Livre Huitième
 

Livre Septième
 
Le Poëte et l'Abeille
Le Déjeuner a l'école
Samedi et Dimanche
Le Dahlia et la Violette
La Marchande de gâteaux
Les quatre Ailes du Papillon
L'Écouer et les Verges
La Brebis et le Buisson
Le Hibou et les Alouettes
Le Coucou et le Moineau
Le Cygne et l'Oison
Le Savetier et son Voisin
Le jeune Perroquet
Le Chataignier et le Voyageur
La Pomme et l'Écolier
La Brebis et la jeune Fille
Le Loup et la Cigogne
L'Ane qui joue de la Flute
Le Nid renversé
Ne riez pas
Les deux Croix d'Honneur
Le Fouet et la Canne a sucre
Le Voyageur et le Poteau
La Vérité et la Flatterie

Fable I.
Le Poëte et l'Abeille

Pour faire leur doux miel, leur douce poésie,
Le poëte et l'abeille aux champs, dès le mâtin,
Des odorantes fleurs picoraient l'ambroisie.
Tous deux comme ils rentraient, chargés de leur butin,
Le poëte rêveur dit à l'abeille: »Écoute:
Des insectes dans l'air se frayant une route,
      De la mouche ou du papillon,
Qui peut te distinguer?« L'abeille industrieuse
Répondit: »Des trésors dont je suis glorieuse,
      Le miel, la cire, l'aiguillon.
      Le miel, ma liqueur parfumée,
      Calme la soif et la douleur;
      La cire, en flambeau transformée,
      Des ténèbres chasse l'horreur,
Et contre les méchants l'aiguillon me protège.«
      Le poëte, à ces mots, reprit:
»De servir, comme toi, j'ai rhedreux privilège:
J'ai le chant qui console et le miel qui nourrit;
Des ombres de l'erreur je délivre l'esprit,
Et contre les abus je lance l'anathème.
Notre ardeur, tu le vois, notre but est le même;
      Or, de ses bienfaits louons Dieu.
— Frère, adieu, dit l'abeille. — Adieu, ma sœur, adieu.«

Fable II.
Le Déjeuner a l'école

Un usage bien doux régnait dans mon jeune âge:
Tous les jours, les enfants, munis de leur bagage,
Se rendaient à l'école, et, suivant la saison,
Sur une longue table ils versaient à foison
         Figues, raisins, gâteaux, fromage,
    Pains de mais, de seigle, de froment.
Chacun, selon son goût, s'en donnait librement.
Les plus riches, pour tous, puisaient dans leur corbeille
Les débris délicats du souper de la veille;
Et si l'enfant trop pauvre à la communauté
          N'avait rien apporté,
On choisissait pour lui, sans blesser sa misère,
      Les morceaux les plus savoureux.
Comme nous nous aimions! que nous étions heureux!
Aussi, chaque matin, le maître à l'œil sévère
Me voyait dans sa classe arriver sans retard,
Non pas pour les leçons, que je ne savais guère,
Mais pour le doux festin où tous nous avions part.

Depuis, lorsque je vois, anomalie étrange!
L'homme chez soi vivant, des hommes séparé,
Le repas somptueux pour ceux-ci préparé,
      Ceux-là n'obtenant, en échange
   De leurs travaux, qu'un pain mal assuré,
D'autres, pâles de faim... cet aspect me désole!
Aux champs de l'avenir mon âme enfin s'envole,
Et se plaît à rêver pour toute nation
Les banquets fraternels, sainte communion
      Qu'enfants nous faisions à l'école.

Fable III.
Samedi et Dimanche

      Une nuit, le poing sur la hanche,
      Samedi disait à dimanche:
              »Est-ce pour toi
Que nous nous épuisons, nos cinq frères et moi?
Ne sommes-nous pas tous de la même famille?
Lorsque sous la fatigue on nous voit haletants,
Monsieur le paresseux en grand seigneur s'habille;
A chanter, à danser, monsieur passe son temps.
Toujours de nos labeurs vivras-tu sans rien faire?«
      Dimanche répondit: »Mon frère,
Vous vous livrez chacun à des soins importants,
Je l'avoue; eh bien! moi, que vous croyez futile,
      Autant que vous je suis utile.
Après un long travail comme il faut des loisirs,
C'est moi qui m'intéresse à vos rares plaisirs;
Les danses, les festins, les jeux, les promenades,
A moi vous les devez, ô mes bons camarades!
Enfin, ô doux échange, ô fraternelle loi!
Je vous amuse, et vous, vous travaillez pour moi.«

