Fable I.
L'Enseigne de cabaret
Devant un cabaret ces mots étaient écrits:
Aujourd'hui vous paîrez te pain, le vin, la viande;
Demain vous mangerez gratis.
Janot, que l'enseigne affriande,
Dit: »Aujourd'hui je n'entre pas:
Il faudrait payer la dépense;
Mais demain je vais faire un si fameux repas
Que le cabaretier s'en souviendra, je pense.«
Le lendemain, on voit entrer Janot
Qui va se mettre à table et s'écrie aussitôt:
»Servez vite, maître Grégoire!
Servez! jusqu'à la nuit je veux manger et boire!
Apportez du meilleur; je suis de vos amis!«
A peine le couvert est mis
Qu'il faut voir mon Janot des dents faire merveilles,
Et vider bel et bien les plats et les bouteilles.
S'étant lesté la panse, il se lève gaiment,
Et sans cérémonie il regagne la porte.
Mais Grégoire l'appelle et lui dit brusquement:
»Mon brave! il faut payer avant que l'on ne sorte!
— Vous riez, dit Janot, vraiment,
Et la plaisanterie est forte;
Vous deviez aujourd'hui, si je m'en souviens bien,
Nous servir à dîner pour rien...
— Oh! répond l'hôtelier, votre erreur est extrême,
Car je dis aujourd'hui ce qu'hier je disais:
Regardez, tous les jours mon enseigne est la même.
— Vous ne m'y prendrez plus, dit l'autre, désormais,
Et vous ne m'eussiez pas leurré par un vain conte,
Si j'avais su qu'à votre compte
Demain signifiàt jamais.
Fable II.
La Verge de Moise
La baguette, docile aux ordres d'une fée,
Pour une simple femme est un simple fuseau;
Douce flûte de Pan, tendre lyre d'Orphée,
Vous ne seriez aux mains de l'enfant au berceau
Que des cordes sans voix, qu'un stupide roseau.
»Peuple, disait un jour la verge de Moise,
Si jamais ta parviens à la terre promise,
De civiques lauriers ne couronne le front
De Moise ni d'Aaron;
L'encens et les lauriers sont dus à mes prodiges:
J'ai confondu les vains prestiges
Des magiciens de Pharaon;
Quand tu fuyais l'Égypte et l'esclavage,
Et nos fiers ennemis qui te glaçaient d'effroi,
Les flots de la mer Rouge, en s'ouvrant devant moi,
A ton salut livrèrent un passage,
A nos tyrans creusèrent un tombeau;
Plus tarda cédant à ma puissance,
Le rocher du désert t'abreuva de son eau,
Et puis...« On mit un frein à sa folle jactance,
En lui disant: »Faible roseau,
Du trône où tu t'assieds abandonne le faite;
Des miracles nombreux qui font notre bonheur
Ne revendique plus l'honneur:
Tu n'es que l'instrument du ciel et du prophète!...«
Fable III.
Le Sauvage
Sur le fleuve de ses déserts
Un sauvage Africain dirigeait sa nacelle,
Quand un orage affreux éclate dans les airs.
Autour du frêle esquif la vague s'amoncèle,
Et l'entraîne en grondant sur les rocs entr'ouverts.
Le sauvage longtemps combat Tonde terrible;
Mais, certain qu'il oppose un effort impuissant
A la fureur du fleuve mugissant,
Il abandonne aux flots sa rame trop flexible,
Dans sa nacelle il s'assied, il s'endort,
Et, tranquille, il attend la mort.
Lecteurs, dans le péril imitons le sauvage:
Tant que l'espoir brille en son cœur,
Il lutte contre le naufrage;
Mais lorsque la tempête a lassé son courage,
Il dort sur l'abîme vainqueur:
Le sage noblement se résigne au malheur.
Fable IV.
Le Torrent et le Nil
Un torrent grossi par l'orage
Voit les Égyptiens prosternés près du Nil,
Au fleuve-dieu rendant hommage.
»Peuples injustes, leur dit-il,
Votre stupidité me révolte et m'outrage.
Eh quoi! vous l'honorez comme un grand personnage?
Mais sa naissance, à lui, nul ne la sait encor,
Et moi, je descends du Thabor…
— Qu'importe? n'es-tu pas un destructeur immonde?
