Fable
I.
Les Bœufs et la Bergeronnette, la Fée et sa Filleule
A MM.
Béranger et Lamennais
Maîtres, si devant vous je reste bouche close,
Dans un double récit apprenez-en la cause:
Deux bœufs traçant, dès l'aube, un fertile sillon,
Derrière eux voletait une bergeronnette.
»Viens-tu pour labourer ou saisir l'aiguillon?«
Dirent-ils en riant. Aussitôt la pauvrette:
»Je viens, dans vos labeurs trouvant de bons repas,
Vivre des vermisseaux qui naissent sous vos pas.«
Au temps jadis vivait une charmante fée.
Rivale du divin Orphée,
Pour parler, pour chanter quand ses lèvres s'ouvraient,
Elle aurait attendri le cœur le plus farouche,
Et, prodige inouï! les perles de sa bouche
Ruisselaient.
Sa filleule, un beau jour, sur ses genoux assise,
Et, muette, écoutant, la fée en fut surprise,
Et l'enfant répondit: »Quoi! vous me demande.«
Pourquoi sur vos genoux je suis silencieuse!
C'est que je cueille, avide et d'une main pieuse,
Les perles que vous répandez.«
Maîtres, si devant vous je reste bouche close,
Par ce double récit vous en savez la cause.
Fable II.
Les deux Rivages
Je veux, toujours fidèle au rôle de conteur,
Rimer en quelques vers l'histoire
Dont le doux souvenir occupe ma mémoire.
Le long d'une rivière au murmure enchanteur.
Coula mon enfance inquiète;
Confondus sur les bords, saules et peupliers
Offraient au rossignol, aux amants, au poëte,
Leurs ombrages hospitaliers.
Mille fleurs embaumaient les deux rives égales,
Et des chantres ailés les laveuses rivales
Envoyaient aux échos leurs naives chansons.
Mais voilà tout à coup, j'avais seize ans à peine,
Qu'arrivent par centaine
Charpentiers et maçons.
Les braves compagnons, se mettant à l'ouvrage,
D'arbres en un instant dépouillent un rivage:
Les brouettes, les pieux, les haches, les marteaux
Bâtissent un canal pour maîtriser les eaux,
Au sommet du talus disposent un passage
Pour les bœufs remorqueurs qui traînent les bateaux.
Avide de trésors moins que de renommée,
Vai quitté, depuis lors, et mon pays natal,
Et sa rivière bien-aimée.
Puisse le positif, à nos rôves fatal,
N'avoir pas enlevé, d'ane main trop puissante,
La dernière harmonie et la dernière plante
Du domaine de l'idéal!
Le cours de notre vie a toujours deux rivages;
Tous deux, dans notre enfance, et fleuris et joyeux,
Sont pleins de doux pensers, de chants insoucieux.
Plus tard, sur une rive étendant leurs ravages,
L'intérêt, les besoins et les prévisions
Emportent la moitié de nos illusions.
Heureux, quand la vieillesse arrive,
Si quelques fleurs encor restent sur l'autre rive!
Fable III.
Les Vents
De tous les coins du monde en leur antre assemblés,
Les vents se racontaient leurs prouesses récentes.
Orgueilleux, ils disaient les éléments troublés,
Du désert les trombes brûlantes,
Sur les flots les mâts fracassés,
Et dans les champs, moissons, arbres, toits renversât
Les brigands, au récit de semblables ravages,
Poussaient des hurlements sauvages.
Zéphire, d'épouvante et d'horreur interdit,
Se tenant à l'écart, n'avait encor rien dit.
Interrogé pair eux, enfin il répondit
»Frères, mon haleine et mes ailes
Ont garanti les fleurs des ardeurs du soleil;
J'ai caressé, dans leur sommeil,
Le pauvre laboureur, les tendres tourterelles;
Pour les bergers et leurs troupeaux
J'ai rafraîchi les purs ruisseaux... «
A cet aveu naïf du timide Zéphire,
On entend des éclats de rire,
Des hourras, des mugissements
Capables d'ébranler jusqu'en leurs fondements
Les plus solides tours, les plus altières cimes.
