Livre Sixième
 

Livre Cinquième
 
La Fauvette et le Pinson
Le Moucheron et la Mouche
Le Flot
Le Pot de terre el le Vase d'or
Les deux Ceps de vigne
L'Enfant et le Sucre
Lucy et sa Poupée
La Chenille
Fanfan et le Baton
Le Papillon et le Ver a soie
La Source
L'Avare et l'Hydropique
Le Savoir et le Savoir-Faire
LŒuf de Poule
La Fusée et la Lampe

 
La Tourterelle choisissant un époux
Le Laboureur accusé de Magie
Le Papillon et la Lampe
Le Phénix mourant
Le Fleuve et le Ruisseau
L'Ambre et l'Amour
Ésope et Protée

 

Fable I.
La Fauvette et le Pinson
A M.Béranger

Dès l'aube jusqu'au soir la fauvette chantait;
                    C'était
      — Tout son bonheur, toute sa vie.
Le pinson vint lui dire: »Excités par l'envie,
      Le geai, le merle, le dindon,
      Le corbeau, la pie et l'oison
Disent insolemment que tu devrais te taire;
Et toi, malgré leurs cris, malgré leurs sots discours,
      Joyeuse, tu chantes toujours...
De ta persévérance apprends-moi le mystère.«
La fauvette répond: »Hier, au fond des bois,
      Le rossignol, ce roi de l'harmonie,
Daigna d'un doux sourire encourager ma voix.
      Va, mon frère, quand le génie,
Oracle irrécusable, applaudit à nos chants,
Que nous font les clameurs des sots et des méchants!«

Fable II.
Le Moucheron et la Mouche

Sage, craintif, docile aux conseils de sa mère,
Coin du feu voltigeait un jeune moucheron.
      La chandelle lui dit: »Poltron!
D'un péril idéal, d'une folle chimère
      Cesse enfin de t'épouvanter.
      Viens au plus tôt, viens habiter
Le magique palais que ma flamme environne
Des sylphes, des lutins y font une couronne
D'azur et de saphir... elle sera pour toi:
      Approche, approche... et tu vas être roil!«
Que fait le moucheron? Vous le savez d'avance:
Ébloui, fasciné, vers la flamme il s'élance,
Et dans le beau palais il rencontre la mort.
Une mouche était là, vieille prude, et la dame
      A l'écart observait le drame.
»Cet insensé, dit-elle, a mérité son sort;
Pourquoi s'envolait-il sur une mèche ardente?
      Que la jeunesse est imprudente!...«
Tandis qu'ainsi notre mouche parlait,
Elle voit sur la table un vase plein de lait.
      »Dans ce nectar, dit la friande,
      On trouve plaisir et profit:
Là du moins, il n'est pas de feu qu'on appréhende…«
Mais on peut s'y noyer... et c'est ce qu'elle fit.

Mouches et moucherons, depuis cette aventure,
N'évitent pas toujours un semblable accident:
L'homme, image de Dieu, sublime créature,
Depuis la chute d'Eve est-il donc plus prudent?

Fable III.
Le Flot

Une voix dit au flot: »Pourquoi fuir ces rivages,
Ces fleurs, ce sable d'or et ces beaux coquillages?
Oh! ne va plus ainsi, sur les mers t'égarant,
      Livrer ton onde si limpide
Au récif anguleux, au gouffre dévorant...«
      Le flot répond: »Lent ou rapide,
      Toujours m'entraine le courant.
Sur des rocs, sur des fleurs, vers l'abime ou la n o,
Poursuivant une route à moi seul inconnue,
      A son gré je roule incertain.«

Le flot et le courant, c'est l'homme et le destin.

Fable IV.
Le Pot de terre el le Vase d'or

Frêle, pétri de fange, un vase estimé peu,
Le pot de terre, enfin, s'endurcit sur le feu.
Monseigneur vase d'or dans la flamme, on jour tombe,
Et le voilà fondu, le beau sire, vanté
Pour son prix, son éclat et sa solidité.

        Au feu de Tadversité,
      Où souvent le riche succombe,
      Souvent le pauyre a résisté.

Fable V.
Les deux Ceps de vigne

      Courbé sous le poids du raisin,
      Un jeune cep a pour voisin
Un vieux cep tortueux, couvert de cicatrices,
Qui compte avec orgueil soixante ans de services,
Et n'a plus pour richesse et pour tout ornement
Que des grains clair-semés sur un dernier sarment.
   Or, le vieux cep, au temps de la cueillette,
      Fournit un nectar généreux,
      Et l'autre?... De ses fruits nombreux
      On fit un tonneau de piquette.