N'és-tu pas de s sillons l'ennemi redouté?
Tu ravages les champs que ce fleuve féconde,
Et son flot, lorsqu'il nous inonde,
Sur nous répand la vie et la fertilité...«
Vous qui revendiquez l'honneur et la puissance,
Dites-nous vos bienfaits, et non votre naissance.
Fable V.
L'Once et les Poids
Un jour, un épicier pesant de la chandelle,
Ou du sucre, ou du poivre, ou bien de la cannelle,
En vain, pour faire contre-poids,
Avait dans le plateau mis déjà tous ses poids.
Rien n'y faisait, ni quart, ni livre, ni demie.
»Maître, dit l'once, eh quoi! vous ne me voyez pas?
Je puis, cela s'est vu, vous tirer d'embarras.«
Les autres aussitôt de s'écrier: »Ma mie,
Quelle prétention! mais tu n'es bonne à rien.«
L'épicier, plus juste et plus sage,
La mit dans la balance, et tout alla fort bien.
Il n'est pas, croyes-moi, de mince personnage,
D'être si malheureux et si déshérité,
Qui n'apporte en naissant sa part d'utilité.
Fable VI.
L'Avare et les deux
Pauvres
Un riche en son chemin rencontre un mendiant,
Qui lui dit d'un ton suppliant:
»Donnez-moi quelque chose, et que Dieu vous le rende!
— Je ne donne jamais à celui qui demande!«
Dit le riche en courroux; mais un pauvre honteux,
Dont la triste défroque affiche l'indigence,
De l'avare frappe les yeux,
Et celui-ci murmure avec indifférence:
»Plus loin, sans m'arrêter, je dirige mes pas;
A qui ne me dit rien je ne donnerai pas...«
Quand de vous secourir l'avarice refuse,
Elle sait à propos inventer une excuse.
Fable VII.
L'Hiver et le Printemps
On était au printemps, alors que les beaux jours
Font éclore les fleurs, les oiseaux, les amours.
Un soleil radieux fécondait la nature:
Un hymne s'exhalait de chaque créature,
Quand du septentrion arrive un vent glacé
Qui dessèche la rose et chasse l'hirondelle;
On voit l'hiver aux cieux donnant de grands coups d'aile.
»Vieillard, dit le printemps, ton règne était passé,
Et tu viens, relevant ton trône renversé,
Sons un sceptre de plomb faire courber la terre!
Pourquoi, sans nul égard, me déclarer la guerre,
Troubler les éléments et l'ordre des saisons?...
— Pour en agir ainsi j'ai de bonnes raisons,
Répond l'hiver: souvent ton haleine, ô mon frère,
Fondit avant le temps ma neige et mes glaçons,
Et, sous les courts soleils de mon pâle solstice,
Elle ressuscita les fleurs et les chansons...
Eh bien! qu'on ose encor me taxer d'injustice!...«
Jeunes, nous survient-il des rides de vieillard,
Éprouvons-nous des maux attendus bien plus tard,
Sachons nous consoler; quelquefois la vieillesse
N'a-t-elle pas aussi ses retours de jeunesse?
Fable VIII.
La Chouette voleuse
Lasse d'avoir des fils hideux à faire peur,
Des monstres rechignes, prophètes de malheur,
Dame chouette
A l'alouette
Déroba quelques nourrissons
Dont les chansons
Lui valurent mainte louange.
Les oiseaux d'alentour trouvaient la chose étrange;
Les chouettes et les hiboux
D'un tel miracle étaient jaloux.
»Ces petits, disait-on, sont de jeunes merveilles!
Leurs chants mélodieux, qui charment nos oreilles,
Valent, sans contredit, les chants du rossignol!...«
Ce triomphe imposteur fut de courte durée;
Avant la fin da jour l'alonette éplorée
Vint réclamer ses fils et dénoncer le vol.
D'un écrirain forban cette fable est l'histoire;
C'était dimanche un âne renforcé,
Son front portait landi l'auréole de gloire...
Dans le nid du voisin c'est qu'l s'était g'i sé.
Fable IX.
La
vieille Chatte et les jeunes Chats
Par l'àge et les exploits une chatte vieillie
Était réduite à la bouillie.