Lui, s'enfuyant, leur dit: »Soyez fiers de vos crimes;
Pour moi, je suis heureux des bienfaits que je rends.«
Fable IV.
La Grenouille et
l'Écarlate
Une grenouille sort du fond de son marais.
Que voit-elle? ô surprise! ô joie!
Un butin merveilleux, une éclatante proie.
Elle aura, sans peine et sans frais,
Un morceau succulent, le festin le plus rare.
»Adieu les vermisseaux et l'herbe de la mare!
Dit-elle; il me faut désormais
Des mets
Dignes de votre souveraine:
Nerjez pas, des eaux je suis la reine!«
A ces mots, elle saute et nage vers le bord,
Fière de s'emparer de la royale aubaine.
Or, qu'était-ce? un chiffon d'écarlate... et la mort!
La pauvre jeune fille et le pauvre poëte
Séduits, l'un par l'éclat d'un renom glorieux,
L'autre par des habits, des bijoux précieux,
Rêvaient la plus douce conquête.
A celle-ci le déshonneur,
A tous deux misère et malheur!
Ils ont, en poursuivant l'amorce qui les flatte,
Saisi, les imprudents... un chiffon d'écarlate!
Fable V.
La Poule et ses Œufs
Il ne faut pas trop haut célébrer ton bonheur,
Tes succès ou ton héritage:
Mille jaloux viendront, sans pitié, sans honneur,
Envahissant ton seuil, réclamer le partage.
D'avoir ses œufs volés aussitôt que pondus
La poule se plaignait: »Que je suis malhearense!
En voilà plus de cent déjà que j'ai perdus.«
On lui dit: »Désormais, sois plus silencieuse:
Veux-tu de tes amours qu'on respecte le fruit,
Ma chère, il faut pondre sans bruit.«
Fable VI.
La Brebis et les
Grenouilles
Un jour une brebis tomba dans un étang.
Croyant voir arriver un nouvel habitant,
Grenouilles aussitôt vinrent lui faire fête
Et vanter de ces lieux les rares agréments.
Mais à pareil séjour notre brebis peu faite
Sortit, leur adressant mille remercîments.
La candide vertu peut, d'une âme novice,
Tremper sa robe blanche aux souillures du vice.
N'espérez pas la retenir
Dans votre impur limon, noirs enfants de l'abîme:
Elle saura bientôt, par un effort sublime,
Loin de vous s'élancer... pour n'y plus revenir.
Fable VII.
L'Habit de mon
Grand-père
Mon grand-père avait un habit
Qui, par hérédité, jusqu'à moi se transmit.
Mon aïeul, qui parvint à l'extrême vieillesse,
A sa mort seule le quitta;
Cent fois mon përe'le porta
Dans les beaux jours de sa jeunesse,
Puis votre serviteur enfant en hérita.
Messieurs, à ma pensée il apparaît encore,
Avec son drap chamois doublé de soie aurore,
Ses pans flottants et ses larges boutons.
Dans cet accoutrement je marchais tête fière,
Me rendant à l'église aux jours des grands sermons.
Les basques descendaient plus bas que mes talons.
Et, battant le pavé, soulevaient la poussière:
On riait, je ne riais point.
Tels et tels qui, de point en point,
Exigent, s'attachant à la mode nouvelle,
Les étoffes de prix, la forme la plus belle,
Mais dont l'œil est toujours en arrière fixé,
Dont l'esprit rétrograde, esclave du passée,
Se refuse au progrès en qui le monde espère,
Portent, sans s'en douter, l'habit de leur grand-père.
Fable VIII.
Le Casque et le Miel
Dans le casque d'un preux frappé d'un coup mortel,
Des abeilles, un jour, déposèrent leur miel,
Offrant, après l'horreur de la guerre sanglante,
Des deuceurs de la paix l'image consolante.
Fable IX.
La Statue de l'Amitié
Vers l'atelier de Praxitèle
Glycère accourut: »O sculpteur,
Avez-vous l'Amitié? dit-elle;
Je lui voue un culte en mon cœur.
— Tiens, la voici, répond l'artiste.
— Oh! dit-elle, elle est de moitié
Trop vieille, trop sévère et triste;
Ce n'est pas cela l'Amitié.