Fable IV.
Le Dahlia et la Violette

      Le dahlia, la violette
   Par un enfant sont cueillis un matin.
Du premier la corolle élégante, coquette,
      Déplore son triste destin,
      Se plaignant d'avoir pour compagne
Une fleur sans éclat, qu'on aurait dû laisser
Sous le buisson natal, là-bas, dans la campagne.
      »Prétendraitrelle m'éclipser?
      Faut-il que je meure de honte?«
L'enfant, la yiolette, aucun ne répondit:
      De son dépit nul ne tint compte.
Pour notre couple, hélas! la vieillesse fut prompte,
      Et bientôt le temps étendit
      Sur leurs tètes ses mains glacées.
L'enfant les retira du vase toutes deux;
      Depuis, sur un fumier honteux
On vit du dahlia les feuilles dispersées,
      Et des champs l'humble fleur
Aux maladea dispense un suc réparateur.

   Dans ces deux fleurs j'entreyois deux images:
De la femme au cœur sec, briguant tous les hommages,
   Le dahlia nous offre le portrait.
Alors que la beauté, son seul bien, disparait,
Elle n'a qu'à mourir, d'elle plus rien ne reste.
Dans l'autre on reconnaît de la femme modeste
      Le symbole délicieux.
Le temps peut, en passant, lui ravir d'un coup d'aile
Et jeunesse et fraîcheur; son cœur n'est jamais vieux:
Sur nous, jusqu'à la fin, son amitié fidèle
Répand de ses vertus le baume précieux.

Fable V.
La Marchande de gâteaux

      »Qui veut manger mes bons gâteaux?
      Croquez, messieurs, ils sont tout chauds!«
Une marchande ainsi d'une voix glapissante
Criait. Une ceuleur dorée, appétissante,
Une molle fumée en tourbillons flottant,
Tout s'offrait pour tenter un estomac avide.
      Eh bien! Ton ne mangeait pourtant
      Qu'une pâte froide, insipide,
Car la fumée était une moite vapeur
Que laissait transpirer un appareil trompeur.

      Les honneurs et la renommée,
Les promesses des grands, les pompeux écriteaux,
Exhalent bien souvent, comme ces froids gâteaux,
      Peu de chaleur et beaucoup de fumée.

Fable VI.
Les quatre Ailes du Papillon

Un papillon gonflé d'une arrogance vaine:
»J'ai quatre ailes, dit-il; l'aigle n'en a que deux!«
Quelqu'un lui répondit: »Mon petit orgueilleux,
A quelques pieds du sol tu t'élèves à peine,
L'aigle perce la nue et vole Jusqu'aux ciéux.«

Écoutez, froids rimeurs qui, fatiguant vos plumes,
A des genres divers consacrez cent volumes:
Pour cueillir de lauriers les plus amples moissons,
      Béranger n'a que ses chansons.

Fable VII.
L'Écouer et les Verges

Certain vieux pédagogue à certain écolier
Disait: »Dans ton jardin il est un coudrier
      Large, touffu, vivace;
Des jets tout à l'entour se dressent par millier.
  Va-t'en cueillir ce soir, après la classe,
    Les plus flexibles, les plus beaux.
    De mon projet ne conçois pas d'alarmes;
Ce n'est pas pour ton dos que sont faites ces armes;
      Par ta sagesse, tes travaux,
      Mon doux élève, tu me charmes;
      Mais de tes indignes rivaux
      Je veux châtier l'insolence.«
Le gamin obéit; quand il est de retour,
Le maître va fermer la porte à double tour,
Et, voulant se venger de quelque vieille offense,
      Il vous l'étrille d'importance.

      Comme cet écolier, crois-moi,
Peuple, ne prête pas des armes contre toi.