En frivoles propos ne voit-on pas toujours
      Abonder la folle jeunesse?
Vieillesse parle moins; mais ses rares discours
Sont pleins de bons conseils mûris par la sagesse.

Fable VI.
L'Enfant et le Sucre

»Enfant, tu sais cet homme et si sombre et si noir,
Dont l'aspect, autrefois, t'accablait de tristesse:
      Eh bien! à cet homme, ce soir,
Tu rendais, je l'ai vu, caresse pour caresse.
D'où vient ce changement? Parle, petit lutin.
— C'est c'est qu'il m'a donné du sucre, ce matin.«

Hier, contre les rois Paul lançait l'anathème;
      Mais aujourd'hui, changeant dé thème,
      Des rois il chante les vertus ...
On a donné du sucre au moderne Brutus.

Fable VII.
Lucy et sa Poupée

Au soin de ses enfants une mère assidue
Tendrement à Lucy, chaque jour, adressait
Reproches et conseils bien mérités, Dieu sait!
Reproches et conseils étaient peine perdue.
En revanche, Lucy prenait sur ses genoux
Et, coupable, tançait sa poupée innocente.
»Vous êtes, disait-elle, âh! j'en rougis pour vous,
Méchante, paresseuse et désobéissante;
Il faut vous corriger de ces vilains défauts...«
C'était, de point en point, le sermon de sa mère.
La poupée, à la fin, lui réplique: »Ma chère,
Ce qui, tombant sur moi, tombe toujours à faux,
      Je le renvoie à son adresse;
A toi ces discours-là furent faits pour ton bien.
Epargne-moi, Lucy, tes leçons de sagesse,
Et remplis des devoirs que tu prêches si bien.«

Fable VIII.
La Chenille

Insecte repoussant, la hideuse chenille,
Qui trace sur les fleurs un venimeux sillon,
      Nous séduit quand elle brille
      Sous les traits du papillon.

Dans toute sa laideur ose-t-il apparaître,
      Ainsi le vice fait peur;
Mais trop souvent, hélas! nous captive le traître.
      Paré d'un masque trompeur….

Fable IX.
Fanfan et le Baton

Fanfan fit un cheval d'un bâton, qui, plus tard,
      Devint l'appui de sa vieillesse.

Ce bâton, dites-moi, n'est-ce pas la sagesse
Dont s'amuse l'enfant, dont se sert le vieillard?

Fable X.
Le Papillon et le Ver a soie

Qu'as-tu, beau papillon, disait lever à soie;
Quel nuage sinistre a dissipé ta joie?
   Qui peut ainsi faire couler tes pleurs?
  — Avec l'abeille, au sein de la prairie;
      Je folâtrais parmi les fleurs.
C'était de tous mes jeui la compagne chérie;
      Mais elle vient de me quitter
Pour regagner sa ruche où le travail rappelle.
Je la hais, l'inconstante, à mes désirs rebelle...
— Ami, reprend le ver, tu devrais imiter
      L'abeille si laborieuse.
      Mais vois, elle revient, heureuse,
      Te consacrer tout son loisir,
Car, après le travail, plus doux est le plaisir.

Fable XI.
La Source

      Lorsque l'été sur la terre
      Etend son brûlant manteau,
      Comme un Eden solitaire
      Fleurit au pied du coteau
      Un pré riant et fertile.
      Ailleurs, quand le sol stérile
      Est morne, silencieux,
      Là s'ouvre un charmant asile
      Pour l'biseau mélodieux;
      Dans l'atmosphère embrasée
      On voit monter, doux espoir!
      Un brouillard qui, vers le soir,
      Retombe en fraîche rosée...
Or, ce pré toujours vert, même au sein de lété,
A qui doit-il la sève et la fertilité?
      C'est à la source féconde
Qui répand sous les fleurs les trésors de son. onde.

      Ainsi, dans l'obscurité,
      Se cache la bienfaisance,
Et, seules, ses vertus signalent sa présence.