Mais voyez celle qui se joue
Parmi les fleurs d'un air joyeux
Pour une Amitié, je l'avoue,
Elle me conviendra bien mieux.
— De ton sort, dit le statuaire,
Que le ciel daigne avoir pitié;
Mais plus d'une avant toi, Glycère,
A pris l'Amour pour l'Amitié.«
Fable X.
Le Marchand et le Chien
Un marchand marchandait un chien;
A l'entendre, on eût dû le lui livrer pour rien:
»Je ne pourrai jamais, disait-il, m'en défaire;
L'argent que j'y consacre est de l'argent perdu.«
Quelques instants plus tard, pour qui l'eût entendu,
C'était une autre affaire:
Sur ses rivaux ce chien devait avoir le prix.
D'un contraste pareil notre animal surpris:
»D'où vient que, ce matin, votre voix mensongère,
Jiant mes qualités, ce soir les exagère?
— Ce langage opposé, dit le marchand, crois-moi,
L'intérêt le dicta; que ce soit mon excuse.
Sur nos relations ton noble instinct s'abuse;
Mais le mensonge, mais la ruse,
Voilà de tout commerce et la base et la loi.
Fable XI.
L'Épervier et les
Colombes
»Ma race, disait l'épervier,
Des colombes est abhorrée;
Chacune obstinément dans son trou retirée...
Eh bien, jouons de ruse avec le colombier.
Mesdames, désormais je prêche l'abstinence;
Vive l'eau claire et le mais!
Je détesté le sang; je parcours le pays,
Contre vos oppresseurs étalant ma vaillance.
Quelques milans goutteux, par ma griffe abattus,
Témoignent hautement du zèle qui m'enflamme;
Enfin, pour prix de mes vertus,
J'obtiens l'une de vous, la plus belle, pour femme.
En bon parent, en bon voisin,
Sans nul soupçon, vers ma demeure,
On s'en vient visiter la sœur et le cousin:
Moi, fraternellement, je vous croque sur l'heure.
Si ma tendre moitié crie à la trahison,
Je sais, à coups de bec, la mettre à la raison.«
A ces mots, Tépervier, fier de son stratagème,
Va tenter l'aventure, et trop bien réussit.
Bans le meurtre à ce point le brigand s'endurcit,
Qu'un jour il dévora son épouse elle-même.
Peuple, avec les méchants ne faisons nul traité.
Quand je pense à ma fable, ô sainte liberté!
Par un pacte fatal je crois te voir unie
Avec la tyrannie.
Fable XII.
Les deux Coqs
Dans Albion, deux coqs pour le combat dressés
Sur l'arène un beau jour, menaçants, hérissés,
Promettaient une lutte, et des plus acharnées.
Déjà l'on pariait bank-notès et guinées;
Déjà des spectateurs les rangs étaient pressés...
L'un de nos champions tout à coup se ravise,
Et dit: »Pour le plaisir, pour l'intérêt d'autrui,
Nous allons aujourd'hui
Nous battre! c'est sottise.
Ami, loin de nous attaquer,
Gardons nos lorces toujours prêtes
Contre les ennemis qui viendraient pour croquer
Et notre grain et nos poulettes... «
A ces mots, laissant là les Anglais ébahis,
Et dans les airs se frayant un passage,
Nos coqs en liberté gagnèrent le pays.
Ne suiyra-t-on jamais un exemple si sage?
Fable XIII.
Les Moutons voyant
venir le Boucher
Un jour, loin du berger mollement étendus,
Moutons, brebis, agneaux jasaient dans la prairie.
Bientôt une brebis s'écrie:
»Mes enfants, nous sommes perdus!
Voyez-vous ce méchant qu'un cruel dogue escorte,
Ce boucher qui choisit entre nous, puis emporte
Toujours le plus gras, le plus beau?
Enfants, que dirons-nous, s'il demande le maître?
— Mère, répond soudain le plus petit agneau,
Moi, je le conduirai vers le maître, au hameau.
»— Malheureux! mais toi-même il te prendra peut-être.
— Ah! plutôt, reprend un mouton,
Disons-lui que le maître est loin de ce canton,
Que de longtemps sans doute il n'y doit reparaître.
