Livre Septième
 

Livre Sixième
 
La Conque et l'Enfant
L'Aiglon
Le Rossignol, l'Étoile et la Fleur
La Mort et l'Amour
L'Avare aux enfers
L'Escargot et la Chenille
L'Enfant et les Fleurs
L'Enfant et la Bougie
L'Attelage
Le Chat et la Tourterelle
La Fumée de l'encens et la Fumée de la forge
La Goutte d'eau et le Lis
Le Cormoran et les Rayons de la Lune
Le Fleuve et l'Océan
La Mère, l'Enfant et le Vieillard
Le Coursier et l'Abricotier
L'Hermine et le Rat

 
Le Rat dans la Bibliothèque
La Truffe et la Pomme de terre
L'Alouette et le Pourceau
L' Enfant et la Rose
Le Lion devenu vieux et l'Ane
L'Écueil et le Phare
Le Perroquet imitateur
Les Enfants et le Torrent

 

Fable I.
La Conque et l'Enfant
A Ma Sœur

Un enfant aperçoit sur une cheminée
Une conque jadis par la vague entraînée
      Sur un rivage lointain.
      Il l'applique à son oreille,
      Puis il entend, ô merveille!
      Un bruit étrange, incertain.
»D'où vient, dit-il, ce bruit qui cause ma surprise?
— C'est la voix de la mer que caresse la brise;
Son souvenir en moi toujours résonne ainsi.«

O ma sœur, en nous aussi
Murmure une voix touchante,
De la terre natale écho mystérieux.
Quels que soient nos destins, à toute heure, en tous lieu:
Elle parle à nos cœurs de la patrie absente.

Fable II.
L'Aiglon

A peine recouvert du plus léger duvet,
Déjà par la pensée un aiglon s'élevait
      Vers des régions inconnaes,
      Loin, bien loin par delà les nues.
Jeune amant de la gloire et de la liberté,
      Trop tôt le malheureux oublie
      Sa faiblesse et sa nudité.
Hors du nid, l'œil au ciel, il s'élance, ô folie!
Et la mort est le prix de sa témérité.

Si tu veux t'envoler aux sphères immortelles,
Poète aventureux, laisse croître tes ailes.

Fable III.
Le Rossignol, l'Étoile et la Fleur

Au firmament sans voile,
Vers le soir, une étoile,
Radieuse, montait;
Brûlant d'ardeur pour elle,
Un rossignol chantait;
Une fleur douce et belle
Pour l'oiseau soupirait.
Or, déployant son aile,
L'amant ambitieux
S'éleva vers les cieux;
L'étoile indifférente
Au couchant disparut,
Et, d'amour languissante,
La pauvre fleur mourut.

Le rossignol, c'est l'âme;
L'astre, lointaine flamme,
C'est un espoir trompeur;
La fleur, c'est le bonheur…
Mais souvent T&me éprise
De biens que nous n'atteindrons pas,
      Trop follement méprise
Le bonheur éclos sous nos pas.

Fable IV.
La Mort et l'Amour

      Munis de l'arc et du carquois,
La Mort et Cupidon voyageaient une fois.
Aussitôt que la nuit vint déployer son aile,
Les compagnons lassés se couchèrent tous deux,
Posant sur le gazon leurs flèches pêle-mêle.
S'éveillant quand l'aurore illumina les cieux,
L'Amour, par une erreur, source de mille larmes,
Prit des traits à la Mort, et la Mort, à son tour,
De l'enfant de Vénus emporta quelques armes.
      Souvent la Mort, depuis ce jour,
Lance au cœur des vieillards les flèches de l'Amour,
      Et, de son côté, l'Amour blesse
Des flèches de la Mort le cœur de la jeunesse.

Fable V.
L'Avare aux enfers

Un avare étant mort descend au noir rivage.
Ne voulant pas payer l'impôt pour le passage,
Que fait notre Harpagon? Il se jette à la nage,
Et traverse sans peur le Styx et l'Achéron
      A la barbe du vieux Caron.
Mais Pluton, pour punir cet acte d'avarice,
Ordonne qu'à l'instant on invente un supplice
      Horrible, inoui jusqu'alors.
On saisit le coupable, à Minos on le livre,
Et le juge d'enser le condamoe à revivre,
Afin qu'il aille voir, loin du pays des morts,
Comment ses héritiers dispersent ses trésors.

Fable VI.
L'Escargot et la Chenille

      Par habitude, par système,
O vous qui courtisez ou repoussez autrui
      Pour son habit, non pour lui-même,
C'est à vous que j'adresse une fable aujourd'hui.