Fable VIII.
La Brebis et le Buisson

      Gens de finance, gens de loi,
      Ceci pour vous; écòutez-moi:
Il pleut; un buisson voit une brebis qui passe.
»Sous mes branches, dit-il, abrite-toi, de grâce.
— Non; je me garderai de m'approcher de toi,
Car la laine des miens, qu'aux épines je voi,
Me conseille de fuir... tes branches sont des pièges,
      Et tu tonds ceux que tu protèges.«

Fable IX.
Le Hibou et les Alouettes

»A quoi bon triste et seul vivre ainsi dans un trou?
      Dit une alouette au hibou.
Allons, chasse au plus tôt les sinistres pensées;
Quitte cette retraite et suis-moi dans les champs.
Là tu verras mes sœurs joyeuses, empressées,
T'admettre comme un frère à leurs jeux, à leurs chants.»
Il hésite, on le presse, et notre babillarde
Fait si bien, qu'à la suivre enfin il se hasarde.
      Les alouettes le voyant
Cessent de gazouiller, de folâtrer, de rire.
Il veut parler, on fuit; le pauvre chat-huant
      Honteux, désolé, se retire,
   Et de son arbre il regagne le creux,
Jurant que désormais, quoi qu'on puisse lui dire,
On ne le verra plus fréquenter les heureux.

Fable X.
Le Coucou et le Moineau

Le coucou, comme on sait, plein d'un orgueil extrême,
      Parle sans cesse de lui-même:
Coucou! voilà son mot; coucou! voilà son thème.
Beaucoup de nos auteurs sont coucous sur ce point.
Il disait au moineau: »Quand le rossignol chante,
Qu'en dis-tu? — Je lui trouve une voix ravissante.
— Et de moi, que dis-tu? — Rien; je ne parle point
De celui qui lui-même à tout propos se vante.«

Fable XI.
Le Cygne et l'Oison

      Sous la brise entr'ouvrant son aile,
      Roi des eaux, vivante nacelle,
      Sur un lac un cygne nageait.
A ses côtés un sot, un oison, c'est tout dire,
      Allait, venait, se rengorgeait.
Au campagnard béant, qui de la rive admire,
Il dit: »Je suis un cygne; osez me contredire!«
Le campagnard, que tant d'orgueil consond,
           Ne lui répond
      Que par de grands éclats de rire.

Sur l'onde, an champs, an Parnasse, en tons lieux,
      Les oisons sont prétentieux.

Fable XII.
Le Savetier et son Voisin

      Le savetier s'en retournait
De chez le financier. Joyeux, il fredonnait
Les chansons que lui fit oublier la richesse.
Mais un voisin survient qui lui peint sa détresse,
      Et lui demande vingt écus.
      Alors le savetier, confus
De faire au malheureux essuyer un refus,
   En rougissant s'excuse avec franchise,
Et trop tard se repent d'avoir, par sa sottise,
Manqué l'occasion d'obliger son ami.
»Je pouvais être heureux si j'avais été sage,
Dit-il; avec cet or j'aurais chanté, dormi;
Mais il fallait savoir en faire bon usage.«

Fable XIII.
Le jeune Perroquet

   Sur son perchoir un jeune perroquet
Débitait tout le jour des phrases immorales,
Et sans honte épuisait, dans son hideux caquet.
      Le vocabulaire des halles.
Comme certain passant criait, scandalisé:
»Il faut tordre le bec à ce parleur infâme!«
Un autre répondit: »Bien plus que lui je blâme
      Ceux qui l'ont démoralisé.«

Fable XIV.
Le Chataignier et le Voyageur

Sur un sol que cent fois le volcan sillonna,
Un châtaignier géant règne au pied de l'Etna.
      Il pourrait, dit-on, sous l'ombrage
      De ses rameaux hospitaliers,
      Contre les chaleurs et l'orage
Abriter cent chevaux avec leurs cavaliers.
Un voyageur assis sous son feuillage sombre
Lui dit: »N'es-tu pas fier des visiteurs sans nombre
Qu'attire chaque jour ta réputation?«
L'arbre répond: »Donner et mes fruits et mon ombre,
Voilà tout mon bonheur et mon ambition.«

Plus d'un, et ce n'est pas une gloire futile,
Ne voit dans la fortune et l'élévation
Qu'un moyen plus certain de pouvoir être utile.»