Alors le méchant nous croira,
Et du moins, sans nous nuire, il s'en retournera.
— Mes plans, dit le bélier, sont meilleurs que les vôtres.
Adressons le brigand qui nous fit tant de mal
Au troupeau du voisin. Que le couteau fatal,
En s'éloignant de nous, retombe sur les autres!
— Je hais, dit la brebis, ton projet infernal;
Un mensonge léger, dicté par la prudence,
Est excusable, je le pense;
Mais je suis loin de l'approuver
S'il livre mon prochain afin de me sauver.«
Fable XIV.
Le Cor
D'un antique manoir ridicule génie,
Un nain sur la muraille apercevant un cor,
Souffle avec peine, soufile encor.
Mais, adieu, fiers accents et suave harmonie:
L'airain n'exhale plus qu'un sourd ricanement;
Et les vassaux disaient: »O le sot instrument!«
Ils revinrent bientôt de cette erreur bizarre,
Lorsque le châtelain, sonnant une fanfare,
Des monts réveilla les échos.
Qu'un nain, de tes beaux vers ridicule interprète,
Ose d'une voix grêle évoquer tes héros,
Corneille, nous siffions l'acteur, non le poëte.
Pour entonner les chants que ton souffle anima,
Il faut des Lekain, des Talma....
Fable XV.
Le Somnambule
Obéissant aux caprices d'un rêve,
A minuit on homme se lève,
Et tout droit vers un gouffre il va sans tâtonner.
Le versant allait l'entrainer,
Lorsqu'un ami du danger le retire.
Le somnambule éveillé sur-le-champ,
»Que maudit soit, dit-il, le rustre, le méchant
Qui dissipe mon rêve au gracieux sourire!
Sans toi je parvenais aux portes du bonheur!... «
Bientôt de sa colère il comprit l'injustice,
Et d'actions de grâce il combia son sauveur.
Vous, peuples, vous, enfants, que l'erreur ou le vice
Berce d'un rêve dangereux,
Ne blâmez pas le père ou l'ami généreux
Dont la voix vous réveille au bord du précipice.
Fable XVI.
Le Pigeon et la
Grenouille
Le pigeon se mirait au bord d'un pur ruisseau,.
»Que des poissons, dit-il, le sort me fait envie!
Ne dit-on pas: Heureux comme un poisson dans l'eau?
De milans, de chasseurs ma race poursuivie
Traine les jours les plus affreux.«
La grenouille cria: »Les poissons sont heareuz!
Demandez au goujon quand le brochet le happe,
Demandez au brochet quand le pêcheur l'attrape...
Croyez bien qu'ici-bas le ciel sut ménager
A chacun sa part de danger.«
Fable XVII.
Le Rat et les
Moissonneurs
Les blés étaient couchés sur l'aire,
Et les fléaux
A coups égaux
Battaient, battaient. Un rat, sortant de dessous terre,
Voit s'approcher sans crainte et moineaux et lourmis.
»Mon père avait bien tort de représenter l'homme
Comme
Un de nos cruels ennemis.
Vraiment, c'est pour nous qu'il travaille;
Voyez: pour épargner tout soin, tout embarras
Aux rats,
Il sépare, en suant, le froment de la paille.
Merci, bons villageois; pour la froide saison,
Je vais de votre offrande enrichir ma maison.«
Disant ces mots, quelle imprudence!
Il trotte vers les grains tombés en abondance.
Mais un villageois, par malheur,
Le voit, lève son fléau, frappe,
Et coupe la queue au voleur,
Qui tout sanglant, tout mutilé s'échappe,
Par son expérience averti désormais
Qu'un père en ses conseils ne nous trompe jamais.
Fable XVIII.
Le Marteau
D'une barre de fer an fragment retiré,
Et tout rouge sortant de la fournaise ardente,
Sur l'enclume à grands coups est battu, torturé.
En vain le malheureux gémit et se lamente.
»Quand de ce dur marteau serai-je délivré?«
Dit-il; mais, ô prodige! aux tourments il échappe;
En marteau se transfigurant,
L'esclave qui se fait tyran
Aujourd'hui sur l'enclume à coups redoublés frappe.