Apercevant de jeunes chats
Qui vigoureusement faisaient la chasse aux rats:
»Mes fils, l'intempérance est un piège funeste;
Les os sont durs, dit-elle, et la chair indigeste;
Mettez-vous au régime, et vous serez prudents...«
Le plus espiègle de la troupe
Lui dit: »Mère, montrez vos dents...
— Hélas! je n'en ai plus... — Eh bien! mangez la soupe:
Nous croquerons Içs rats sans crainte d'accidents.«
Souvent la morose vieillesse
Reproche à la jeunesse
Le penchant qui l'entraîne au plaisir, à l'amour
»Mère, montrez vos dents!« lui dirai-je à mon tour.
Fabel X.
Le Réverbère
Oubliant le poteau qui l'attachait au sol,
Et sottement épris de sa pâle lumière
»Fi du noir allumeur! se dit un réverbère;
Loin du vil carrefour élevons notre vol.
Comme il faut qu'un soleil remplace
Notre soleil qui se fait déjà vieux,
C'est moi qui vais prendre sa place;
Allons, quittons la terre et montons jusqu'aux cieux!«
Il dit; l'aube parait, elle éclaire l'espace,
Et, comme pour confondre un orgueil sans pareil,
L'allumeur d'un seul souffle éteint le faux soleil.
Si le peuple qui vous révère,
O juges, députés, pairs, ministres et rois,
Daigna vous confier le dépôt de ses droits,
Il réserve aux ingrats un châtiment sévère:
Fit-il briller sur vous les rayons du pouvoir,
S'il alluma la lampe il garde l'éteignoir.
Fable XI.
Le Fermier et la Vache
Pierre, le lourd fermier, possédait une vache
Qui sans murmurer lui donnait
Tout son lait.
L'animal était maigre et toujours à l'attache.
»Peu donner, disait Pierre, et beaucoup recevoir,
C'est le moyen d'augmenter son avoir.«
Un jour, tenant en main quelques brins d'herbe fraîche,
Il gagne l'étable et la crèche
Où la vache se meurt de langueur et de faim.
Il l'embrasse et lui dit: »O ma belle, ô ma chère,
A l'avenir, crois-moi, tu feras bonne chère...
L'autre, de l'écouter se lassant à la fin,
Lai dit:» Trêve de flatteries,
De promesses en Tair et de cajoleries!
C'est mon lait que tu veux; prends donc, et par pitié,
Que je n'entende plus tes serments d'amitié.«
Fable XII.
Le Meunier, le
Fermier et l'Ane
Pour ses travaux un meunier possédait
Un baudet.
Tous les jours pour notre àne étaient jour de carême;
En vain se plaignait-il de sa maigreur extrême;
On lui regrettait l'herbe et le moindre chardon...
Hors les sacs de farine et les coups de bâton.
Un jour, comme ils allaient au plus prochain village,
Maître meunier, déjà sur l'âge,
Charge de blé sa bête, et monte par dessus:
Mais le baudet qui n'en peut plus,
Voulant se délivrer d'un cruel esclavage,
Par un sublime effort s'élance... Tout à coup
Le meunier tombe et se casse le cou.
L'âne, se voyant seul, renverse la farine,
Saute, gambade, rue et casse son licou.
Bientôt le gros fermier d'une ferme voisine
Aperçoit dans les champs l'animal révolté,
Qui se vautre dans l'herbe et broute en liberté:
»C'est moi qui vais, dit-il, sous le joug te soumettre,
Et tu m'appartiendras sans bourse délier.«
Lors d'un ton doucereux il va le supplier
De vouloir bien le reconnaître
Comme son protecteur, sinon comme son maître.
Il aura, tous les jours, l'avoine au ratelier;
Plus d'accablants fardeaux, chacun lui fera fête:
Enfin il lui promet félicité parfaite.
Or, l'imprudent se livre... Et vous saurez comment
Le gros fermier tint son serment:
Il enfourche la pauvre béte,
Lie au bout d'une gaule une botte de foin
Que dans l'air il agite au loin.
Plus l'áne trotte, et plus l'amorce horizontale
S'enfuit devant la dent qui cherche à l'attraper.
Hélas! pour le baudet qui s'est laissé tromper,
C'est le supplice de Tantale.