Jadis vers l'escargot se glissa la chenille.
      »Bonjour, dit-elle, mon voisin,
      Ou plutôt mon cousin,
Car tous deux nous rampons... — Moi de votre famille!
Reprend maître escargot; vraiment, vous radotez.
      Fi! la vilaine créature!
Je ne vous connais pas, vieille folle; partez!«
Et la chenille part sans relever l'injure.
A quelque temps de là, sur le gazon fleuri,
      Un beau papillon, dont les ailes
Semblaient faire jaillir des milliers d'étincelles,
Voltigeait, voltigeait. »Approche, mon chéri,
      Dit l'escargot; causons ensemble;
Qu'un lien fraternel à jamais nous rassemble.
— Tais-toi, répond l'insecte, oh! de grâce, tais-toi,
   Lâche orgueilleux! ce qui te plaît en moi,
   Je le sais trop, c'est mon aile qui brille,
Car tu me repoussas impitoyablement
Lorsque j'étais encore une pauvre chenille.«
A ces mots disparut le papillon charmant,
Et l'escargot honteux rentra dans sa coquille.

Fable VII.
L'Enfant et les Fleurs

      Dans les champs voisins d'une ferme
      De beaux froments étaient en germe;
      En même temps germaient aussi
La blanche paquerette et le jaune souci.
      Du printemps la saison vermeille,
De ses sucs généreux fertilisant les blés,
Aux sillons prodigua les fleurs de sa corbeille.
      On voyait croître, entremêlés,
Bluets, coquelicots, marguerites, pensées,
      Muguets, boutons d'or étoiles,
Et clochettes traînant leurs tiges enlacées.
Lorsque pour voir ses blés s'en va le laboureur,
Alfred, son jeune fils, admire chaque fleur.
Que la tempête au loin répande les alarmes,
Que la bise tardive apporte des glaçons:
»Grand Dieu! dit le fermier, protégez nos moissons!
— Ciel, épargnez mes fleurs!« dit l'enfant tout en larmes.
      Dans l'été, lorsque les passants
Emerveillés disaient: »Oh! les blés ravissants!«
Alfred disait tout bas: »Que ces fleurs sont gentilles!«
Les épis arrivant à leur maturité,
Dès l'aube le fermier fait armer de faucilles
Ses fils et ses voisins, qui, pleins d'activité,
S'en vont des blés jaunis recueillir mille gerbes.
Alfred, de son côté, fait des gerbes de fleurs.
»Oh! l'enfant paresseux, avec ses folles herbes!«
Criaient, en ricanant, les rudes moissonneurs.
Et lui, d'un seul objet nourrissant sa pensée,
En chantant poursuivait sa tâche commencée.
Mes gens gagnent enfin, à la chute du jour,
La ferme où les attend une table frugale.
Ruisselant de sueur, Alfred vient à son tour,
   Et dignement il veut qu'on le régale:
»Qui ne travaille pas ne mange pas, enfant!«
Lui dit-on aussitôt; mais lui, tout triomphant,
Il offre aux conviés mainte fraîche guirlande.
      Pour prix de sa naïve offrande,
      Chacun l'embrasse, et de grand cœur
On l'accueille au repas comme un bon travailleur.

L'enfant que j'ai chanté, c'est l'artiste candide
Qui, sur un monde austère et de richesse avide,
Des poétiques fleurs aime à verser le miel.
Mais quand sa tète est lasse et que la faim le presse,
Il trouve rarement, paria qu'on délaisse,
Une table commune, un foyer paternel.

Fable VIII.
L'Enfant et la Bougie

A la bougie ardente, un soir, un écolier
Disait: »Ainsi que toi que ne puis-je briller!
Un soleil sur ton front toutes les nuits s'allume...
— Ah! vous ne savez pas ce que vous enviez,
Répondit la bougie; enfant, voyez, voyez:
      Je brille, mais je me consume.«

Fable IX.
L'Attelage

  »A cette enfant ai fraîche, si jolie,
Oserez-vous, mon frère, unir vos soixante ans,
Marier vos hivers à ses quinze printemps?
Nous n'accomplirez pas cette insigne folie...
— Oui, je raccomplirai, répondit le vieillard,
Aujourd'hui même et saos plus de retard.«
      On eut beau dire, on eut beau faire,
La noce prit bientôt le chemin du notaire.
Voilà qu'à travers champs arrive un campagnard
      Menant de bœufs un attelage;
Or, on ne vit jamais plus bizarre assemblage:
L'un, squelette affaissé sous le travail et l'âge,
Ne répond qu'avec peine aux coups de l'aiguillon;
En mugissant, l'autre, jeune et robuste,
Accuse la lenteur de son vieux compagnon.
      »C'est ridicule, c'est injuste,
Dit notre fiancé, d'associer ainsi
Des bœufs si différents de forces et d'années!«
Son frère l'interrompt: »Vous condamnez ici
Le joug qui doit bientôt lier vos destinées.
Par vous-même averti, renonçant à l'hymen,
Du logis, croyez-moi, reprenez le chemin.«
Le vieillard adopta cet avis salutaire,
Et jusqu'au dernier Jour resta célibataire.