Ce valet qui, lassé d'un joug injurieux,
A son tour devient maître, et maître impérieux,
L'indomptable tribun, farouche patriote,
Qui saisit le pouvoir et commande en despote,
La victime d'hier transformée en bourreau,
Ne sont-ils pas ce fer qu'on transforme en marteau?
Fable XIX.
Le Cheval de Don
Quichotte
et l'Ane de Sancho Pança
Don Quichotte, le soir d'une rude journée
Pleine d'émotions et de rares exploits,
A côté de Sancho sommeillait dans les bois;
L'un rêvait aux grandeurs, et l'autre à Dulcinée.
Voyant leurs maîtres endormis,
Rossinante et Grison causaient en bons amis.
L'âne dit au cheval: »Mon brave Rossinante,
Il me vient une idée heureuse, surprenante;
Veux-tu que, rejetant notre rôle passif,
Nous allions sans retard, et d'une âme aguerrie,
Parmi les animaux, race à Fesprit rétif,
Créer le noble état de la chevalerie?
L'un d e l'autre jamais jaloux,
En compagnons toujours fidèles,
Nous courtisons toutes les belles
Qui broutent les prés andalous.
Forts de notre bon droit et de notre vaillance,
Nous redressons les torts, nous sauvons l'innocene.
Agneaux, ne craignez plus la colère des loups!
Faibles, soyez heureux; consolez-vous, victimes;
Tigres, nous voici: gare à vous!«
Mais l'autre: »Qu'attends-tu de tes efforts sublimes?
— Les pâturages les plus verts
Sont notre récompense;
On nous aime, à souhait s'arrondit notre panse,
Et notre renommée étonne l'univers.
— Crois-en ma vieille expérience,
Toute médaille a son revers.
J'ai mainte et mainte cicatrice,
Des dangers de la gloire ineffaçable indice;
La soif, la faim,
Les fatigues sans fin,
Le mépris et les coups ont été mon partage.
Toi, loin de nos combats par Sancho bien nourri,
Tu n'eus que les plaisirs et l'honneur du voyage.
Ah! songea mes douleurs, vois mon corps amaigri...
— Je sens, dit le baudet, chanceler mon courage.
Je n'avais pas encore, il faut en convenir,
Sous ces noires couleurs entrevu l'avenir.
Beaux projets, je vous abandonne;
La gloire, je le vois, présente une couronne
D'épines et de fleurs... Qui craint de se blesser
A la saisir doit renoncer.«
Fable XX.
Des Taches au Soleil
Un ignorant
Un jour apprend
Que les savants, armés de leurs longs télescopes,
Ont vu des taches au soleil.
Il désire aussitôt la cécité des taupes
Et des marmottes le sommeil,
Honteux d'avoir longtemps admiré, trop crédule,
Cet astre qu'il croyait un astre sans pareil.
»Reviens de ton mépris injuste et ridicule,
Lui dit quelqu'un; rends-lui, crois-moi,
Ton admiration première,
Et ne cesse d'aimer cet astre, à qui tu doi
Une chaleur féconde et des flots de lumière.«
Dans l'homme de génie ou l'homme vertueux
Si vous avez surpris, d'un ceil trop rigoureux,
Quelque faute inhérente à l'humaine faiblesse,
Que cela ne vous blesse,
Et sachez ne pas voir
Une tache dans ceux qui sur tous font pleuvoir
Et les bienfaits et le savoir.
Fable XXI.
L'Église délabrée
Voyez cette champêtre église,
Dont le vent sacrilège a renversé la croix;
Le lierre parasite a rongé ses parois,
Plus d'un lambris s'écroule à sa toiture grise.
Mais on entre; on entend de suaves concerts;
Des cœurs s'exhale la prière;
Les flots d'encens et de lumière,
Confondus, montent dans les airs.
Poëte, c'est là ton image:
La douleur sillonna ton front,
Le passant fit plus d'un affront
A tes habits fangeux que le temps endommage...
Mais ton áme, ô poëte! est le temple vivant
D'où s'échappe l'hymne infinie;
A la muse de l'harmonie
Ton cœur religieux voue un culte fervent.
Fable XXII.
Les deux Hommes qui
nagent
Deux hommes en nageant longeaient une rivière.