Fable XII.
L'Avare et l'Hydropique

      »Hydropique, disait Tavare,
      Votre sort est vraiment bizarre;
Quoi! vous buvez toujours sans vous désaltérer,
Et, par une imprudence étrange, inconcevable,
Vous-même alimentez le mal qui vous accable!
      Il faut savoir se modérer...
— Mais vous, maître Harpagon, pareil mal vous tourmente,
      Lui dit quelqu'un... la soif de l'or!
Vous n'avez qu'un seul but, grossir votre trésor:
Eh bien! plus il grossit, plus votre soif augmente.«

Fable XIII.
Le Savoir et le Savoir-Faire

Au grenier du savoir grimpa le savoir-faire:
»Eh quoi, toujours obscur et toujours mal vêtu?
Nommant votre indigence et courage et vertu,
Des poétiques cieux vous parcourez la sphère!
Pour la réalité, croyez-moi, délaissez
Le monde vaporeux des rêves insensés.
Venez; d'or et de fleurs parsemons l'existence.«
Le savoir descendit sans faire résistance:
Entre nous, du pain sec il se lassait un peu.
      Les voilà partis. L'œil en feu,
  L'un de calculs remplit de longues pages,
      L'autre contemple les nuages.
»Ami, dit savoir-faire, allons flatter les grands
Ici-bas le bonheur est pour les intrigants,
Et nul profit n'arrive à qui ne sollicite.
Pour acquérir l'argent et la célébrité.
Empruntons les cent voix de la publicité:
      A cela tient la réussite.
— Quoi! perdre mon repos, mon temps, ma dignité
      Ma solitude bien-aimée,
A poursuivre de l'or et de la renommée!
Répondit le savoir; de vos offres merci!
      A tous les biens acquis ainsi,
      Ma pauvreté, je te préfère...«
Alors de son côté chacun d'eux s'en alla,
      Et, depuis ce jour-là,
Rarement le savoir s'unit au savoir-faire.

Fable XIV.
LŒuf de Poule

      Croyez-moi, de vos tendres mères
      Ne repoussez jamais les soins;
Elles seules, enfants, connaissent vos besoins
Liberté trop précoce a des suites amères.

Par Cocotte couvé, certain œuf se lassa
De vivre, disait-il, dans une ombre éternelle,
      Et l'imprudent hors du nid se glissa,
Fier de se dérober à l'aile maternelle.
De ses frères bientôt (ils étaient plus de vingt)
Sortit maint joli coq, mainte douce poulette;
      Et lui, sait-on ce qu'il devint?
      Il fut croqué par la belette.

Fable XV.
La Fusée et la Lampe

Ivre d'un vain mérite et folle de jactance,
La fusée à la lampe un jour parlait ainsi:
»Flambeau pàte et sans gloire, éloigne-toî d'ici;
      Tu compromets par ta présence
Une fille des cieux, dont les feux éclatants...«
Mais quelqu'un l'interrompt: »Madame la fusée,
Je défends contre vous la lampe méprisée;
Feu follet qui dans Tair brillez si peu d'instants,
Vous êtes des oisifs l'amusette frivole.
La lampe, à mon avis, remplit un plus beau rôle;
Quoique moins radieuse, elle luit plus longtemps;
Elle est à l'atelier, au fond du sanctuaire,
Au grenier du poëte, au lit de la douleur,
Compagne du travail et sœur de la prière:
Partout son doux rayon console le malheur.«

  A la fusée orgueilleuse et futile
Ressemblent la plupart de nos littérateurs;
      Lampe modeste, mais utile,
Tu comptes dans leurs rangs trop peu d'imitateurs.

Fable XVI.
La Tourterelle choisissant un époux

      La tourterelle se lamente;
Que veut la tourterelle? elle veut an époux.
»Apaisez, dit le coq, le feu qui me tourmente;
Beau, brave, vigilant, je suis digne de vous.
— Je ne puis vous aimer, répond la tourterelle,
      Car je yeux un époux fidèle.«
En ce moment, l'aigle arrive des cieux:
»Des oiseaux, lui ditr-il, soyez la souveraine.«
Elle répond: »L'amour n'est pas ambitieux.«
Le rossignol survient: »Pour adoucir ta peine
      Je filerai les plus doux sons.
— Le chant ne suffit pas à mon àme brûlante;
      L'amour ne vit pas de chansons.«
Le paon déploie en vain sa roue étincelante;
  Elle lui dit: »L'éclat, la vanité
      Ne font pas la félicité.«
Les amants éconduits quittent la tourterelle,
      Et la pauvrette pleure encor.
Un tourtereau venant: »Sois mon époux!« dit-elle.
Pour plaire, qu'avait-il? de la gloire, de l'or?...
Il avait son amour pour unique trésor.