Fable X.
Le Chat et la Tourterelle

Lecteur, je possède un chat;
De plus une tourterelle:
Ah! fort espiègle est le chat,
Fort douce la tourterelle.
Mimi, c'est le nom du chat,
Bibi, c'est la tourterelle.
Un jour, pardonne, ô mon chat!
Pardonne, ô ma tourterelle!
Prenant du mou pour le chat,
Du grain pour la tourterelle,
Je donnai le grain au chat,
La viande à la tourterelle.
Dans un coin pleurait le chat,
Dans son nid la tourterelle.
Aussitôt je dis au chat,
Ainsi qu'à la tourterelle:
»Maint professeur, ô mon chat,
Maint juge, ô ma tourterelle,
Donne aussi le grain au chat,
La viande à la tourterelle.«

Fable XI.
La Fumée de l'encens et la Fumée de la forge

Un nuage d'encens, s'élevant du saint lien,
Rencontre dans les airs une noire fumée
Que vomit à longs flots une forge allumée.
»Ne sais-tu pas, dit-il, que je monte vers Dieu?
Profane, éloigne-toi!« Du firmament venue,
En ces mots l'interrompt une voix inconnue:
      »Mêlez-vous fraternellement,
Toi, du sein du travail, et toi, du sanctuaire,
Vous êtes au Seigneur chères également,
      Car le travail vaut la prière.«

Fable XII.
La Goutte d'eau et le Lis

      Du haut d'un nuage enflammé
Une goutte d'eau tombe en un lis embaumé,
Et bientôt vers le ciel s'évapore odorante.

      Ainsi la larme brûlante,
Qu'au sein de l'amitié verse l'affliction,
S'en exhale en parfums de consolation.

Fable XIII.
Le Cormoran et les Rayons de la Lune

Un cormoran soivait le bord d'une rivière.
      Il était nuit; du haut des deux
      La lune baignait sa lumière
      Dans l'onde aux plis capricieux.
      Notre oiseau, que la faim tourmente,
      Croit voir de mille poissons d'or
      Glisser l'image séduisante.
Il plonge et ne prend rien; il plonge, rien encor;
Il s'élance vingt fois, et vingt fois perd sa peine.
D'un nuage bientôt la lune se couvrant,
Maint poisson se montra sous le flot transparent;
Mais les prenant alors pour une forme vaine,
      A jeun partit le cormoran.

Fortune, gloire, amour, comme un trompeur mirage,
Fit-on pour vous saisir mille efforts superflus,
Vous vous offrez souvent (ne perdons pas courage!)
A celui qui, lassé, ne vous attendait plus.

Fable XIV.
Le Fleuve et l'Océan

      Vers l'Océan un fleuve immense
Roulait, majestueux, par sa pente entraîné.
      L'Océan, d'algues couronné,
Ainsi parle au sujet qui tombe en sa puissance;
»Que tu dois regretter, ô fleuve fortuné,
Et tes flots glorieux où voguait l'espérance
Sur des vaisseaux chargés des plus riches trésors,
Et les mille cités assises sur tes bords!...
— Tout ce que je regrette, ô roi de l'onde amère,
Cest rétroite vallée où, ruisseau transparent,
      Non loin de la source, ma mère,
      Sous les fleurs j'allais m'égarant;
Je baignais des agneaux la toison douce et blonde;
Dans mes roseaux chantaient les oiseaux amoureux.
Croyez-moi, roi des mers, l'obscurité vaut mieux
Que toutes les grandeurs, que tous les biens du monde.«

Fable XV.
La Mère, l'Enfant et le Vieillard

»Vois ce vieillard là-bas, sur le bord du chemin:
Va, mon fils; jusqu'ici conduis-le par la main;
De ta voix la plus douce apaise sa souffrance:
La vieillesse sourit aux grâces de l'enfance.«
L'enfant part; mais bientôt revenant sur ses pas:
»Mère, il ne souffre point, puisqu'il ne pleure pas;
Car, moi, toutes les fois que j'ai du mal, je pleure.
— Retourne à lui, mon fils; amène-le sur l'heure;
      Je veux connaître ses besoins.
Son regard soucieux, son front ridé qui penche,
Voilà de ses ennuis d'infaillibles témoins…
Crois-moi, si par des pleurs la douleur ne s'épanche,
      Mon fils, on n'en souffre pas moins.«