S'il'peste contre un Jeu qui ne lui convient pas,
Quelques coups de bâton le remettent au pas:
Il a beau dire, il a beau faire,
L'autre toujours le leurre et le frappe plus fort.
Je connais tel Etat sur un point de la sphère
A qui de ce pauvre áne on fait subir le sort.
Fable XIII.
Hercule et le Satyre
Déjà fameux par ses douze travaux.
Hercule, en attendant des prodiges nouveaux,
S'endormit on Jour sous un chêne.
Sortant d'une grotte prochaine.
Un satyre moqueur réveille le héros:
»Hé quoi! le grand Alcide a besoin de repos?
Lui dit-il; sa massue à ses côtés se rouille!
Du lion de Némée ô fils de Jupiter!
Tu déshonores la dépouille.
Hercule, si vaillant, si fier,
Voudrait-il, abdiquant sa glorieuse tâche,
Vivre désormais comme un làcho?...«
Le héros se relève et fait vibrer dans Tair
Sa massue effroyable;
»Fuis, dit-il, ou tu vas expier, misérable,
Ton insolence par ta mort!...«
Le satyre s'enfuit, Hercule se rendort.
Un public exigeant du satyre est l'image:
Il vent que le génie, ainsi que le courage,
Ne se repose qu'au tombeau.
Si chaque jour n'enfante un prodige nouveau,
Du prodige d'hier il ne vous tient pas compte,
Et vos travaux passés, il les prend en escompte
Sur les travaux de l'avenir;
A lui plaire, en un mot, on ne peut parvenir.
Fable XIV.
Le Léopard et le Renard
Un jour le léopard,
Accostant le renard,
Lui dit: »Ami, bonjour! j'allais vers ta tanière;
Je te trouve à propos.« L'autre répond: »Seigneur,
Moi, votre ami! d'où me vient cet honneur?
— C'est que des préjugés on va combler l'ornière;
De la fraternité flottera la bannière;
Plus de titres pompeux, de castes, ni de rangs!
Les faibles et les forts, les petits et les grands,
Des privilèges vains franchissant la barrière,
Vont enfin cimenter une sainte union,
Et, ce soir même, le lion,
Pour fôter cette nouvelle ère,
A de joyeux festins, où tous seront admis,
Invite ses sujets, ou plutôt ses amis...
— En vérité, dit le renard, je loue
Ces nobles sentiments, et longtemps, je l'avoue,
J'appelai de mes vœux cet avenir promis.
Maudissant le destin contraire,
Je gémissais tout bas de mon obscurité;
Mais aujourd'hui je touche à la félicité.
Allons, joie et bonheur! car je suis votre frère!
Vive, vive l'égalité!...
Pourtant, nous n'admettrons á nos fêtes, j'espère,
Ni le pourceau fangeux, ni le singe éhonté?«
Fable XV.
La Rose
naturelle et les Roses artificielles
De la fleuriste, un jour, franchissant l'atelier,
Des roses de satin, de soie et de papier,
Roses que le soleil n'avait pas fait éclore,
Dans un vase étalaient leur éclat inodore.
Une rose des champs auprès d'elles brillait,
Riche de ses parfums et fille de l'Aurore:
Ausst pour l'admirer tout le monde accourait.
S'attribuant l'honneur qu'on rend à leur compagne,
Les autres se gonflaient d'orgueil et de mépris.
Et lui dirent enfin: »Retourne à la campagne!
Paysanne, oses-tu nous disputer le prix?
C'est de nous, non de toi, que chacun est épris!«
Elle ne souffla mot, la rose naturelle;
Mais quelqu'un répondit pour elle:
»Folles, il vous sied mal d'afiecter ce dédain.
Sur vous de cette fleur rejaillit le mérite;
Si loin d'ici brillait celle qui vous irrite,
On vous délaisserait soudain.«
Ce trait de Cendrillon nous rappelle l'histoire:
C'est encore une fois la vertu, la beauté
De ses indignes sœurs essuyant la fierté,
Et les ennoblissant du reflet de sa gloire.
Fable XVI.
Un Riche d'présent
Un de ces vils traitants, Macaires sans pudeur,
Qui savent exploiter la bonne foi publique,
Avait contrę de l'or échangé son honneur:
Ainsi souvent chez nous la chose se pratique.
