisine,
Tu seras dévoré par quelque vil pourceau...«

Plus d'un sot descendit d'une illustre origine,
Plus d'un homme célèbre eut un humble berceau.

Fable XIV.
M. Jobard et le Nuage

M. Jobard, brave et digne bourgeois,
Un de ces bons rentiers que le Marais engraisse,
Un dimanche matin secoua sa paresse;
Le doux soleil de mai réveillait à la fois
Les rentiers dans leurs lits, les oiseaux dans les bois.
Notre homme à son bonheur tout entier s'abandonne,
Et sort pour visiter les poudreux boulevards,
      L'Arc-de-Triomphe, la Colonne,
      L'Obélisque et le Champ-de-Mars.
La gloire parle haut dans le cœur des Jobards.
Quelqu'un lui dit: »Voyez, le temps est à l'orage;
Prenez un parapluie, ou vous n'êtes pas sage.«
Le conseil était juste et le danger pressant,
Car un nuage épais et menaçant
      S'élevait alors dans l'espace.
»Ce n'est, répond Jobard, qu'une vapeur qui passe.«
Et le voilà courant pour voir son beau Paris
Geint de frais boulevards et de jardins fleuris.
Il va; mais tout à coup de la nue enflammée
Tombent le feu, la pluie, et mon pauvre héros
S'en retourne confus et trempé jusqu'aux os.
Depuis, se méfiant de la moindre fumée,
Et quoique l'horizou fût pur de tout brouillard,
Il sortait chaque jour armé d'un lourd riflard.

Lecteurs, n'a-t-on pas vu plus d'un haut personnage,
Inhabile à prévoir maint politique orage,
Prendre, quand le danger n'existait déjà plus,
Mille précautions, mille soins superflus?

Fable XV.
Le Singe et l'Éléphant

Un singe, un éléphant s'en allaient à la foire,
Lorsqu'une grêle affreuse, à ce que dit l'histoire,
Arrive tout à coup sur l'aile des autans.
Jocko criait, jurait, faisait mainte grimace;
Son compagnon lui dit: »T'entendrai-je longtemps?
Imite mon courage et ris du mauvais temps!
— Taisez-vous, dit le singe, oh! taisez-vous, de grâce!
De la grêle et des vents, monseigneur, sur ma foi,
Je ne me plaindrais pas, si j'avais votre taille,
Si j'avais votre peau qui brave la mitraille...«

Le riche dit au pauvre: »Eh! mon ami, pourquoi
Toujours te lamenter, toujours crier misère?
Je trouve, quant à moi, que la vie est légère,
Que tout est pour le mieux, et que l'on a grand tort
D'oser incessamment pester contre le sort...«
Le pauvre lui répond: »Si j'avais vos richesses,
Si les destins amis me comblaient de largesses,
Je coulerais des jours bien paisibles, bien doux,
Et des cieux incléments je rirais comme vous.«

Fable XVI.
Le petit Gourmand

Les doigts et lô menton tout barbouillés de graisse,
D'un pàté monstrueux un enfant se bourrait;
Aussi bien que des dents des yeux il dévorait.
D'enlever les débris sa mère enfin s'empresse:
      »Craignez, dit-elle en sa tendresse,
Qu'une indigestion ne menace vos jours.«
Le marmot répond au plus vite:
»Maman, j'en veux encor!...maman, j'en veux toujours.«

Avare, ambitieux, et toi, mou sybarite,
Vous dont la jouissance augmente les désirs,
      Dana votre soif insatiable
      De trésors, d'honneurs, de plaisirs,
Vous êtes, croyez-moi, le gourmand de ma fable.

Fable XVII.
Le Papillon, la Rose et le Pavot

Dans un parterre, un beau matin,
Eclot une rose vermeille.
Un papillon s'en émerveille;
Et voilà le charmant lutin
Qui va, qui vole, qui s'empresse.
Soudain, ô surprise, ô douleur!
A des dards cachés sous la fleur
L'étourdi se pique, se blesse.
Il pleure et s'écrie aussitôt:
»Prude, dédaigneuse, cruelle,
Je te fuis; ce riche pavot
A mes vœux sera moins rebelle.«
Lors il y vole à tire d'aile;
Il boit... il s'enivre... il s'endort...
Hélas! du sonuneil de la mort!

Amis, à la beauté funeste
Qui se livre sans hésiter,
Préférons la beauté modeste
Dont la vertu sait résister.

Fable XVIII.
Les deux Soeurs et le Coucou

»Veux-tu venir aux champs entendre le coucou?
      Dit Elise à sa sœur Hortense.
— Quoi! ce vilain criard, dit l'autre. En conscience,
Autant j'aimerais presque entendre le hibou.
— Mais cet oiseau, ma sœur, dit de si belles choses!
Il chante le printemps et le retour des roses.
Gomme un magicien, cet oiseau merveilleux
Semble faire à sa voix, douces métamorphoses!
Edore le bonheur et sourire les deux;
            Et puis, Hortense,
N'est-il pas toujours beau, toujours mélodieux,
      Celui qui chante l'espérance?...«

Fable XIX.
La Cigale, la Fourmi et la Colombe

»Eh bien! dansez maintenant!«
A dit la fourmi cruelle.
La colombe survenant:
»Pour la cigale, dit-elle,
J'ai des graines à son choix.
Si la pauvre créature
Ne reçut de la nature
Pour tout trésor que sa voix,
De faim faut-il qu'elle meure?
Vous travaillei; à toute heure
Elle chante les moissons:
Ainsi, tous nous remplissons
La loi que Dieu nous impose.«
L'oiseau, sans dire autre chose,
A tire d'aile aussitôt
Part, et rapporte bientôt
Force grains dont la cigale
A son aise se régale.

O fourmi, ta dureté
A régoïste peut plaire:
Colombe, moi je préfère
Ta tendre simplicité.

Fable XX.
La Robe de l'lnnocence

Ayant perdu sa robe, on dit que l'Innocence
En vain pour la chercher courut chez le Plaisir,
      Chez la Fortune et la Puissance:
Qui la lui rapporta? — Ce fut le Repentir.