Fable XVI.
Le Coursier et l'Abricotier

Amaigri par la faim, criblé paria mitraillé,
Loin des camps se traînait un cheval de bataille.
»Adieu, gloire stérile, adieu, sanglants lauriers!
Désertant les combats et les feux meurtriers,
Vivons paisiblement au sein des pâturages;
Affronte qui voudra les périls et la mort;
Je vais me reposer sous ces riants ombrages...«
      Il dit, il se couche et s'endort.
      Dans un endos du voisinage,
      Un abricotier sans feuillage
Vers la terre courbait ses rameaux mutilés.
»De ceux qui de mes dons s'en retournent comblés
      Est-ce là la reconnaissance?
De mai quand reviendront les fécondes chaleurs,
J'appellerai les rents qui, servant ma vengeance,
Arracheront mes fruits en arrachant mes fleurs.
Plus je fus généreux, plus je veux être avare!...«
      Ainsi parlait l'abricotier.
      Mais tout à coup une fanfare
Retentissant au loin réveille le coursier,
Qui se lève, hennit, agite sa crinière,
Et galope, docile au belliqueux appel...
Mais sur Tarbre bientôt la brise printanière
Fait éclore des fleurs plus douces que le miel.
      Eh bien! pour venger ses injures,
Secoua-t-il son front, appela-t-il le vent?
Renonçant à la haine, oubliant ses blessures,
L'abricotier donna ses trésors comme avant.

Fable XVII.
L'Hermine et le Rat

Sur un terrain rocailleux
Vivaient le rat et l'hermine;
Bientôt ils furent tous deux
Menacés de la famine.
De son trou le rat sortant,
Dit à sa blanche compagne:
Vois, par delà cet étang,
Comme est riche la campagne;
De fermes, d'arbres, d'oiseaux
Et de fruits elle est couverte.
Suis-moi, traversons les eaux;
Dans notre lande déserte
La faim nous accablerait.
— Quoi! dit l'hèrmine, il faudrait
Me salir à cette fange?
— Eh! qu'importe, si l'on mange!...
— Non, dit-elle, en vérité!
Va-t-en, je veux rester pure;
Ah! plutôt la pauvreté
Et la mort qu'une souillure!

Fable XVIII.
Le Rat dans la Bibliothèque

Niché dans les rayons d'une bibliothèque,
      Un rat trottait, trottait
De Pascal à Newton, de Corneille à Sénèque;
Sans préférence il grignotait
         Les classiques,
      Les romantiques,
S'attachant, en vieux rat qui connaît son métier,
      Moins au mérite de l'ouvrage
      Qu'à la finesse du papier.
Un rossignol récemment mis en cage
      Lui dit: »Quelle félicité,
Au sein de la science et de la poésie,
Comme toi, d'aspirer à l'immortalité!
Que ne puis-je, imitant ta noble fantaisie,
Enrichir mon esprit à ces divins trésors!...
— De futiles bouquins me fatiguer la tôte!
Lui répondit le rat, ne me crois pas si bête.
      Ce n'est point l'esprit, c'est le corps
Que je cherche à nourrir dans les pages d'un livre:
Eh! qu'importe la gloire! avant tout, il faut vivre.«

Or, voulez-vous savoir, bénévoles lecteurs,
Chez nous quels sont les rats qui mettent en pratique
      Cette morale prosaïque?...
Allez le demander à nos littérateurs.

Fable XIX.
La Truffe et la Pomme de terre

A la pomme de terre on voulait marier
La truffe; mais craignant de se mésallier,
      Celle-ci, d'une voix altière,
      S'écria: »Moi, m'associer
      A cette vile roturière!
Moi, qui règne aux festins du riche et du gourmet,
Avoir pour compagnon cet être sans noblesse,
Unir son goût maussade à mon divin fumet!
Ah! ce manque d'égards me confond et me blesse.
Allez aux champs, ma mie, allez aux carrefours
      Nourrir le peuple, vos amours...«
            La parmentière
            Alors reprit:
»Il ne te convient pas d'être avec moi si fière,
Car nous sommes deux sœurs qu'un même sol nourrit:
Oui, j'en fais vanité si tu m'en fais un crime,
      Celui que la misère opprime
   A moi jamais vainement n'eut recours.
Je pourrais, te rendant offense pour offense,
      Te reprocher les vilains tours
Qu'à plus d'un estomac, qu'à mainte conscience...
      Mais chut! tu me comprends,
  Et plus que toi je serai charitable.
Tu méprises le pauvre et recherches les grands...
Je suis utile à tous: n'est-ce pas préférable?«