Il s'écriait un jour: »Je ne comprends pas, moi,
Vraiment, comment on peut mépriser la richesse…
— Pour moi, je le comprends, dit quelqu'un, quand je voi
Ceux à qui de nos jours la fortune s'adresse...«
Fable XVII.
Le Lion et le Renard
Un sujet du lion, contre sa majesté
Certain jour s'étant révolté,
Se cachait, résolu de ne jamais se reudre
En vain mille espions furetaient dans les bois,
Aucun ne pouvait le surprendre.
A son prince un renard propose de le vendre:
»Celur qui met, dit-il, vos limiers aux abois,
Des amis constamment se montra le modèle;
En plus d'une rencontre il fut mon bienfaiteur.
Je le livre pourtant, pour vous prouver mon zèle
Et mériter votre faveur.
J'ai su découvrir sa retraite,
Et, foi de fin renard, je vous promets sa tête.«
Le marché se conclut; le rebelle est livré,
Et le nouveau Judas va toucher son salaire.
A quelques jours de là, de ses gens séparé,
Le roi se promenait; or vayant rencontré.
Le renard le salue, et le prince en colère
Rugit. »N'ai-je donc pas, dit l'autre, pour vous plaire,
Traduit à votre barre un criminel d'Etat?
Sans moi l'impunité couvrait son attentat.
— Sottement, dit le roi, tu croyais, sur mon âme,
Gagner mon amitié par ta conduite infâme.
Ah! si l'on récompense un traître qui nous sert,
On lui voue un mépris suprême;
Et puis, mon ennemi, tu le vendis hier;
Demain, tu me vendrais moi-même...«
Fable XVIII.
L'Oie que l'on engraisse
Dans une basse-cour se dandinait une oie,
Et, flère, elle disait: »Je nage dans la joie;
De Cocagne, vraiment, j'habite le pays;
On me gorge de son, de froment, de mais.
La femme, les enfants, les valets et le maître
Sont, par amour pour moi, voués à mon bien-être...
— Cesse, lui dit quelqu'un, de croire en leur bonté;
Apprécie un peu mieux leur générosité:
Ils te réservent tous une amère disgrâce,
Et te feront rôtir lorsque tu seras grasse...«
Ceux qui de nous servir se montrent empressés
Nous prodiguent parfois des soins intéressés.
Fable XIX.
Le Laurier, la
Lyre et le Lierre
Quelqu'un sur un laurier suspendit une lyre.
Or, quand le souffle du zéphire
Agitait les rameaux, soudain
Elle exhalait des sons étranges, fantastiques,
Et dans le même cercle il repasse et repasse.
Bientôt, se croyant libre, il se voit dans les airs,
Franchissant les cités, les forôts, les déserts,
Les peuples de la terre et les peuples de l'onde.
Il allait parvenir jusqu'aux bornes du monde;
Tout à coup il s'arrête... On devine aisément
Quel dut être aussitôt son désappointement...
Députés, c'est à vous que ma fable s'adresse:
Au bâton du pouvoir hannetons mis en laisse,
Vous vous battez les flancs, vous prenez vos ébats,
Et dans un cercle étroit vous bourdonnez sans cesse.
Est-ce qu'on vit jamais, après vos longs débats,
Les affaires du peuple avancer d'un seul pas?
Fable XX.
Le Derviche et le Roi
Un derviche allait faire un long pèlerinage.
Quand la nuit descendit, portant l'ombre et l'effroi,
Il s'assit pour dormir sous le palais d'un roi.
Il posait son manteau, son bâton de voyage,
Quand le roi l'aperçut et lui cria: »Pourquoi
Viens-tu sous ce portique? Il te fallait, crois-moi,
Chercher un autre gîte ou poursuivre ta route.
Ces murs sont un palais, et non pas, sur ma foi,
Un caravensérail...« Le vieillard dit: »Écoute:
Combien d'autres ici régnèrent avant toi?
— Deux cents. — Et, dis-moi, tant de maîtres,
Seigneur, furent tous tes ancêtres?