Fable XV.
La Pomme et l'Écolier

      »Admirez-moi, disait la pomme;
      C'est moi qui pour le premier homme
Fus le fruit de science et du bien et du mal,
Et c'est moi que Paris, choisissant la plus belle,
A Vénus adjugea: deux fois gloire immortelle!
      — Fruit de discorde, huit fatal,
Deux fois honte et malheur à toi, pomme trop vaino;
Lui dit un écolier jouant dans le jardin.
Par toi l'homme perdit l'innocence et l'Eden,
Et de tous ses malheurs subit la lourde chaîne;
      Contre la ville des Troyens
De Pallas, de Junon tu suscitas la haine.
Poar t'exalter ainsi quels titres sont les tiens?
Des larmes et du sang, Pergame consumée,
   L'Eden perdu... Ma belle, en vérité,
      Je préfère l'obscurité
      A ta funeste renommée.«

Fable XVI.
La Brebis et la jeune Fille

De la gueule du loup la brebis menacée
      Se tenait de terreur glacée.
Mais un fermier passait qui du loup la sauva.
      Savez-vous ce qu'il arriva?
Sous le couteau du traître elle perdit la vie.

Par certain malotru Lisette poursuivie
Appelle à son secours un passant généreux
Qui lui prête son bras. Je crains, jeune imprudente,
Que Taimable sauveur ne soit plus dangereux
      Que le rustre qui t'épouvante.

Fable XVII.
Le Loup et la Cigogne

Tandis que sans pitié le loup mangeait l'agneau
Qu'il avait rencontré le long d'un clair ruisseau.
Par hasard, ou plutôt par vengeance céleste,
Un os malencontreux dans le gosier lui reste.
Une cigogne vient; c'était elle, dit-on,
Qui, d'un autre salaire assurément bien digne,
Jadis, en pareil cas, secourut le glouton.
Vainement, cette fois, le brigand lui fait signe:
»De tes maux, dit l'oiseau, je ne suis plus touché;
Péris enfin, péris, cruel, ingrat, vorace,
Et que ta mort apprenne à tous ceni de ta race
Qu'on est toujours puni par où l'on a péché.«

Fable XVIII.
L'Ane qui joue de la Flute

Sur la langue elle-même à vous qui rejetez
      Le blâme que vous méritez,
Rimailleurs rocailleux, lisez et méditez:

      »Eh! je joue aussi de la flûte!«
             Allait criant
L'âne musicien chanté par Florian.
Mais le pauvre baudet tout le jour fut en butte
      Au sarcasme le plus sanglant.
Enfin, voyant chacun contester son talent,
Et s'avouant (à part) qu'il n'a pas fait merveille,
      »Messieurs, dit-il en redressant l'oreille,
      Si je n'ai pas joué... très-bien,
      C'est que la flûte ne vaut rien...«

Fable XIX.
Le Nid renversé

      Un oiseau se désespère:
C'en est fait, plus d'amour, plus d'amour, ô douleur!
L'orage a renversé le nid où mon vieux père
Au cœur de ma compagne avait uni mon cœur.
Je perds, avec mon nid, l'amour et le bonheur.«

A sa sœur une femme, après Quatre-vingt-treize,
En ces mots écrivait: »O ma chère Thérèse,
La révolution porte de tristes fruits:
On ne peut plus prier, les temples sont détruits!«
Au désespoir livrée, une muse anonyme
      Disait: »Je renonce à la rime!
Il s'attache à mon œuvre un génie infernal;
Hier à l'horizon se lève un grand journal
Qui glorieusement doit me faire connaître,
Et voilà tout à coup qu'il vient de disparaître.
Adieu mes vers, adieu ma seule passion;
Hélas! plus de journal, plus d'inspiration!«

Et moi, d'un saint transport ayant l'âme saisie,
Je leur dirai: »L'amour, cet enfant immortel,
La véritable foi, l'auguste poésie,
Pour vivre, pour brûler n'ont pas besoin d'autel.
Dût le cœur seul du juste être leur sanctuaire,
On en verrait toujours s'exhaler la prière,
Et la flamme et les chants...« Ah! lecteurs, croyez-moi,
Car de leurs sentiments je me fais l'interprète,
Cet oiseau n'aimait plus, la femme était sans foi.
      Et l'autre n'était pas poëte.