Fable XX.
L'Alouette et le Pourceau
A M. Félix Pyat

C'était un jour d'avril; aucun brouillard impur
Ne voilait du printemps la robe virginale.
S'élevant dans les airs, son royaume d'azur,
L'alouette chantait sa chanson matinale.
      Le porc, de son côté,
Vers la fange tournait un regard hébété.
L'oiseau disait: »Salut, bienfaisante nature!
Doux soleil, cieux profonds, renaissante verdure,
Salut! Le porc grognait: »L'astre qu'on dit si beau,
      Le ciel qu'on croit si vaste,
N'est qu'un miroir étroit, n'est qu'un mourant flambeau.«

Dieu, vertu, gloire, amour, ô bizarre contraste!
Quand le croyant vous dresse un autel dans son cœur,
Le sceptique vous nie avec un ris moqueur.
L'an pour juger, bien bas regarde vers la terre,
Et l'autre voit plus haut: c'est là tout le mystère.

Fable XXI.
L' Enfant et la Rose

Sur un rosier s'étale une rose éclatante.
      Autour de la fleur qui le tente,
Fanfan voit se dresser plus d'un dard menaçant.
Lors, allongeant deux doigts, il sait avec adresse
Eviter le contact de l'épine traîtresse.
Mais du fond du calice un monstre s'élançant,
Une guêpe aussitôt le pique jusqu'au sang,
Et lui lègue, en perdant sa pointe envenimée,
      L'avertissement douloureux
Que, de tous les écueils dont la vie est semée,
Celui qu'on ne voit pas est le plus dangereux.

Fable XXII.
Le Lion devenu vieux et l'Ane

      L'âne, qui venait lâchement
De frapper le lion que la force abandonne,
Parun baiser bien lourd, appliqué lourdement,
Veut réparer sa faute...»Espères-tu, vraiment,
      Dit le lion, qu'on te pardonne?
Daisers ou coups de pied, quand un âne les donne,
N'est-ce pas toujours insultant?

A plus d'un journaliste on peut en dire autant.

Fable XXIII.
L'Écueil et le Phare
A M. de Pongerville

Vous qui, tout à la fois philosophe et poëte,
Répandez la sagesse en vers mélodieux,
De Lucrèce jadis éloquent interprète,
Vous sûtes avec lui détrôner les faux dieux.
A votre nom célèbre aujourd'hui je confie
Mon inexpérience et mon obscurité.
N'est-ce pas trop d'audace ou trop de vanité?
Non, non; la Fable est sœur de la Philosophie:
Près de boire la mort, Socrate, nous dit-on,
Se plut à l'enrichir du rhythme poétique,
      Et Platon, le divin Platon,
      L'admettait dans sa république.

Dès longtemps un écucil, se cachant sous les eaux,
Chaque nuit dévorait une nouvelle proie;
Mais un phare, à la fin, sur l'abime flambîoie,
Et désormais du monstre éloigne les vaisseaux.

La Superstition, aux annales funèbres,
C'est recueil si longtemps funeste aux matelots;
Et le phare sauveur qui brille sur les flots,
C'est la Philosophie écartant les ténèbres.

Fable XXIV.
Le Perroquet imitateur

Jadis le perroquet avait de doux accents.
Mais voulant s'élever au langage de l'homme,
      L'orgueilleux fit si bien qu'en somme
Il ne sut exhaler que des sons glapissants,
      Caquetage vide de sens,
Et pour singer autrui perdit sa propre gloire.

Pâles imitateurs, n'est-ce pas votre histoire?

Fable XXV.
Les Enfants et le Torrent

Un torrent orageux, du haut de la montagne,
      Roulait dans la campagne.
Dos enfants le voyant, courent se réunir,
      Et disent: »Pour le retenir,
      Avec des pierres et du sable
Vite élevons un mur, rempart infranchissable.«
Et voilà nos gamins d'aller et de venir,
      De travailler à perdre haleine.
      Mais le torrent gagne la plaine;
Il roule, et dans son onde il entraîne en passant
            L'édifice impuissant.
Il aurait emporté les polissons eux-même
Si'ils n'avaient pris le soin de se mettre à côté.

      Amis, le torrent est remblôme
      Du progrès, de la liberté;
      Les enfants, c'est la royauté.
Avec ses vils flatteurs en vain elle se ligue
      Pour nous opposer une digue;
      La digue se renversera,
Enfants, et malgré vous le torrent passera.