— Non, vingt races ont pris la couronne à leur tour,
Et par le peuple élus à la puissance,
Selon que par le crime ou par leur bienfaisance
Tous ces rois en ces lieux signalaient leur présence,
Ils furent adorés ou proscrits sans retour.«
Alors le pèlerin s'écrie:
»Des murs où tant de chefs ont passé tour à tour
Ne sont pas un palais, c'est une hôtellerie!...«
Fable XXI.
L'Araignée
Sur un rosier paré de sa robe de fleurs,
Une araignée, un jour, file des nœuds trompeurs;
Puis la cruelle,
Sous une feuille assise en sentinelle,
Attend, l'œil aux aguets, d'imprudents voyageurs,
Et dit: »Passez, mouches de toute sorte,
Parasites ailés de toutes les couleurs
Passez...« Soudain le vent emporte
Et les feuilles de rose, et les plans destructeurs,
Et la toile tissue avec tant d'artifice.
Sur les roses, le sable et sur les flots mouvants,
Fondez de vos projets le fragile édifice,
Tous vos projets bientôt sont le jouet des vents.
Fable XXII.
La Dame et le Miroir
Une dame coquette et laide à faire peur,
Mais riche, pour son or avait plus d'un flatteur.
Vainement son miroir la trouve épouvantable;
Chacun de ses amis la déclare adorable,
Lui décerne à l'envi le prix de la beauté,
La couronne de fleurs, la nomme son idole.
Comme de leur encens la coquette raffolle!
Aussi comme elle voue avec sincérité
Amour aux courtisans, haine à la vérité!
Elle était seule un jour; la glace véridique
Amplement démentait l'encens hyperbolique;
La foule avait dit blanc, le verre disait noir:
»Maudit soit, dit la dame, un miroir qui m'outrage!
Celui qui l'inventa fut un sot personnage!
Dans ce verre imposteur je ne veux plus me voir...«
Alors, obéissant à son humeur chagrine,
Notre belle en éclats fait voler le miroir.
Plus d'un fat qu'on adule aux bancs de la doctrine,
Mais que la presse libre a dépeint trait pour trait.
Briserait de bon cœur ce miroir indiscret.
Fable XXIII.
Le Chien et le Lion
Sons un sceptre de fer courbant les animaux,
Le lion, roi cruel, les accablait de maux;
Comme les dieux païens il vivait d'hécatombes.
Chacun a ses tyrans: les cerfs et les colombes,
Dans l'air et dans les bois périssent tous les jours
Sous l'ongle des lions, sous le bec des vautours.
Tous pleuraient sous le poids d'un pénible esclavage,
Lorsqu'un chien se dévoue, et, s'armant de courage,
Pour le salut commun gagne l'antre du roi.
Voulant frapper son cœur d'un salutaire effroi:
»Apprenez, lui dit-il, qu'un cri de délivrance
Peut remplacer bientôt le cri de la souffrance,
Et que le ciel, témoin de nos affreux tourments,
Vous réserve la foudre et de longs châtiments;
Vous verrez dans vos nuits chaque pâle victime
Troubler votre sommeil et vous glacer d'horreur...
Allons, quittez enfin le noir sentier du crime...«
Le lion, à nes mots, étrangla l'orateur.
Plus d'un noble avocat d'une cause sublime,
Pour ses frères bravant la colère des rois,
Gémit dans les cachots ou mourut sur la croix!
Fable XXIV.
Les deux Canards
Deux canards barbotaient tout le long d'une mare:
»Mon frère, dit l'un d'eux, que dis-tu du mouton?
Quant à moi, je le trouve ignare,
Paresseux, maladroit, poltron,
Car, entre nous, que sait-il faire?
Bêler, brouter, dormir du matin jusqu'au soir,
N'est-ce pas toute son affaire?
Mais parle-moi du singe; ah! c'est lui qu'il faut voir!
Dans sa cage il fait sans cesse
Mille et mille tours d'adresse...
— Oui, dit l'autre canard, il est plein de savoir;
Mais il n'aime personne, et personne ne l'aime:
De la méchanceté c'est le funeste emblème;
Gare à qui loin de lui ne sait pas se tenir!
Le mouton est plus béte, il faut en convenir;
Mais il est estimé de chacun à la ronde;
Il est sensible et doux, et ce pauvre animal
Ne fit jamais le moindre mal.«
Je préfère un bon cœur à tout l'esprit du monde.