Fable XX.
Ne riez pas

      Quelqu'un sur le pavé chancelle
      Et tombe; on en rit aux éclats.
      Oh! de grâce, ne riez pas:
      Peut-être sa chute est mortelle.

Ce qu'on fait au physique, on le fait au moral:
Qu'un homme soit en butte aux traits de la satire,
Aussitôt à la ronde on s'empresse de rire.
Vous ne ririez pas tant si vous saviez le mal
      Qu'une épigramme peut produire.

Fable XXI.
Les deux Croix d'Honneur

Ensemble étaient deux croix, du ruban rouge ornées,
           Toutes deux destinées,
L'une à récompenser un savant, un guerrier,
      Que sais-je? un courtisan peut-étre,
      L'autre un studieux écolier.
La première s'écrie: »Oses-tu bien paraître,
Insigne dérisoire et hochet sans valeur,
Devant moi, devant moi, l'étoile de l'honneur!
D'un semblable jouet si l'on pare l'enfance,
C'est vouer au mépris le talent, la vaillance.«
            L'autre avec dignité
Répond: »Que ma présence, ô ma sœur! ne t'irrite:
Tout signe à titre égal doit être respecté,
Qui, sans égard pour l'âge, est le prix du mérite,
Honore la vertu, décore le savoir,
Récompense un bienfait et rappelle un devoir.«

Fable XXII.
Le Fouet et la Canne a sucre
A M. Victor Schoelcher

Devant la canne à sucre un jour le fouet sapglant
      Vantait son cruel ministère.
»Grâce à moi, disait-il, pour enrichir le blanc,
      Le nègre séconde la terre;
Par l'esclave, sans moi, le sol abandonné
Ne produirait bientôt qu'une maigre récolte,
      Et bientôt l'insubordonné
      Se lèverait pour la révolte.
Mais, sous mon influence, à jamais retenu
      Dans une terreur salutaire,
Au profit des colons, ignorant, pauvre et nu,
Toujours il traînera sa chaîne héréditaire.
      Mon rôle est beau, sans contredit... «
      La canne à sucre répondit:
»Des noirs oses-tu bien, pour un planteur avare,
Faire couler le sang, les larmes, les sueurs!
Victimes trop longtemps d'un préjugé barbare,
Enfin ils ont trouvé de nobles défenseurs
Dont la parole est forte et dont la cause est sainte.
      Oh! que l'esclave soit sans crainte:
Dieu le veut, Dieu le veut, sa chaîne tombera,
      Et toi, ton règne finira!«

Fable XXIII.
Le Voyageur et le Poteau

      Dans les champs, vers un carrefour
Où différents sentiers en divers lieux conduisent,
      Un voyageur s'arrête un jour.
»Enfin, reposons-nous, car mes forces s'épuisent;
Depuis l'aube, dit-il, je porte un lourd sardeau.«
Comme il parle, voilà qu'à l'angle d'une route
      Ainsi le harangue un poteau:
»Au bourg le plus voisin vous vous rendezsans doute;
Retenez les conseils que je vais vous donner:
Marchez toujours à droite et sans vous détourner.
Quelques milles de plus à parcourir encore,
Espace qu'un boiteux en quatre pas dévore,
Des bois, une prairie, une plaine, un coteau,
      Bref, le trajet le plus facile. . .
— Eh bien, marche toi-même... — Oh! répond le poteau
Je montre les chemins, mais je reste immobile.«
Comme lui tels et tels, je vous le dis tout bas,
Nous indiquent la route et ne la suivent pas.

Fable XXIV.
La Vérité et la Flatterie

      Vers le Louvre une femme arrive;
      La sentinelle dit: »Qui vive?...
      — La vérité!... — L'on n'entre pas.«
Et la pauvre déesse ailleurs porte ses pas.
Survient une autre femme, et la garde lui crie:
Qui vive?...« Elle répond: »Je suis la Flatterie...
— Entrez!« Elle entre... On sait que dans les cours;
Louangeuse déesse, on t'accueille toujours.