Fable XVII.
Le Laboureur accusé de Magie

  S'affranchissant du joug héréditaire,
Un Romain acheta quelques arpents de terre,
      Et fit si bien qu'en peu de temps,
Un champ qui fut jadis rocailleux et stérile,
      Il le rendit riche et fertile.
De sa prospérité les voisins mécontents
      Devant le peuple l'appelèrent
      Et de magie ils l'accusèrent.
Que fit l'ancien esclave en ce pressant danger?
Il amena vers ceux qui devaient le juger
      De bœufs un robuste attelage,
      Ses fils déjà grands, déjà forts,
      Et ses outils de labourage.
»Peuple, voilà, dit-il, la magie et les sorts
Auxquels je dois les biens que l'on m'envie.«
A ces mots, en dépit de ses voisins jaloux,
Le laboureur partit, absous,
Aux acclamations de la foule ravie.

Fable XVIII.
Le Papillon et la Lampe

  Beau papillon cherchait fortune un soir.
Voyant dans une chambre une lampe allumée,
      Rapide, il vole; ô désespoir!
Un carreau le retient, la fenêtre est fermée.
Il va, vient; de la tète et de l'aile et des pieds
      Il frappe à coups multipliés;
      Contre la barrière maudite
      Le pauvre insecte se dépite;
      Tourments superflus, vains efforts:
      Le lutin restera dehors.
      Comme il pleure, comme il enrage,
      Près de la flamme il aperçoit
      Un moucheron qui, plus adroit,
      A su se frayer un passage.
Mais qui, plus malheureux, dans les rayons ardents
Périt. Le papillon, que ce trépas éclaire,
En s'envolant bénit l'obstacle salutaire
Qui vient de s'opposer à ses vœux imprudents.

Fable XIX.
Le Phénix mourant

Sur an bûcher de cèdre, à la flamme odorante,
Pour la première fois quand le Phénix mourut,
Autour de sa dépouille, en sifflant, accourut
De geais et de serpents une tourbe insolente.
Mais on dépit mortel saisit les envieux
Lorsqu'il se ranima plus beau, plus radieux.

Si tu vois dans la tombe un grand homme descendre,
      De son trépas.,
Méchant, ne te réjouis pas:
Le Phénix renaît de sa cendre!

Fable XX.
Le Fleuve et le Ruisseau
A.M. Scribe

      Éphémère enfant de l'orage,
Du haut d'une montagne un ruisseau babillant,
               Sautillant,
Arrive vers un fleuve et dit: »Il n'est pas sage
      De s'épandre si largement;
      Tu ne traînes que de la vase,
Et tu vas épuiser ta source en un moment.«
      A peine a-t-il fini sa phrase,
      Que dans le sable il disparait,
Et le fleuve toujours laisse couler ses ondes
      Pures, abondantes, fécondes.

Scribe, dans ce ruisseau j'ai dépeint trait pour trait
Ceux qui de tes écrits vont accusant le nombre.
Mais toi, sans écouter leurs cris injurieux,
Tu vois un juste oubli les couvrir de son ombre,
Et tu nous enrichis de tes flots glorieux.

Fable XXI.
L'Ambre et l'Amour

      L'ambre enfermé dans un coffret
Croit tromper le regard ou le doigt indiscret;
Mais l'ambre se trahit par l'odeur agréable
Qui, perçant la prison, se répand à l'entour.
Qu'une femme en son cœur refoule son amour
  Comme en un fort impénétrable,
Au carmin de la joue, au langage des yeux,
On devine toujours l'hôte mystérieux.

Fable XXII.
Ésope et Protée

Lorsque dans l'Élyséc Ésope descendit,
      Protée en souriant lui dit:
»Sous ces bosquets divins, sur ces fleurs éternelles,
A jamais unissons nos ombres fraternelles;
Viens, ô toi qui là-haut me remplaçais si bien.
— Je ne te comprends pas, répond le Phrygien.
      — Quoi! dans tes fables immortelles
N'as-tu pas, comme moi, pris cent masqaes divers!
— C'est vrai; mais entre nous grande est la différence:
      Tu voulais cacher ta science,
Et moi je m'efforçais d'instruire l'univers.«