Fable XXV.
Les Grenouilles
qui changent de gouvernement
Des grenouilles, un jour, vers un lac s'assemblèrent,
Et, dans leur mécontentement.
Elles changèrent
La forme du gouvernement.
Je ne sais pour laquelle elles se décidèrent;
Prirent-elles pour chef un prince, un prêtre, ou bien
Un dictateur? Je n'en sais rien.
»Mesdames, leur dit-on, vous connaissez, j'espère,
De vos antiques sœurs le destin peu prospère;
D'un amer désenchantement
Jupiter sut payer leur soif de changement...
— Jupiter fut un mauvais père,
Répondit aussitôt le peuple coassant,
Au lieu d'un soliveau, d'une hydre épouvantable,
Que ne leur donnait-il quelque prince équitable,
Quelque maître sage et puissant!
A souffrir en silence il faut donc se contraindre?
Tant qu'on est malheureux on a droit de se plaindre...«
Fable XXVI.
Le Corbeau et le Renard
Le corbeau, toujours maître en fait d'escroquerie,
Pour réparer les torts que lui fit le renard,
S'est d'un autre fromage emparé quelque part.
Le renard, toujours maître en fait de fourberie,
Répète à notre oiseau sa formule chérie:
»Eh! bonjour, lui dit-il, que vous me semblez
beau!
Vous êtes le phénix….« Messire le corbeau
Dévora le fromage aux yeux du bon apôtre,
Et lui cria: »Rusé matois,
Pour me séduire encore entonne une autre gamme;
Au même piège, sur mon âme,
Tu ne saurais me prendre une seconde fois.«
Fable XXVII.
L'Abeille et le
Papillon
L'abeille au papillon parlait un jour ainsi:
»Veux-tu jusqu'à la mort, dans tous les coins du monde,
Eparpiller ta vie oiseuse et vagabonde
Et de ton avenir n'avoir aucun souci?
D'un travail assidu je suis le vrai modèle:
Ainsi qu'à mon nectar, à ma ruche fidèle,
Le même toit m'abrite constamment.«
Elle aurait volontiers poursuivi la semonce;
Mais deux hommes par-là passant en ce moment,
Le papillon se sauve, emportant sa réponse.
»L'abeille, dit l'un d'eux, n'a-t-elle pas raison?..
— Non!
Car, selon moi, toute nature est sainte;
Faut-il tous nous cloîtrer dans une étroite enceinte?
Le papillon, disaient les poètes anciens,
C'est l'esprit dégagé des terrestres liens;
Émeraude vivante et diamant qui vole,
De l'âme voyageuse il offre le symbole;
Il va de fleur en fleur, au gré de son désir,
Et, quand s'exhale enfin sa vie insoucieuse,
Il semble encor rêver d'amour et de plaisir...«
L'autre reprend: »L'abeille industrieuse,
Qui sur toutes les fleurs cueille un miel abondant,
N'est-ce pas l'écolier prudent
Qui puise dans l'étude une douce ambroisie,
Et l'autre, n'est-ce pas un enfant insensé
Préférant au savoir sa vaine fantaisie.
Et pour le plaisir seul se montrant empressé?
— Vous avez raison, je l'avoue;
Mais c'est encor l'homme qui voue
A toute poésie un culte intéressé,
Et celui qui demande à la muse qu'il aime,
Non pas un vil métal, mais la muse elle-même.«
Fable XXVIII.
Le Coq et le Vautour
Un coq, sultan de basse-cour,
Plus gras que tous les coqs qui régnaient à l'entour,
Par le droit des ergots, droit toujours arbitraire,
Battait, grugeait les siens, et plus il s'engraissait,
Plus la volaille maigrissait.
Oisons, dindons, poulets, il faut le laisser faire,
Ou bien gare le bec et gare l'éperon!...
»Tyran! lui dit quelqu'un, tu fais le fanfaron,
Et devant le vautour tu courberais la tête!...
— Le vautour!... dit le coq en balançant sa crête,
Qu'il apparaisse, et sans pitié...«
Mais le vautour se montre au haut d'une muraille,
Et le lâche lui dit: »Plumez cette canaille
Et donnez-moi votre amitié.«
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