L'un, sans regarder en arrière,
Se laissait aller au courant
Doucement, à son aise; et l'autre, différent,
S'arrêtait pour prêter une main tutélaire
A des enfants lassés, à de faibles amis.
L'un c'est le citoyen, pendant sa vie entière,
Utile à sa famille, utile à son pays;
L'autre c'est... pour lui j'en rougis,
L'égoïste ou le solitaire.
Fable XXIII.
Le Papillon et le Chou
Un papillon volait, plas léger que lèvent,
Du chèvrefeuille au lis, du jasmin à la rose.
Le chou, qui le nourrit avant
Sa brillante métamorphose,
»Viens, mon fils, lui dit-il, un instant pose-toi
Sur moi...
— Quoi! je m'abaisserais à ceux de ton espèce,
O race informe, lourde, épaisse!
Répond brutalement le rival des zéphyrs.
Laisse-moi savourer, au gré de mes désirs,
Les sucs les plus exquis et les fleurs les plus belles.«
A ces mots, le chou répartit:
»Mon petit,
Tu n'étais pas si fier quand, privé de tes ailes,
Chenille, tu rongeais mes feuilles maternelles.
Mais, comme toi, plus d'un, il faut en convenir,
Osa, pendant le sort prospère,
Renier ses amis et rougir de son père,
Et des bienfaits reçus perdit le souvenir.«
Fable XXIV.
Le Lierre et les
deux Ormeaux
A deux ormeaux voisins le lierre s'adressa,
Demandant un appui pour sa tige flexible.
L'un d'eux, trop fier, le repoussa;
Son compagnon se montra plus sensible.
Il en fut bien récompensé:
Plus tard, quand les hivers de leur souffle glacé
Venaient attrister la nature,
L'arbuste l'entourait, fidèle, lui tressant
Une couronne de verdure;
L'autre, squelette aride, effrayait le passant.
Accueillons, pendant la jeunesse,
Les riantes illusions.
Malgré les mauvais jours et les déceptions,
Les tendres sentiments reverdiront sans cesse.
Bravant l'injure des autans,
De souvenirs purs et constants
Ils pareront notre vieillesse,
Et feront de la vie un éternel printemps.
Fable XXV.
La Trompette et le
Glaive
Un jour, entre deux camps la bataille s'engage.
La trompette, soudain, sonne un chant martial:
»Glaive, sors du fourreau, c'est l'heure du carnage!«
Et le glaive, docile au belliqueux signal,
Vole, étincelle, frappe et gagne la victoire.
La trompette s'écrie alors:
»Bravo, mon camarade! à nous toute la gloire!
Ensemble partageons la dépouille des morts!
Ah! pour avoir si bien échauffé ta vaillance,
J'ai droit, sans contredit, à la meilleure part.«
Mais un nouveau combat se déclare plus tard,
Et la trompette sonne, et le glaive s'élance.
Sur l'arène bientôt il tombe mutilé,
Tandis que lâchement madame la trompette
A pris devant le feu la poudre d'escampette.
»Ce glaive était, dit-elle, un franc écervelé
Qu'à la raison, vraiment, on a bien fait de mettre.«
Ici certains Joarnaux doivent se reconnaître:
Par des cris de guerre, en tout temps,
Ils agacent les nerfs, ils font grincer les dents.
Des combats, à leur voix, bravez-vous la tempête?
Vous êtes des héros! Partageons le butin!
Disent-ils après la conquête.
Éprouvez-vous une défaite?
Brouillons, vous méritez ce terrible destin!
Disent-ils, battant en retraite.
Fable XXVI.
L'Amour piqué par
une Abeille
Amour jouait parmi les fleurs;
Il fut piqué par une abeille.
Jamais une douleur pareille
Ne lui fit verser tant de pleurs.
»Ma mère, dit-il, je me meurs!«
Il court, trépigne, se désole.
Vénus l'embrasse, le console,
Et, souriant, elle lui dit:
»Si d'un aiguillon si petit
Tu ressens des douleurs mortelles,
Combien plus doit souffrir un cœur
Poursuivi par ton œil vainqueur,
Percé partes flèches crueiles!«
|